Intervention de Luc Chatel

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Luc Chatel, ministre :

Cet enseignement « contrastif », c’est-à-dire en comparaison permanente avec le français, doit permettre aux élèves d’apprendre à distinguer rapidement les deux langues et à progresser dans l’acquisition de chacune d’elles.

J’ai d’ailleurs moi-même signé avec le président du conseil régional de la Martinique, Serge Létchimy, le 22 février dernier, une convention qui officialise et renforce cet enseignement.

Permettez-moi aussi d’ajouter que l’État consacre des moyens importants à cet enseignement. En effet, des postes « bivalents » sont proposés par les académies dans le cadre de concours de recrutement de professeurs des écoles dits « spéciaux ». À la session 2010, 133 postes ont été ouverts à ce titre. Au total, au cours des dix dernières années, 1339 postes de professeurs des écoles ont été proposés dans ce cadre.

Dans le second degré, des CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole, occitan, corse et tahitien – permettent de recruter des professeurs depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 602 postes ont été offerts aux candidats. Aujourd’hui, les enseignements de langue régionale sont assurés au collège et au lycée par 570 professeurs certifiés, le tahitien mobilisant 60 postes.

En outre, pour ce qui concerne l’enseignement privé sous contrat, 570 enseignants sont rémunérés par l’État. En 2010, 26 postes ont été ouverts aux concours spécifiques pour le premier degré et 11 pour le second degré.

Finalement et sans doute en raison non seulement de la diversité des modalités de transmission, mais aussi de l’importance des moyens consacrés, l’enseignement des langues régionales connaît une véritable vigueur dans notre pays ; il concerne près de 200 000 élèves, étudiant sous une modalité ou une autre. Comptabilisant près de 125 000 élèves, le premier degré est le niveau le plus dynamique, même si, bien sûr, des différences importantes sont enregistrées d’une académie à une autre.

Rigueur, richesse et vigueur caractérisent l’enseignement des langues régionales, qui est loin d’être négligeable dans notre pays, et les moyens qui y sont consacrés, dans un contexte budgétaire difficile, vous ne l’ignorez pas, permettent de répondre à la demande des élèves et de leurs familles.

Par ailleurs, et vous le savez, les conseils académiques des langues régionales, qui existent dans quatorze académies et au sein desquels siègent les représentants de l’éducation nationale, des professeurs, des familles et des collectivités, permettent d’organiser cet enseignement en concertation. Le dialogue avec les collectivités territoriales est souvent inscrit dans le cadre des conventions nouées entre l’État et ces dernières, conformément aux dispositions de l’article L. 312-10 du code de l’éducation.

L’effort est également marqué dans le champ de la culture et des médias. Et je tiens tout d’abord à rappeler, au nom de mon collègue Frédéric Mitterrand, que la mise en valeur de la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France fait partie depuis longtemps des missions des organismes du secteur public audiovisuel, en métropole comme en outre-mer. Ce principe, clairement posé dans la loi du 30 septembre 1986, a été fortement réaffirmé dans la loi du 5 mars 2009 réorganisant le secteur public audiovisuel.

Le rapport d’exécution 2010 du cahier des charges de France Télévisions précise que, pour l’année écoulée, France 3 a contribué à l’expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain en assurant un volume total de 264 heures d’émission, contre 253 en 2009, et 213 en 2008, dans les six régions concernées, à savoir Alsace, Aquitaine, Sud, Méditerranée, Corse et Ouest.

La tendance est donc à une augmentation globale continue : toutes les langues concernées ont vu leur volume de diffusion soit augmenter, soit se stabiliser. Cette dynamique est même amenée, dans certains cas, à se renforcer ; j’en veux pour preuve la signature, vendredi dernier, avec la collectivité territoriale de Corse et en présence de Frédéric Mitterrand, de la convention sur le développement cinématographique et audiovisuel en Corse et de la convention avec la chaîne satellitaire Via Stella. Les programmes en langue corse, bilingues français corse ou en corse sous-titré en français pourront s’appuyer sur ces dispositions. Cette dynamique se retrouve également dans les outre-mer, avec le développement des Télé-pays de France Télévisions comme avec les Radios-pays.

Pour ce qui concerne plus précisément les radios, le réseau France Bleu a d’ores et déjà fixé sur ses stations locales des rendez-vous courts en langue régionale tout au long de la semaine, une émission d’une heure étant de surcroît diffusée, en fin de semaine, sur un bon créneau horaire.

