Notre mission d'information sur la gratuité des transports collectifs est réunie aujourd'hui pour entendre M. Christophe Nadjovski, adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public. En mars 2018, avec Emmanuel Grégoire, adjoint en charge du budget et Jean-Louis Missika, adjoint en charge de l'urbanisme, vous avez été mandatés par la maire afin d'ouvrir le débat de la gratuité des transports en commun à Paris et en Île-de-France. Bien évidemment, nous n'avons pas vocation à trancher cette question propre à la capitale et sa région mais nous vous avons sollicité afin que vous nous apportiez votre éclairage sur le sujet.
adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public. - Nous avons tous conscience de la question de l'urgence climatique et de la nécessaire adaptation de nos modes de déplacement. L'enjeu est de savoir comment nous pouvons accompagner cette transition vers une mobilité soutenable. Dans ce contexte, plusieurs villes européennes et françaises ont introduit la gratuité totale des transports collectifs. Avec deux autres adjoints, j'ai été missionné par Mme la maire de Paris pour un rapport sur la gratuité, auquel nous avons travaillé près d'une année. Nous avons conscience que l'expérience parisienne n'est pas généralisable à l'ensemble de nos territoires.
Nous avons notamment étudié les effets que pourrait avoir la gratuité totale des transports à Paris et dans l'Île-de-France. La situation parisienne est assez particulière, car 64 % des ménages parisiens n'ont pas de véhicule. Dans ces conditions, la gratuité impliquerait donc un report modal depuis les modes actifs, à savoir la marche à pied ou le vélo. Pour la voiture, le report modal serait marginal. Lorsqu'on analyse les raisons de la mise en place de la gratuité totale dans les villes qui l'ont adopté, on constate qu'elle est un outil au service de l'attractivité du territoire, mais aussi de l'amélioration de la mobilité dans un contexte marqué par la sous-utilisation du réseau des transports collectifs.
Sur la faisabilité de la gratuité, le premier obstacle, dans le contexte francilien, est celui de la saturation. Nos réseaux sont surchargés, les experts des transports publics estiment que nous ne sommes pas en mesure d'absorber l'augmentation de fréquentation qui serait induite par la gratuité.
Concernant la viabilité du modèle économique, le coût de la gratuité a été estimé à 2,5 milliards d'euros par an pour financer la gratuité totale, ce qui nécessite de nouvelles ressources. Dans un contexte de tensions sur le versement transport, il est difficile d'envisager de l'augmenter. De nouvelles sources de financement, comme une taxe sur les parkings ou sur les bureaux, le péage urbain, pourraient être envisagées, mais cela ne couvrirait que partiellement le montant nécessaire. Il peut aussi être envisagé d'augmenter la contribution publique des collectivités, mais l'effort financier serait très conséquent.
En conclusion, si nous poursuivons l'objectif de l'attractivité du territoire et l'attractivité des services de transports, la gratuité totale n'est pas applicable dans l'immédiat en Île-de-France. Nous considérons que la gratuité des transports doit s'appliquer en fonction du contexte de chaque territoire.
Toutefois, nous avons estimé que des mesures de gratuité ciblées, partielles sont pertinentes. Aujourd'hui, l'usager francilien débourse environ 75 euros par mois, dont la moitié remboursée par l'employeur. Ce montant n'est pas excessif, mais peut être une charge pour les personnes disposant de faibles revenus. Nous avons donc mis en place une mesure de gratuité pour les personnes de plus de 65 ans, conditionnée aux ressources, qui doivent être inférieures à 2 200 euros par mois. Nous avons conscience de l'effet de seuil, mais Île-de-France Mobilités et la région Île-de-France ont mis en place une mesure de compensation, avec un remboursement à 50 % pour les seniors non concernés par cette gratuité. Nous avons aussi focalisé notre attention sur le pouvoir d'achat des familles, étant donné le contexte de la cherté de vie à Paris, ainsi que sur l'incitation à utiliser les transports collectifs et les modes actifs. Nous avons donc aussi décidé la gratuité totale pour les enfants de 4 à 11 ans, et les jeunes de moins de 20 ans en situation de handicap. En mesure complémentaire, nous allons rembourser l'abonnement Vélib' pour les 14-18 ans, et le remboursement à 50 % de la carte Imagine'R, qui bénéficie aux collégiens, aux lycéens, aux apprentis et aux étudiants. Le coût de l'ensemble de ces mesures est de 50 millions d'euros, ce qui est très conséquent dans le contexte budgétaire que vous connaissez.
Nous avons évoqué la question de la modulation du remboursement de l'abonnement aux transports en commun en fonction des ressources du foyer, mais cette question relève du choix des autorités organisatrices de la mobilité. On pourrait, par exemple, imaginer un remboursement à 100 % pour les personnes qui touchent le SMIC.
Enfin, la question de la gratuité doit être évoquée dans le cadre plus global de la politique de mobilité. Nous devons notamment réfléchir au financement de la mobilité, celui de l'offre de transports collectifs mais aussi celui favorisant les modes actifs, le co-voiturage ou l'auto-partage. Cela amène à s'interroger sur le bon niveau de tarification des différents modes de transport. Les transports individuels motorisés ne sont pas évalués à leur coût réel pour la société : leur coût en termes de pollution, de bruit, d'accident et d'entretien des infrastructures n'est pas suffisamment pris en compte... Nos réflexions futures pourraient s'orienter en ce sens, même si nous savons que ce n'est pas un débat facile à mener aujourd'hui. Je vais prendre l'exemple du vieux serpent de mer qu'est l'écotaxe. Lorsque les camions en transit empruntent les voies communales, ils ne paient pas. Les impôts des Parisiens paient l'entretien du boulevard périphérique, qui est utilisé notamment pour le transit international. Il est important d'ouvrir une réflexion sur le principe d'usager-payeur ou pollueur-payeur ; cela peut être une ressource pour financer la politique de mobilité. Peut-être avons-nous raté une étape alors que le débat sur la loi d'orientation des mobilités se termine...
Merci Monsieur pour ces éléments, je pense que vous avez bien posé le problème du financement, qui est un des éléments irritants de la loi d'orientation des mobilités : comment tout cela est financé ?
La situation de Paris et de l'Île-de-France est très particulière, donc on peut difficilement la transposer mais les deux études portant l'une sur l'Île-de-France, l'autre sur Paris sont intéressantes. Il y a cette spécificité, vous l'avez rappelé, qui est que très peu de personnes possèdent une voiture, donc le report modal serait très faible. Il ne s'agit pas tout à fait des mêmes problématiques que celle de Dunkerque. La gratuité reste un outil à penser en lien avec beaucoup d'autres éléments en termes d'aménagement du territoire ou de diversification de l'offre. D'ailleurs la démarche de Dunkerque n'a pas consisté à agir uniquement sur la gratuité. Il est par ailleurs difficile d'avoir des retours pour apprécier réellement l'impact de la gratuité en terme de report modal.
Quand on parle de gratuité, on pense à la gratuité totale, mais après une vingtaine d'auditions, je trouve qu'il est aussi intéressant de l'appréhender d'une autre manière : comment peut-on agir avec différents tarifs, destinés, par exemple, aux seniors ou aux enfants ? Avez-vous également réfléchi à la gratuité sur des tranches horaires ? Avez-vous mené une réflexion sur la gratuité sur certains types de transport, qui peut être un moyen de valoriser, favoriser ou orienter vers les transports ou vers certaines lignes.
Une problématique de gratuité partielle est le non-recours : on peut mettre en place des dispositifs mais on s'aperçoit quand même qu'il y a toujours un pourcentage de gens qui ont droit mais n'en profitent pas. Ce qui est intéressant sur les retours de Châteauroux et de Dunkerque, et ce qui est assez remarquable, c'est qu'on va chercher des gens qui ne se déplaçaient pas et ne prenaient pas du tout les transports auparavant. Je me demandais donc si vous aviez réfléchi à cette problématique de non-recours.
Ma remarque concerne le financement. Vous l'avez évoqué, on peut appeler cela la politique sociale en matière de transport, par exemple, pour les personnes au SMIC pour une prise en charge éventuelle et votre position est plutôt de dire que c'est à l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM) de l'assumer. Je considère, pour ma part, que ça pourrait être aussi le rôle de la collectivité territoriale d'avoir cette politique-là pour ses habitants, et pas seulement l'AOM qui a une autre mission, organiser la mobilité. Est-ce que la ville n'a pas vocation à accompagner aussi ceux de ses habitants qui sont les moins bien favorisés financièrement ?
S'agissant du transit, je voudrais revenir sur l'écotaxe quelle que soit la manière dont on l'appelle. Dans la LOM, nous n'avons pas intégré cette dimension : une taxe destinée au financement d'infrastructures pouvait être cohérente à l'échelon national. Au niveau départemental, c'est autre chose. En tant qu'élu de Vendée, je peux vous dire que le département enregistre un trafic important lié, par exemple, au transit entre la Bretagne et la Gironde, ou l'Espagne. Ces poids lourds empruntent des routes vendéennes financées par les contribuables vendéens. Doit-on pour autant mettre en place une taxe de transit ? Il n'y a pas que les métropoles : tous les territoires sont impactés. Un poids lourd ne reste pas dans un seul département ou dans une seule ville : je dirais que 85 % des poids lourds transitent sur tout le territoire. Donc si on réfléchit à une taxe, il faut le faire sur toutes les villes, tous les départements, ce qui me paraît un peu complexe par rapport à une dimension qui serait plus nationale.
Merci pour cette présentation complète ; j'ai surtout noté que vous accordiez de l'importance au contexte local. J'ai une question d'ordre financier. Vous nous avez indiqué évaluer à 2,5 milliards d'euros par an le coût de la gratuité en imaginant des compensations partielles (parkings, bureaux et péages urbains). Avez-vous déjà des projections vous permettant de savoir quel allait être le delta négatif si vous alliez au bout de cette intention ?
Pour répondre tout d'abord à la question de Monsieur le Sénateur Gontard sur les tranches horaires ou les possibilités d'une gratuité modulée en fonction des types de transport, c'est effectivement un des éléments qui ressort des études qui ont été menées. Le rapport de M. Rapoport a mis en évidence que la question de l'élasticité de la demande par rapport à la question de la gratuité était plus forte en heures creuses que lors des heures de pointe. Autrement dit, à l'heure de pointe, la gratuité a peu d'effet sur les différents modes mais, en dehors des heures de pointe, elle peut avoir un effet plus important. Cela est très intéressant dans la mesure où on peut aussi imaginer des créneaux horaires de gratuité, non pas pendant les heures de pointe pour ne pas sur-saturer, sur certaines tranches horaires. De même, elle pourrait porter sur certains modes (comme le mode bus) et certains publics pourraient bénéficier de ces mesures de gratuité ciblée, par exemple les seniors ou les personnes en recherche d'emploi. À cet égard, on sait que la question du coût du transport peut être un frein à la recherche d'un emploi. Donc rien n'empêche d'imaginer des mesures incitatives et qui permettent que le transport ne constitue pas un frein à la recherche d'un emploi.
Je pense que, quand on parle de notion de gratuité, on ne doit pas forcément l'interpréter comme étant une mesure globale tout le temps mais qu'il peut y avoir aussi des mesures ciblées qui jouent comme des incitations.
En ce qui concerne le non-recours, nous sommes confrontés à la question de la lisibilité des dispositifs par les publics qui sont en difficulté et qui n'ont pas forcément accès à l'information. En Île-de-France, nous avons un million de bénéficiaires de tarifs spécifiques sur une population totale de 12 millions.
On est dans un schéma dans lequel les dispositifs de réduction sont soit assez limités, soit peu connus du public, avec effectivement un taux de non-recours qui peut être important. S'agissant des dispositifs sociaux sur lesquels il y a aussi malheureusement beaucoup de non-recours, je crois que c'est une réflexion que doit avoir le législateur sur la façon dont on peut améliorer globalement l'accès aux dispositifs sociaux dont ceux concernant les transports.
Monsieur le Sénateur Mandelli m'a interrogé sur la prise en charge de l'impact financier - l'AOM ou la ville ? La ville le fait déjà, donc on peut tout à fait imaginer que ce soit la commune qui prenne en charge financièrement les mesures de gratuité ou en tout cas de remboursement qui serait plus important pour des certaines catégories de population. Par exemple, j'évoquais celles au niveau du SMIC : si on devait avoir un taux de remboursement de leur transport par l'employeur plus important que les 50 % actuels, c'est aussi au niveau de la ville que cela pourrait se faire. J'ai évoqué le fait que cela relevait de l'AOM, mais la ville peut tout à fait le faire. D'ailleurs, dans les dispositifs de gratuité partielle qui ont été mis en place, c'est bien la ville de Paris qui prend en charge financièrement le surcoût et en aucun cas Île-de-France Mobilités. Elles ne sont nullement financées par les contribuables des autres territoires : on est bien sur une étanchéité en termes de prise en charge financière.
Sur la question du transit que vous évoquiez, je crois qu'il est nécessaire que l'on ait une remise à plat de la question du financement des infrastructures et de leur coût d'usage. Vous avez tout à fait raison de dire que, après tout, une route départementale est aussi utilisée pour du transit, alors qu'elle est financée par les impôts locaux. C'est toute la question de la de la tarification : il faudra peut-être un jour poser la question de la redevance kilométrique.
Mais toujours est-il que nous avons toujours ce débat sur qu'est ce qui doit être financé par le contribuable et qu'est ce qui doit être financé par l'usager ? La réflexion sur la mobilité n'est pas complètement aboutie aujourd'hui en France. Le contribuable est quand même beaucoup sollicité. L'usager ne l'est peut-être pas autant. C'est la question que l'on pose s'agissant des transports collectifs, mais elle se pose aussi en matière routière. Soit on peut s'inscrire dans un dispositif qui sera forcément national ou bien on peut aussi donner, si nous sommes favorables à la décentralisation, la possibilité à des régions de pouvoir expérimenter - cela avait été évoqué un moment donné pour l'Alsace ou encore pour les Hauts-de-France. Je pense que l'expérimentation doit toujours être possible sur la base du volontariat des régions.
La dernière question posée par Monsieur le Sénateur Marchand est celle du delta entre les 2,5 milliards d'euros et ce que les ressources pourraient apporter. L'ordre de grandeur est de quelques centaines de millions d'euros au mieux, donc on est encore sur une différence importante. Selon le rapport de Jacques Rapoport, qui disposait de l'ingénierie qui lui permettait d'avoir une évaluation financière plus forte que la nôtre, nous serions à moins d'un milliard d'euros couvert par de nouvelles recettes par rapport aux 2,5 milliards donc nous serions à moins de 50 % du total. Cela illustre l'écart qui existe aujourd'hui entre d'éventuelles nouvelles recettes et le besoin de financement.
D'autant plus que le tarif qui est demandé au voyageur est fortement sous-tarifé. Le coût réel est beaucoup plus élevé. Avez-vous le taux de couverture pour l'Île-de-France des transports collectifs avec et sans les investissements ?
Aujourd'hui, nous sommes à 27 % sans investissement.
Cela signifie qu'il faut vraiment trouver de la ressource pour faire en sorte que le réseau continue à tourner et à se développer. Une piste évoquée est celle de la rente foncière ; dans toutes les villes où vont passer des grandes infrastructures (métro, RER) le prix au mètre carré bondit.
Il serait quand même logique que la collectivité qui a investi et qui a du coup fait monter les prix ait un retour sur ses propres investissements. Je n'ai pas réussi à faire passer cet amendement dans la LOM mais on sent qu'il y a là une vraie piste et quelque chose qui serait quand même de l'équité.
Plus globalement, c'est la question de l'aménagement du territoire dans son ensemble qui est posée. Nous devons maîtriser l'étalement urbain plutôt que de courir après. Pour la réalisation du Grand Paris Express, la recette tirée de la récupération de la rente foncière n'est en rien comparable avec le montant démesuré des investissements.
L'accroissement de l'offre de transports entraîne une augmentation du prix du foncier. Quelque part, en améliorant l'offre, les élus contribuent à ce phénomène, qui, paradoxalement, rend plus difficile l'implantation de jeunes, alors que cette amélioration de l'offre de transports collectifs avait justement vocation à les attirer. D'ailleurs, aujourd'hui, je ne pourrais plus me loger dans ma propre commune. Nous ne disposons pas d'outils pour réguler ce phénomène.
J'admire le pragmatisme de votre approche et relève que vous évoquez des pistes de financement. Avez-vous identifié d'autres ressources nouvelles d'un montant significatif susceptibles d'être mobilisées ?
J'ai déjà évoqué plusieurs pistes et nous ne sommes pas allés au-delà dans notre réflexion ; notre inventivité a des limites. Une piste a néanmoins été laissée de côté jusqu'à présent : la révolution numérique et le développement des plateformes dégagent de la valeur, même si l'on dit souvent que certaines perdent de l'argent. Les externalités négatives ne sont jamais mises en avant. Air BnB est l'exemple même de ce processus de privatisation des bénéfices et socialisation des pertes pour les collectivités qui souffrent de l'émergence de ces nouveaux services. D'où vient la valeur et où va-t-elle ? Telle est la question que nous devons nous poser aujourd'hui.
Merci pour cette contribution, qui confirme que « le problème de la gratuité, c'est la gratuité », pour reprendre une remarque formulée par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) lorsque nous l'avons auditionnée. Comme vous, je constate que la gratuité peut être intéressante à certaines heures de la journée, pour certains publics. Mais on ne peut échapper à la problématique de la tarification, aux équilibres économiques de long terme. Je pense notamment au moment où les AOM qui pratiquent la gratuité, telle Dunkerque, vont devoir renouveler leur matériel, surtout si elles décident d'acquérir des bus de nouvelle génération, articulés ou électriques par exemple. Notre mission montre bien qu'il n'existe pas de réponse automatique, linéaire et adaptable partout. Par ailleurs, qu'en est-il des franges territoriales, des effets de seuil ?
