Je dois d'abord vous prier de bien vouloir excuser M. Pierre Moscovici, président du CPO, qui n'a pas pu être présent ce matin. Vous aviez eu l'occasion de l'entendre le 12 octobre dernier, en sa qualité de Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation des « scénarios de financement des collectivités locales », et il avait pu mesurer lors de cette audition le vif intérêt que soulève au sein de votre commission le sujet du « zéro artificialisation nette » des sols, qui nous réunit aujourd'hui. Je suis venu ce matin, accompagné de Christophe Strassel, conseiller maître et secrétaire général du CPO, ainsi que des rapporteurs : Mme Claire Falzone, conseillère référendaire en service extraordinaire et M. David Carmier, conseiller référendaire.
J'ai grand plaisir à vous présenter aujourd'hui les conclusions de l'étude que vous avez commandée au CPO sur « la fiscalité locale dans la perspective du ZAN ». Il y a plusieurs raisons à cela.
La première d'entre elles réside dans le caractère novateur de la procédure par laquelle vous avez bien voulu saisir le CPO. Il s'agit en effet de la première utilisation de l'article L. 331-3 modifié du code des juridictions financières qui prévoit que le CPO « peut être saisi pour avis, (...) en vue d'apprécier les incidences économiques, sociales, budgétaires et financières de toute modification de la législation ou de la réglementation en matière d'impositions de toutes natures ou de cotisations sociales. Les résultats de ces études et avis (...) sont rendus publics ». Introduite par la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques, cette nouvelle compétence est doublement ambitieuse. Tout d'abord, par sa portée sur la formulation des politiques publiques d'abord, puisqu'elle permet au CPO d'intervenir en amont des décisions de politiques fiscales et de prélèvements sociaux afin de les éclairer, et plus seulement, comme cela était le cas jusqu'à présent, en aval de ces décisions pour faire des évaluations et recommander des correctifs. Ensuite, par les délais de réalisation des rapports concernés. Même si la loi n'impose rien au CPO dans ce domaine, nous avons souhaité pouvoir nous mettre en situation de répondre à ces saisines dans un délai de trois mois, afin d'inscrire les réflexions du CPO dans le temps de la décision politique, c'est-à-dire en l'occurrence de l'examen du projet de loi de finances par votre haute assemblée. Nous espérons, à l'occasion de ce premier rapport, attester de l'intérêt de cette procédure pour éclairer les choix politiques en matière de prélèvements obligatoires.
La deuxième raison pour laquelle je me réjouis d'être devant vous ce matin, vient de ce que le sujet sur lequel vous avez sollicité l'expertise du CPO concerne l'environnement. Dans les années qui viennent, les prélèvements obligatoires seront mobilisés de plus en plus souvent pour faire face aux enjeux liés à la transition énergétique et climatique. Dans ce domaine complexe de la fiscalité environnementale, presque taboue depuis la crise des gilets jaunes et le quasi abandon de la taxe carbone, le CPO souhaite contribuer à la définition d'une stratégie qui permette un infléchissement effectif des comportements, ce qui suppose que les instruments mis en oeuvre soient à la fois pertinents sur le plan technique, mais aussi acceptables pour nos concitoyens et pour les entreprises.
Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui porte sur « la fiscalité locale dans la perspective du ZAN », avec ses deux jalons que vous connaissez bien. De 2021 à 2031, le rythme d'artificialisation des espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) doit être divisé par deux par rapport au rythme de la consommation réelle de ces espaces observée sur les dix années précédentes. D'ici 2050, la France doit atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette des sols.
Vous nous avez fait parvenir la commande de votre commission par votre lettre du 8 juin dernier. Comme je l'indiquais précédemment, nous avons souhaité pouvoir vous répondre en moins de trois mois, afin de rester dans le calendrier de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Pendant cette période, une cinquantaine d'entretiens ont pu être réalisés par l'équipe de rapporteurs auprès des différentes parties prenantes : administrations, collectivités territoriales, organisations professionnelles, entreprises. Ces entretiens ont été décisifs pour nous permettre de faire progresser notre réflexion puisqu'il n'existe aujourd'hui que très peu de littérature administrative et académique sur le ZAN, qui reste encore un sujet très neuf, y compris chez nos partenaires européens. Nous avons souhaité rester au plus près de vos préoccupations en organisant plusieurs temps d'échange avec votre rapporteur général et le sénateur Blanc, que je remercie pour leur disponibilité. Les réponses attendues du CPO portaient essentiellement sur deux questions : est-ce que l'objectif ZAN va modifier les équilibres financiers des collectivités territoriales et de leurs groupements, et si oui, quels ajustements peuvent-ils être envisagés ? La fiscalité locale peut-elle envoyer un signal prix aux acteurs économiques pour faciliter l'atteinte de l'objectif ZAN, et, si oui, quelles modifications doivent-elles y être apportées ?
