Comme chaque année, il me revient d'effectuer un rapide bilan de notre travail au cours de la session parlementaire écoulée, en l'espèce, du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021. Cependant, cette année, en raison de la présidence française de l'Union européenne (PFUE) et de l'élection présidentielle, ce bilan n'a pas pu encore donner lieu à un échange avec le Gouvernement. Dans le cadre du suivi de l'application des lois et des résolutions, avec mes collègues présidents de commissions, nous auditionnerons donc le ministre compétent début juillet.
En 2020-2021, nous n'avons pas chômé : en pratique, malgré les limitations liées à la pandémie, nous avons tenu 47 réunions de commission - quasiment autant qu'en 2019-2020 - durant 78 h 40. Nous avons même procédé à davantage d'auditions plénières que l'année précédente - 54 h 35 contre 49 h 45).
Sur le contenu de notre travail et sur l'influence du Sénat dans les dossiers européens, je laisserai la parole à la présidente de la Commission européenne. Lors de sa venue au Sénat, le 7 janvier dernier, pour lancer officiellement la PFUE, Mme Ursula von der Leyen déclarait que « le Sénat est l'une des chambres les plus actives d'Europe dans son dialogue avec les institutions de l'Union européenne. »
Ce dialogue passe d'abord par des contacts réguliers avec les commissaires européens et leurs cabinets et par les échanges de nos rapporteurs avec les services de la Commission européenne responsables de l'élaboration des textes européens que nous examinons. Ces visites participent de notre stratégie d'influence européenne. Malgré la pandémie, nous avons pu ainsi organiser une visite virtuelle de la Commission européenne, en janvier 2021, pour les membres de notre commission.
Au cours de la session 2020-2021, notre commission a entendu 17 communications qui lui ont permis d'effectuer des points d'étape sur des réformes européennes en cours de discussion - je pense à la protection des données, à la stratégie européenne en matière de sécurité ou encore à la réforme de la politique commerciale ; ces communications assurent également l'information de notre commission sur l'activité des délégations du Sénat à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et à celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ce qui peut contribuer à une synergie précieuse entre ces différentes enceintes.
L'activité de notre commission doit être ensuite évaluée au regard de l'information qu'elle apporte au Sénat sur les politiques européennes, du contrôle qu'elle exerce sur la politique européenne du Gouvernement et de son examen des textes européens qui lui sont soumis. Ainsi, au cours de la session 2020-2021, notre commission a été saisie de 950 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution - contre 852 lors de la session précédente. Elle en a examiné directement 333, soit en procédure écrite, soit directement lors de ses réunions.
En premier lieu, six résolutions européennes ont été adoptées par le Sénat - contre 17 lors de la session précédente - au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Cette diminution est cyclique : elle correspond au déroulement des élections sénatoriales de septembre 2020, et à ses conséquences immédiates : reconstitution de la commission, nomination de nouveaux rapporteurs et organisation d'un cycle d'auditions préalables aux prises de position politiques.
Dans deux tiers des cas, soit sur quatre résolutions européennes, les positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en quasi-totalité. Ce pourcentage est satisfaisant en données brutes mais il l'est un peu moins tendanciellement : lors de la session précédente, ce pourcentage était de 83 %. Cette évolution, qu'il faut néanmoins relativiser car elle porte sur un nombre réduit de résolutions, doit nous inciter à maintenir la qualité de notre coopération avec le Gouvernement au sujet de ces résolutions mais aussi, et surtout, à renforcer nos contacts directs avec les services de la Commission européenne afin de pouvoir le plus possible influencer en amont le contenu de la législation européenne.
Les résolutions qui ont été le mieux suivies d'effets sont relatives aux allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, à la réserve d'ajustement au Brexit, à l'État de droit dans l'Union européenne et au certificat vert européen visant à faciliter la libre circulation pendant la pandémie de covid-19.
Par ailleurs, la résolution européenne relative à la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières, issue d'une proposition de nos collègues Gisèle Jourda et Cyril Pellevat, a été suivie en partie d'effets. La Commission européenne a partagé les constats de nos collègues sur la nécessité d'un cadre juridique européen et elle a présenté une stratégie pour la protection des sols en ce sens. Mais cette réforme n'a malheureusement pas pris en considération les spécificités des dégradations industrielles et minières.
Enfin, le Sénat n'a pas obtenu gain de cause dans le suivi de sa résolution européenne visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs transfrontaliers, en date du 9 juillet 2021. Cette résolution avait un seul objet très concret : modifier les règles européennes en vigueur « afin que les travailleurs frontaliers puissent être en télétravail jusqu'à deux jours par semaine sans que cela induise un changement quant à la détermination de l'État auquel doivent être versées leurs cotisations sociales. » Or, si en 2020, la France a proposé d'initier une réflexion européenne sur ce point, cette proposition n'a pas prospéré. La Commission européenne, en revanche, doit lancer une réflexion sur le sujet en lien avec les partenaires sociaux.
En deuxième lieu, concernant le dialogue politique informel avec la Commission européenne, qui se traduit par la transmission d'avis politiques, les parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé à la Commission européenne 255 avis en 2020 contre 159 en 2019. Dans ce cadre, au cours de la session parlementaire 2020-2021, le Sénat a adopté 8 avis politiques, ce qui en fait la septième assemblée parlementaire de l'Union européenne la plus active à cet égard.
