Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous avoir conviés, Thierry Francq, secrétaire général, Sophie Quatrehomme, que vous connaissez bien, et moi-même, à nous exprimer sur ce sujet important et récurrent, si je puis dire, de l'évasion des capitaux même si, avec le secrétaire général, nous avons davantage travaillé sur cette question dans des fonctions antérieures.
Les missions de l'Autorité des marchés financiers ne lui donnent pas de rôle direct dans la lutte contre l'évasion fiscale. Nous la côtoyons toutefois, par le biais de nos enquêtes et de la lutte contre le blanchiment.
Sur le plan international, l'AMF coopère avec ses homologues, dans le strict cadre de ses compétences - autrement dit, à l'exclusion de toute question fiscale, qui reste en tout état de cause en dehors du champ de ses compétences, y compris avec ses homologues.
Le champ de compétence de l'AMF est limité à la matière boursière et financière. L'AMF ne peut donc pas, dans le cadre de ses enquêtes et de ses contrôles, rechercher de possibles délits fiscaux.
Toutefois, comme vous le savez, aux termes des dispositions du code monétaire et financier, « si, dans le cadre de ses attributions, l'Autorité des marchés financiers acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, elle est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Ainsi, ces dernières années, deux enquêtes relevant de la fraude fiscale ont été transmises au parquet et à TRACFIN.
La première enquête concernait une entité dont le siège social théorique était au Luxembourg, mais le siège effectif était en France, ce qui a constitué une fraude à l'impôt sur les sociétés suivie d'une fraude à l'impôt de solidarité sur la fortune du dirigeant.
Dans le cas de la seconde enquête, il s'agissait d'opérations capitalistiques très complexes avec dissimulation d'un produit de 100 millions d'euros.
Le secrétaire général souhaitera peut-être s'exprimer sur ces enquêtes, puisque c'est lui qui les conduit en vertu de la répartition des pouvoirs qui prévaut à l'Autorité des marchés financiers.
Dans ce cadre, nous transmettons nos résultats non pas au fisc - ce serait contraire à nos accords de coopération internationale - mais au parquet et à TRACFIN.
En effet, je parle ici sous le contrôle du secrétaire général, la coopération administrative de l'AMF est limitée à son champ de spécialisation ; ce principe vaut, d'ailleurs, pour d'autres autorités administratives.
En conséquence, la coopération avec nos homologues étrangers, qu'il s'agisse de l'autorité américaine - la SEC -, de l'autorité britannique - la FSA -, de l'autorité allemande -la BaFin -, ou des autorités luxembourgeoises, se fait sur la seule base des informations que nous recueillons afin d'assurer notre mission dans le cadre de nos compétences.
En outre, il est très clairement indiqué, dans les accords que nous avons et dans le cadre de l'organisation internationale des commissions de valeurs, l'OICV - ou, en anglais, OISCO -, que nous ne devons pas outrepasser les mandats qui sont les nôtres dans le cadre de la coopération. En vérité, il arrive que l'on nous demande de regarder à deux fois les informations que nous transmettons à la justice parce qu'il peut aussi y avoir en la matière, dans les accords de coopération internationale et administrative, un certain nombre de limitations.
Malgré tout, les autorités françaises ont à plusieurs reprises affiché leur volonté de s'inscrire en première ligne de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce positionnement est un enjeu pour le régulateur : bien évidemment, il s'agit d'un enjeu « réputationnel » et économique mais c'est aussi un enjeu politique, puisque ce thème était à l'ordre du jour de la présidence française du G20. À cette occasion, la France a voulu relier plus lisiblement les trois thèmes du blanchiment, de l'opacité fiscale et des cadres réglementaires en visant explicitement les paradis fiscaux et en corrélant étroitement cette lutte à la question de l'aide au développement.
Dès le début de notre mandat, nous avons souhaité, le secrétaire général et moi-même, que la lutte contre le blanchiment des capitaux soit inscrite dans le plan stratégique de l'AMF et que nous puissions nous positionner sur ce domaine.