Nos réponses à ces questions sont séquencées dans le temps et distinguent les mesures qui peuvent être envisagées à court terme et celles qui concernent des évolutions à moyen ou à long terme.
En termes de périmètre, notre étude a porté sur les prélèvements fiscaux locaux les plus susceptibles de jouer un rôle dans les comportements d'artificialisation des sols : les taxes foncières, la cotisation foncière des entreprises (CFE), la taxe d'aménagement, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), la taxe d'habitation sur les logements vacants, la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, la taxe sur les friches commerciales et les taxes spéciales d'équipement. Ce périmètre représentait, en 2021, 65 milliards d'euros de recettes, soit un peu plus du tiers de l'ensemble des impositions de toute nature, affectées aux collectivités locales ou collectées par elles. Nous avons exclu la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) parce qu'un rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat avait fait un tour très complet du sujet en liaison avec les parties prenantes.
Partant de ce périmètre de prélèvements, notre réflexion a abouti aux trois grands messages suivants.
Tout d'abord, la fiscalité locale n'est pas responsable à titre principal de l'artificialisation, mais elle peut devenir un outil plus efficace au service de l'objectif ZAN.
Ensuite, un changement de paradigme pour adapter la fiscalité locale au ZAN est souhaitable.
Enfin, des travaux complémentaires sont nécessaires avant de conférer un rôle plus important à la fiscalité locale dans la mise en oeuvre du ZAN.
Concernant le premier constat, il nous semble important de souligner avec force que la fiscalité locale, telle qu'elle se présente aujourd'hui, est un déterminant très marginal dans les décisions qui conduisent à artificialiser des sols. Un rapport conjoint de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFFSTAR), qui constitue la principale analyse fiable à cet égard, aboutit sans ambiguïté à cette conclusion. Il montre notamment que le poids économique de la fiscalité locale - qui représente, par exemple, 5 % des charges dans une opération immobilière - ne peut avoir pour effet d'influencer de manière significative les décisions d'artificialisation. À l'inverse, la fiscalité locale n'incite pas davantage à lutter contre l'artificialisation des sols. Il n'y a, en effet, dans notre panoplie fiscale aucun instrument qui aurait pour effet d'inciter à la renaturalisation des sols, ou encore, à la conservation en l'état d'une parcelle non artificialisée.
De ces premiers constats, le CPO tire une première série de recommandations, tendant à mettre en oeuvre des dispositifs fiscaux ciblés favorables à l'objectif ZAN.
Les deux premières recommandations visent à utiliser la fiscalité pour limiter la vacance des habitations et réguler les résidences secondaires, afin de répondre à la demande croissante de logements.
Pour cela, il est proposé, en premier lieu, de supprimer le critère du nombre d'habitants, qui est fixé actuellement à 50 000, pour la taxe sur les logements vacants, tout en conservant le critère de tension sur le marché immobilier. La suppression du critère du nombre d'habitants est également proposée, pour la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.
En deuxième lieu, il est proposé de fusionner les deux taxes sur les logements vacants en une taxe unique qui serait transformée en impôt local.
Une troisième recommandation vise à mieux sensibiliser les collectivités locales aux outils existants pour lutter contre l'artificialisation, ces outils restant souvent mal connus et, en définitive, peu utilisés lorsqu'ils existent. Pour cela, il est proposé d'inscrire à l'ordre du jour des assemblées municipales et communautaires, dans le cadre du rapport triennal sur l'artificialisation des sols, un débat portant sur le recours aux instruments fiscaux concourant à l'objectif ZAN.
Une quatrième recommandation porte sur les exonérations et abattements appliqués à la fiscalité locale, qui devraient être mise en cohérence avec l'objectif ZAN, en étant réservés aux opérations non artificialisantes. Plus précisément, le CPO recommande de réserver les exonérations de taxes locales aux opérations sur zones déjà artificialisées, en particulier les opérations de recyclage urbain.
Toutes les mesures qui viennent d'être énumérées présentent comme caractéristique de pouvoir être mises en oeuvre rapidement.