Parmi ces avis politiques, je citerai à titre d'exemple ceux relatifs à la protection des données, à l'union de la sécurité, au programme annuel de travail de la Commission européenne, à la désinformation en ligne ou à la supervision bancaire.
La Commission européenne est attentive à nous répondre systématiquement et il faut saluer cet effort. En revanche, je dois émettre deux bémols sur la portée de cette procédure, qui résultent de son caractère informel : d'une part, la Commission européenne doit, selon ses propres engagements, répondre à nos avis dans un délai de trois mois, mais elle peine, en pratique, à respecter ce délai - qui a été respecté dans 62,5 % des cas contre 80 % lors de la session précédente ; d'autre part, sur le fond, la Commission européenne n'est pas juridiquement obligée de répondre aux observations du Sénat et elle choisit donc trop souvent, soit de formuler une réponse très générale, soit d'ignorer les propositions les plus dérangeantes de son point de vue. Ainsi, alors que la Cour de justice venait de rendre un jugement interdisant le principe d'une conservation générale et d'un traitement indifférencié des données personnelles et que plusieurs avis politiques adoptés par notre commission soulignaient la nécessité de permettre aux États membres d'assurer cette conservation pour des motifs de lutte contre le terrorisme ou de criminalité organisée, la Commission européenne a choisi d'éluder ce débat sensible.
En troisième lieu, la commission des affaires européennes a été saisie par la Commission européenne de 90 textes sur la période concernée, au titre du contrôle de subsidiarité que les traités confient aux parlements nationaux. L'article 88-6 de la Constitution prévoit que « l'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ». À ce titre, notre commission s'appuie sur le groupe de travail subsidiarité créé en son sein, qui comprend un représentant de chaque groupe politique et qui effectue un examen systématique au regard du principe de subsidiarité des projets d'actes législatifs transmis. Ce groupe de travail s'est réuni régulièrement au cours de la session 2020-2021.
S'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, ce groupe recommande à notre commission de nommer des rapporteurs pour expertiser ce point. Sur le fondement de leur analyse, le Sénat peut ainsi adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution, avis dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Dans ce cadre, il va en pratique vérifier si l'Union européenne est bien compétente pour proposer l'initiative concernée, si la base juridique choisie est pertinente et si l'initiative proposée apporte une valeur ajoutée européenne.
En outre, dans son contrôle de la conformité des textes au principe de subsidiarité, le Sénat effectue également un contrôle de proportionnalité des mesures envisagées, vérifiant si le projet n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis.
Dans ce cadre, le 23 février 2021, notre commission a adopté trois avis motivés relatifs aux projets de règlements de la Commission européenne en matière de santé : ils concernaient respectivement la lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé, la création d'un centre européen de prévention et de contrôle des maladies et le renforcement du rôle de l'Agence européenne des médicaments. Dans ses avis motivés, le Sénat a relevé des contradictions entre certaines dispositions de ces projets et le principe de subsidiarité : je citerai par exemple celle permettant aux groupes de pilotage de l'Agence européenne des médicaments d'imposer le suivi de leurs recommandations aux États membres, ou celle permettant à la Commission européenne d'émettre des recommandations concernant des mesures communes et temporaires de santé publique destinées aux États membres, lorsqu'elle estime que leur coordination est insuffisante face à une menace transfrontalière grave.
Le 10 juin 2021, la Commission européenne a confirmé par écrit son choix d'ensemble et affirmé de nouveau la compatibilité de la réforme avec le principe de subsidiarité, sans toutefois répondre précisément aux interrogations du Sénat. Ainsi, si elle peut être considérée comme satisfaisante sur la forme, la réponse de la Commission européenne l'est beaucoup moins sur le fond.
Enfin, sur la période concernée par le rapport, notre commission n'a pas émis d'observations sur d'éventuelles surtranspositions de nos obligations européennes, comme nous y autorise, depuis juin 2019, le règlement du Sénat. Nous restons toutefois vigilants sur ce point. Et nous restons préoccupés par le recours croissant aux ordonnances pour transposer nos obligations européennes. Ainsi, lors du dernier débat en séance publique sur les surtranspositions, j'ai demandé au Gouvernement de s'engager à fournir au Parlement, lors de ses demandes d'habilitation, la liste des ordonnances prévues pour les transpositions, avec leur périmètre et leur date de publication... Voilà les enseignements que nous pouvions tirer de cette session 2020-2021.
Notre commission a été très active, et je remercie le président pour son implication.
Il y a eu de nombreuses heures de débat de notre commission mais également de nombreuses auditions, y compris des rapporteurs.
Nous savons saisir la Commission européenne quand il faut. Notre commission des affaires européennes est bien identifiée par les commissaires européens, avec lesquels nous avons établi un dialogue serein. Nous n'avons pas toujours gain de cause, mais lorsque nous argumentons bien, nous obtenons des résultats. Lors de la réunion du groupe Les Républicains ce matin, le président Larcher a annoncé, à la suite de ma saisine, un débat en séance publique sur le bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) qui aura lieu avant la pause estivale.
Aurons-nous un échange avec le Gouvernement avant le Conseil européen de juin ?
Nous avons saisi le président du Sénat pour organiser un débat en commission élargi aux sénateurs qui le souhaitent, sur le modèle du débat organisé avant la suspension. Nous attendons sa réponse.
