Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air

Réunion du 18 mai 2015 à 18h45

Résumé de la réunion

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  • air
  • pollution
  • qualité de l'air

La réunion

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La réunion est ouverte à 18 h 45.

La commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Frédéric Gonand et Thomas Kerting et de Mme Mathilde Lorenzi, auteurs de La Bataille de l'air (Descartes et Cie, janvier 2015) prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Frédéric Gonand

Monsieur le président, Madame la sénatrice, M. Kerting et moi-même allons vous présenter les principaux éléments de notre livre. Il se propose de résumer la littérature existante en termes d'analyse économique de la pollution de l'air.

Les pics de pollution sont souvent perçus comme propres aux métropoles asiatiques, la pollution de l'air est devenue un problème occidental, et notamment parisien, avec le premier épisode de pollution entraînant la mise en place d'une circulation alternée en mars 2014. Cet événement a marqué les esprits et a fait prendre conscience du fait que le problème touche désormais la vie quotidienne des Français et a ipso facto une dimension politique. Premier exemple de cette dimension politique : les mesures d'urgence de mars 2014 à Paris ; des dispositifs mis en oeuvre à Berlin ou Mexico ; le dispositif du Clean Air Act en place aux Etats-Unis depuis 25 ans déjà.

Je ne reviendrai que brièvement sur les multiples visages de la pollution de l'air : les particules fines, le dioxyde d'azote essentiellement émis par les transports, le dioxyde de soufre lié au processus industriel, le monoxyde de carbone et l'ozone. Il faut bien distinguer émission et concentration : un automobiliste dans les embouteillages subit une pollution bien plus forte que le cycliste quelques mètres plus loin sur une voie cyclable car la dilution est un phénomène important et rapide. Cela rend la modélisation des concentrations d'agents polluants, très compliquée.

La pollution de l'air a, par ailleurs, des conséquences multiples, au-delà de la santé -par exemple le cancer du poumon- et de la perte de PIB. Ainsi la perte de visibilité, qui peut atteindre 80 %, et empêcher les avions d'atterrir ou augmenter le nombre d'accidents de la route : cela représente des coûts économiques qu'il faut savoir évaluer. Une surconcentration d'ozone troposphérique peut également faire baisser les rendements agricoles jusqu'à 10 % dans le bassin parisien. Les bâtiments s'usent également plus vite et la biodiversité peut être diminuée.

Permettez-moi d'insister sur la pollution de l'air intérieur, sujet important, mal connu. Elle a une dimension particulière en Afrique en raison de l'utilisation de matériaux biologiques, comme le bois pour la cuisson des aliments, mais pose aussi des problèmes dans nos pays. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, dont la fonction est par conséquent importante, produit des outils de mesure et des études très intéressantes : peu de pays disposent d'un tel outil.

La pollution de l'air à l'intérieur des véhicules est aussi un sujet. La pollution à l'intérieur du métro est plus importante que sur le périphérique.

La géographie de la pollution de l'air est à la fois très locale et très internationale, avec parfois des conséquences diplomatiques importantes aux pollutions transfrontalières. La pollution de mars 2014 à Paris était en partie liée à la production d'électricité en Allemagne, à base de charbon.

En ce qui concerne les conséquences sanitaires, de nombreuses affections des voies respiratoires sont dues à la pollution de l'air. Le travail des économistes est de monétiser la perte d'espérance de vie calculée par les médecins. La pollution de l'air est, en Europe, la cause d'une mortalité dix fois supérieure aux accidents de la route.

La notion de coût, en économie, n'est pas nécessairement une dépense, un flux d'argent, mais la perte de quelque chose qui a de la valeur - en l'occurrence une vie en bonne santé. Le PIB ne mesure pas tout, et notamment le bien-être. Ici il s'agit de calculer le coût d'une probabilité plus élevée de mourir plus tôt. Pour cela, on utilise la méthode de la Valeur statistique de la vie. Il ne s'agit pas de la valorisation d'une vie humaine mais on demande aux gens combien ils sont prêts à payer pour éviter une augmentation de la mortalité. Des dispositifs expérimentaux permettent ainsi de mesurer que, sur une population de 100 000 personnes, les gens sont prêts à payer l'équivalent de 30 dollars pour éviter une augmentation de la probabilité de décès. Cela établit le coût de la perte d'une vie à 3 millions de dollars, prix que la collectivité est prête à payer pour éviter un décès. L'avantage de cette méthode que l'on utilise depuis 40 ans est que son fondement théorique est solide. L'inconvénient est qu'elle est imprécise : les résultats varient du simple au triple : 3 millions est en fait le milieu d'une fourchette qui va de 1,5 à 4,5 millions.

