Commission d'enquête Evasion des capitaux

Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GAFI
  • différent
  • délit
  • enquête
  • fiscale
  • fraude
  • fraude fiscale
  • liste
  • opération

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Mes chers collègues, nous accueillons MM. Jean-Pierre Jouyet et Thierry Francq, respectivement président et secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers.

Je vous rappelle, messieurs, que conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(MM. Jean-Pierre Jouyet et Thierry Francq prêtent successivement serment.)

Je vous remercie.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Éric Bocquet, et des membres de la commission.

Vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous avoir conviés, Thierry Francq, secrétaire général, Sophie Quatrehomme, que vous connaissez bien, et moi-même, à nous exprimer sur ce sujet important et récurrent, si je puis dire, de l'évasion des capitaux même si, avec le secrétaire général, nous avons davantage travaillé sur cette question dans des fonctions antérieures.

Les missions de l'Autorité des marchés financiers ne lui donnent pas de rôle direct dans la lutte contre l'évasion fiscale. Nous la côtoyons toutefois, par le biais de nos enquêtes et de la lutte contre le blanchiment.

Sur le plan international, l'AMF coopère avec ses homologues, dans le strict cadre de ses compétences - autrement dit, à l'exclusion de toute question fiscale, qui reste en tout état de cause en dehors du champ de ses compétences, y compris avec ses homologues.

Le champ de compétence de l'AMF est limité à la matière boursière et financière. L'AMF ne peut donc pas, dans le cadre de ses enquêtes et de ses contrôles, rechercher de possibles délits fiscaux.

Toutefois, comme vous le savez, aux termes des dispositions du code monétaire et financier, « si, dans le cadre de ses attributions, l'Autorité des marchés financiers acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, elle est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Ainsi, ces dernières années, deux enquêtes relevant de la fraude fiscale ont été transmises au parquet et à TRACFIN.

La première enquête concernait une entité dont le siège social théorique était au Luxembourg, mais le siège effectif était en France, ce qui a constitué une fraude à l'impôt sur les sociétés suivie d'une fraude à l'impôt de solidarité sur la fortune du dirigeant.

Dans le cas de la seconde enquête, il s'agissait d'opérations capitalistiques très complexes avec dissimulation d'un produit de 100 millions d'euros.

Le secrétaire général souhaitera peut-être s'exprimer sur ces enquêtes, puisque c'est lui qui les conduit en vertu de la répartition des pouvoirs qui prévaut à l'Autorité des marchés financiers.

Dans ce cadre, nous transmettons nos résultats non pas au fisc - ce serait contraire à nos accords de coopération internationale - mais au parquet et à TRACFIN.

En effet, je parle ici sous le contrôle du secrétaire général, la coopération administrative de l'AMF est limitée à son champ de spécialisation ; ce principe vaut, d'ailleurs, pour d'autres autorités administratives.

En conséquence, la coopération avec nos homologues étrangers, qu'il s'agisse de l'autorité américaine - la SEC -, de l'autorité britannique - la FSA -, de l'autorité allemande -la BaFin -, ou des autorités luxembourgeoises, se fait sur la seule base des informations que nous recueillons afin d'assurer notre mission dans le cadre de nos compétences.

En outre, il est très clairement indiqué, dans les accords que nous avons et dans le cadre de l'organisation internationale des commissions de valeurs, l'OICV - ou, en anglais, OISCO -, que nous ne devons pas outrepasser les mandats qui sont les nôtres dans le cadre de la coopération. En vérité, il arrive que l'on nous demande de regarder à deux fois les informations que nous transmettons à la justice parce qu'il peut aussi y avoir en la matière, dans les accords de coopération internationale et administrative, un certain nombre de limitations.

Malgré tout, les autorités françaises ont à plusieurs reprises affiché leur volonté de s'inscrire en première ligne de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce positionnement est un enjeu pour le régulateur : bien évidemment, il s'agit d'un enjeu « réputationnel » et économique mais c'est aussi un enjeu politique, puisque ce thème était à l'ordre du jour de la présidence française du G20. À cette occasion, la France a voulu relier plus lisiblement les trois thèmes du blanchiment, de l'opacité fiscale et des cadres réglementaires en visant explicitement les paradis fiscaux et en corrélant étroitement cette lutte à la question de l'aide au développement.

Dès le début de notre mandat, nous avons souhaité, le secrétaire général et moi-même, que la lutte contre le blanchiment des capitaux soit inscrite dans le plan stratégique de l'AMF et que nous puissions nous positionner sur ce domaine.