Merci pour le travail réalisé, et félicitations pour ce bilan. Il faudrait que le débat ait lieu juste après la fin de la PFUE.
Pour en revenir à la subsidiarité, je m'interroge : qu'est-ce qui n'est pas européen ? Tout est européen en matière économique et sociale, conséquence du marché unique. Les prérogatives dites régaliennes sont de plus en plus gérées au niveau européen, par exemple la politique de santé en raison de la pandémie... Nous avons désormais des échanges d'information en matière pénale, un projet de directive sur le droit pénal environnemental... Or le droit pénal était jusqu'alors pour nous une prérogative nationale. Je ne suis pas parmi les plus souverainistes, mais actuellement, je ne vois plus aucune limite à l'emprise européenne - sans toutefois forcément la contester.
Mais le véritable problème, c'est que nous n'ayons aucun débat sur ce sujet avec nos concitoyens. Peu à peu, nous atteignons un niveau élevé de transfert de compétences. Si la réalité de la consolidation des compétences européennes continue au même rythme sans concertation, nous aurons des difficultés. Je l'ai déjà dit. Nous devons être vigilants pour contrôler le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Nous sommes vigilants. Nous n'hésitons pas à tirer la sonnette d'alarme au moindre doute...
Celle envoyée par le secrétariat de la commission et qui évoque l'article 88-6 de la Constitution....
J'entends d'autant plus le fond de votre message que la Conférence sur l'avenir de l'Europe semble ouvrir à tout va l'avenir de l'Europe. Nous serons extrêmement attentifs.
La Conférence n'est heureusement pas un auteur de traités. Il existe un petit espace entre les deux...
Avec Gisèle Jourda, nous vous ferons bientôt un compte rendu précis de cette conférence, qui a rassemblé un large panel de citoyens et s'est réunie tous les quinze jours, durant trois mois, à Strasbourg. Vous serez surpris de ses conclusions. Nous allons vers une probable révision des traités, et peut-être pas uniquement à la marge.
L'agression russe contre l'Ukraine le 24 février dernier marque un tournant dans l'histoire de l'Europe et ramène la guerre à nos portes, puisque l'Ukraine partage une frontière avec quatre États membres de l'Union européenne. Aucun bilan officiel n'est établi mais les victimes de ce conflit se comptent sans doute en dizaines de milliers de morts. Un tiers des Ukrainiens sont déplacés ou réfugiés : à ce jour, 6,5 millions d'entre eux ont fui à l'étranger, dont plus de la moitié - 3,5 millions - en Pologne. C'est pourquoi j'ai souhaité me rendre à la frontière ukrainienne avec plusieurs membres de notre commission pour mesurer l'impact de cette guerre sur les frontières orientales de l'Union européenne, constater comment les États limitrophes gèrent la situation et manifester notre solidarité à l'égard de ces pays, particulièrement la Pologne et la Slovaquie. En effet, ces deux pays ont, en trois mois, vécu un choc d'ampleur comparable, avec l'arrivée brutale sur leur territoire d'un flux de réfugiés qui avoisine aujourd'hui 9 % de la population totale en Pologne et 8 % en Slovaquie, pays qui compte 5 millions et demi d'habitants - contre 44 millions pour l'Ukraine. Je remercie Cyril Pellevat et Claude Kern qui m'ont accompagné dans ce déplacement, du 10 au 13 mai dernier.
Nous en sommes revenus frappés : frappés d'abord par la grande détresse dans laquelle se trouvent les réfugiés ukrainiens, mais aussi frappés par l'immense solidarité qui permet d'organiser leur accueil ; frappés également par la mobilisation des autorités locales, slovaques comme polonaises, mais aussi frappés par leur faible perception du soutien que leur apporte l'Union européenne.
Nous nous sommes d'abord rendus en Slovaquie, dans la ville de Kosice, la deuxième du pays, qui est à cent kilomètres de la frontière ukrainienne et où se trouve le « hub » mis en place par l'Union européenne pour acheminer l'aide humanitaire vers l'Ukraine ; puis nous sommes allés au poste frontière de Vysne Nemecke, avant de rouler vers le Nord pour rejoindre la Pologne. Là-bas, nous sommes passés à Rzeszow, grande ville du Sud-Est de la Pologne où nous avons été accueillis à la préfecture et à la mairie, avant de nous rendre à Przemysl, ville proche de la frontière qui héberge le centre d'accueil des réfugiés passés par le poste frontière de Medyka - principal point de passage - tout proche, où nous avons conclu notre mission.
J'espérais que nous pourrions pousser jusqu'en Ukraine mais le Quai d'Orsay nous l'a formellement déconseillé. Ce n'est que partie remise. Notre déplacement a toutefois été très riche et je laisserai les deux collègues qui m'ont accompagné vous en rendre compte de manière plus détaillée. Je vous propose auparavant de visionner le petit film que nous a transmis la maire-adjointe de Rzeszow en Pologne au début de notre rencontre, car il vous permettra d'emblée de toucher du doigt la réalité de ce qui se vit là-bas.
Un court film est projeté devant les membres de la commission.
