Monsieur le président, Madame la sénatrice, M. Kerting et moi-même allons vous présenter les principaux éléments de notre livre. Il se propose de résumer la littérature existante en termes d'analyse économique de la pollution de l'air.
Les pics de pollution sont souvent perçus comme propres aux métropoles asiatiques, la pollution de l'air est devenue un problème occidental, et notamment parisien, avec le premier épisode de pollution entraînant la mise en place d'une circulation alternée en mars 2014. Cet événement a marqué les esprits et a fait prendre conscience du fait que le problème touche désormais la vie quotidienne des Français et a ipso facto une dimension politique. Premier exemple de cette dimension politique : les mesures d'urgence de mars 2014 à Paris ; des dispositifs mis en oeuvre à Berlin ou Mexico ; le dispositif du Clean Air Act en place aux Etats-Unis depuis 25 ans déjà.
Je ne reviendrai que brièvement sur les multiples visages de la pollution de l'air : les particules fines, le dioxyde d'azote essentiellement émis par les transports, le dioxyde de soufre lié au processus industriel, le monoxyde de carbone et l'ozone. Il faut bien distinguer émission et concentration : un automobiliste dans les embouteillages subit une pollution bien plus forte que le cycliste quelques mètres plus loin sur une voie cyclable car la dilution est un phénomène important et rapide. Cela rend la modélisation des concentrations d'agents polluants, très compliquée.
La pollution de l'air a, par ailleurs, des conséquences multiples, au-delà de la santé -par exemple le cancer du poumon- et de la perte de PIB. Ainsi la perte de visibilité, qui peut atteindre 80 %, et empêcher les avions d'atterrir ou augmenter le nombre d'accidents de la route : cela représente des coûts économiques qu'il faut savoir évaluer. Une surconcentration d'ozone troposphérique peut également faire baisser les rendements agricoles jusqu'à 10 % dans le bassin parisien. Les bâtiments s'usent également plus vite et la biodiversité peut être diminuée.
Permettez-moi d'insister sur la pollution de l'air intérieur, sujet important, mal connu. Elle a une dimension particulière en Afrique en raison de l'utilisation de matériaux biologiques, comme le bois pour la cuisson des aliments, mais pose aussi des problèmes dans nos pays. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, dont la fonction est par conséquent importante, produit des outils de mesure et des études très intéressantes : peu de pays disposent d'un tel outil.
La pollution de l'air à l'intérieur des véhicules est aussi un sujet. La pollution à l'intérieur du métro est plus importante que sur le périphérique.
La géographie de la pollution de l'air est à la fois très locale et très internationale, avec parfois des conséquences diplomatiques importantes aux pollutions transfrontalières. La pollution de mars 2014 à Paris était en partie liée à la production d'électricité en Allemagne, à base de charbon.
En ce qui concerne les conséquences sanitaires, de nombreuses affections des voies respiratoires sont dues à la pollution de l'air. Le travail des économistes est de monétiser la perte d'espérance de vie calculée par les médecins. La pollution de l'air est, en Europe, la cause d'une mortalité dix fois supérieure aux accidents de la route.
La notion de coût, en économie, n'est pas nécessairement une dépense, un flux d'argent, mais la perte de quelque chose qui a de la valeur - en l'occurrence une vie en bonne santé. Le PIB ne mesure pas tout, et notamment le bien-être. Ici il s'agit de calculer le coût d'une probabilité plus élevée de mourir plus tôt. Pour cela, on utilise la méthode de la Valeur statistique de la vie. Il ne s'agit pas de la valorisation d'une vie humaine mais on demande aux gens combien ils sont prêts à payer pour éviter une augmentation de la mortalité. Des dispositifs expérimentaux permettent ainsi de mesurer que, sur une population de 100 000 personnes, les gens sont prêts à payer l'équivalent de 30 dollars pour éviter une augmentation de la probabilité de décès. Cela établit le coût de la perte d'une vie à 3 millions de dollars, prix que la collectivité est prête à payer pour éviter un décès. L'avantage de cette méthode que l'on utilise depuis 40 ans est que son fondement théorique est solide. L'inconvénient est qu'elle est imprécise : les résultats varient du simple au triple : 3 millions est en fait le milieu d'une fourchette qui va de 1,5 à 4,5 millions.
Une fois ces chiffres posés, le coût économique de la pollution de l'air, en raison de la mortalité importante, apparaissent immédiatement énormes. L'OCDE le calcule à 55 milliards de dollars pour la France (soit 3 points de PIB) et 500 milliards de dollars (soit 5 points de PIB) pour les Etats-Unis. En moyenne, dans le monde, le coût de la pollution de l'air est de quelques points de PIB pour chaque pays, et si l'on additionne l'ensemble, l'équivalent de la perte de bien-être arrive au tiers du PIB des Etats-Unis. La Chine et l'Inde sont les pays qui souffrent le plus. Il est important de garder à l'esprit ces coûts colossaux car ils justifient les investissements publics.
Quels sont les instruments de mesure à la disposition des pouvoirs publics ? L'air pur est un « bien public pur » car il n'y a pas de prix de marché, personne ne veut payer pour l'avoir : le marché ne sait pas valoriser ce bien. Trois moyens permettent de corriger cette externalité.
Le premier moyen est la réglementation dont je suis de plus en plus persuadé qu'elle est un élément indispensable. L'avantage de ce moyen est son efficacité. On a ainsi réussi à diviser par quinze le taux de dioxyde de soufre, responsable des pluies acides dans les années 80. Les inconvénients sont la difficulté du contrôle et le fait que la réglementation ne permet pas de dépolluer au moindre coût.
Le deuxième moyen est la taxation. Elle fonctionne à moindre coût et on reçoit un double dividende : si l'on fait une taxe carbone, et qu'en compensation on baisse les charges sur les revenus du travail, non seulement on fait baisser les émissions de dioxyde de carbone, mais on crée des emplois. La limite de la taxation des polluants atmosphériques est sa moindre efficacité par rapport à la réglementation.
Le troisième moyen, le plus sophistiqué, -mais en pratique à titre personnel je doute qu'il soit le meilleur est le marché de droits à polluer. Les avantages sont les mêmes que pour la taxation et l'efficacité peut être grande, ainsi cela a très bien fonctionné aux Etats-Unis pour faire baisser le taux de dioxyde de soufre ; mais il est très difficile d'élaborer un marché de droits à polluer efficace : il faut une architecture juridique stable, des sanctions crédibles, une architecture complexe et fluide, tous éléments qui n'ont pas été réunis dans le marché de droits à polluer concernant le CO2 dans l'UE.
La protection de la qualité de l'air est par ailleurs encore insuffisante y compris en Europe. La concentration en dioxyde d'azote a baissé bien moins rapidement que celle en dioxyde de soufre, en bonne partie en raison du taux de diésélisation du parc automobile européen et français en particulier. En Chine, le principal problème est les particules fines issues du charbon.
Les services et les produits nouveaux qui répondent au problème de la pollution de l'air : dans notre livre, nous avons également développé une description de la filière des agents privés qui s'en occupent. En particulier la dépollution de l'air est un facteur de l'efficacité énergétique des bâtiments.