Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tout comme mes collègues qui m'ont précédé, permettez-moi de vous remercier de m'avoir invité à m'exprimer devant votre commission d'enquête au nom du groupe Renault. Je suis heureux de cette occasion qui m'est offerte d'éclairer la représentation nationale sur la situation de notre groupe et la manière dont il s'acquitte de ses devoirs à l'égard de l'État et de ses finances.
Je dirai quelques mots, en introduction, sur la situation de Renault.
Notre plan stratégique triennal, qui vise à la recherche de la croissance rentable, a été lancé en 2011. Ce plan est soutenu par deux leviers.
Le premier est le renforcement de l'empreinte industrielle de Renault en France.
Entre 2010 et 2013, 40 % des investissements du groupe, soit 2 milliards d'euros, seront réalisés en France, et 80 % des dépenses de recherche et développement ont lieu dans notre pays. Les véhicules à forte valeur ajoutée - les véhicules utilitaires, électriques ou le haut de gamme - sont fabriqués en France. Enfin, 25 % de notre production et de nos ventes en 2011 a été réalisé en France.
Ce dispositif a assuré l'emploi de 55 000 personnes en France, soit 43 % de l'effectif total du groupe et 61 % de la masse salariale.
Enfin, la France représente plus de la moitié de la valeur ajoutée du groupe, soit 54 %.
Le second levier est le développement à l'international. Il est important car, vous le savez, le marché automobile connaît une forte croissance, par exemple au Brésil ou en Russie. Y gagner des parts de marché est une condition sine qua non du maintien de notre base française, et les véhicules que nous y vendons ont été conçus pour répondre aux besoins locaux et assurent une partie de la valeur ajoutée réalisée en France. La gamme Entry, par exemple, y contribue à hauteur de 780 euros par véhicule vendu à l'international.
L'alliance avec Nissan, conclue en 1999 et étendue en 2010 à un partenariat avec Daimler, est également l'un des atouts-clés dans notre internationalisation et dans la meilleure couverture de tous les segments du marché automobile. L'alliance avec Nissan a démontré sa capacité à durer. Elle est aujourd'hui la seule alliance automobile de cette envergure dans le monde.
Grâce à cette stratégie, Renault a réalisé de bons résultats en 2011 dans un contexte économique contrasté, vous le savez, mais la situation reste tendue, particulièrement en ce début d'année 2012. En mars dernier, le marché automobile européen était au plus bas des quatorze dernières années, selon les chiffres publiés par l'ACEA.
Le groupe reste fragile avec une marge opérationnelle consolidée de 2,6 % en 2011, contre des marges allant de 5 % à 11 % pour les constructeurs allemands, coréens ou japonais.
Venons-en maintenant au sujet qui anime cette commission d'enquête.
J'évoquerai d'abord la politique fiscale du groupe, puis je préciserai la contribution actuelle de Renault au budget de l'État et de ses collectivités, sujet auquel, je le sais, vous êtes particulièrement attachés. Enfin, j'expliquerai pourquoi, depuis 2008, le groupe est fiscalement en perte en France.
Tout d'abord, Renault est soumis au régime de la territorialité, ayant quitté le bénéfice mondial consolidé en 2002, voilà dix ans. Le groupe ne dispose d'aucune filiale dans les paradis fiscaux ou États non coopératifs : comme l'un de mes collègues l'évoquait avant moi, nous disposons de quelques filiales commerciales dans des pays comme le Luxembourg où nous vendons des voitures.
De même, il n'existe aucune structure opaque de type trust ou fiducie au sein du groupe. Toutes nos entités à l'étranger sont dûment inscrites au registre du commerce et des sociétés et/ou des chambres de commerce locales.
Par ailleurs, le groupe Renault dispose d'une direction fiscale qui est constituée d'un nombre limité de professionnels et d'experts et compte 18 personnes au siège. Seules quelques filiales disposent de leurs propres ressources locales lorsque la taille de l'activité le justifie. Les fiscalistes du groupe sont chargés de sécuriser les opérations locales et internationales du groupe, au regard notamment de l'impôt sur les sociétés, de la TVA et des impôts locaux.
Enfin, en 2011, Renault SAS a alloué un budget de 450 000 euros au titre de conseils fiscaux extérieurs sollicités pour aider notre équipe restreinte à faire face aux exigences de respect et de conformité aux règles fiscales nationales et internationales.