Vous le savez, le GAFI, a élaboré des standards de référence que les pays doivent mettre en place. Il s'agit de quarante recommandations sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et de neuf recommandations sur le financement du terrorisme. C'est dans ce cadre que s'est déroulée, en mai 2009, l'évaluation de la conformité du dispositif français de lutte anti-blanchiment et de lutte contre le terrorisme, à laquelle l'AMF a participé ; le secrétaire général y reviendra sans doute.
Cette évaluation a concerné les dispositifs juridiques, le secteur institutionnel et le secteur privé. Schématiquement, il s'agissait d'expertiser toutes les entités de la chaîne financière : les organismes financiers - banques, assurances, mutuelles, Banque de France... -, les intermédiaires immobiliers, les responsables de casinos et de sociétés organisant des jeux de hasard, les experts-comptables et commissaires aux comptes, les notaires, huissiers de justice, administrateurs et mandataires judiciaires, les avocats, les commissaires-priseurs judiciaires et sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Rassurez-vous, toutes ces entités ne relèvent pas du domaine de l'AMF...
Le rapport d'évaluation a été discuté lors de la réunion plénière du GAFI qui s'est tenue en février 2011. Le GAFI a placé la France parmi les trois pays les plus performants dans le monde en matière de lutte anti-blanchiment ; nous pouvons nous en enorgueillir ! Nous pouvons également souligner que le président du GAFI a présenté le dispositif français comme un modèle à suivre. Et, fait très rare au GAFI, la France ne devra rendre compte des améliorations à apporter à son système que tous les deux ans, contre un an - voire six mois ou trois mois - pour la plupart des autres pays.
Le rapport du GAFI a souligné le caractère adéquat et exhaustif des mesures visant à empêcher toute utilisation du secteur financier à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme grâce à la transposition de la troisième « directive anti-blanchiment » complétant et étendant un dispositif déjà solide.
Les obligations actuelles de vigilance à l'égard de la clientèle et de déclaration des opérations suspectes imposées aux professionnels financiers - élément-clé de tout dispositif national et standard extrêmement exigeant auquel seuls trois pays membres du GAFI avaient auparavant été estimés conformes - sont ainsi jugées très complètes et largement conformes aux recommandations du GAFI.
Le rapport a également relevé la qualité de la surveillance exercée sur les établissements financiers par les autorités de supervision, qu'il s'agisse de l'Autorité de contrôle prudentiel, que vous avez sans doute eu l'occasion d'auditionner, ou de l'Autorité des marchés financiers. Cette surveillance est jugée efficace et dissuasive, compte tenu de l'action préventive menée, des contrôles réalisés et des sanctions prononcées par ces autorités en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme.
Concrètement, l'AMF sensibilise les professionnels - les sociétés de gestions de portefeuille, les dépositaires centraux, qui sont en général des banquiers, les banques et les conseils en investissement, qui sont les plus difficiles à surveiller, car ils sont les plus nombreux et ont les organisations professionnelles les plus faibles - à leur obligation d'évaluer les risques encourus avant l'entrée en relation d'affaires, via l'identification du client et la vérification de ses opérations, avant la réalisation de l'opération puis durant la relation d'affaires par l'exercice d'une vigilance constante. Ces professionnels voient leurs obligations renforcées lorsqu'ils ont affaire à des clients sans présence physique, à des produits favorisant l'anonymat et à des opérations avec des pays non coopératifs. De même, nous insistons sur leurs obligations particulières lorsqu'ils rencontrent des personnes exposées politiquement et travaillant sur des opérations complexes, d'un montant inhabituellement élevé, sans justification économique apparente ou sans objet licite apparent.
Pour résumer, les obligations à remplir de la part des professionnels sont les suivantes.
Ils doivent tout d'abord exercer un devoir de vigilance constante à l'égard de leurs clients et des bénéficiaires effectifs, qu'ils doivent identifier et dont ils doivent vérifier l'identité. Ils doivent également recueillir toute information pertinente sur le client, notamment sur l'objet et la nature de la relation d'affaires, avant l'entrée en relation d'affaires.
Ils doivent ensuite examiner la cohérence des opérations effectuées avec leur connaissance actualisée des clients.
