Madame la ministre, je vous remercie de votre venue au Sénat pour nous exposer les dernières données du différend qui oppose la France et l'Union européenne (UE), d'une part, au Royaume-Uni et aux îles anglo-normandes, d'autre part, pour l'accès de nos pêcheurs à leurs eaux. J'espère que votre venue sera aussi l'occasion de nous annoncer - qui sait ? - quelques bonnes nouvelles.
L'actualité des jours à venir sera riche : demain, 10 décembre, constituera à la fois la date butoir fixée par la Commission aux autorités britanniques pour l'octroi des licences manquantes et la date limite pour la négociation des totaux admissibles de capture, les fameux TAC, dans les eaux britanniques ; les dimanche 12 et lundi 13 décembre verront se dérouler le traditionnel Conseil des ministres de la pêche de l'UE, qui permettra de fixer les TAC et les quotas par État dans les eaux européennes.
Mais je laisserai notre collègue Alain Cadec, familier des arcanes européens, vous poser des questions au sujet de l'influence française à Bruxelles, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.
Il était important pour le Sénat, chambre des territoires, de se saisir de la question des licences de pêche. La pêche représente certes moins de 1 % du PIB, mais elle joue un rôle absolument déterminant dans l'aménagement du territoire, car un emploi en mer, ce sont en moyenne quatre emplois à terre.
C'est pourquoi nous avons décidé de confier à Alain Cadec, président du groupe d'études « pêche et produits de la mer », un rapport qui sera présenté devant les commissions des affaires économiques et européennes, réunies conjointement, le mercredi 15 décembre prochain. Ce sera, cher Alain, l'occasion de dresser le bilan du cycle qui est en train de s'achever, on l'espère, avec les licences, et de proposer des perspectives plus enthousiasmantes pour la pêche pour les années à venir.
Madame la ministre, je profite de votre présence pour, au nom de tous mes collègues de la commission des affaires économiques, pousser un cri d'alarme sur l'après-juin 2026, correspondant à la fin de la période transitoire d'application de l'Accord de commerce et de coopération, conclu le 24 décembre 2020, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Au-delà de la question des licences, qui devait constituer la partie la plus facile de la négociation, il y a la perspective de renégocier chaque année nos quotas de pêche dans les eaux britanniques et de subir des « mesures techniques » qui sont autant de barrières à l'entrée. Le schéma serait un peu celui qui existe aujourd'hui dans les eaux norvégiennes, à la différence près que nous sommes beaucoup plus dépendants de la Manche que de la mer du Nord.
On peut craindre que les Britanniques marchandent leurs quotas ou que nos équipages passent sous pavillon britannique : dans les deux cas, il s'agirait d'une perte de valeur pour notre filière pêche. Ma question est donc simple : comment voyez-vous les choses se dessiner après 2026 ? Quelles sont les perspectives ?
Je voudrais maintenant vous relater notre rencontre de la semaine dernière, avec la présidente de la Commission européenne. Mme Ursula von der Leyen a évoqué d'elle-même le sujet des licences devant la délégation du Sénat, c'était plutôt de bon augure ! Mais quelle n'a pas été notre surprise d'apprendre que pour la Commission, tout va bien, il n'y a pas de problème. Comme si la centaine de licences restante n'était qu'un « résidu statistique » alors qu'il y a, derrière, des familles ou, comme les Anglais le disent joliment, des « communautés côtières ».
On sait que votre Gouvernement a, à plusieurs reprises, enjoint l'Union européenne à agir. Mais la répartition des rôles entre l'État et l'UE n'a pas forcément toujours été claire. Par exemple, nous avons été alertés, par les acteurs de terrain, du circuit de communication complexe des demandes de licences, transitant par un trop grand nombre d'interlocuteurs avant d'être transmises à Londres via les comités départementaux et régionaux des pêches, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) du ministère français et la direction générale de la mer au sein de la Commission européenne.
Cela ne facilite pas la transparence, d'autant que la Commission a assumé avoir procédé, avec la DPMA à un filtrage des demandes jugées « problématiques ». Pouvez-vous nous indiquer le taux de demandes non transmises aux autorités britanniques et anglo-normandes, et les critères qui ont présidé à ce tri ? N'y a-t-il pas eu une forme d'« autocensure », qui a pu être mal perçue par les professionnels ?
Je ne saurais conclure, madame la ministre, sans mentionner trois lettres qui ont mis le feu aux poudres dans le monde de la pêche : PSF, pour « plan de sortie de flotte ». Votre annonce le mois dernier, lors des assises de la pêche et des produits de la mer, n'en était pas vraiment une puisque vous ne faisiez que rappeler une mesure incluse dans le plan d'accompagnement de décembre 2020 destiné à aider les pêcheurs français face au Brexit.
Néanmoins, convenez que le moment de ce rappel n'était peut-être pas le plus opportun, car il a donné le signal d'un renoncement. Surtout, l'ampleur du plan de sortie de flotte, de 40 à 60 millions d'euros, a surpris ! Ce sont 180 bateaux que l'on envisage de mettre hors d'état de produire !
Nous avons le souci constant, au sein de la commission des affaires économiques, de ne pas saborder des activités productrices de richesse, d'autant que la pêche est une activité durable. Pouvez-vous nous détailler le contenu de ce PSF et nous rassurer sur le fait qu'il s'agit bien d'une solution d'ultime recours, prévue pour un nombre marginal de professionnels ?
Êtes-vous, par ailleurs, d'accord avec l'idée que la réserve européenne d'ajustement au Brexit devrait servir à investir et non à détruire la capacité de production ?