Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

C’est ainsi qu’un dialogue fécond entre les cultures peut se nouer hors de toute passion identitaire.

J’aimerais citer un exemple particulièrement intéressant de ces échanges interculturels qui font vivre harmonieusement notre patrimoine dans sa diversité. Il s’agit d’un opéra contemporain intitulé l’Amour de loin. La partition a été composée par Mme Saariaho, Finlandaise travaillant à Paris, sur un livret en français d’Amin Maalouf, Libanais qui vient d’entrer à l’Académie française. Cette œuvre est inspirée par la vie de Jaufré Rudel, le célèbre troubadour du XIIe siècle : un véritable hommage et à la francophonie et à la littérature occitane !

En revanche, il ne faut pas nous cacher que perdurent encore de nos jours des conceptions communautaristes inquiétantes. Ce sont celles qui lient étroitement le sang, la terre et la langue, et qui pourraient, à travers la revendication d’une identité régionale fermée, remettre en cause l’unité nationale.

Je n’en doute pas, aucun des auteurs de la proposition de loi ni aucun membre de notre Sénat ne partage cette vision !

Mais ne nous y trompons pas, mes chers collègues : j’ai longtemps siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, pourtant réputée pour être un temple de la démocratie, et il m’est arrivé d’y être confronté à des pensées de ce type, y compris dans ce qui peut tourner autour de la Charte européenne des langues régionales. Il faut voir là, chez certains, l’influence d’une conception germanique de la nationalité, héritée de Herder, de Fichte et du romantisme allemand. Nous devons impérativement résister à ce type de vision du monde, totalement contraire à l’esprit des Lumières et à notre tradition républicaine. L’histoire nous a appris combien elle pouvait être dangereuse.

C’est pourquoi il faut surtout nous garder d’instaurer une obligation de bilinguisme français-langue régionale qui nous entraînerait sur une pente glissante. Aucune obligation d’apprendre telle ou telle langue dans telle ou telle région ne peut être acceptée. Je me méfie des revendications identitaires qui valorisent exclusivement l’enracinement dans une terre. Souvenons-nous de l’interpellation de Gide : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? »

Je crois qu’il faut garder cela présent à l’esprit pour pouvoir discuter sereinement et lucidement de notre patrimoine immatériel commun et de la meilleure façon de le préserver.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui est très long et, qu’il me soit permis de le dire, touffu. Il ne peut pas être adopté en l’état. Je souhaite, monsieur le ministre, que l’État en reprenne ce qui est réalisable, éventuellement par la voie réglementaire. J’ai entendu votre proposition, qui me paraît en effet intéressante et importante : il faut que nous soyons en mesure de présenter l’ensemble des droits et possibilités offerts aux langues régionales pour que celles et ceux qui le souhaitent, y compris les collectivités locales, puissent, s’ils en décident, s’en saisir avec le concours et l’aide de l’État.

Je sais que la proposition que vous avez déposée, monsieur Navarro, recoupe largement les réflexions de certains membres des groupes de la majorité, notamment de l’UMP. Ce n’est pas Mme Bruguière ou M. Alduy qui me démentiraient ! Je crois que sur l’ensemble des travées, nous devons témoigner de notre attachement au patrimoine immatériel de la France que constituent conjointement ses langues régionales et sa langue nationale.

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