Ils doivent déclarer à TRACFIN toutes opérations portant sur des sommes dont ils savent ou soupçonnent qu'elles proviennent d'une fraude fiscale et lorsqu'il y a intervention de sociétés écrans, opacité ou sophistication d'opérations financières non justifiées au regard des pratiques habituelles.
Enfin, ils doivent mettre en place en leur sein des systèmes d'évaluation, de classification et de gestion des risques de blanchiment des capitaux, ainsi qu'une organisation et des procédures internes permettant de satisfaire aux obligations de vigilance et de contrôle que j'ai indiquées.
Le rôle de l'AMF est de contrôler le respect de ces obligations et, le cas échéant, d'exercer son pouvoir de sanction à l'encontre des professionnels.
Les sanctions encourues en ce domaine suivent les mêmes procédures que pour les autres manquements : elles sont établies à la suite de griefs dressés par le collège de l'AMF à la suite d'enquêtes proposées et conduites par les services de cette dernière, sous l'autorité du secrétaire général, puis transmises à une commission des sanctions, aujourd'hui présidée par une magistrate de l'ordre judiciaire, Mme Claude Nocquet, et à laquelle ni le secrétaire général ni moi-même ne sommes parties.
Les sanctions encourues sont les mêmes que pour les autres manquements.
À l'encontre de professionnels assujettis, il s'agit de l'avertissement, du blâme, de l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, ainsi que d'une sanction pécuniaire d'un montant de 100 millions d'euros ou du décuple des profits réalisés.
À l'encontre des personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de ces professionnels, ces sanctions sont l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités, ainsi qu'une sanction pécuniaire d'un montant de 300 000 euros ou du quintuple des profits réalisés.
Je fournirai bien évidemment tous ces éléments à la commission d'enquête.
Je l'ai dit : lorsque, dans l'accomplissement de ses missions, l'AMF découvre des faits susceptibles d'être liés au blanchiment de capitaux, elle doit les communiquer à TRACFIN, qui la tient informée des suites réservées au dossier.
Nous coopérons étroitement avec TRACFIN et nous avons élaboré avec ce dernier des lignes directrices pour compléter la réglementation actuelle par un volet pédagogique à destination des professionnels relevant de notre compétence. En effet, en instaurant l'approche par les risques et en renforçant l'obligation de déclaration de soupçon à TRACFIN, la transposition de la directive anti-blanchiment a profondément modifié les obligations professionnelles des sociétés de gestion, des conseillers financiers en investissement, des dépositaires bancaires et des personnes chargées des mécanismes de règlement-livraison d'instruments financiers, lesquelles sont également soumises au contrôle de l'AMF.
Sous le contrôle du secrétaire général, je tiens à indiquer au Parlement que les relations entre TRACFIN et la direction des enquêtes ou la direction des contrôles ont été renforcées ces dernières années. Si nous nous étions vus il y a trois ou quatre ans, je ne vous aurais pas tenu le même propos. Nous avons désormais un collaborateur qui suit davantage ces opérations. En outre, Thierry Francq et Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN, se rencontrent régulièrement pour renforcer cette coopération.
En ce qui concerne la coopération internationale et les centres offshore, je l'ai dit, la coopération internationale de l'AMF avec ses homologues s'exerce dans le cadre de ses enquêtes, de la surveillance des marchés et de l'échange d'informations sur les intermédiaires financiers.
Au titre de l'année 2012, la liste des États et territoires considérés comme non coopératifs sur le plan de l'échange d'informations fiscales est composée du Botswana, de Brunei, du Guatemala, des Îles Marshall, de Montserrat, de Nauru, de Niue et des Philippines.
À ce jour, l'AMF n'a pas eu besoin de solliciter ses homologues situés dans ces États.
En revanche, elle a constaté de gros progrès dans l'efficacité de la coopération internationale en matière boursière depuis quelques années et s'estime globalement satisfaite des réponses apportées à ses demandes d'informations. Les relations sont plus ou moins faciles selon les pays ; je reste à votre disposition pour vous en dire davantage. Sachez toutefois que des progrès ont été réalisés avec la Suisse et Israël, ce qui n'a pas toujours été évident.