Dans un deuxième temps de sa réflexion, le CPO a souhaité proposer des orientations à plus long terme. La logique générale de ces recommandations est de taxer, pour les mutualiser, les rentes qui seront engendrées par un foncier plus rare. Ainsi, du fait de la mise en oeuvre de l'objectif ZAN, le prix des terrains nus devenus constructibles risque d'augmenter dans des proportions importantes. C'est pourquoi le CPO propose d'augmenter le taux de la taxe locale sur les plus-values de cessions de terrains nus rendus constructibles et d'envisager la suppression de la clause dite des « 18 ans », au-delà de laquelle ces plus-values sont aujourd'hui exonérées.
Le CPO a par ailleurs considéré que le ZAN allait entraîner des différences importantes dans la dynamique des recettes foncières des collectivités locales. En effet, ce sont non seulement les taxes foncières qui vont évoluer différemment en fonction de la répartition des espaces constructibles sur le territoire, mais aussi la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui est aujourd'hui directement corrélée au développement des communes. Pour les communes éligibles, environ 4 200 en 2021, la DGF est déterminée en fonction du potentiel financier, de l'effort fiscal, de la population et du classement en zone de revitalisation rurale, lequel majore de 30 % l'attribution perçue.
En conséquence, le CPO attire dès à présent l'attention sur la nécessité d'intégrer les effets du ZAN dans les mécanismes de solidarité horizontaux et verticaux, à destination des collectivités et de leurs groupements.
Dans le même esprit, le CPO recommande d'intégrer les conséquences du ZAN dans la réflexion en cours sur la refonte du système de financement des collectivités locales. Ainsi, il est proposé, d'une part, d'envisager l'affectation des DMTO au bloc communal, comme la Cour l'a proposé dans le rapport qui vous a été présenté il y a 15 jours, et d'étudier la pertinence de taux variables de DMTO en fonction du caractère artificialisant des opérations immobilières. Il est proposé d'autre part d'intégrer les conséquences du ZAN dans les projections réalisées pour la réforme des bases locatives cadastrales et d'envisager des mesures de correction ou de compensation si les résultats vont dans un sens contraire à l'objectif.
Dans un troisième temps de sa réflexion, le CPO a exploré les sujets sur lesquels des travaux complémentaires sont nécessaires avant de pouvoir donner un rôle plus important à la fiscalité locale dans la mise en oeuvre du ZAN.
Tout d'abord, un chiffrage des impacts financiers du ZAN pour l'ensemble des parties prenantes (collectivités, État, entreprises, ménages) reste à réaliser. Pour le moment, seule existe une étude très partielle du cabinet Carbone 4 pour le compte de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui chiffre le coût de réhabilitation des friches commerciales dans une fourchette comprise entre 77 et 106 milliards d'euros. C'est intéressant, mais évidemment trop partiel. C'est pourquoi le CPO insiste sur la nécessité de ce travail de chiffrage, qui devrait être confié aux administrations compétentes qui seraient également chargées d'identifier les pistes de financement de ces coûts.
Par ailleurs, en l'absence d'un tel chiffrage, le CPO a considéré que toute réflexion sur une « taxe ZAN » serait très prématurée. En revanche, il recommande d'étudier l'extension de la couverture géographique des établissements fonciers à l'ensemble du territoire national - cela concerne deux régions - Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire -, ainsi que celle de la taxe spéciale d'équipement affectée à leur financement.
Enfin, le CPO recommande d'étudier la pertinence d'un système de bonus-malus dans le calcul de la taxe d'aménagement pour favoriser les opérations de dépollution ou de réaménagement et taxer davantage les opérations artificialisantes.
Le chemin qui reste à parcourir pour mettre en cohérence la fiscalité locale et l'objectif ZAN est donc encore long. Le CPO ne prétendait pas, dans le délai qui lui était imparti, traiter l'ensemble des conséquences du sujet, qui suppose un important travail de documentation, notamment en matière d'analyse économique et économétrique, de la part des administrations compétentes et des chercheurs avec l'aide des secteurs économiques les plus concernés, qui doivent s'emparer du sujet. Le CPO reste à la disposition du Sénat pour approfondir tel ou tel aspect du présent rapport. Il ne s'interdit pas d'y revenir de sa propre initiative dans un proche avenir, tant les enjeux qui sous-tendent cette question sont importants et encore largement inexplorés malgré l'urgence climatique.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition, avec le secrétaire général du CPO et les rapporteurs, pour répondre à vos questions.