Je résume : la stratégie fiscale du groupe est fondée sur la sécurisation des obligations du groupe en France et dans chaque pays où nous sommes présents sur le plan industriel et commercial.
Passons à la contribution annuelle, en France, de Renault au budget de l'État et des collectivités.
Bien que déficitaire fiscalement depuis 2005, Renault est une entreprise citoyenne qui contribue annuellement, en France, au budget de l'État et de ses collectivités territoriales. Sur les trois derniers exercices, hors droits de douanes et cotisations sociales patronales, Renault a versé en France entre 306 millions et 314 millions d'euros à l'État et aux collectivités territoriales, au titre des taxes dites d'exploitation, d'abord par des impôts directs : la taxe professionnelle, qui a été en grande partie substituée par la cotisation économique territoriale, et a représenté pour Renault 114 millions d'euros en 2011 ; la taxe foncière pour 44 millions d'euros ; la taxe annuelle sur les bureaux pour un montant de 4 millions d'euros.
Ensuite, nous payons les autres impôts, taxes, droits et redevances : les taxes assises sur les salaires relatives à la formation et à l'apprentissage, qui ont représenté 68 millions d'euros en 2011 ; la contribution sociale de solidarité des sociétés, pour 46 millions d'euros, ou encore la taxe sur les voitures de société pour 6 millions d'euros.
On peut noter que, selon nos études et notre expérience, aucun autre pays membre de l'OCDE ne connaît un tel niveau de taxes, hors impôt sur les sociétés, prélevées sur l'activité industrielle et commerciale. Le seul pays comparable en la matière est le Brésil.
Aucun État parmi nos principaux concurrents ne fait supporter à ses entreprises de tels niveaux d'impôts non assis sur les bénéfices, ce qui constitue pour eux un avantage compétitif : aux États-Unis, en Corée du Sud, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, au Japon, là où se trouvent les principaux constructeurs automobiles mondiaux, les taxes dites d'exploitation sont égales à zéro.
En Allemagne, la taxe professionnelle est l'une des deux composantes de la taxe sur les bénéfices aboutissant à un prélèvement d'impôt global sur les bénéfices d'environ 30 % à 35 % annuellement.
Bénéficiaire systématique jusqu'en 2005, Renault est, malheureusement depuis, fiscalement passé en pertes en France. La situation a été amplifiée pendant la crise de 2008, au cours de laquelle nous avons connu des pertes importantes. Ces pertes fiscales sont essentiellement imputables, depuis 2008, à un environnement macroéconomique défavorable à l'activité automobile en Europe. Elles résultent de pertes industrielles réalisées par Renault depuis le début de la crise : la marge opérationnelle de la branche automobile a été divisée par trois.
Malgré ces pertes, Renault déclare tous les ans environ 50 millions d'euros d'impôts sur les bénéfices au Trésor public. Fort heureusement, Renault est bénéficiaire dans les pays émergents, et son activité de financement des ventes, RCI Banque, l'est également. Renault acquitte l'impôt sur les sociétés dans les pays à fort succès commercial comme le Brésil, la Turquie, la Roumanie, la Russie ou encore la Chine.
La filiale de financement des ventes de Renault, RCI Banque, connaît une activité financière très rentable, y compris en France. Ses bénéfices compensent nos pertes réalisées dans la branche automobile via l'intégration fiscale en France. Hors de France, notamment dans les pays émergents, RCI est également très profitable, ce qui l'a conduit par exemple à verser un impôt sur les sociétés au Brésil ou en Corée.
Quant au taux effectif d'impôt consolidé du groupe, il était de 45 % en 2011, ce qui est relativement haut. Sa forte augmentation par rapport à 2010 s'explique principalement par la dégradation des perspectives de résultat de notre filiale coréenne, ainsi que par le ralentissement de la récupération des déficits fiscaux en France liée à l'introduction du dispositif limitant l'imputation des déficits fiscaux.
En conclusion, je dirai que le plan triennal de Renault vise à assurer la croissance de nos ventes ainsi que la génération d'un free cash flow opérationnel récurrent, seul garant de la pérennité de l'entreprise. Ce sur quoi nous sommes tous d'accord, c'est que, pour payer de l'impôt, il faut commencer par faire des profits. C'est tout l'objectif de notre plan.