Vous avez entendu au début du film le hurlement des sirènes ; c'était un entraînement. Or on voit les Ukrainiens, croyant à une alerte, courir pour se mettre à l'abri. La Pologne et la Slovaquie ont depuis décidé de ne plus faire d'essais de sirènes pour ne plus effrayer les Ukrainiens....
Le Président le disait : nous avons été frappés par la détresse des réfugiés mais aussi par la solidarité qui se manifeste autour d'eux. Nous avons pu visiter plusieurs lieux d'accueil des réfugiés : d'abord, tout près de la gare de Kosice, par laquelle sont arrivés de nombreux Ukrainiens, surtout durant les premières semaines du conflit. C'est d'ailleurs une jeune étudiante ukrainienne, qui fait ses études de médecine en Slovaquie, qui a bien voulu nous présenter ce point d'accueil, activé dès le cinquième jour de la guerre pour proposer les premiers soins aux réfugiés ainsi qu'un hébergement d'urgence, dans l'attente d'un transfert vers d'autres villes ou pays. Actuellement, le lieu n'est pas pris d'assaut comme au plus fort de la crise, mais 200 repas y sont toutefois servis chaque jour gratuitement pour les Ukrainiens alentour, puisque 3 à 4 000 d'entre eux seraient restés vivre dans la ville de Kosice. A proximité, plusieurs blocs containers sont alignés, contenant jusqu'à cinq lits chacun, afin d'augmenter la capacité du point d'accueil en dur, où des sanitaires sont accessibles puisqu'il s'agit d'une piscine municipale. Nous avons pu dialoguer avec un couple d'Ukrainiens venant de Kharkiv, installé dans un de ces blocs avec ses trois enfants en bas âge. Leur situation était évidemment précaire, dans ce logement si exigu, mais ils étaient heureux car le jeune père venait de décrocher un travail correspondant à sa qualification de fabricant de meubles.
Nous avons ensuite visité le centre d'accueil de réfugiés de Sobrance près de la frontière ukrainienne. Il était vide en grande partie, hébergeant au jour de notre visite 300 personnes contre 3 000 au moment le plus critique, mais nous avons pu constater sa bonne organisation, avec des tentes consacrées à l'enregistrement pour l'obtention de la protection temporaire, à l'hébergement, aux jeux des enfants, à l'alimentation, au culte religieux, aux soins médicaux et psychologiques, mais aussi aux soins vétérinaires pour les animaux de compagnie que leurs maîtres ont tenu à emporter dans leur exil. Nous avons retrouvé la même organisation, mais à une échelle bien plus grande, dans le centre d'accueil de Przemysl que nous avons visité le lendemain en Pologne avec le maire de la ville. Il s'agit d'un ancien centre commercial Tesco désaffecté : cet immense local, lui, n'était pas vide mais au contraire très animé par la présence poignante de nombreux réfugiés et volontaires en soutien. Des personnes âgées s'y reposaient dans la pénombre sur des lits de camp alignés à perte de vue, tandis que les nombreux enfants s'affairaient autour de la poupée géante Amal, emblème pour tous les enfants réfugiés de par le monde, qui se déplaçait entourée de musiciens et animait joyeusement les lieux au moment de notre passage.
Nous avons ressenti l'élan de solidarité qui entourait toutes ces personnes contraintes de fuir la guerre : d'une part, au plan humain, la présence de nombreux volontaires locaux mais aussi venus de tous les pays - nous avons d'ailleurs rencontré des pompiers solidaires venus de France -, d'ONG, d'organisations caritatives ou onusiennes ; d'autre part, au plan matériel, les amoncellements de palettes d'aide humanitaire, contenant aliments, produits d'hygiène, vêtements, literie, matériel de puériculture, que des volontaires réceptionnent, déballent, trient, organisent... sans compter l'aide des entreprises et des habitants locaux. Les maires que nous avons rencontrés à Kosice en Slovaquie, mais aussi en Pologne, à Rzeszow ou Przemysl, comme la voïvode des Basses Carpates - l'équivalent du préfet - nous ont tous fait valoir la mobilisation précieuse des populations dans ces deux pays : selon le maire de Przemysl, 95 % des réfugiés sont logés chez l'habitant... Ce chiffre nous a impressionnés, même si, depuis un mois et demi, les particuliers reçoivent une aide mensuelle de l'État de 1 200 euros pour l'accueil d'un réfugié. Cela témoigne de l'immense élan d'accueil qui s'est spontanément levé chez nos concitoyens d'Europe de l'Est, chez qui la mémoire de l'expansionnisme russe reste vive. Seuls de rares cas d'abus par rapport à l'aide humanitaire reçue nous ont été rapportés.
Parmi les soutiens précieux sur lesquels peuvent compter les autorités publiques polonaises, il faut citer l'organisation Caritas : notre entretien avec le prêtre qui dirige le centre situé à Rzeszow nous a permis de mesurer la force de ce réseau caritatif qui organise des convois depuis ses centres en Pologne vers ses centres en Ukraine, ce qui permet d'avoir la certitude qu'ils arrivent à bon port.