Une fois ces chiffres posés, le coût économique de la pollution de l'air, en raison de la mortalité importante, apparaissent immédiatement énormes. L'OCDE le calcule à 55 milliards de dollars pour la France (soit 3 points de PIB) et 500 milliards de dollars (soit 5 points de PIB) pour les Etats-Unis. En moyenne, dans le monde, le coût de la pollution de l'air est de quelques points de PIB pour chaque pays, et si l'on additionne l'ensemble, l'équivalent de la perte de bien-être arrive au tiers du PIB des Etats-Unis. La Chine et l'Inde sont les pays qui souffrent le plus. Il est important de garder à l'esprit ces coûts colossaux car ils justifient les investissements publics.

Quels sont les instruments de mesure à la disposition des pouvoirs publics ? L'air pur est un « bien public pur » car il n'y a pas de prix de marché, personne ne veut payer pour l'avoir : le marché ne sait pas valoriser ce bien. Trois moyens permettent de corriger cette externalité.

Le premier moyen est la réglementation dont je suis de plus en plus persuadé qu'elle est un élément indispensable. L'avantage de ce moyen est son efficacité. On a ainsi réussi à diviser par quinze le taux de dioxyde de soufre, responsable des pluies acides dans les années 80. Les inconvénients sont la difficulté du contrôle et le fait que la réglementation ne permet pas de dépolluer au moindre coût.

Le deuxième moyen est la taxation. Elle fonctionne à moindre coût et on reçoit un double dividende : si l'on fait une taxe carbone, et qu'en compensation on baisse les charges sur les revenus du travail, non seulement on fait baisser les émissions de dioxyde de carbone, mais on crée des emplois. La limite de la taxation des polluants atmosphériques est sa moindre efficacité par rapport à la réglementation.

Le troisième moyen, le plus sophistiqué, -mais en pratique à titre personnel je doute qu'il soit le meilleur est le marché de droits à polluer. Les avantages sont les mêmes que pour la taxation et l'efficacité peut être grande, ainsi cela a très bien fonctionné aux Etats-Unis pour faire baisser le taux de dioxyde de soufre ; mais il est très difficile d'élaborer un marché de droits à polluer efficace : il faut une architecture juridique stable, des sanctions crédibles, une architecture complexe et fluide, tous éléments qui n'ont pas été réunis dans le marché de droits à polluer concernant le CO2 dans l'UE.

La protection de la qualité de l'air est par ailleurs encore insuffisante y compris en Europe. La concentration en dioxyde d'azote a baissé bien moins rapidement que celle en dioxyde de soufre, en bonne partie en raison du taux de diésélisation du parc automobile européen et français en particulier. En Chine, le principal problème est les particules fines issues du charbon.

Les services et les produits nouveaux qui répondent au problème de la pollution de l'air : dans notre livre, nous avons également développé une description de la filière des agents privés qui s'en occupent. En particulier la dépollution de l'air est un facteur de l'efficacité énergétique des bâtiments.

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

On assiste aujourd'hui à une forte transition énergétique des bâtiments. Le problème est que l'étanchéité thermique peut mettre à mal la qualité de l'air intérieur et donc la santé des occupants. Mais on sait aujourd'hui traiter l'air vicié, que l'on garde à la bonne température, pour le réinjecter dans le bâtiment avec des gains énergétiques et une meilleure qualité de l'air.

Debut de section - Permalien
Frédéric Gonand

Un filtre à air permet, en effet, de limiter la concentration en particules fines, bien mieux que la ventilation par apport d'air extérieur lui-même pollué. Cela permet de diminuer la consommation énergétique et l'effet d'un air plus pur sur la productivité du travail est très significatif : 3 à 8 % selon l'INVS.

