Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mai 2022 à 16h00
Institutions européennes — Bilan de l'activité de la commission des affaires européennes du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021 - examen du rapport d'information

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Comme chaque année, il me revient d'effectuer un rapide bilan de notre travail au cours de la session parlementaire écoulée, en l'espèce, du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021. Cependant, cette année, en raison de la présidence française de l'Union européenne (PFUE) et de l'élection présidentielle, ce bilan n'a pas pu encore donner lieu à un échange avec le Gouvernement. Dans le cadre du suivi de l'application des lois et des résolutions, avec mes collègues présidents de commissions, nous auditionnerons donc le ministre compétent début juillet.

En 2020-2021, nous n'avons pas chômé : en pratique, malgré les limitations liées à la pandémie, nous avons tenu 47 réunions de commission - quasiment autant qu'en 2019-2020 - durant 78 h 40. Nous avons même procédé à davantage d'auditions plénières que l'année précédente - 54 h 35 contre 49 h 45).

Sur le contenu de notre travail et sur l'influence du Sénat dans les dossiers européens, je laisserai la parole à la présidente de la Commission européenne. Lors de sa venue au Sénat, le 7 janvier dernier, pour lancer officiellement la PFUE, Mme Ursula von der Leyen déclarait que « le Sénat est l'une des chambres les plus actives d'Europe dans son dialogue avec les institutions de l'Union européenne. »

Ce dialogue passe d'abord par des contacts réguliers avec les commissaires européens et leurs cabinets et par les échanges de nos rapporteurs avec les services de la Commission européenne responsables de l'élaboration des textes européens que nous examinons. Ces visites participent de notre stratégie d'influence européenne. Malgré la pandémie, nous avons pu ainsi organiser une visite virtuelle de la Commission européenne, en janvier 2021, pour les membres de notre commission.

Au cours de la session 2020-2021, notre commission a entendu 17 communications qui lui ont permis d'effectuer des points d'étape sur des réformes européennes en cours de discussion - je pense à la protection des données, à la stratégie européenne en matière de sécurité ou encore à la réforme de la politique commerciale ; ces communications assurent également l'information de notre commission sur l'activité des délégations du Sénat à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et à celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ce qui peut contribuer à une synergie précieuse entre ces différentes enceintes.

L'activité de notre commission doit être ensuite évaluée au regard de l'information qu'elle apporte au Sénat sur les politiques européennes, du contrôle qu'elle exerce sur la politique européenne du Gouvernement et de son examen des textes européens qui lui sont soumis. Ainsi, au cours de la session 2020-2021, notre commission a été saisie de 950 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution - contre 852 lors de la session précédente. Elle en a examiné directement 333, soit en procédure écrite, soit directement lors de ses réunions.

En premier lieu, six résolutions européennes ont été adoptées par le Sénat - contre 17 lors de la session précédente - au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Cette diminution est cyclique : elle correspond au déroulement des élections sénatoriales de septembre 2020, et à ses conséquences immédiates : reconstitution de la commission, nomination de nouveaux rapporteurs et organisation d'un cycle d'auditions préalables aux prises de position politiques.

Dans deux tiers des cas, soit sur quatre résolutions européennes, les positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en quasi-totalité. Ce pourcentage est satisfaisant en données brutes mais il l'est un peu moins tendanciellement : lors de la session précédente, ce pourcentage était de 83 %. Cette évolution, qu'il faut néanmoins relativiser car elle porte sur un nombre réduit de résolutions, doit nous inciter à maintenir la qualité de notre coopération avec le Gouvernement au sujet de ces résolutions mais aussi, et surtout, à renforcer nos contacts directs avec les services de la Commission européenne afin de pouvoir le plus possible influencer en amont le contenu de la législation européenne.

Les résolutions qui ont été le mieux suivies d'effets sont relatives aux allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, à la réserve d'ajustement au Brexit, à l'État de droit dans l'Union européenne et au certificat vert européen visant à faciliter la libre circulation pendant la pandémie de covid-19.

Par ailleurs, la résolution européenne relative à la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières, issue d'une proposition de nos collègues Gisèle Jourda et Cyril Pellevat, a été suivie en partie d'effets. La Commission européenne a partagé les constats de nos collègues sur la nécessité d'un cadre juridique européen et elle a présenté une stratégie pour la protection des sols en ce sens. Mais cette réforme n'a malheureusement pas pris en considération les spécificités des dégradations industrielles et minières.

Enfin, le Sénat n'a pas obtenu gain de cause dans le suivi de sa résolution européenne visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs transfrontaliers, en date du 9 juillet 2021. Cette résolution avait un seul objet très concret : modifier les règles européennes en vigueur « afin que les travailleurs frontaliers puissent être en télétravail jusqu'à deux jours par semaine sans que cela induise un changement quant à la détermination de l'État auquel doivent être versées leurs cotisations sociales. » Or, si en 2020, la France a proposé d'initier une réflexion européenne sur ce point, cette proposition n'a pas prospéré. La Commission européenne, en revanche, doit lancer une réflexion sur le sujet en lien avec les partenaires sociaux.