Parmi les organisations présentes, j'évoquerai aussi rapidement l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dont le représentant français nous a fait mesurer l'état sanitaire très dégradé dans lequel se trouvait l'Ukraine, avant même le début du conflit : nombreux cas de VIH, de tuberculose, de rougeole, épidémie de choléra à Marioupol en 2012, taux de vaccination très bas inférieur à 30 %, ce qui explique l'épidémie de poliomyélite de septembre dernier, abus de l'usage des antibiotiques... La guerre a interrompu les efforts engagés par l'OMS pour améliorer cette situation et les réfugiés ukrainiens nécessitent donc souvent des soins nombreux. À cet égard, la continuité du traitement des pathologies graves est un enjeu redoutable, par exemple pour les enfants cancéreux. L'OMS nous a aussi alertés sur les besoins en cytokines, ces protéines susceptibles de prévenir l'apparition de cancers en cas d'irradiation radioactive, qui pourrait survenir à la suite d'une attaque nucléaire russe à laquelle tous préfèrent se préparer au cas où. Les surstocks stratégiques dont disposent les États européens pourraient utilement être envoyés en Ukraine. En plus de financement et de matériel médical, l'OMS fait aussi valoir des besoins d'équipements de protection individuels en cas d'attaque chimique, et enfin de véhicules blindés - notamment des ambulances.
Claude Kern vous a montré que la Pologne comme la Slovaquie, principaux pays de première entrée des réfugiés ukrainiens, se montrent à la hauteur pour les accueillir. Nos visites aux postes frontières nous ont permis de constater que ces pays avaient aussi su s'organiser pour garder le contrôle de leurs frontières qui sont aussi celles de l'Union européenne.
Certes, nous sommes arrivés après la phase la plus critique de la crise des réfugiés, que l'on peut situer autour de la mi-mars : à cette date, jusqu'à 120.000 réfugiés par jour arrivaient d'Ukraine à la frontière polonaise.
Lors de notre venue, la situation était nettement moins tendue. Côté slovaque, elle était même très calme : autour de 2 400 arrivées par jour depuis l'Ukraine en Slovaquie au poste frontière où nous sommes allés, contre sept fois plus le 27 février. Selon le directeur de la police aux frontières régionale, le centre de crise était organisé pour être en mesure, en quelques heures, de recevoir jusqu'à 25 000 arrivées par jour. Pour le moment, les flux reprennent dans l'autre sens depuis quelques semaines, si bien qu'à ce point de passage de la frontière slovaco-ukrainienne, on compte aujourd'hui dix retours en Ukraine pour sept entrées. Côté polonais, nous avons tout de même vu des files d'attentes de véhicules fuyant l'Ukraine avec de grandes familles à l'intérieur. Dans l'autre sens, on constate un trafic nouveau de camions acheminant des voitures polonaises d'occasion vers l'Ukraine puisqu'elles peuvent désormais s'y vendre sans droits de douane.
Nous avons constaté que les autorités s'étaient organisées pour dimensionner leurs moyens afin de garder la maîtrise de la situation. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel à l'aide de l'agence européenne Frontex pour garder ses frontières, la Slovaquie a sollicité cette aide dès le mois de mars et un accord a été signé entre les parties. Actuellement, 24 agents du corps permanent de l'Agence sont présents en renfort en Slovaquie. En outre, Frontex a déployé douze véhicules de patrouille, ainsi qu'un hélicoptère qui permet de surveiller la frontière verte, c'est-à-dire la forêt qui couvre la plus grande partie de la frontière entre les quelques points de passage piétons ou routiers. Des agents d'Europol effectuent aussi à la frontière des vérifications secondaires, grâce à l'accès dont ils bénéficient aux bases de données Europol. La situation semble sous contrôle. D'ailleurs, le directeur de la police aux frontières régionale rencontré en Slovaquie nous a indiqué que seules deux personnes leur avaient échappé par la frontière verte.
Un échange avec l'officier de liaison français auprès de Frontex nous a confirmé cette impression. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel au renfort de Frontex, l'Agence a néanmoins déployé 19 agents en Pologne, chargés d'appuyer les gardes-frontières polonais : d'après Frontex, ils effectuent leurs missions dans de bonnes conditions et en bonne collaboration avec leurs homologues polonais.
La Pologne a elle aussi géré l'accueil des réfugiés ukrainiens dans de bonnes conditions. Non seulement, les ONG ont pu être assurées d'une présence au niveau des points frontières auxquels arrivent les réfugiés, mais les autorités polonaises ont également déployé de très gros efforts pour accueillir et répartir les réfugiés sur l'ensemble du territoire. Les étudiants étrangers venus d'Ukraine étaient enregistrés à la frontière polonaise puis pris en charge par leur représentation consulaire pour être rapatriés dans leur pays. Les structures des grandes villes sont actuellement saturées et les autorités invitent fortement les nouveaux arrivants à s'orienter vers des villes moyennes où des logements sont disponibles et où le besoin de main-d'oeuvre se fait sentir. À cet effet, un bureau administratif unique a été ouvert pour les Ukrainiens, bureau qui leur permet d'obtenir automatiquement un titre de séjour de trois ans, une aide financière et une inscription à la sécurité sociale polonaise leur assurant les soins gratuits. À Varsovie, ils bénéficient également de la gratuité des transports en commun.
Près de 160 000 enfants ukrainiens ont été intégrés dans le système scolaire polonais. Plusieurs ont rejoint des clubs de sport gratuitement. Des écoles ont également été ouvertes spécifiquement avec des professeurs ukrainiens réfugiés dans le pays.