Pour les langues de France connaissant un grand nombre de locuteurs, des dispositions ont été prises depuis de nombreuses années : je pense à la séparation totale de l’antenne française et régionale, comme en Alsace, où la FM diffuse principalement en français, tandis que les ondes moyennes assurent une diffusion en alsacien avec France Bleu Elsass ; une antenne complètement bilingue existe en Corse avec France Bleu Corse Frequenza Mora ; des antennes FM accueillent des programmes en langues régionales telles France Bleu Pays Basque ou France Bleu Breizh Izel.

Pour ce qui est de la mise en valeur des langues régionales dans le champ des médias, il est utile de rappeler que d’ores et déjà beaucoup de choses ont été réalisées. Certains diront que l’on pourrait faire encore plus ; mais les actions menées présentent tous les gages de l’engagement de l’État, aux côtés des collectivités territoriales concernées, pour la mise en valeur d’un patrimoine linguistique très riche qui relève d’une responsabilité partagée entre l’État et les collectivités territoriales.

Pour ce qui concerne la création culturelle, l’État apporte d’ores et déjà un soutien aux œuvres et aux projets qui contribuent à installer et à mieux légitimer la création en langues de France dans le paysage culturel, soit par le biais de crédits déconcentrés via les directions régionales des affaires culturelles, soit par l’action de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a succédé, en 2001, à la Délégation générale à la langue française.

À titre d’exemple, le théâtre La Rampe en Languedoc-Roussillon et le Centre dramatique occitan de Toulon bénéficient d’une aide au titre de leurs créations originales, ainsi que pour leurs activités de diffusion et de formation, indispensables à l’existence d’un théâtre vivant dans un cadre interrégional.

Je pourrais également évoquer le soutien apporté dans le domaine du cinéma, avec le film Au bistro du coin, tourné en français et doublé en six langues régionales – l’alsacien, le breton, le corse, le créole, l’occitan et le picard –, entraînant ainsi la création de filières de postproduction dans plusieurs régions.

Je pourrais aussi citer le soutien aux festivals, notamment à l’Estivada de Rodez ou à Vibrations Caraïbes, mais encore le soutien continu à l’édition en langues régionales, à travers le programme « Librairie des langues du monde », alimenté conjointement avec le Centre national du livre, grâce à un fonds destiné, notamment, à la production de dictionnaires bilingues français-langues de France.

Le ministère de la culture et de la communication apporte également un appui renforcé aux institutions et organismes représentatifs des langues de France, par exemple à l’Institut d’études occitanes ou l’Institut occitan de Pau, en matière de formation, d’édition, de création de centres de ressources linguistiques.

Il soutient les rencontres, les colloques et les débats qui ont les langues régionales pour objet. Je pourrais citer, à titre d’illustration, le Forum des langues du monde de Toulouse, qui conjugue animation populaire et réflexion critique sur les rapports interlinguistiques, le festival Mir redde Platt à Sarreguemines, qui met en valeur le francique de Moselle dans sa dimension transfrontalière, ou encore les congrès de l’association internationale d’études occitanes, sans oublier l’Observatoire des pratiques linguistiques, comité d’experts installé à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a développé notamment le programme « Corpus de la parole », lequel met en valeur un corpus oral unique sous la forme de ressources linguistiques numériques, au service de la recherche, via un site internet, avec déjà trente langues de France et plusieurs centaines d’heures d’écoute accessibles à tous.

Enfin, au mois de décembre prochain, le ministère de la culture et de la communication va organiser à Cayenne des états généraux du multilinguisme outre-mer. À cette occasion se trouveront réunies en Guyane des délégations provenant de l’ensemble des territoires d’outre-mer. Les questions relatives au multilinguisme relèvent d’une importance majeure pour les territoires d’outre-mer, en termes d’intégration et de démocratisation culturelle, et je sais que mon collègue Frédéric Mitterrand accorde une grande importance à ces rencontres, au-delà de la célébration de l’année des outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant précisément à la proposition de loi que nous examinons ce jour.

Bien sûr, je connais l’attachement de nombre d’entre vous aux langues régionales, réalité vivante dans les territoires dont vous êtes les élus.

Or la promotion des langues régionales s’appuie sur des dispositions éparses, que l’on retrouve dans divers textes – le code général des collectivités territoriales, le code de l’éducation, ou encore la loi du 4 août 1994 dite « loi Toubon ». Cette dispersion peut sembler, à certains d’entre vous, préjudiciable à la promotion des langues régionales.

Par conséquent, la volonté de rendre plus lisible et plus visible ce qui se fait et ce qu’il est possible de faire dans le cadre législatif et constitutionnel en vigueur me paraît compréhensible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion