Intervention de Maryvonne Blondin

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Maryvonne BlondinMaryvonne Blondin :

Monsieur le ministre, vous nous avez donné l’avis du Gouvernement. Cependant, permettez-moi de dire que, lors d’une très récente visite dans ma ville de Quimper – le 10 juin dernier, précisément –, M. le ministre de la culture, interrogé sur sa position concernant les langues régionales, a annoncé qu’il n’y était pas opposé et qu’il soutiendrait un texte à l’Assemblée nationale. Mais c’est ici, avec vous, monsieur le ministre de l’éducation nationale, que nous commençons à débattre – je dis « commençons » puisque nous ne pas pourrons aller jusqu’au bout du débat aujourd'hui – de l’avenir de ces langues et de ces cultures.

Il est plus que temps, mes chers collègues, car elles sont en danger de mort !

Dès 1991, Joshua Fishman, éminent linguiste américain, expliquait que, pour sauver une langue menacée, il fallait que la transmission de celle-ci soit assurée sur trois générations. Cette condition n’est plus remplie en Bretagne, non plus d’ailleurs que dans les autres régions, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de brittophones est aujourd’hui bien modeste, avec 206 000 locuteurs…

À ce propos, monsieur le ministre, pourquoi ne pas insérer une question sur la pratique des langues régionales dans le questionnaire de l’INSEE, ce qui nous permettrait d’avoir une connaissance exacte de la situation des différentes langues régionales et du nombre de leurs locuteurs ?

Mme le rapporteur a évoqué la vigueur avec laquelle certaines collectivités menaient des actions en faveur de leur langue régionale. Je crois les collectivités territoriales effectivement très soucieuses de lutter contre la disparition de ce patrimoine immatériel qu’est la langue. Elles se sont organisées et structurées, souvent en collaboration avec l’éducation nationale et des associations, pour développer l’enseignement des langues régionales sur leur territoire. Toutefois, monsieur le ministre, elles restent trop souvent soumises à l’arbitraire des recteurs.

À titre d’exemple, deux collectivités, que je connais fort bien, la région Bretagne et le département du Finistère, ont orienté leur politique autour de deux axes forts.

Premièrement, elles développent l’enseignement et encouragent la sensibilisation pour pallier l’absence de transmission familiale.

Dans le primaire et le secondaire, elles soutiennent et financent l’enseignement grâce à des partenariats avec les communes et l’éducation nationale, ainsi que par l’intermédiaire d’un établissement public de coopération culturelle, l’Office public de la langue bretonne, qui regroupe la région, le rectorat, la DRAC et cinq départements. Actuellement, ce sont 26 000 élèves qui, de la maternelle au baccalauréat, sont concernés !

Dans le supérieur, l’engagement de ces collectivités passe par l’attribution de bourses à la formation des formateurs.

En outre, elles adhèrent à un réseau européen de promotion de la diversité culturelle.

Deuxièmement, comme l’a dit Mme Morin-Desailly, il faut que la langue puisse être parlée au quotidien.

L’usage de la langue régionale dans les pratiques sociales est particulièrement important pour les personnes âgées. On constate en effet dans les EPHAD que, très souvent, celles-ci reviennent à la langue de leur jeunesse. Pour maintenir ce lien social dont parlait ma collègue, lien qui leur permettra de garder pied dans la réalité, il faut pouvoir échanger avec elles.

Il importe également de promouvoir l’usage de la langue dans le domaine économique – chacun de vous, mes chers collègues, connaît sans doute la marque Produits en Bretagne, qui promeut également la langue – et, bien sûr, dans le domaine culturel, dans le spectacle vivant comme dans les métiers d’art – je pense, par exemple, aux brodeurs bretons, extrêmement doués et compétents –, mais aussi dans les nouvelles technologies et les supports multimédias.

Sur ce dernier point, un livret et un CD informatifs, intitulés Le bilinguisme pour les petits, un grand outil pour la vie, constituent un outil tout à fait remarquable pour sensibiliser parents et professionnels à l’intérêt de l’apprentissage de plusieurs langues. Vous le disiez, monsieur le ministre, ne pas parler deux langues est un handicap dans la vie !

La disparition annoncée des langues régionales interpelle de grands médias internationaux. CNN et Al-Jazira ont ainsi réalisé des reportages, à Quimper et à Lorient, sur la baisse du nombre de locuteurs, mais aussi sur l’essor des écoles bilingues, qui obtiennent d’excellents résultats au bac, passé en français, je le rappelle.

À vous entendre, monsieur le ministre, tout va très bien, et vous avez énuméré les actions de l’État. Mais la réalité dans les territoires est tout autre, et c’est encore plus vrai en cette période de disette financière et de RGPP. Tous les dispositifs que vous avez mentionnés relèvent des soins palliatifs et ne peuvent que stopper la marche vers la disparition des langues régionales de notre République !

Il est vital que ces langues régionales aient un statut juridique et obtiennent une reconnaissance de l’État leur garantissant dignité et protection, comme les autres formes de patrimoine. On a bien vu, en effet, à la suite de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel le 20 mai dernier, que l’article 75-1 de la Constitution n’avait qu’un effet décoratif et qu’il était complètement dépourvu de portée normative.

Il semble bien que le patrimoine bâti soit mieux protégé que le patrimoine linguistique, vieux de quinze siècles pour le breton, dont les premiers écrits, bien antérieurs aux premiers écrits en français, remontent au VIIIe siècle.

Patrimoine encore vivant…mais pour combien de temps, mes chers collègues ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion