Merci à toutes et tous d'avoir répondu présent à cette troisième réunion de la mission d'information du Sénat sur l'exploration, la protection et l'exploitation des grands fonds marins, mise en place il y a deux semaines.
Nous allons travailler durant six mois. Nous avons d'ores et déjà reçu la ministre de la mer, ainsi que le Secrétariat général de la mer, et avons souhaité organiser aujourd'hui une première table ronde avec des scientifiques, la seconde devant avoir lieu la semaine prochaine.
Nous souhaitons faire le point avec vous sur les moyens actuels de la recherche française dans le domaine des fonds marins. Nous désirons également évoquer les perspectives ouvertes par les crédits alloués à l'exploration dans le cadre du plan France 2030, qui comporte une enveloppe de financements dédiés à la fois à l'espace et aux recherches sur les grands fonds marins.
Il nous revient d'identifier les besoins supplémentaires éventuels. Quelles sont vos priorités, compte tenu d'un milieu maritime profond, très hostile, que l'on compare parfois au milieu spatial ?
Cette audition doit permettre d'évoquer les coopérations internationales existantes dans le domaine de la recherche sur les grands fonds marins, notamment avec d'autres pays européens. Des synergies et des mutualisations sont-elles possibles ?
Existe-t-il d'éventuels blocages à ces coopérations ? La mer n'a pas de frontières physiques. Elle doit pouvoir être abordée dans le cadre de coopération le plus large possible.
Sont ici présents des sénateurs du Tarn, des Côtes-d'Armor, de la Manche, de Saint-Barthélemy et du Gard. D'autres sont en liaison avec nous via la visioconférence, dont Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française, rapporteur de cette mission instituée à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) du Sénat, à qui je cède la parole.
Merci de prendre le temps d'échanger avec nous.
La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, document stratégique, est centrée autour de cinq priorités, dont l'amplification des travaux d'exploration afin de poursuivre l'acquisition des connaissances sur les écosystèmes et les ressources minérales. Par ailleurs, le dixième objectif du plan France 2030 porte sur l'investissement pour l'exploration des grands fonds marins.
Dans quelle mesure vos instituts respectifs sont-ils concernés par la stratégie nationale et par le plan France 2030 ? Serez-vous associés au projet de démonstrateur que nous avons évoqué lors de notre récent entretien avec le Secrétariat général de la mer ?
On rappelle régulièrement que les fonds marins constituent un milieu inconnu à 80 %, voire 95 % en fonction de la résolution cartographique de référence. Les premiers résultats penchent-ils en faveur d'une confirmation de la richesse de nos fonds marins ? Celle-ci pourrait-elle être, au contraire, surestimée ? Les perspectives sont-elles issues d'extrapolations ou d'évaluations scientifiques ? Quels sont la portée et le degré de fiabilité de ces évaluations ?
L'une des priorités de la stratégie nationale consiste à travailler à l'information des populations et des décideurs sur les ressources de l'océan profond. Quelles actions de vulgarisation sont mises en oeuvre par vos instituts afin d'informer la population des résultats de vos travaux ? Je pense ici aux populations d'outre-mer, car le sujet me tient particulièrement à coeur.
La quatrième priorité de la stratégie concernant les fonds marins vise à renforcer le partenariat avec les collectivités d'outre-mer (COM), en particulier dans le Pacifique. Les collectivités ultramarines ont engagé une stratégie multipartenariale au niveau européen et mondial. Comment les collectivités ultramarines sont-elles associées à vos travaux scientifiques ? À quel moment pourra-t-on co-construire le projet et la gouvernance de l'expertise en impliquant les représentants politiques - et coutumiers le cas échéant -, ainsi que la société civile de nos territoires du Pacifique ?
C'est une question importante, car il existe une forte attente, et je puis vous confirmer, à la suite de mes récents échanges avec le président de la Polynésie française, que la mission d'information ouvre de grands espoirs sur ce plan.
Quelles ont été les dernières avancées en matière d'équipement scientifique pour l'exploration des fonds marins ? Vos instituts sont-ils en relation avec les industriels français pour développer les technologies nécessaires ? Est-il possible de se fournir auprès de fabricants de notre pays, ou l'offre est-elle insuffisante ? L'idée est d'appréhender le volet recherche, mais aussi le volet industriel pour mieux connaître notre positionnement actuel.
Nous avons appris qu'une démarche de maîtrise des fonds marins avait, par ailleurs, été engagée par le ministère des armées. Les organismes scientifiques travaillent en collaboration avec celui-ci. C'est le cas du SHOM, mais aussi de l'IFREMER qui fournit les seuls moyens étatiques capables d'atteindre de grandes profondeurs. Dans quelle mesure participez-vous à la stratégie propre au ministère des armées, actuellement en cours de définition ? Quelles en sont les synergies avec les deux autres volets de la politique française en matière de grands fonds marins : la stratégie en matière de ressources minérales et le plan France 2030 ?
Des collègues du Morbihan et de la Seine-Maritime nous ont rejoints.
Madame, Messieurs, vous avez la parole pour nous donner votre sentiment sur la question des grands fonds marins et répondre aux interrogations du rapporteur.
Dans quelle mesure sommes-nous concernés par la stratégie nationale et par France 2030 ?
L'exploration des océans est dans les gènes de l'IFREMER. Le Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO) avait été créé pour cela. « Révéler et valoriser les ressources marines pour le bien être des sociétés humaines » et « protéger et restaurer l'océan » sont deux des raisons d'être de l'IFREMER. Nous sommes ravis de voir que l'océan est enfin mis à un haut niveau de priorité par un certain nombre d'instances nationales.
L'IFREMER est porteur, avec le CNRS mais aussi avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), acteur très important sur ces sujets, d'un programme de recherche annoncé dans le cadre de la stratégie nationale. Beaucoup d'incertitudes existent aujourd'hui sur les grands fonds. Un des enjeux consiste à faire toucher du doigt ce que l'on sait de ces environnements et ce que l'on ne sait pas.
Par ailleurs, l'IFREMER détient, au nom de l'État français deux contrats d'exploration dans les eaux internationales. C'est une activité qui génère un certain nombre de recherches.
S'agissant du démonstrateur, l'IFREMER est engagée avec des partenaires européens dans le cadre de la plateforme Joint Programming Initiative Ocean et d'un programme dénommé Mining Impact, qui en est à la version 2, dont l'enjeu est de mesurer l'impact d'un collecteur de nodules dans la zone de Clarion-Clipperton.
C'est pourquoi nous avons aussi, avec le Cluster maritime français, souhaité développer un pilote pour engager la discussion avec toutes les parties prenantes sur des bases scientifiques.
Ces deux projets sont au coeur des activités de l'IFREMER.
La mission du CNRS repose sur la recherche multidisciplinaire. Le CNRS comprend un grand nombre de chercheurs. Beaucoup d'équipes de chercheurs et d'ingénieurs travaillent sur divers aspects de l'océanographie, que ce soit sur la vie dans les océans ou leur dynamique.
Nous sommes à ce titre très mobilisés sur les questions d'exploration et de recherche. Nous sommes porteurs, avec l'IFREMER, d'un projet qui a abouti au programme prioritaire de recherche (PPR) en cours.
Nous ne sommes cependant pas directement impliqués dans des recherches à visée d'exploitation de ressources minérales, mais produisons des recherches en amont. La quasi-totalité des chercheurs de l'IFREMER qui travaillent sur ces sujets font partie d'unités mixtes de recherche (UMR) avec le CNRS, les universités et, souvent, des chercheurs de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Le CNRS est souvent perçu comme une institution à part, mais tout le monde est en fait réparti dans des laboratoires universitaires mixtes.
La force de frappe scientifique française sur les questions océanographiques doit donc être considérée comme portant sur la recherche et non sur l'exploration appliquée.
Le SHOM a été associé à la stratégie nationale sur les grands fonds dans le cadre de la mission destinée à établir une feuille de route sur leur exploration.
Le SHOM a une certaine légitimité dans ce domaine, même si l'exploration et l'exploitation des fonds marins ne font pas partie de sa mission. Nous disposons des moyens hauturiers de la marine, ce qui nous permet d'être utiles, d'autant que les zones d'exploration deviendront de facto des zones d'intérêt à défendre, à protéger ou à surveiller. On peut donc imaginer un lien naturel entre intérêt économique et protection de ces zones pour éviter, par exemple, qu'elles ne soient pillées ou que des exactions ou des exploitations sauvages ne s'y déroulent, comme en matière de ressources halieutiques, domaine dans lequel la marine joue un rôle essentiel en matière de police.
Le SHOM est par ailleurs également impliqué dans le plan d'investissement France 2030, aux côtés de différents acteurs du ministère de la mer, du Secrétariat général de la mer, du ministère des armées, de l'IFREMER. Nous avons collectivement travaillé dans ce cadre à l'identification de missions qui nous semblent pertinentes afin de faire de ce plan un véritable levier pour développer les capacités innovantes nécessaires à l'exploration des grands fonds et acquérir des connaissances avec les moyens déjà disponibles ou qui seront développés.
Le rapporteur a évoqué le fait que 80 % à 95 % des grands fonds restent inconnus. Que peut-on dire de l'état de la recherche à travers le monde pour ce qui concerne les fonds marins ?
Quelles en sont les perspectives dans les années à venir ?
J'insiste sur le fait que ces chiffres concernent principalement des données de topographie du fond de la mer ou de bathymétrie. Or la topographie n'offre qu'une vision très parcellaire du fond. Cela revient à imaginer une carte de Google Earth sans couleurs. Nous ne disposons que de connaissances très parcellaires sur la nature des fonds.
Plus on se rapproche des côtes, mieux les fonds marins sont connus. Certaines zones ont, par ailleurs, été étudiées scientifiquement. Indépendamment de l'aspect quantitatif, les travaux menés sur l'océan ces dernières années nous ont permis de comprendre un certain nombre de choses fondamentales, en particulier sur les forces qui façonnent les fonds sous-marins en termes tectoniques ou d'érosion.
On en sait à présent beaucoup sur la manière dont des organismes survivent dans des conditions extrêmes, grâce à un inventaire des mécanismes biologiques.
Il nous reste beaucoup de choses à apprendre sur la dynamique des écosystèmes, en particulier sur les relations entre le cycle de vie de ces écosystèmes et les contraintes qu'ils subissent - effets de marées, saisonnalité. Ce sont des enjeux très importants pour la résilience des écosystèmes.
Ce sont des travaux essentiels auxquels nous contribuons tous ensemble, extrêmement stimulants sur le plan scientifique.
Aujourd'hui, on n'a évalué les ressources minérales sous-marines que dans des zones extrêmement réduites de la surface du globe, principalement dans les régions dans lesquelles l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a délivré des permis.
Nous savons aujourd'hui que des métaux - cobalt, nickel, cuivre et manganèse - se trouvent dans l'océan, en particulier dans la zone de Clarion-Clipperton.
Indépendamment des aspects quantitatifs, nous avons surtout une idée des régions qui restent à explorer. Cela peut paraître simpliste. Pour faire un parallèle facile, je dirais qu'on sait où trouver des forêts tropicales, mais c'est une chose de le savoir et une autre d'en évaluer la biodiversité. C'est la même chose dans l'océan, où l'on sait qu'il existe des probabilités de trouver un certain nombre de ressources, que l'on n'a quantifiées que dans les zones sous contrat AIFM.
On ne connaît aujourd'hui, pour être très optimiste, que 5 % de la biodiversité de l'océan profond. Les 95 % restant constituent forcément une source de richesse. Des innovations ont déjà été tirées des 5 % que l'on connaît, en matière de biomimétisme. Certaines espèces ont en effet développé des stratégies d'adaptation exploitables à des fins médicales. Par exemple, 10 % des tests PCR sont constitués de molécules extraites de zones situées à 1 700 ou 1 800 mètres de fond.
J'insiste sur le fait que les eaux profondes et l'atmosphère constituent un système couplé. On sait aujourd'hui que chaque élément de notre système terrestre est doté d'une fonction, mais on connaît très mal les fonctions des différentes composantes des systèmes des grands fonds.
Nous n'avons pas comme objectif de cartographier 100 % des fonds marins mais d'arriver à comprendre les fonctions, les couplages, les interdépendances et les interactions entre ces différentes composantes.
Les conditions de vie du fond des océans sont hostiles. Les taux de croissance sont très faibles par rapport aux milieux terrestres, et les organismes sont peu nombreux, mais la diversité est extrême d'après ce que l'on sait.
On connaît néanmoins les grandes fonctions de l'océan profond. C'est cet océan qui permet actuellement à la terre de se réchauffer moins vite, grâce au stockage de chaleur. Nous savons toutefois que lorsqu'on stocke de la chaleur dans les eaux profondes, on déstabilise un système, sans savoir jusqu'à quel point.
De même, on sait que l'océan stocke du carbone grâce aux micro-organismes présents à la surface, qui descendent ensuite au fond, une fois morts. Ce carbone est ensuite réutilisé dans la biosphère profonde, sans qu'on sache exactement comment. Il est très important de maîtriser ces mécanismes avant de perturber ces écosystèmes. Les populations locales détiennent aussi un certain nombre de connaissances liées à l'océan.
Nous devons considérer l'océan comme un système global qui nous concerne tous : les microplastiques se retrouvent dans les endroits les plus extrêmes de l'océan profond, jusqu'aux fosses de subduction, à 9 000 mètres ou 10 000 mètres de profondeur.
Il est par ailleurs très important, dans les décennies qui viennent, que la recherche sur le milieu naturel soit couplée avec une connaissance en sciences humaines plus approfondie, pour informer les politiques de manière responsable.
Comment vulgariser ces connaissances ? Leur transmission n'est pas un processus à sens unique mais un échange réciproque. Les chercheurs alimentent les connaissances, mais une mobilisation plus générale est nécessaire.
Le schéma projeté tend à faire comprendre les interactions qui existent entre les différents milieux qui constituent l'océan profond. Des transferts physiques et biologiques peuvent s'établir par le biais de la température ou de la densité de l'océan, les ressources minérales, qui intéressent particulièrement cette mission d'information, participant de ces interactions.
Les sources hydrothermales des dorsales ou celles qui se forment au fil des millions d'années par agrégation de métaux, à partir de l'eau de mer, sont des processus dans lesquels les micro-organismes sont impliqués à toutes les étapes.
Le but des programmes de recherche sur les grands fonds marins est de comprendre les interdépendances entre la vie, les roches, l'océan et l'atmosphère. C'est un enjeu majeur pour les sciences du climat, la planète et la vie, mais aussi pour fonder le cadre culturel, législatif et politique qui va permettre un usage durable des fonds marins.
Je souhaiterais revenir sur certains des points développés par Mathilde Cannat et, en premier lieu, sur la notion d'interdépendance. La notion de connectivité est essentielle dans le domaine des fonds marins. Cette connectivité, mal connue, est à la fois horizontale et verticale. Ce qui est fait à un endroit aura nécessairement un impact ailleurs.
On sait aussi que le temps, dans les grands fonds, est bien plus long qu'ailleurs dans l'océan ou sur terre. Les espèces, dotées de différentes fonctions, sont très peu nombreuses. Si on perd une espèce, on perd une fonction, et on peut totalement déstabiliser un écosystème. Il n'est donc pas possible d'évaluer l'impact d'une activité humaine sur les fonds marins. C'est aux politiques et aux législateurs de prendre leurs responsabilités. J'ai un avis, mais je n'ai pas à me prononcer sur ce sujet.
En tant que scientifique, nous sommes incapables d'évaluer l'impact des activités humaines dans les profondeurs. On ne sait pas combien de temps il faudra aux écosystèmes pour récupérer. C'est pourquoi un grand nombre de pays, d'acteurs et d'experts sont favorables à un moratoire en matière d'exploitation des fonds marins.
Il est important, en outre, d'admettre le découplage des notions d'exploration et d'exploitation.
La dernière intervention, à propos de la très faible résilience des grands fonds, était très intéressante.
Pourquoi connaît-on si mal l'océan ? Tout d'abord, nous n'y avons pas consacré assez de moyens, sans doute par manque d'intérêt. On s'intéresse aujourd'hui à l'océan en raison du changement climatique, de ses ressources minérales potentielles, des risques naturels de submersion, de tsunamis, etc., ou pour l'exploitation des énergies renouvelables.
La maritimisation des économies nous conduit à comprendre qu'il est temps pour la France de se donner les moyens de connaître les océans.
Cependant, pour mesurer l'océan, il faut s'y rendre. Certes, l'océan bénéficie de capacités d'observation depuis l'espace, mais les micro-ondes qui permettent, depuis un satellite, de traverser l'atmosphère, ne pénètrent pas dans l'océan - ou très mal -, ce qui nous prive de moyens performants pour réaliser un grand nombre de mesures sur les terres immergées.
Cela coûte également cher. Il faut se déplacer en bateau, avec un équipage, et parcourir des distances considérables. Tout cela explique pourquoi on connaît si mal ce milieu. La mesure des profondeurs n'en est qu'un des aspects. La gravimétrie et la nature des fonds sont encore moins bien connues.
De plus, cette connaissance est très mal répartie : elle est essentiellement focalisée sur les grandes routes de navigation et les littoraux, où se trouvent la majeure partie des activités humaines.
En outre, la question de la résolution joue également dans la connaissance de l'océan. Seuls 20 % de l'océan sont connus, selon le projet Seabed 2030 de la Fondation du Japon et de GEBCO (General Bathymetric Chart of the Oceans), dont les objectifs sont somme toute assez modestes en termes de résolution, et notoirement insuffisant si on prétend faire de l'analyse ou de l'exploration des fonds marins.
On n'aurait jamais retrouvé le sous-marin La Minerve, perdu en Méditerranée, avec de tels moyens d'exploration. Un sondeur bathymétrique, par 3 000 mètres de fond, donne un pixel de 30 mètres. Les morceaux de sous-marin répartis sur le fond étant inférieurs à cette maille de 30 mètres par 30 mètres, on n'avait aucune chance de pouvoir le découvrir depuis la surface. Cette notion de résolution est donc très importante. Pour certaines opérations, il faut se rapprocher du fond.
Enfin, pour rester sur le programme Seabed 2030, on est passé d'un niveau de connaissances très faible à un niveau de connaissance de 20 %. Ce n'est guère exceptionnel, mais cela représente une forte progression. On l'a fait assez facilement parce qu'il s'est agi, dans un premier temps, de décloisonner des données qui dormaient sur des disques durs de laboratoires.
Pour passer de 20 % à 100 %, il faudra continuer à décloisonner mais, pour l'essentiel, ce sont des données nouvelles qu'il faudra aller rechercher en mer, ce qui est long et coûteux.
Enfin, la vulgarisation n'est pas une spécialité du SHOM. Cela étant, on a fêté en 2020 les 300 ans de l'hydrographie française. On a organisé un certain nombre de manifestations en France et outre-mer pour promouvoir la connaissance des océans et les activités qui s'y déroulent. Cela a été l'occasion d'échanger avec les visiteurs des différentes expositions mises en place.
L'une des préoccupations du rapporteur portait sur l'état du partenariat avec les collectivités d'outre-mer. Quelles sont la situation à cet égard et les perspectives ?
Il faut essayer d'avoir des initiatives concrètes. Nous avons mis en place depuis six mois un comité regroupant, au sein de l'IFREMER, les parties prenantes qui conseillent la direction générale de l'outre-mer. Ce comité comprend des associations, des ONG, des représentants des pouvoirs publics territoriaux et des acteurs du milieu économique, avec des intérêts divergents et des regards différents sur les mêmes sujets.
Un regard extérieur sur ces sujets nous intéressait. C'est pour nous une façon de connaître les questions que se pose la société.
Cette initiative est très importante. À l'opposé du spectre, je ne dresserai pas la liste des actions de vulgarisation mises en place. La note que je vous transmettrai reprend un certain nombre de points portant sur des actions très concrètes d'interaction avec la société, que ce soit au niveau scolaire, associatif ou des sciences dites participatives.
L'inclusion des communautés locales dans la stratégie relative aux grands fonds marins est coordonnée par l'IRD qui a un vrai savoir-faire sur ces sujets, l'IFREMER et le CNRS étant également impliqués. Les expertises menées en Polynésie doivent nous conforter sur le fait qu'on va aller dans le bon sens. Je ne peux en dire plus aujourd'hui.
Une partie des UMR qui travaillent sur l'océan sont basées outre-mer. Par ailleurs, la majorité du potentiel de l'exploration française provient des fonds marins situés outre-mer.
Enfin, si on connaît encore très mal les interdépendances entre le fond, la surface, les cycles biologiques, écologiques, géochimiques, ainsi que ceux du carbone, on sait que le degré de dépendance des communautés d'outre-mer vis-à-vis de l'océan est bien plus important que dans la France continentale. Les outre-mer seront les premiers touchés en cas d'impact sur l'océan, et sont donc bien plus vulnérables.
Le rapporteur s'interrogeait sur les évolutions technologiques, notamment en termes d'outils de recherche. Que pouvez-vous en dire ?
Je me concentrerai sur trois acquis de ces dernières années, qui changent notre façon de faire de la science dans l'océan.
En premier lieu, notre capacité à démontrer qu'on est capable de monitorer les fonds marins sur le long terme, sur des périodes de plus de dix ans, dans des endroits comme les Açores, loin de toute base logistique, la capacité de réaliser des mesures en continu, constituent un acquis technologique qui nous permet de disposer des outils pour surveiller ce qui se passe dans ces environnements éloignés du point de vue de la géophysique et de la dynamique des écosystèmes.
Sans ces données, il est difficile de comprendre ce qui se passe, sauf à se reposer sur des campagnes très ponctuelles, avec des navires sur zone pendant un mois. On ne peut s'y rendre tous les ans. Disposer d'un observatoire continu de ce qui se passe à 1 700 mètres constitue un enjeu important. Nous avons accompli énormément de progrès durant les dix ans écoulés.
La seconde rupture est devant nous. Il s'agit de l'utilisation de plus en plus fréquente de câbles sous-marins, qui permet de réaliser des mesures géophysiques ou des mesures concernant la déformation du fond de la mer, voire d'y écouter les mammifères.
C'est une évolution technologique récente. En France, on dispose d'un tissu académique extrêmement performant et à la pointe des publications sur ce sujet. On a l'avantage de pouvoir s'appuyer sur un certain nombre de PME, voire d'ETI et sur quelques grands groupes, comme Alcatel Submarine Networks (ASN) et Orange marine.
La communauté scientifique est bien placée et cela va nous permettre, dans les années qui viennent, de réaliser énormément de progrès en matière de monitoring de l'océan. La communauté nationale est en train de développer un observatoire à Mayotte, qui utilisera très largement ces technologies qui vont nous permette d'accomplir des avancées significatives.
Un autre point à mentionner, en réponse aux difficultés d'accès rencontrées ces dernières années, concerne l'émergence de petits navires autonome de 10 à 20 mètres de long, capables de réaliser des mesures dans l'océan sur des périodes d'un an, en complète autonomie, dans des environnements extrêmement hostiles, dans les mers subpolaires.
Cela va nous permettre de disposer de nouveaux outils pour observer l'océan sur le long terme, en continu. Ce sera un vrai plus pour nous.
Je veux également signaler le développement extrêmement rapide d'outils de bio-logging. Il s'agit de microcapteurs permettant d'instrumenter des animaux marins. On sait déjà le faire sur des dauphins, des tortues ou des animaux conséquents, mais on voit de plus en plus émerger des outils qui nous permettront de suivre un certain nombre de plus petites espèces. Cela nous apprendra beaucoup sur celles-ci et, indirectement, sur la vie dans l'océan.
Les progrès technologiques les plus notables, ces dernières années, en matière de compréhension du milieu océanique, portent sur le monitoring.
Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre les fonctions de ces systèmes marins, que ce soit dans la colonne d'eau, sur et sous le fond, et la diversité des organismes. On doit pouvoir observer ces fonctions dans la durée pour les comprendre, et pas seulement pendant quelques semaines avec un submersible.
Il est donc nécessaire de développer des capteurs et des instruments de communication. L'IFREMER est en pointe au niveau européen et sans doute mondial sur ce plan. Énormément de recherches très innovantes sont menées au CNRS sur des capteurs, mais que veut-on capter ? On aimerait, par exemple, pouvoir mesurer en continu le chlore dans les systèmes hydrothermaux, mais on ne dispose pas de capteurs pour le faire. Cela nécessite des travaux de recherche impliquant beaucoup de petites entreprises.
Un des espoirs de la recherche sur les grands fonds repose sur le développement d'un écosystème d'entreprises françaises et européennes, qui existent déjà pour certaines. Le monitoring représente un fort potentiel pour ces entreprises, dans les grands fonds, comme dans les aires marines protégées.
Comment organiser ce monitoring ? Il faut définir quel paramètre surveiller et trouver le bon capteur, mais aussi rendre la donnée compréhensible. Cela implique des innovations technologiques dans le domaine des logiciels, de l'intelligence artificielle, du traitement des données, etc.
On parle beaucoup des ressources minérales. Je travaille pour ma part sur les systèmes de sources chaudes sous-marines. On sait par exemple que des moules vivent à 1 700 mètres de profondeur grâce aux tapis bactériens sur lesquels elles reposent, qui sont capables de générer de la matière organique à partir des éléments qui sortent des fluides.
On sait aussi que ces écosystèmes évoluent très lentement. Il existe des projets européens destinés à estimer leur résilience, dans l'hypothèse d'une présence de sulfures. On pensait que les moules qui s'y trouvaient allaient recoloniser facilement le milieu. En fait, il n'en est rien trois ou quatre ans après.
La clé consiste à développer des systèmes de monitoring afin de pouvoir mesurer des paramètres de plus en plus complexes. On peut même envisager des capteurs permettant de réaliser des recherches génétiques in situ avant traitement.
Les recherches que nous voulons mener sur ces interconnexions, ces interdépendances et ces fonctions de l'océan profond vont nous amener à constituer de nouveaux consortiums de recherche multidisciplinaires. Il faut en effet attirer davantage de personnes si on lance des programmes plus importants et aller chercher des collègues dans d'autres laboratoires.
Il est en particulier nécessaire d'associer à un degré inédit les sciences de la nature, l'ingénierie et les sciences humaines et sociales. Un des enjeux réside dans le fait que nos sociétés s'approprient les océans de la même manière que l'on s'approprie d'autres écosystèmes, comme les champs, les prés, les montagnes, dont chacun se sent partie prenante.
Il ne s'agit pas seulement de vulgarisation : il faut que les politiques puissent, en connaissance de cause, prendre des décisions qui s'imposent.
Ceci va avoir pour effet, premièrement, de fournir un cadre de connaissance pour permettre une approche durable de l'exploration des ressources des grands fonds. Selon ce qu'on décidera, on disposera des outils pour être les moins destructeurs possible. Cela permettra d'orienter les politiques de préservation.
Deuxièmement, des solutions transférables au secteur industriel au sens large pour le monitoring des environnements marins vont être développées. Des contrats devront être passés avec des entreprises pour le management d'aires marines protégées et de sites industriels - parcs éoliens, infrastructures extractives, etc.
Troisièmement, des solutions elles aussi transférables au secteur industriel pour l'exploration sous-marine multiparamètres vont être développées - géophysiques, chimiques, biologiques et de haute résolution, caractérisation de la ZEE, prospections, études de sites, etc.
La recherche en amont que nous proposons de mener va permettre de nourrir toutes ces actions en faveur des océans profonds dans les années qui viennent.
Monsieur Kerléguer, pouvez-vous évoquer la synergie entre le ministère des armées, la recherche de ressources minérales et France 2030, en complétant le cas échéant les sujets qui viennent d'être évoqués par les représentants du CNRS et de l'IFREMER ?
Des potentialités nouvelles et de nouveaux engins autonomes vont permettre de démultiplier la capacité d'action à la mer, et c'est essentiel. Il y a du « pain sur la planche », et il sera extrêmement pertinent de pouvoir recourir à tous ces moyens innovants.
Il faut cependant savoir que ceci va générer des tombereaux de données. Les unités de compte vont changer. On n'est déjà plus sur du gigaoctet, mais plutôt sur du téraoctet, et cela va encore se renforcer.
En parallèle, il va falloir travailler sur nos capacités d'analyse et de traitement de ces données. Cela nécessite beaucoup d'efforts d'innovation et d'imagination pour améliorer la performance des traitements - c'est ce que l'on appelle le big data ou traitement de données massives - et recourir aux techniques d'intelligence artificielle.
Le rôle des armées dans la stratégie de maîtrise des fonds marins, en cours d'élaboration, n'est pas orthogonal par rapport à la stratégie nationale relative aux grands fonds ou à France 2030. Tout ce qui va être développé grâce aux investissements de France 2030 en matière de capacités d'exploration sera réutilisé par les armées.
La maîtrise des fonds marins, vue depuis le ministère des armées, constitue une problématique qui monte fortement en puissance par rapport aux menaces identifiées sur les câbles sous-marins, dont Jean-Marc Daniel nous a dit qu'ils pouvaient constituer de très précieux capteurs destinés aux mesures dans l'océan. Ce sont aussi des infrastructures potentiellement sous menace. C'est pourquoi le ministère des armées se dote d'une stratégie dans ce domaine.
Toutes ces capacités seront également utiles pour explorer et défendre des zones d'intérêt dans le cadre de l'exploration et de l'exploitation des fonds marins.
Je partage tout ce qui a été dit à propos du fait qu'il convient de veiller à ne pas déstabiliser un écosystème qui peut être très utile, et dont la destruction entraînerait de graves conséquences. En tant que politiques, nous avons besoin de vous pour nous éclairer et nous informer.
Qu'en est-il de l'exploration des fonds marins dans des environnements extrêmes, comme l'Arctique et l'Antarctique ?
Vous avez indiqué que des partenaires européens étaient engagés à vos côtés. Qu'en est-il des chercheurs d'autres pays étrangers ? Travaillez-vous avec eux ?
Il existe une multiplicité d'acteurs et d'organismes, comme le département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASM), qui travaille dans l'archéologie sous-marine et qui est lui aussi doté de moyens techniques, les pétroliers ou encore la direction générale de l'armement (DGA). L'exploration et l'exploitation des fonds marins intéressent beaucoup de monde, notamment dans le domaine de la mesure, de l'instrumentation et du traitement des données, mais aussi de la robotique sous-marine.
Avez-vous l'impression qu'une véritable task force soit mobilisée autour de tous ces enjeux, ou des progrès restent-ils à accomplir pour fédérer tous les acteurs et affirmer une ambition technologique dans ce domaine pour se doter de moyens et d'équipements qui puissent permettre l'exploration et l'exploitation des fonds marins ?
Merci de nous apporter votre éclairage sur la grande fragilité et la faible capacité de régénération des fonds marins, que nous pressentions déjà.
Je recourrai à la théorie du dé à coudre pour exprimer mon idée. Si vous remplissez un dé à coudre avec un élément perturbateur et que vous le versez dans un verre d'eau ou une piscine olympique, cela n'aura pas les mêmes conséquences sur l'environnement. On pourra avoir des conséquences locales, sans que cela ne crée trop de problématiques dans la piscine olympique.
Une exploitation localisée aura peut-être des conséquences sur un cadre délimité, mais peut-on considérer que cela peut entrer dans le domaine l'acceptabilité au regard de l'immensité de l'océan ? Comment jugez-vous le facteur risque-intérêt ? Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
Enfin, comment les technologies européennes peuvent-elles se positionner par rapport aux États-Unis, à la Chine, au Japon et aux autres grands acteurs ?
En tant que chercheuse, je ne peux définir l'acceptabilité. C'est une décision politique qui vous revient. Notre travail est de vous informer du mieux possible pour que vous preniez ensuite la responsabilité de déterminer ce qui est acceptable ou non.
Demander aux scientifiques de se prononcer sur l'acceptabilité risquerait de les mettre en porte-à-faux et de leur donner une importance qu'ils ne doivent pas avoir.
Vous vous interrogez pour savoir si l'intervention sur les grands fonds marins aura ou non un impact. Elle aura un impact, c'est certain ! L'effet sera localisé, mais en intervenant à plusieurs endroits, plusieurs sites seront touchés - d'autant que nous ne serons pas seuls.
On sait que les ressources des fonds marins et les interactions sont très limitées, mais on connaît très mal la façon dont la vie s'y organise. Ce qui se passe à un endroit va nécessairement avoir un impact sur d'autres lieux du fait de la très grande connectivité de ces zones.
Quant au ratio coût-bénéfice, on ne peut l'établir de façon argumentée et scientifique. On commence seulement à se rendre compte de l'impact de notre action sur les écosystèmes terrestres sur notre santé, notre bien-être et notre façon de fonctionner. Dans les océans, on en est encore très loin, mais on sait que le coût sera élevé.
Je partage ce qui vient d'être dit. En tant que scientifique, j'ai besoin de réaliser des expériences. C'est pourquoi le démonstrateur est un vrai sujet, pour plusieurs raisons. On est aujourd'hui incapable de prédire les caractéristiques du panache de sédiments qu'on remet en suspension à 5 500 mètres de fond. Sans expériences, on ne pourra obtenir de réponse scientifique.
Or beaucoup de questions portent sur le rôle de pompe à carbone de ces environnements. C'est un enjeu important en termes de connaissances. Travailler dans ces environnements constitue un moyen d'acquérir des connaissances sur l'impact que ces actions peuvent avoir sur les écosystèmes et de savoir comment engager les discussions avec les différentes sociétés humaines impliquées.
Par ailleurs, il est important de travailler sur ces questions au niveau européen a minima. La mobilisation sur ces sujets est réelle. Nous travaillons principalement avec des Allemands, des Norvégiens, des Espagnols et des Portugais. À l'échelle internationale, l'IFREMER a beaucoup d'interactions avec le Japon, qui est un acteur majeur dans le Pacifique, en particulier concernant les observatoires des fonds marins.
Lorsqu'on travaille dans ces environnements, on a évidemment des relations avec les industriels français. Le nouveau drone sous-marin que l'IFREMER est en train de développer résulte d'une collaboration entre des technologues de l'IFREMER, Carobotix et la société iXblue. On ne pourrait faire cela seul et, pour nous, ce ne serait pas pertinent.
Une des valeurs du programme France 2030 est d'associer un certain nombre de sociétés, en bonne interaction au niveau français. La France compte des sociétés qui se trouvent au premier rang mondial sur ses sujets. Mais il existe aussi des lacunes dont il faut avoir conscience.
Par exemple, pour le sondeur multi-faisceau, qui permet d'effectuer la bathymétrie, on se repose uniquement sur des sociétés étrangères. On a le savoir-faire, mais la référence est étrangère.
De façon plus anecdotique, on n'a pas non plus de motoriste pour les petits engins. Tous les moteurs proviennent de l'étranger, en particulier des États-Unis. C'est une faiblesse qu'il faut avoir à l'esprit.
Il s'agit souvent de marchés de niche, mais il existe en France un certain nombre d'acteurs relativement bien positionnés. Nous essayons, dans le cadre de France 2030, de faire en sorte que ces gens-là se parlent et arrivent à fournir une offre cohérente. Si on y parvient, ce sera un véritable plus.
Il faut probablement transformer ces niches en quelque chose de plus important.
La fragilité de l'environnement nous oblige, d'une certaine façon. Il faut être conscient que si l'on ne fait rien, d'autres s'en chargeront, sans doute avec des méthodes plus expéditives.
La fragilité de l'environnement ne doit pas nous interdire de nous y intéresser, bien au contraire. Il faut que la France et l'Europe montrent la façon de faire, avant que d'autres nations, peut-être moins soucieuses du respect de l'environnement, ne conduisent ces explorations « à la hussarde ».
