Il y a d'abord un problème de présentation de l'Islam, qui recouvre un vaste ensemble de domaines : religieux, historique, civilisationnel, historique, intellectuel, artistique... Cela laisse une certaine latitude à la manipulation idéologique : on met ainsi au crédit de l'Islam religion ce qui relève de l'Islam civilisation. Pourtant, pour citer Renan, l'Islam religion n'a pas plus de titre à revendiquer Averroès que le catholicisme à revendiquer Galilée.
Toutes les manifestations pour faire connaître la civilisation islamique sont à encourager : ses apports artistiques, culturels, philosophiques ont été remarquables. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et les musulmans se font du mal en ressassant leur gloire passée sans se donner la peine de retrouver ce niveau.
Je vous ferai part de trois expériences. La première concerne une visite à l'« Institut européen pour les sciences humaine » de Saint-Léger-de-Fougeret qui forme des imams appelés à exercer en Europe et en Amérique du Nord. J'ai eu la surprise de voir que la bibliothèque de cet Institut, officiellement indépendant, était wahabite, la documentation étant fournie par l'Arabie saoudite. La question cruciale, pour l'équipe dirigeante, était de réussir à intégrer l'enseignement des sciences islamiques à l'université publique. En répondant que j'y enseignais l'islamologie, j'étais en porte-à-faux : mes interlocuteurs souhaitaient en réalité transposer dans l'université d'État française tout un cursus, avec des diplômes, des certificats « étude du Coran »... « Les sciences islamiques sont une science humaine comme les autres », m'ont-ils affirmé !
À Strasbourg, l'idée est née chez certains membres de la faculté de théologie protestante de créer une faculté de théologie islamique. Pourquoi pas, puisque le système du concordat le permettait ? J'ai été consulté, avec un confrère, sur la maquette et le programme proposés. Nous avons été effarés : ce cursus avait été imaginé par des gens qui voyaient l'Islam de loin, sans se poser la moindre question sur la façon d'aborder les disciplines, de les intégrer à l'esprit de l'enseignement de l'université française, pas plus que sur le recrutement des enseignants... Ce fut un échec, mais révélateur d'une certaine naïveté.
À l'université de Toulouse, où j'enseignais, la direction du département d'arabe avait été confiée à un collègue marocain qui souhaitait encourager la présentation de l'Islam par des musulmans eux-mêmes, et y consacrer pas moins de 450 heures d'enseignement. Il fit venir trois enseignants pour l'accompagner dans cette démarche, qui constituèrent une association culturelle. Jusque-là, rien à redire. Cette association avait pour nom Sabil - le chemin - qui évoque irrésistiblement la formule « al-jihad fi sabil Allah ». Elle s'est révélée être une association de propagande islamiste ; il a fallu que les renseignements généraux s'en mêlent pour mettre fin à ses activités. Preuve que l'espoir de faire parler les acteurs eux-mêmes peut entraîner des déviations caractérisées...
L'État veut encourager la connaissance de l'Islam et a décidé d'ouvrir dix postes en islamologie à l'université. Je m'en félicite, car il y a des personnes compétentes pour les occuper. Mais comment ces postes seront-ils pourvus, selon quels critères ? J'observe des tendances lourdes, des universités où les sections d'arabe sont accaparées par les Marocains. Est-ce admissible ?