adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public. - Nous avons tous conscience de la question de l'urgence climatique et de la nécessaire adaptation de nos modes de déplacement. L'enjeu est de savoir comment nous pouvons accompagner cette transition vers une mobilité soutenable. Dans ce contexte, plusieurs villes européennes et françaises ont introduit la gratuité totale des transports collectifs. Avec deux autres adjoints, j'ai été missionné par Mme la maire de Paris pour un rapport sur la gratuité, auquel nous avons travaillé près d'une année. Nous avons conscience que l'expérience parisienne n'est pas généralisable à l'ensemble de nos territoires.
Nous avons notamment étudié les effets que pourrait avoir la gratuité totale des transports à Paris et dans l'Île-de-France. La situation parisienne est assez particulière, car 64 % des ménages parisiens n'ont pas de véhicule. Dans ces conditions, la gratuité impliquerait donc un report modal depuis les modes actifs, à savoir la marche à pied ou le vélo. Pour la voiture, le report modal serait marginal. Lorsqu'on analyse les raisons de la mise en place de la gratuité totale dans les villes qui l'ont adopté, on constate qu'elle est un outil au service de l'attractivité du territoire, mais aussi de l'amélioration de la mobilité dans un contexte marqué par la sous-utilisation du réseau des transports collectifs.
Sur la faisabilité de la gratuité, le premier obstacle, dans le contexte francilien, est celui de la saturation. Nos réseaux sont surchargés, les experts des transports publics estiment que nous ne sommes pas en mesure d'absorber l'augmentation de fréquentation qui serait induite par la gratuité.
Concernant la viabilité du modèle économique, le coût de la gratuité a été estimé à 2,5 milliards d'euros par an pour financer la gratuité totale, ce qui nécessite de nouvelles ressources. Dans un contexte de tensions sur le versement transport, il est difficile d'envisager de l'augmenter. De nouvelles sources de financement, comme une taxe sur les parkings ou sur les bureaux, le péage urbain, pourraient être envisagées, mais cela ne couvrirait que partiellement le montant nécessaire. Il peut aussi être envisagé d'augmenter la contribution publique des collectivités, mais l'effort financier serait très conséquent.
En conclusion, si nous poursuivons l'objectif de l'attractivité du territoire et l'attractivité des services de transports, la gratuité totale n'est pas applicable dans l'immédiat en Île-de-France. Nous considérons que la gratuité des transports doit s'appliquer en fonction du contexte de chaque territoire.
Toutefois, nous avons estimé que des mesures de gratuité ciblées, partielles sont pertinentes. Aujourd'hui, l'usager francilien débourse environ 75 euros par mois, dont la moitié remboursée par l'employeur. Ce montant n'est pas excessif, mais peut être une charge pour les personnes disposant de faibles revenus. Nous avons donc mis en place une mesure de gratuité pour les personnes de plus de 65 ans, conditionnée aux ressources, qui doivent être inférieures à 2 200 euros par mois. Nous avons conscience de l'effet de seuil, mais Île-de-France Mobilités et la région Île-de-France ont mis en place une mesure de compensation, avec un remboursement à 50 % pour les seniors non concernés par cette gratuité. Nous avons aussi focalisé notre attention sur le pouvoir d'achat des familles, étant donné le contexte de la cherté de vie à Paris, ainsi que sur l'incitation à utiliser les transports collectifs et les modes actifs. Nous avons donc aussi décidé la gratuité totale pour les enfants de 4 à 11 ans, et les jeunes de moins de 20 ans en situation de handicap. En mesure complémentaire, nous allons rembourser l'abonnement Vélib' pour les 14-18 ans, et le remboursement à 50 % de la carte Imagine'R, qui bénéficie aux collégiens, aux lycéens, aux apprentis et aux étudiants. Le coût de l'ensemble de ces mesures est de 50 millions d'euros, ce qui est très conséquent dans le contexte budgétaire que vous connaissez.
Nous avons évoqué la question de la modulation du remboursement de l'abonnement aux transports en commun en fonction des ressources du foyer, mais cette question relève du choix des autorités organisatrices de la mobilité. On pourrait, par exemple, imaginer un remboursement à 100 % pour les personnes qui touchent le SMIC.
Enfin, la question de la gratuité doit être évoquée dans le cadre plus global de la politique de mobilité. Nous devons notamment réfléchir au financement de la mobilité, celui de l'offre de transports collectifs mais aussi celui favorisant les modes actifs, le co-voiturage ou l'auto-partage. Cela amène à s'interroger sur le bon niveau de tarification des différents modes de transport. Les transports individuels motorisés ne sont pas évalués à leur coût réel pour la société : leur coût en termes de pollution, de bruit, d'accident et d'entretien des infrastructures n'est pas suffisamment pris en compte... Nos réflexions futures pourraient s'orienter en ce sens, même si nous savons que ce n'est pas un débat facile à mener aujourd'hui. Je vais prendre l'exemple du vieux serpent de mer qu'est l'écotaxe. Lorsque les camions en transit empruntent les voies communales, ils ne paient pas. Les impôts des Parisiens paient l'entretien du boulevard périphérique, qui est utilisé notamment pour le transit international. Il est important d'ouvrir une réflexion sur le principe d'usager-payeur ou pollueur-payeur ; cela peut être une ressource pour financer la politique de mobilité. Peut-être avons-nous raté une étape alors que le débat sur la loi d'orientation des mobilités se termine...