Je commencerai mon intervention par une brève description du groupe Saint-Gobain parce qu'elle a un impact sur la problématique qui vous intéresse.
Aujourd'hui, le groupe Saint-Gobain a un chiffre d'affaires de 42 milliards d'euros. Nous produisons et distribuons des matériaux de construction dans soixante pays ; nous avons 200 000 collaborateurs. Notre stratégie est de concevoir, de produire et de vendre des produits à valeur ajoutée dans l'habitat. Pour cela, nous avons un portefeuille de produits que je vous décris brièvement : le produit emblématique est évidemment le verre, dans lequel nous oeuvrons depuis près de 350 ans, auquel il convient d'ajouter toute une série de produits d'isolation, les plaques de plâtre, les mortiers. Nous sommes également présents à travers des grandes marques que sont Placo pour la plaque de plâtre, Isover pour l'isolation. Nous sommes aussi présents dans la distribution de matériaux de construction, à savoir, en France, Point P ou Lapeyre.
J'insiste sur ce portefeuille et sur notre stratégie parce qu'il en découle l'une des deux caractéristiques principales du groupe sur le plan fiscal.
La première caractéristique, c'est que nous vendons et distribuons des produits généralement locaux : soit des produits pondéreux, soit des produits qui, du fait de leur faible coût par rapport aux coûts de transport éventuels, ne peuvent pas être distribués sur de très longues distances. Je citerai deux exemples : les mortiers, composés de sable et de ciment, qui remplacent le mélange réalisé sur site, ne se déplacent pas à plus de cinquante à soixante kilomètres ; les coûts de transport du verre plat, notre produit historique, deviennent prohibitifs au-delà de cinq cents kilomètres. Par conséquent, 85 % à 90 % du portefeuille de nos produits se transportent très mal au-delà de cinq cents kilomètres. Nous produisons localement pour vendre localement.
Vous nous avez interrogés notamment sur les transferts. Il en existe, puisque nous avons des usines en Allemagne et que nous ne nous privons pas de produire dans ce pays quand nous en avons la capacité pour livrer la France, et inversement. Cependant, les transferts sont limités à des pays de proximité et représentent une faible part de notre chiffre d'affaires. Nous estimons que 15 % à 16 % de notre chiffre d'affaires traverse une frontière, ce qui est peu important.
A l'inverse, comme je l'ai dit en introduction, nous sommes présents dans soixante pays, dans lesquels nous produisons localement pour vendre localement. Vous nous avez envoyé une liste de pays. Oui, nous avons des usines et des magasins en Suisse, où nous réalisons un milliard d'euros de chiffre d'affaires : le marché suisse est fantastique et nous n'allons pas nous en priver ! Nous sommes également présents au Chili, en Malaisie. Nous sommes même implantés en Uruguay, pays encore plus compliqué sur le plan fiscal, où nous détenons un dépôt de distribution. Nous possédons une très belle usine de verre plat en Argentine et, pour faciliter les transports, nous avons des activités en Uruguay. Cela ne veut pas dire que nous y réalisons de l'optimisation fiscale. Nous sommes présents dans de très nombreux pays sous forme d'établissement industriel et commercial.
Notre deuxième caractéristique, qui tient au système fiscal français, est que nous relevions du régime du bénéfice mondial consolidé jusqu'en 2006. Ce régime était favorable aux entreprises qui se développaient à l'étranger, puisqu'il permettait aux nouveaux établissements, qui perdent souvent de l'argent au début, d'obtenir des réductions d'impôts en France. Il fut extrêmement favorable au développement international du groupe. Nous étions implantés dans cinq à dix pays au début des années quatre-vingt, et ce n'est qu'à partir de cette date que nous avons opéré une importante extension géographique, très profitable à la stabilité du groupe et à celle de l'emploi en France.
En contrepartie, notre structure juridique n'a fait l'objet d'aucune optimisation locale, puisque celle-ci se serait retrouvée en négatif dans le bénéfice mondial consolidé. Nous avons encore aujourd'hui plus d'un millier de sociétés juridiques qui n'ont pas été consolidées pour profiter de la consolidation fiscale dans tel ou tel pays. Nos structures juridiques sont totalement liées non pas à des questions fiscales mais à la structure de management du groupe. Nos structures organisationnelles se définissent donc par métier et ne sont nullement liées à une quelconque optimisation fiscale. Cela ne signifie pas que nous n'en faisons pas. Depuis que nous sommes sortis du bénéfice mondial consolidé, ma première réaction, quand je suis arrivé au Brésil en 2007, a été de mettre sous un même chapeau toutes les entités juridiques pour bénéficier de la consolidation locale brésilienne.
Cette situation n'est pas sans conséquence sur notre organisation fiscale. Celle-ci est très décentralisée puisque notre équipe centrale, à Paris, compte moins d'une dizaine de personnes. Dans les délégations, nos équipes sont composées de une à trois personnes, parfois plus dans les pays où l'administration de la fiscalité est très lourde. Dans un pays comme le Brésil, où même l'expéditeur, dans une usine, est considéré comme traitant de questions fiscales, l'équipe peut être un peu plus importante. Le travail administratif, sur le plan fiscal, est plutôt réalisé par des comptables, dont l'objectif est de remplir correctement les liasses fiscales et de faire correctement leur travail sur le plan administratif.
Je ne dis pas que nous ne faisons pas d'optimisation. Par exemple, nous sommes en train de réaliser un important investissement en Colombie, pays dans lequel il existe des zones franches. Il est évident que nous avons un intérêt fiscal à utiliser ces zones franches pour notre investissement à destination du marché colombien. Clairement, notre organisation n'est pas en place pour faire plus que cela. Nous n'y avons pas intérêt compte tenu de la nature locale de nos métiers, et ce n'est pas notre objectif.
Telle est l'introduction que je souhaitais vous présenter, articulée autour des deux points que sont les métiers locaux et le bénéfice mondial consolidé.