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

Une bonne qualité de l'air dans l'entreprise peut se traduire par un tiers d'arrêts maladie en moins.

Debut de section - Permalien
Frédéric Gonand

Or un filtre à air dans une centrale à convection coûte 9 000 euros, ce qui est très peu au regard des gains. Le retour sur investissement est donc aussi rentable pour les agents privés, ce qui est important pour que le modèle économique fonctionne à long terme.

Par ailleurs, il ne s'agit pas de se défausser sur les collectivités territoriales mais celles-ci peuvent faire beaucoup : par l'organisation des transports urbains, par une tarification urbaine, par des limites de vitesse, des zones à émissions faibles (à Berlin, par exemple), des restrictions de circulation comme à Mexico. Enfin, en termes d'urbanisme : la tendance est, en France, depuis les années 1970, à la rurbanisation qui cause l'émission de beaucoup de CO2 ; la tendance actuelle est donc plutôt à des centres villes compacts. Toute une réflexion se développe autour de la création de couloirs d'air, d'espaces urbains au sommet des bâtiments de grande hauteur, etc.

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

La qualité de l'air est aujourd'hui une vraie opportunité pour la France car nous avons aujourd'hui la première filière dans ce domaine. Il y a trente ans, seule la France a lancé une filière de mesure et de traitement de la pollution de l'air, à laquelle l'ingénierie publique a beaucoup contribué. Tous les maillons de la chaîne sont aujourd'hui présents au niveau français. Néanmoins, le vecteur économique de cette filière est très faible car elle n'est constituée que de PME, voire des TPE. Elles sont aujourd'hui réunies au sein de la Fédération interprofessionnelle des métiers environnementaux et atmosphériques, et la qualité de l'air est une opportunité économique majeure dans les initiatives françaises à l'export. Ainsi Vivapolis regroupe des acteurs aussi bien privés que publics et de toute taille autour de la qualité de l'air dans les villes pour permettre une offre française compétitive à l'export sur la question, en proposant des villes qui respirent. Il faudra beaucoup communiquer aussi sur cette réalité industrielle, ce qui suppose de rassembler les parties prenantes, citoyens, entrepreneurs, académiques, pouvoirs publics, et créer des lieux de discussion. Cette année, un événement : « Les Respirations », qui aura lieu une semaine avant la COP 21 (qui ne se préoccupera que de climat), permettra de mettre un coup de projecteur sur la qualité de l'air. Au-delà du coût, je voulais donc insister sur l'énorme opportunité que représente la qualité de l'air, d'autant que la filière de la qualité de l'air est en lien avec d'autres filières stratégiques : ainsi la révolution numérique, avec les objets connectés qui permettent de rassembler une grande quantité de données, qu'il faut savoir utiliser. Aujourd'hui nous essayons de faire ces passerelles pour utiliser la révolution numérique à des fins de bien public. Il faut donner une vision de la ville et de la société : la France peut la donner, avec comme fil conducteur, la qualité de l'air. Aujourd'hui, la France dispose de tous les atouts pour cela. « L'air de rien, l'air, c'est tout. » Bien respirer est le premier pas du vivre ensemble. La compétitivité des territoires passera par la qualité de l'air.

Debut de section - Permalien
Frédéric Gonand

Chaque jour, on consomme en moyenne 1,5 kg de nourriture, 2 litres de boisson, mais on filtre 15 000 litres (soit 12 kg) d'air.

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

Essentielle est aussi la formation de toutes les classes d'âge, aussi bien des professionnels territoriaux, aménageurs urbains, responsables de chantiers de rénovation, que les équipes pédagogiques car les classes d'âge mettent 20 ans à être formées sur les sujets environnementaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Je suis parfaitement en accord avec votre exposé. La perspective de cette commission est de partir du constat de l'aberration sanitaire et économique de la pollution de l'air pour trouver les opportunités économiques que cette situation recèle. Nous allons donc orienter nos dernières auditions vers des projets. En auriez-vous des exemples ?