Vous avez terminé votre propos en disant que vous sortiez du sujet. Au contraire, la question du financement est essentielle. Il faut sortir du paradigme une recette en moins égal de moindres investissements. La LOM me laisse un peu sur ma faim sur ce point.
Je suis sensible à votre raisonnement concernant les plateformes numériques. Mme Idrac, Haute responsable pour la stratégie de développement du véhicule autonome, nous avait déjà alertés à ce sujet.
Vous avez évoqué la politique relative au stationnement. Pouvez-vous préciser vos orientations à ce sujet, d'autant que le stationnement est un levier intéressant en termes de report modal ?
La gratuité est comme le fil de la pelote : plus on tire, plus de sujets apparaissent. Elle pose la question de la redevance d'usage : qu'elle doit être la part assurée par le contribuable et celle de l'usager ? Qui doit payer le service ? À titre personnel, je suis très favorable à une redevance d'usage fondée sur le nombre de kilomètres parcourus, de sorte que le coût pris en charge par la collectivité le soit par l'émetteur. Ceci renvoie à l'enjeu des externalités négatives, supportées par les seules collectivités territoriales. Les opérateurs n'y prennent aucune part, tels ceux qui organisent des services de livraison gratuite à domicile, notion qui interroge car le coût n'est pas assuré par le client mais reporté sur la collectivité.
J'ai vécu la loi de décentralisation du stationnement ; son bilan est très positif, bien loin des difficultés évoquées par la presse. Les instruments de stationnement contrôlés et efficaces peuvent jouer un rôle essentiel dans la régulation des déplacements en permettant une meilleure rotation des places et une plus grande disponibilité. Celle-ci procure également une recette à la collectivité. Faire contribuer les centres commerciaux, par exemple en fonction de la taille de leurs parkings, est une façon astucieuse d'internaliser les coûts et de faire en sorte qu'ils ne reposent pas sur la seule collectivité.
Depuis longtemps, l'ensemble de la France a contribué au financement des transports en Île-de-France, je le rappelle. Ce faisant, on a d'une certaine manière encouragé l'étalement urbain et, aujourd'hui, le RER est saturé. Il serait quand même logique que la collectivité qui a investi et qui a, du coup, fait monter les prix, ait un retour sur fonds propres. Je n'ai malheureusement pas réussi à faire adopter mon amendement en ce sens lors de l'examen de la LOM par le Sénat mais il y a là une vraie piste, justifiée par l'équité.
Plus globalement, au-delà de la question de la mobilité, c'est celle de l'aménagement du territoire qui est posée, notamment du point de vue de la maîtrise de l'étalement urbain.
Votre remarque pose la question de la taille des métropoles. En Île-de-France, on a atteint la taille critique. Ainsi, des montants colossaux ont été engagés pour le prolongement du RER E, qui sera saturé dès sa mise en service. Comment éviter la concentration d'emplois dans un secteur de l'agglomération, qui génère des mouvements pendulaires ? Il faut privilégier une organisation autour de plusieurs pôles mais aussi s'interroger sur le nombre de personnes attirées : on habite mieux la France de manière mieux répartie. Aujourd'hui, les enquêtes d'opinion illustrent l'importance de cet enjeu : plus de huit cadres franciliens sur dix veulent quitter la région ; c'est édifiant.
À Dunkerque, la gratuité n'est qu'un prétexte pour réaménager entièrement le territoire de la communauté urbaine. Votre démonstration montre qu'au niveau des AOM comme au niveau des collectivités, on a un peu tendance à réfléchir, s'agissant des flux, sur des frontières qui sont aujourd'hui complètement artificielles. Nous avons en effet tendance à nous enfermer en faisant parfois abstraction de ceux qui rentrent sur la métropole, de ceux qui sortent de la métropole et cela vient fausser les bonnes idées qu'on pourrait avoir en matière d'infrastructures de transport. Donc je pense que, comme vous le dites, il y a une révolution à imaginer s'agissant des mobilités, mais qui se recoupe avec une révolution en matière d'aménagement du territoire qu'il faudrait sans doute penser autrement.
Je crois que nous pourrions continuer encore plus longtemps, parce que c'est un vrai sujet, qui touche énormément à l'urbanisme, aux formes urbaines des villes et aux façons de se déplacer, le télétravail, le coworking, etc. On voit que c'est une révolution sociétale sur notre mode d'habiter le territoire et de se comporter. Nous vous remercions de votre éclairage très utile pour alimenter notre réflexion.
La réunion est close à 14 h 35.