Quant aux industriels, ils sont déjà assez bien mobilisés aujourd'hui. Peut-être attendent-ils d'avoir une visibilité en termes de commandes. De ce point de vue, des plans d'investissement comme France 2030 sont des opportunités pour permettre à certains qui ont déjà un grand savoir-faire et disposent d'outils très intéressants de se saisir de marchés internationaux qui contribueront à leur croissance.
La connaissance des océans profonds constitue un enjeu pour l'humanité. Ce sont des machines à climat et à carbone. Il s'agit d'une terra incognita dont les fonctions nous concernent.
C'est une chance de transformer ces marchés de niche que constituent les capteurs ou les outils d'exploration en marchés plus conséquents. Si on décide de protéger des aires marines sur une partie de la surface du globe et de les exploiter de manière responsable, il va valoir monitorer ce que l'on fait et disposer d'études très précises.
Un des enjeux de France 2030 est d'initier un mouvement qui a vocation à se développer.
Les postulats préalables concernant Clarion-Clipperton ont-ils été vérifiés ? Le potentiel de la zone se confirme-t-il ? J'entends ce qui a été dit à propos de l'exploration, de l'exploitation et des dangers éventuels de modifier l'écosystème et des fonctions qu'on ne maîtrise que très partiellement aujourd'hui, mais peut-on tirer un bilan et des perspectives dans cette zone ? Comment cela peut-il éclairer notre approche de la question ?
Je ne parlerai ici que du contrat français, qui est celui que nous connaissons le mieux. Certaines ressources en termes de cobalt, nickel, cuivre et manganèse atteignent des taux comparables à ce qu'on peut trouver dans des mines à terre.
La difficulté - et c'est l'enjeu des travaux en cours - vient du fait que, pour passer de cette ressource à des réserves utilisables, un certain nombre de choses nous manquent aujourd'hui.
Tout d'abord, il faut être en mesure de définir à quel coût environnemental on va pouvoir produire ces ressources. C'est toute la fragilité du bilan économique en la matière.
Pour la France, l'enjeu est de travailler sur la description détaillée d'un certain nombre de zones cibles qu'on a sélectionnées parmi les 75 000 kilomètres carrés du contrat. Ce travail est en cours. L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) vient de renouveler le contrat. Les enjeux sont principalement biologiques : on estime qu'on a aujourd'hui fait le tour de la question d'un point de vue géologique.
Un mot sur les ressources minérales qu'on trouve sur les dorsales. On en sait beaucoup moins sur l'évaluation de la ressource dans ce domaine. On sera plutôt sur des minéraux différents. Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre la dynamique des sources d'hydrogène qu'on a détectées et de dresser des bilans un peu plus propres que ceux dont on dispose actuellement.
S'agissant du contexte international, un certain nombre d'acteurs ont des rythmes d'exploration bien plus importants que les nôtres. Nous sommes quant à nous capables de réaliser une campagne tous les cinq ans sur Clarion-Clipperton. Les industriels mobilisés autour de ces contrats sont plutôt, ces dernières années, sur des rythmes de trois à quatre campagnes par an.
Un certain nombre d'industriels sont en train d'acquérir des données qui, pour certaines, ont été collectées dans la durée, mais ils font tout pour pouvoir déposer, d'ici à deux ou trois ans, de licences d'exploitation. Ce n'est pas la position de l'IFREMER ni l'état d'esprit des discussions que l'on a avec l'État français, mais il faut avoir conscience de ce panorama. C'est moins vrai pour les autres types de ressources.
L'acteur moteur à ce sujet est le groupe hollando-belge GSR. Le second est un groupe disposant de capitaux nord-américains, The Metals Company. C'est une société très compliquée à décrypter, qui a une vision très capitalistique. Elle mène beaucoup d'actions en mer et communique beaucoup.
Les Chinois sont très allants, mais ils sont assez secrets. Ils mènent beaucoup de campagnes dans la zone.
La France fait partie des investisseurs pionniers, au même titre que les Chinois, GSR ou les Anglais. L'année dernière, on a pris le parti de dire qu'on n'était pas prêt à déposer un permis d'exploitation : en effet, aujourd'hui, le règlement d'exploitation n'est pas disponible. Il est donc compliqué de s'engager.
Parmi les points de friction figurent deux sujets principaux. Le premier porte sur les mesures à prendre en termes de monitoring concernant l'impact des activités. Le second est de savoir comment faire bénéficier les pays en voie de développement ou les petits États des revenus que tireront un certain nombre de grands État qui ont les moyens de s'engager dans ces activités, afin d'en redistribuer une partie à la communauté internationale. Tant que ces deux points ne sont pas traités, l'économie du système est difficilement accessible.
Peut-il pour vous y avoir un élément de différenciation entre ce qui appartient à la zone économique exclusive (ZEE) et ce qui ne lui appartient pas ?
Tout ce dont j'ai parlé concerne les eaux internationales. Dans les ZEE, c'est à chacun des États de régler le problème. Les règlements peuvent être très différents d'un État à l'autre.
Vous paraîtrait-il intéressant qu'il puisse y avoir un axe de recherche dans la ZEE de Clarion-Clipperton ? C'est à proximité.
On a déjà beaucoup de travaux à réaliser sur les eaux internationales. Tant que les choses ne seront pas réglées dans ce secteur, il sera très compliqué d'avancer ailleurs.
Pardonnez-moi d'insister sur le sujet concernant les États océaniens insulaires : il ne faut bien évidemment pas exclure les ZEE de nos collectivités d'outre-mer, y compris au plan international.
Dans certains programmes internationaux européens et régionaux, les États voisins sont davantage soutenus concernant des problématiques insulaires que nos propres collectivités.
Je ne suis pas dans une démarche de revendication, mais j'appelle à ce que, sur le plan de la coopération dans le Pacifique, nos territoires ultramarins ne soient pas oubliés.
Une forme de course est engagée dans la zone internationale du fait de la pression de nations compétitives. Le secrétaire général adjoint à la mer nous a dit que nos ZEE seraient, pour reprendre son expression « étudiées dans une seconde étape du fait de la maîtrise liée à la souveraineté française ».