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

Tout d'abord, des sociétés qui mesurent les polluants. Ainsi à Paris, la société Aria Technologies a lancé à l'été 2013 en version beta Aircity, un logiciel qui permet de représenter l'air de Paris en 3D avec les polluants qu'il contient. On peut très facilement imaginer qu'il devienne un filtre de lunettes connectées, ce qui permet de choisir sur le moment le meilleur chemin. L'expertise est également essentielle, pour aider l'accompagnement stratégique des grands groupes : la société la plus connue dans ce domaine est AirSur. De nombreuses solutions technologiques sont également en cours de développement. Le potentiel de la France est dans ce domaine exceptionnel. Enfin, en ce qui concerne la formation, la FIMEA vient de lancer une formation Qualité de l'air à destination des cadres territoriaux ; cette formation va être expérimentée dans le Val-de-Marne. Je pourrais donner encore bien d'autres exemples concrets.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous évoquez la richesse de la France en PME de pointe sur la qualité de l'air. Qu'est-ce qui manque pour passer de la PME au grand groupe ? Quelle est la taille du marché qui vous paraît s'ouvrir dans ce domaine ?

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

L'idée serait plutôt de passer de la petite taille à la taille moyenne, en multipliant les ETI dans la qualité de l'air. 80 % de l'écosystème d'innovations sur la qualité de l'air sont composés de sociétés de moins de 10 personnes : il faudrait accéder à une taille intermédiaire. Nous avons plusieurs raisons d'être confiants ; L'Etat et les pouvoirs publics peuvent accélérer le processus en soutenant les entreprises, notamment à l'export, comme le font les Etats-Unis ou l'Allemagne. Il faut également que les grilles de financement des projets intègrent la qualité de l'air, ce qui n'est pas encore suffisamment le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Comment expliquez-vous ce manque de prise en compte ?

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

Par le fait que les référentiels d'appréciation normés n'existent pas encore. L'Etat peut par ailleurs aider grâce à une nouvelle gouvernance : en effet l'ingénierie publique, en pointe sur la qualité de l'air, vient aujourd'hui sur des marchés privés pour se financer, faute de budget. L'Etat doit considérer que la qualité de l'air est une fonction régalienne et financer les opérateurs qui s'en occupent. Enfin, on peut créer une synergie avec d'autres filières innovantes, notamment les objets connectés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous avez évoqué l'attente d'un soutien des pouvoirs publics. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que dans un premier temps l'accompagnement représenterait un coût, mais qu'en permettant de structurer une filière il deviendrait par cela même dans un second temps producteur de richesses et de recettes ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Gonand

Vous avez raison. La réponse est oui tant pour les pouvoirs publics que pour les agents privés. Quand les pouvoirs publics dépensent pour réduire la pollution de l'air, l'investissement est extrêmement rentable car les effets en termes de bien-être de la population sont massifs. En ce qui concerne les agents privés, je vous rappelle les 3 à 8% de productivité supplémentaires évoqués tout à l'heure : il y a pour eux une vraie logique à investir dans l'amélioration de la qualité de l'air. L'intérêt est ici vraiment général. Le modèle économique est favorable et stable aussi bien pour le public et le privé.

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

Le retour sur investissement peut être à la fois très rapide, peu coûteux à court terme, et très rentable sur le long terme. Aujourd'hui, avec un fonds dédié sur la qualité de l'air, avec très peu de moyens, on peut obtenir des succès majeurs. La qualité de l'air est en retard par rapport à celle de l'eau, alors que les potentialités sont énormes. La transition écologique passera par la qualité de l'air dont elle est un des moteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous avez souligné la qualité de l'expertise française concernant la qualité de l'air. Quels sont selon vous nos principaux concurrents ? Ya-t-il un risque de prendre du retard à l'international ?

Debut de section - Permalien
Thomas Kerting

La France a pris du retard car le financement n'a pas suivi l'innovation et est aujourd'hui talonnée par la Corée, l'Allemagne, les Etats-Unis, qui maîtrisent les offres urbaines globales. C'est maintenant qu'il faut investir.