Intervention de Bruno Daugeron

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 16 février 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno dauGeron professeur des universités en droit public directeur du centre maurice hauriou

Bruno Daugeron, professeur des universités en droit public et directeur du Centre Maurice Hauriou :

L'idée de voter en semaine peut être discutée.

Concernant vos autres questions, je suis extrêmement hostile à ces propositions.

L'informaticienne Chantal Enguehard, de l'Université de Nantes, qui a beaucoup étudié ces questions, montre que le vote électronique entraîne la perte de la trace matérielle de votre vote. Contrairement aux notes manuscrites des scrutateurs et aux bulletins en papier, les bulletins électroniques ne peuvent pas être retrouvés. La machine à voter peut être préprogrammée, pas toujours dans de bonnes intentions, ou peut connaitre des bugs.

En outre, le vote électronique expose l'électeur au contrôle social de son conjoint, de ses enfants, de ses voisins ou encore de son patron, ce qui n'est pas le cas dans l'isoloir. D'une certaine manière, le vote est désacralisé, publicisé et privatisé.

Je suis extrêmement - et de plus en plus - méfiant par rapport à la médiation technicienne qui aurait des intérêts immédiats. Si nous souhaitons faire comprendre aux citoyens que la citoyenneté est plus importante que les intérêts privés, nous ne devons pas nous y prendre ainsi.

Rousseau écrivait dans le quinzième chapitre du Contrat social : « Sitôt que le service public cesse d'être la principale affaire des Citoyens, et qu'ils aiment mieux se servir de leur bourse que de leur personne, l'État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? Ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au Conseil ? Ils nomment des Députés et restent chez eux. À force de paresse et d'argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre ».

Je n'applique évidemment pas cette critique à vous. Toutefois, je pense que la citoyenneté est concrète et doit prendre corps dans des actions concrètes. Vous avez évoqué le service civique. De plus, aller voter et éteindre son portable me semble bénéfique. La course à la technique n'est pas souhaitable, et surtout pas dans cet aspect.

Concernant l'engagement des jeunes dans des causes humanitaires et environnementales, je n'ai pas vraiment les compétences pour vous répondre. Il me semble que tout engagement des jeunes, pour cette cause ou pour une autre, est à souhaiter. Parler des jeunes en tant que tels est difficile, car les milieux sociaux sont différents. Disons qu'un engagement civique les sort de leur individualité et les place dans un collectif, dont les institutions sont le bien commun. Au-delà de l'environnement et l'humanitaire, les jeunes s'engagent aussi dans des questions religieuses ou chez les scouts. Tout engagement qui peut éloigner de la société de consommation me semble bénéfique.

Je ne suis pas favorable à l'idée que le vote blanc soit compté dans les votes exprimés. Depuis 2014, le vote blanc peut être compté à part. Bien qu'il puisse se comprendre, le vote blanc est une négation de l'objet du vote et de l'élection. En effet, l'élection vise à désigner une personne et le vote sert à prendre une décision. Considérer comme exprimées les voix de personnes qui refusent la décision me parait étrange du point de vue juridique, même si cela peut se comprendre du point de vue politique.

Peut-être pouvons-nous réfléchir à un seuil de participation minimum pour que l'élection puisse être considérée comme acquise. Un des dangers qui nous guette - qui est d'ailleurs l'un des dangers du droit - est que, même avec les voix de 30 % des citoyens, l'élection puisse fonctionner.

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