Nous pouvons donc conclure que la Pologne, même si elle ne voit pas d'un très bon oeil l'intrusion de l'Union européenne dans ses affaires intérieures et au niveau de ses frontières extérieures, respecte largement les droits des réfugiés arrivés sur son territoire. D'ailleurs, le président de la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat polonais, Bogdan Klich, que nous avons rencontré juste avant de décoller de Cracovie, confirme que la Pologne, qui employait déjà un million d'Ukrainiens avant la guerre, voit comme une aubaine ce flux de réfugiés ukrainiens et n'est pas prête de demander leur relocalisation dans d'autres pays de l'Union.
Ce qui nous a toutefois frappés lors de notre déplacement est la faible perception qu'ont les acteurs les plus engagés sur le terrain de la mobilisation de l'Union européenne à leurs côtés. Certes, ils saluent l'aide apportée par les villes européennes qui sont jumelées à celles les plus frappées par l'afflux de réfugiés. Mais l'action menée par l'Union européenne en tant que telle manque de visibilité. Pourtant, elle a octroyé 500 millions d'euros d'aide humanitaire et déployé des hubs logistiques : deux en Pologne, un en Roumanie et un en Slovaquie, que nous avons visité et qui permet le stockage de l'aide humanitaire et son transbordement des trains européens vers les trains russes, qui circulent sur des rails à l'écartement un peu plus large. Ce hub reste à ce jour sous-utilisé et offre donc un potentiel précieux pour intensifier l'aide humanitaire au profit de l'Ukraine et l'acheminer par fret ferroviaire en Ukraine où les autorités aiguillent l'aide en fonction des besoins. L'Union européenne a aussi mobilisé les fonds Asile, migration, intégration (FAMI) et Sécurité intérieure pour soutenir l'adaptation des procédures d'accueil aux frontières et adopté un programme d'action de cohésion pour les réfugiés en Europe (dit CARE) qui a vocation à fournir une flexibilité dans le recours aux fonds de cohésion afin de faciliter le financement des infrastructures et équipements à déployer pour assurer l'accueil des réfugiés ; grâce à l'activation du mécanisme européen de protection civile, l'Union européenne a également fourni 22 500 tonnes de matériel, des équipements hospitaliers, mais aussi des experts et des évacuations sanitaires, mais les municipalités polonaises semblent l'ignorer, attribuant par exemple à l'Agence nationale de réserve stratégique le matériel qu'elles reçoivent ; l'Union européenne a enfin prévu d'attribuer aux Ukrainiens un statut de protection temporaire permettant d'accéder à l'emploi, aux soins et à la scolarisation. Sur les 400 000 réfugiés slovaques, seuls 80 000 l'ont demandé, sans doute car la Slovaquie offrait les mêmes facilités par le biais d'un visa tourisme valable trois mois, période proche d'expirer.
Je conclurai en insistant sur la nécessité pour nous de ne pas relâcher notre soutien. La guerre en Ukraine est partie pour durer et les besoins d'aide aux réfugiés ne vont donc pas baisser, alors que l'émotion survenue avec le déclenchement des hostilités risque de s'émousser. D'ailleurs, même si la situation que nous avons constatée était moins tendue, nous avons observé que les autorités locales ne réduisent pas la voilure de leurs efforts, se tenant prêtes pour une deuxième vague de réfugiés susceptibles d'arriver à la faveur de l'évolution des combats, de leur intensification ou de leur réorientation. Le nombre d'Ukrainiens qui se sont déplacés vers l'Ouest de leur pays dépasse le nombre de ceux qui l'ont quitté pour trouver refuge dans l'Union européenne. Ainsi, la ville ukrainienne de Oujhorod toute proche de la frontière slovaque est surpeuplée et sa population de réfugiés peut rapidement franchir la frontière si besoin. Maintenir le flux humanitaire vers l'ouest ukrainien permet de retenir cette deuxième vague migratoire autant que possible.
Ce déplacement nous a instruits sur l'état actuel de la situation, globalement stabilisée, avec cependant un risque, à la frontière ukrainienne, de migrations brutales et plus intenses qu'au début de la guerre. La voilure est maintenue à un niveau très élevé.
Tous les acteurs nous ont dit que l'aide humanitaire était en forte baisse. En Slovaquie, nous avons donc visité un entrepôt idéal pour la logistique, qui peut gérer les ruptures de charge dues à la différence d'écartement des rails - d'onze centimètres - entre les voies ukrainiennes, construites par l'URSS, et les voies slovaques, qui respectent l'écartement européen. Ce centre, mis en place par la Commission européenne, permet d'acheminer l'aide humanitaire ; or il est vide ! Il y a sans doute des problèmes logistiques et d'orientation de l'aide humanitaire, mais l'aide elle-même semble s'amenuiser, alors qu'il faudrait que tout soit prêt en cas de besoin.
Je suis intervenu lors de la conférence interparlementaire sur les migrations qui s'est tenue au Sénat il y a une semaine, dans le cadre de la PFUE. Pour la première fois, avec la protection temporaire, nous avons un dispositif d'accueil des réfugiés ne relevant pas de la procédure « Dublin » et donnant un accès au travail immédiatement. Cela fonde l'efficacité de l'intégration et de l'accueil. Il faudrait être capable de suivre l'activation de la protection temporaire - certains réfugiés choisissent de quitter le pays où ils l'ont demandée. En effet, nous ne sommes pas dans un système de relocalisation : les Ukrainiens ont la liberté de circulation et d'installation dans l'Union européenne.