L'AMF est par ailleurs très active dans les travaux menés au sein de l'OICV pour favoriser la coopération internationale. Ainsi, elle est membre du groupe de travail sur les enquêtes, la coopération internationale et l'échange d'informations entre régulateurs, qui cherche à améliorer la coopération avec les régulateurs considérés comme peu coopératifs, qu'ils soient membres ou non de l'OICV.
Après identification de ces derniers à partir de cas concrets restés infructueux, un dialogue confidentiel est engagé afin de comprendre leurs difficultés et trouver des solutions. Les obstacles sont généralement liés aux lois sur le secret bancaire - vous le savez certainement - et au fait que certaines réglementations exigent la violation préalable d'une loi locale pour qu'il y ait coopération. Ce groupe de travail cherche également à anticiper l'apparition de nouveaux centres non coopératifs utilisés pour effectuer des opérations boursières illicites.
Le nouveau secrétaire général de l'OICV, le Britannique David Wright, qui a passé beaucoup de temps à la commission européenne, est particulièrement sensibilisé à ces sujets. Je vous signale qu'il s'exprime remarquablement bien en français. Vous pourriez avoir intérêt à le rencontrer dans le cadre de vos travaux : son expérience à Bruxelles et ses fonctions actuelles à l'OICV font qu'il a une très grande compétence en ce domaine et qui est parfaitement clair sur ces sujets.
L'AMF participe aussi activement au groupe de travail de l'OICV qui étudie les candidatures à la signature de l'accord multilatéral d'échange d'informations sur ces sujets. Devenu un « standard » international, cet accord a été élaboré par l'OICV pour faciliter l'échange d'informations entre ses signataires, dans le cadre des enquêtes menées sur les suspicions d'infractions boursières.
Chaque membre de l'OICV candidat à la signature doit donc pouvoir démontrer aux membres de ce groupe que son système juridique lui permet de réunir les informations demandées et de les transmettre sans restriction à ses homologues afin que ces derniers puissent les utiliser dans les cas prévus par l'accord. Je parle sous le contrôle de Thierry Francq : aucun pays ne peut plus aujourd'hui être admis comme membre de l'OICV s'il ne peut montrer sa capacité à signer ce projet d'accord ou, en anglais, multilateral memorandum of understanding (MMoU).
Vous le constatez, le sujet de l'évasion des capitaux englobe le fonctionnement de l'ensemble des marchés et de tous les acteurs de la chaîne financière.
Je n'en reste pas moins lucide : à chaque fois, on croit avoir réalisé de grands progrès, mais ce phénomène aux ramifications tentaculaires est une hydre dont les têtes repoussent de manière toujours différente quand on les lui coupe.
C'est d'autant plus vrai que, parmi nos assujettis - je ne parle pas des institutions financières, qui ont l'habitude de la coopération et, notamment, coopèrent directement avec TRACFIN, de manière satisfaisante -, figurent à la fois des sociétés de gestion de grande dimension, d'autres de très petite dimension et, je l'ai dit, plusieurs milliers de conseils en investissement financier, qu'il nous est très difficile de surveiller.
Pour vous donner un exemple, avec les moyens qui sont les siens, l'AMF a réalisé, sur ces milliers de conseillers, une dizaine de contrôles - au demeurant bien choisis par le secrétaire général, puisqu'ils ont permis de suivre les cas les plus délicats. Vous voyez tout de même la disproportion qu'il y a entre le champ de la profession en France et le nombre de contrôles qui peuvent être faits ! Je tenais à le redire devant la représentation nationale.
L'organisation professionnelle doit véritablement contrôler ces conseils en investissement financier : je le répète ici, tant que cette profession ne sera pas suffisamment cadrée, nous connaîtrons toujours beaucoup de difficultés dans les domaines des délits boursiers et de ce qui est recouvert par l'expression de « lutte contre le blanchiment ».
Telles sont les informations que je souhaitais vous communiquer. Je laisserai le secrétaire général, qui est beaucoup plus savant que moi, répondre aux questions relatives aux enquêtes, aux diligences et à la coopération avec les différents États.