Néanmoins, il est souhaitable que, dans cette course internationale, davantage de protection et d'outils de recherche puissent être développés sur zone et au sein de nos collectivités. Je lance un appel au partage de ces développements dans nos territoires. On se souvient de l'exemple malheureux de Wallis et Futuna. Il est très important de considérer les problématiques des ZEE du Pacifique bien en amont.
Je propose que les autres questions techniques puissent être adressées par écrit à nos invités.
C'est une très bonne suggestion. Notre déplacement à Brest pour rencontrer l'IFREMER nous permettra également de rencontrer le SHOM et de mesurer la matérialité des équipes de recherche pluridisciplinaires mixtes du CNRS.
Sont-elles nombreuses à travailler sur les grands fonds marins ?
Toutes les UMR dont l'IFREMER est partenaire ont, par définition, le milieu marin comme sujet d'études. Vous pourrez les rencontrer à Brest. Dans presque tous les grands centres universitaires, une ou plusieurs équipes, dans une vaste gamme de disciplines, mènent des actions en rapport avec la mer. Environ 2 000 personnes utilisent les moyens de la flotte océanographique française.
Un groupement de recherche (GdR) s'est lancé dans l'étude du milieu marin. Il couvre un nombre considérable de thématiques. Une évaluation des forces de la recherche française par grandes thématiques est en cours. Nous serons donc en mesure de vous dire précisément combien de chercheurs travaillent sur les grands fonds, où ils se trouvent, ce qu'ils publient, etc.
Considérez-vous que les moyens que nous dédions à cette question importante sont satisfaisants au regard de ce que font d'autres pays voisins ?
Nous sommes dans une bonne moyenne.
L'Allemagne a, depuis une vingtaine d'années, réalisé un effort de recherche tous azimuts bien plus conséquent que la France, pas seulement sur les grands fonds.
Mais la France peut être fière de la dynamique qu'elle déploie autour de ces sujets. On a une multiplicité d'organismes. Nous travaillons de concert, et c'est ce qui fait notre force.
La recherche française en général n'est pas bien dotée - et cela ne s'arrange pas -, mais la recherche sur les grands fonds n'est pas plus mal dotée que les autres. Les chercheurs français qui réalisaient leur thèse ou leur post-doctorat aux États-Unis dans les années 1960 ont été parties prenantes dans la découverte des grands fonds et de la tectonique des plaques. À leur retour en France, ils ont fait le forcing pour créer le CNEXO, dont est issu l'IFREMER. C'est un support important qui nous confère une certaine force de frappe.
Une des forces de la communauté française, au sens large, est d'être très interfacée avec l'international. Nous sommes de ce fait très visibles.
Nous sommes cependant tellement bien interfacés que nous sommes extrêmement sollicités, ce qui mobilise des moyens. Nous ne sommes pas plus à plaindre que d'autres, mais c'est un sujet de tension pour nous.
Un des avantages de cette communauté est de savoir s'organiser pour être bien visible dans un certain nombre d'instances internationales. Lorsque des projets de recherche se montent, on vient souvent chercher l'IFREMER, entre autres, pour y participer.
Il est intéressant de remarquer que l'AIFM ne sait pas comment monitorer l'impact environnemental par rapport au cadre d'exploitation. Le but de la recherche en amont est précisément de trouver les bons paramètres. En développant cette recherche de façon ambitieuse, on va former de jeunes chercheurs et renforcer nos capacités.
Certains pourront trouver des débouchés dans des entreprises qui proposeront des prestations de service en management des océans.
Des moyens ont été récemment dédiés aux programmes d'investissements d'avenir (PIA) dans le domaine de la recherche maritime. Ils sont ciblés dans le programme France 2030, une grande part étant réservée à l'espace et une partie non négligeable aux océans.
La mobilisation de ces fonds a-t-elle été facile ou ceci a-t-il constitué pour vous un problème ? Des obstacles empêchent-ils de concrétiser des projets de recherche intéressants portant sur les grands fonds ?
Un certain nombre d'outils du PIA 3 ont été facilement mobilisés en faveur d'actions principalement liées aux équipements pour la recherche.
Il est prévu de créer un observatoire sous-marin permanent à Mayotte. Un autre projet concerne une partie des équipements dont la flotte océanographique française aura besoin à brève échéance pour un certain nombre d'interventions dans les grands fonds. D'autres financements sont plus compliqués à mobiliser, en particulier celui concernant le programme de recherche que nous portons avec Mathilde Cannat et avec Pierre-Yves Le Meur, de l'IRD.
Une autre question fera l'objet de beaucoup d'attention dans les mois qui viennent. Elle a été soulevée par Laurent Kerléguer. Selon moi, l'enjeu de France 2030 est de stimuler le tissu industriel français et faire en sorte que les industriels aient une certaine visibilité sur les actions qu'on attend d'eux, afin d'être capables de se coordonner pour répondre à ces besoins et sortir du marché de niche en créant une offre française plus visible.
Un véritable travail de fond reste à faire pour savoir s'il faut ou non recourir à la commande publique. Je travaille sur le sujet avec Xavier Grison : c'est un point important.
L'enjeu du monitoring de l'océan concerne typiquement les territoires d'outre-mer. Je le vis quotidiennement depuis deux ans avec les questions qui se posent en Nouvelle-Calédonie. On parle beaucoup de réserves naturelles et de parcs marins mais, en pratique, nous ne sommes pas bien dimensionnés. C'est une chance pour les outre-mer que cette activité soit difficilement délocalisable.
On peut bien entendu faire plein de choses à partir de satellites, mais des actions locales sont cependant nécessaires.
Le problème est bien posé. La stratégie du ministère des armées ou le plan France 2030 constituent des opportunités qu'il nous faut saisir pour avancer. Le SHOM y prendra sa part, avec son expérience des opérations à la mer et les moyens dont il dispose grâce à la marine.
Merci à tous. Quelques questions plus précises vous seront adressées à propos des sujets que vous n'avez pu aborder.