Plus d'1,1 million d'Ukrainiens ont reçu un numéro de sécurité sociale polonais ; la moitié ont moins de 18 ans ; 7 % ont plus de 60 ans. Peu sont en âge de travailler, mais un tiers d'entre eux a déjà un emploi ; 200 000 emplois ont été ouverts depuis fin février. Quand on donne le droit de travailler rapidement, on améliore la qualité de l'accueil. C'est un point notable, à intégrer à nos réflexions.
Les flux à la frontière varient fortement. Fin mars, lors de mon déplacement, les flux à la frontière étaient équivalents. Fin avril, il y avait 30 kilomètres de queue pour rentrer en Ukraine, tandis que la sortie était immédiate. Tout dépend des moments... Il est vrai qu'il y a plus de réfugiés à l'intérieur de l'Ukraine qu'à l'extérieur. Ils sont proches de la frontière, dans des zones risquées qui peuvent être parfois bombardées. Certains habitants de Lviv peuvent vouloir passer en Europe...
Les premiers partis sont souvent ceux qui avaient des contacts en Europe, mais selon la situation, il peut y avoir des arrivées complémentaires
Quand on parle d'accueil des réfugiés, on pense d'abord aux politiques publiques et aux associations ayant une mission de service public. Or la seule politique publique est le droit au travail et à l'assurance maladie. Medyka est une gentille foire où 90 % de l'accueil est d'initiative privée ou bien des collectivités locales. Cela soulève un risque de trafic d'êtres humains et un problème énorme d'accès à l'avortement. Des Ukrainiennes sont violées, il y a un réel besoin auquel la Pologne ne répond pas compte tenu de sa législation.
Le président polonais, lors de son intervention récente devant le parlement ukrainien, a annoncé une extension de la loi de mars 2022 : auparavant, toute personne résidant en Ukraine et venue en Pologne après le 24 février avait droit au travail et à l'assurance maladie, soit un peu plus que la protection temporaire. Désormais, structurellement, tous les Ukrainiens se rendant en Pologne ont un droit de séjour, le droit de travailler, une assurance maladie.... Les Ukrainiens ont annoncé la réciproque pour les Polonais. Comme je le disais il y a deux mois, il faut conférer aux Ukrainiens les principaux attributs de la citoyenneté européenne.
Le pays a besoin de bras mais il y a aussi de vrais enjeux, notamment éducatifs. Un enfant sur quatre scolarisé à Varsovie est ukrainien, arrivé depuis fin février. Ce n'est pas neutre.
La Pologne emploie aussi les enseignants ukrainiens, même si de nombreux professeurs ukrainiens continuent de faire des cours en ligne. Vous le voyez dans vos territoires, certains enfants ne veulent pas aller à l'école car ils suivent ces cours à distance.
Merci pour ce partage. Vous avez surtout évoqué le volet solidarité ; n'avez-vous pas eu de rencontre avec les militaires ?
Estimez-vous qu'il y a une attente de cessez-le-feu ou de paix ? Je suis très étonnée qu'on parle si peu de la sortie de la guerre...
Mais on ne s'exprime plus - même nous en tant que parlementaires - sur ce qu'on espère des échanges au plus haut niveau. Je n'entends même pas les réfugiés en parler. C'est la guerre, et le plus fort gagnera, advienne que pourra ?
Ceux que j'ai rencontrés à Przemysl me l'ont affirmé : ils vont gagner, et ils iront jusqu'au bout.
Les Ukrainiens ont malheureusement l'expérience des accords de Minsk, avec un conflit gelé et non résolu politiquement, qui redémarre. On en voit les conséquences. C'est pire d'avoir attendu sept ans plutôt que d'avoir résolu politiquement le conflit à l'époque. Nous voyons les efforts de Mario Draghi actuellement. Il y a eu 10 000 morts après les accords de Minsk, avant que le conflit ne reparte.
D'autres conflits sont gelés, et il ne suffit que d'une allumette pour qu'ils redémarrent : en Moldavie avec la Transnistrie, et en Géorgie avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.
La semaine dernière, le président Larcher a reçu la présidente de la république moldave, Mme Maia Sandu. L'armée moldave compte 6 000 personnes ; en Transnistrie, il y a 7 000 personnes pilotées par 1 500 soldats russes. Il suffit d'un rien pour que le territoire soit envahi en une demi-journée, mangé par l'ogre russe, sans que cela émeuve qui que ce soit. Les territoires sont très proches : le 24 février, la présidente a entendu, depuis la Moldavie, les premiers coups de canon...
Sur le terrain, tout le monde se prépare à une guerre qui dure. Les dispositifs d'accueils, tantôt de 25 000, tantôt de 80 000 personnes, sont maintenus avec un haut niveau de sécurisation et d'investissements. Les gardes-frontières slovaques, la police aux frontières et Europol sont peu sollicités aujourd'hui mais restent là, car une autre vague peut arriver.
Autre phénomène, on voit arriver des camionnettes avec des familles entières, et des hommes jeunes, qui sont exonérés de prendre les armes s'ils ont des enfants en bas âge. Beaucoup ont traversé l'Ukraine pour ne pas être enrôlés. La situation est dramatique.
