Les progrès technologiques les plus notables, ces dernières années, en matière de compréhension du milieu océanique, portent sur le monitoring.
Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre les fonctions de ces systèmes marins, que ce soit dans la colonne d'eau, sur et sous le fond, et la diversité des organismes. On doit pouvoir observer ces fonctions dans la durée pour les comprendre, et pas seulement pendant quelques semaines avec un submersible.
Il est donc nécessaire de développer des capteurs et des instruments de communication. L'IFREMER est en pointe au niveau européen et sans doute mondial sur ce plan. Énormément de recherches très innovantes sont menées au CNRS sur des capteurs, mais que veut-on capter ? On aimerait, par exemple, pouvoir mesurer en continu le chlore dans les systèmes hydrothermaux, mais on ne dispose pas de capteurs pour le faire. Cela nécessite des travaux de recherche impliquant beaucoup de petites entreprises.
Un des espoirs de la recherche sur les grands fonds repose sur le développement d'un écosystème d'entreprises françaises et européennes, qui existent déjà pour certaines. Le monitoring représente un fort potentiel pour ces entreprises, dans les grands fonds, comme dans les aires marines protégées.
Comment organiser ce monitoring ? Il faut définir quel paramètre surveiller et trouver le bon capteur, mais aussi rendre la donnée compréhensible. Cela implique des innovations technologiques dans le domaine des logiciels, de l'intelligence artificielle, du traitement des données, etc.
On parle beaucoup des ressources minérales. Je travaille pour ma part sur les systèmes de sources chaudes sous-marines. On sait par exemple que des moules vivent à 1 700 mètres de profondeur grâce aux tapis bactériens sur lesquels elles reposent, qui sont capables de générer de la matière organique à partir des éléments qui sortent des fluides.
On sait aussi que ces écosystèmes évoluent très lentement. Il existe des projets européens destinés à estimer leur résilience, dans l'hypothèse d'une présence de sulfures. On pensait que les moules qui s'y trouvaient allaient recoloniser facilement le milieu. En fait, il n'en est rien trois ou quatre ans après.
La clé consiste à développer des systèmes de monitoring afin de pouvoir mesurer des paramètres de plus en plus complexes. On peut même envisager des capteurs permettant de réaliser des recherches génétiques in situ avant traitement.
Les recherches que nous voulons mener sur ces interconnexions, ces interdépendances et ces fonctions de l'océan profond vont nous amener à constituer de nouveaux consortiums de recherche multidisciplinaires. Il faut en effet attirer davantage de personnes si on lance des programmes plus importants et aller chercher des collègues dans d'autres laboratoires.
Il est en particulier nécessaire d'associer à un degré inédit les sciences de la nature, l'ingénierie et les sciences humaines et sociales. Un des enjeux réside dans le fait que nos sociétés s'approprient les océans de la même manière que l'on s'approprie d'autres écosystèmes, comme les champs, les prés, les montagnes, dont chacun se sent partie prenante.
Il ne s'agit pas seulement de vulgarisation : il faut que les politiques puissent, en connaissance de cause, prendre des décisions qui s'imposent.
Ceci va avoir pour effet, premièrement, de fournir un cadre de connaissance pour permettre une approche durable de l'exploration des ressources des grands fonds. Selon ce qu'on décidera, on disposera des outils pour être les moins destructeurs possible. Cela permettra d'orienter les politiques de préservation.
Deuxièmement, des solutions transférables au secteur industriel au sens large pour le monitoring des environnements marins vont être développées. Des contrats devront être passés avec des entreprises pour le management d'aires marines protégées et de sites industriels - parcs éoliens, infrastructures extractives, etc.
Troisièmement, des solutions elles aussi transférables au secteur industriel pour l'exploration sous-marine multiparamètres vont être développées - géophysiques, chimiques, biologiques et de haute résolution, caractérisation de la ZEE, prospections, études de sites, etc.
La recherche en amont que nous proposons de mener va permettre de nourrir toutes ces actions en faveur des océans profonds dans les années qui viennent.