En deuxième lieu, concernant le dialogue politique informel avec la Commission européenne, qui se traduit par la transmission d'avis politiques, les parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé à la Commission européenne 255 avis en 2020 contre 159 en 2019. Dans ce cadre, au cours de la session parlementaire 2020-2021, le Sénat a adopté 8 avis politiques, ce qui en fait la septième assemblée parlementaire de l'Union européenne la plus active à cet égard.

Parmi ces avis politiques, je citerai à titre d'exemple ceux relatifs à la protection des données, à l'union de la sécurité, au programme annuel de travail de la Commission européenne, à la désinformation en ligne ou à la supervision bancaire.

La Commission européenne est attentive à nous répondre systématiquement et il faut saluer cet effort. En revanche, je dois émettre deux bémols sur la portée de cette procédure, qui résultent de son caractère informel : d'une part, la Commission européenne doit, selon ses propres engagements, répondre à nos avis dans un délai de trois mois, mais elle peine, en pratique, à respecter ce délai - qui a été respecté dans 62,5 % des cas contre 80 % lors de la session précédente ; d'autre part, sur le fond, la Commission européenne n'est pas juridiquement obligée de répondre aux observations du Sénat et elle choisit donc trop souvent, soit de formuler une réponse très générale, soit d'ignorer les propositions les plus dérangeantes de son point de vue. Ainsi, alors que la Cour de justice venait de rendre un jugement interdisant le principe d'une conservation générale et d'un traitement indifférencié des données personnelles et que plusieurs avis politiques adoptés par notre commission soulignaient la nécessité de permettre aux États membres d'assurer cette conservation pour des motifs de lutte contre le terrorisme ou de criminalité organisée, la Commission européenne a choisi d'éluder ce débat sensible.

En troisième lieu, la commission des affaires européennes a été saisie par la Commission européenne de 90 textes sur la période concernée, au titre du contrôle de subsidiarité que les traités confient aux parlements nationaux. L'article 88-6 de la Constitution prévoit que « l'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ». À ce titre, notre commission s'appuie sur le groupe de travail subsidiarité créé en son sein, qui comprend un représentant de chaque groupe politique et qui effectue un examen systématique au regard du principe de subsidiarité des projets d'actes législatifs transmis. Ce groupe de travail s'est réuni régulièrement au cours de la session 2020-2021.

S'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, ce groupe recommande à notre commission de nommer des rapporteurs pour expertiser ce point. Sur le fondement de leur analyse, le Sénat peut ainsi adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution, avis dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Dans ce cadre, il va en pratique vérifier si l'Union européenne est bien compétente pour proposer l'initiative concernée, si la base juridique choisie est pertinente et si l'initiative proposée apporte une valeur ajoutée européenne.

En outre, dans son contrôle de la conformité des textes au principe de subsidiarité, le Sénat effectue également un contrôle de proportionnalité des mesures envisagées, vérifiant si le projet n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis.

Dans ce cadre, le 23 février 2021, notre commission a adopté trois avis motivés relatifs aux projets de règlements de la Commission européenne en matière de santé : ils concernaient respectivement la lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé, la création d'un centre européen de prévention et de contrôle des maladies et le renforcement du rôle de l'Agence européenne des médicaments. Dans ses avis motivés, le Sénat a relevé des contradictions entre certaines dispositions de ces projets et le principe de subsidiarité : je citerai par exemple celle permettant aux groupes de pilotage de l'Agence européenne des médicaments d'imposer le suivi de leurs recommandations aux États membres, ou celle permettant à la Commission européenne d'émettre des recommandations concernant des mesures communes et temporaires de santé publique destinées aux États membres, lorsqu'elle estime que leur coordination est insuffisante face à une menace transfrontalière grave.

Le 10 juin 2021, la Commission européenne a confirmé par écrit son choix d'ensemble et affirmé de nouveau la compatibilité de la réforme avec le principe de subsidiarité, sans toutefois répondre précisément aux interrogations du Sénat. Ainsi, si elle peut être considérée comme satisfaisante sur la forme, la réponse de la Commission européenne l'est beaucoup moins sur le fond.

Enfin, sur la période concernée par le rapport, notre commission n'a pas émis d'observations sur d'éventuelles surtranspositions de nos obligations européennes, comme nous y autorise, depuis juin 2019, le règlement du Sénat. Nous restons toutefois vigilants sur ce point. Et nous restons préoccupés par le recours croissant aux ordonnances pour transposer nos obligations européennes. Ainsi, lors du dernier débat en séance publique sur les surtranspositions, j'ai demandé au Gouvernement de s'engager à fournir au Parlement, lors de ses demandes d'habilitation, la liste des ordonnances prévues pour les transpositions, avec leur périmètre et leur date de publication... Voilà les enseignements que nous pouvions tirer de cette session 2020-2021.

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