Nous avons été heurtés par des gens qui traversaient la frontière à pied, sans aucun bagage, hormis éventuellement un sac à dos ou à main. Ils arrivent, mangent une soupe et sont emmenés en bus à quarante kilomètres de là où commence un parcours du combattant pour être intégrés. Ils ont du courage, ils nous font pitié, nous n'imaginons pas ce qu'ils peuvent ressentir.
Il y a aussi un lourd processus de contrôle de sécurité des deux côtés de la frontière...
L'objectif est de s'assurer qu'il n'y a pas de trafic d'armes. Ceux qui rentrent en Ukraine ne sont pas les plus pauvres : nous avons vu passer de nombreux 4x4... Ceux par contre qui restent près de la frontière côté ukrainien sont sans doute plus pauvres, qui n'osent pas passer de l'autre côté.
et un véritable trafic en ce domaine. Lorsque vous prenez 10 000 euros au distributeur en Pologne, vous gagnez immédiatement 300 euros en les revendant à votre retour en Ukraine...
Pourtant, la monnaie ukrainienne résiste. C'est juste que les banques ne sont pas équipées.
Jeudi, à Bruxelles, j'étais étonnée de voir des Ukrainiens voulant rentrer chez eux qui devaient payer leur voyage de retour, alors qu'ils ont voyagé gratuitement pour fuir leur pays. L'Union européenne pourrait se saisir de cette situation qui est surréaliste.
Souvent ils arrivent jusqu'en Pologne, par exemple à Przemysl, puis ils finissent leur voyage vers l'Ukraine à pied.
Merci de votre retour d'expérience. Je note que, selon vos dires, l'aide alimentaire a bien diminué...
Nous le sentons dans nos collectivités locales. Que peut-on faire pour transmettre le message ?
Dans certains dépôts, il y a de l'aide alimentaire entreposée. Je leur ai demandé de nous fournir une liste de leurs besoins. Nous l'attendons. Il faut de l'aide alimentaire et matérielle, mais par exemple ils n'ont plus besoin de poussettes ni de lits de camp, tandis qu'ils manquent de lait infantile.
Le centre polonais que nous avons visité est très bien fait, avec d'immenses entrepôts où les volontaires reconditionnent en cartons unitaires. Il en est de même pour l'aide hospitalière, avec des packs tout prêts. Mais l'aide commence à manquer. Certes, il y a des camions qui n'arrivent pas à destination. La préfète nous a indiqué qu'elle avait vu des couvertures partant pour l'Ukraine être revendues à Kosice... Il y a du trafic caché.
Pour l'avoir fait moi-même, je peux témoigner que parfois on a des faux douaniers et que la marchandise a du mal à sortir de Pologne...
Il y a des réseaux bien organisés qu'il faut préférer, notamment ceux de la Commission européenne ou de la sécurité civile, qui envoient de l'aide vers la Pologne, qui est ensuite distribuée vers de nouveaux hubs en Ukraine. Si on ne passe pas par ces réseaux, on prend le risque que certains camions soient détournés, arrêtés par des soi-disant douaniers exigeant des taxes.
L'armée russe a ainsi intercepté des camions d'aide humanitaire, faute d'aide logistique...
Pourquoi l'aide se réduit-elle ? Est-ce parce que le nombre de réfugiés augmente et donc réduit l'aide disponible pour chacun ?
Nous entendons tout et son contraire sur ce dont ont besoin les Ukrainiens. Que faut-il donner ?
Ils disent ne plus avoir besoin de vêtements. Il faut de la nourriture, des produits d'hygiène et hospitaliers.
Les ports ukrainiens sont bloqués. À Lviv, le système logistique fonctionne pour approvisionner les magasins mais les chauffeurs de camion ne peuvent pas passer à partir du sud. Les chemins de fer, surchargés, sont aussi plus risqués.
Au sujet de l'armement, la difficulté tiens surtout à la formation à la manipulation de cet armement. L'armée ukrainienne a l'habitude d'utiliser du matériel soviétique... Les canons embarqués français César tirent à 40 kilomètres mais il faut savoir s'en servir, et donc former les Ukrainiens. C'est un vrai sujet qui explique que les députés ukrainiens que nous avons reçus veulent avoir des armes de type soviétique... Il faut du temps pour être formé à d'autres armes antichar.
Les Ukrainiens ne pouvant pas sortir, il faut donc aller les former là-bas...
Nous voulions aller à Lviv, mais le Quai d'Orsay nous l'a formellement déconseillé...
Une vache se trait matin et soir, or 40 % du lait ukrainien serait jeté faute d'outils de transformation. De même, 23 millions de tonnes de céréales seraient en train de se perdre là-bas... Avez-vous pu constater cette situation ?
Il faudrait réussir à exporter ce lait, jeté à l'égout, car ce n'est pas tenable. C'est un problème logistique.
Les prix augmentent en raison des problèmes de transport. La production agricole ukrainienne n'atteindrait cette année que 40 % de la production de l'année dernière...
Il faudrait vraiment pouvoir se rendre en Ukraine. Nous verrons s'il y a un deuxième épisode migratoire. Mais lorsque nous nous déplaçons en tant que parlementaires, nous engageons le Sénat et devons respecter les consignes du Quai d'Orsay.
Lequel est obligé de vous refuser l'accès...
La réunion est close à 17 h 20.