Vous le savez, le GAFI, a élaboré des standards de référence que les pays doivent mettre en place. Il s'agit de quarante recommandations sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et de neuf recommandations sur le financement du terrorisme. C'est dans ce cadre que s'est déroulée, en mai 2009, l'évaluation de la conformité du dispositif français de lutte anti-blanchiment et de lutte contre le terrorisme, à laquelle l'AMF a participé ; le secrétaire général y reviendra sans doute.

Cette évaluation a concerné les dispositifs juridiques, le secteur institutionnel et le secteur privé. Schématiquement, il s'agissait d'expertiser toutes les entités de la chaîne financière : les organismes financiers - banques, assurances, mutuelles, Banque de France... -, les intermédiaires immobiliers, les responsables de casinos et de sociétés organisant des jeux de hasard, les experts-comptables et commissaires aux comptes, les notaires, huissiers de justice, administrateurs et mandataires judiciaires, les avocats, les commissaires-priseurs judiciaires et sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Rassurez-vous, toutes ces entités ne relèvent pas du domaine de l'AMF...

Le rapport d'évaluation a été discuté lors de la réunion plénière du GAFI qui s'est tenue en février 2011. Le GAFI a placé la France parmi les trois pays les plus performants dans le monde en matière de lutte anti-blanchiment ; nous pouvons nous en enorgueillir ! Nous pouvons également souligner que le président du GAFI a présenté le dispositif français comme un modèle à suivre. Et, fait très rare au GAFI, la France ne devra rendre compte des améliorations à apporter à son système que tous les deux ans, contre un an - voire six mois ou trois mois - pour la plupart des autres pays.

Le rapport du GAFI a souligné le caractère adéquat et exhaustif des mesures visant à empêcher toute utilisation du secteur financier à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme grâce à la transposition de la troisième « directive anti-blanchiment » complétant et étendant un dispositif déjà solide.

Les obligations actuelles de vigilance à l'égard de la clientèle et de déclaration des opérations suspectes imposées aux professionnels financiers - élément-clé de tout dispositif national et standard extrêmement exigeant auquel seuls trois pays membres du GAFI avaient auparavant été estimés conformes - sont ainsi jugées très complètes et largement conformes aux recommandations du GAFI.

Le rapport a également relevé la qualité de la surveillance exercée sur les établissements financiers par les autorités de supervision, qu'il s'agisse de l'Autorité de contrôle prudentiel, que vous avez sans doute eu l'occasion d'auditionner, ou de l'Autorité des marchés financiers. Cette surveillance est jugée efficace et dissuasive, compte tenu de l'action préventive menée, des contrôles réalisés et des sanctions prononcées par ces autorités en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme.

Concrètement, l'AMF sensibilise les professionnels - les sociétés de gestions de portefeuille, les dépositaires centraux, qui sont en général des banquiers, les banques et les conseils en investissement, qui sont les plus difficiles à surveiller, car ils sont les plus nombreux et ont les organisations professionnelles les plus faibles - à leur obligation d'évaluer les risques encourus avant l'entrée en relation d'affaires, via l'identification du client et la vérification de ses opérations, avant la réalisation de l'opération puis durant la relation d'affaires par l'exercice d'une vigilance constante. Ces professionnels voient leurs obligations renforcées lorsqu'ils ont affaire à des clients sans présence physique, à des produits favorisant l'anonymat et à des opérations avec des pays non coopératifs. De même, nous insistons sur leurs obligations particulières lorsqu'ils rencontrent des personnes exposées politiquement et travaillant sur des opérations complexes, d'un montant inhabituellement élevé, sans justification économique apparente ou sans objet licite apparent.

Pour résumer, les obligations à remplir de la part des professionnels sont les suivantes.

Ils doivent tout d'abord exercer un devoir de vigilance constante à l'égard de leurs clients et des bénéficiaires effectifs, qu'ils doivent identifier et dont ils doivent vérifier l'identité. Ils doivent également recueillir toute information pertinente sur le client, notamment sur l'objet et la nature de la relation d'affaires, avant l'entrée en relation d'affaires.

Ils doivent ensuite examiner la cohérence des opérations effectuées avec leur connaissance actualisée des clients.

Ils doivent déclarer à TRACFIN toutes opérations portant sur des sommes dont ils savent ou soupçonnent qu'elles proviennent d'une fraude fiscale et lorsqu'il y a intervention de sociétés écrans, opacité ou sophistication d'opérations financières non justifiées au regard des pratiques habituelles.

Enfin, ils doivent mettre en place en leur sein des systèmes d'évaluation, de classification et de gestion des risques de blanchiment des capitaux, ainsi qu'une organisation et des procédures internes permettant de satisfaire aux obligations de vigilance et de contrôle que j'ai indiquées.

Le rôle de l'AMF est de contrôler le respect de ces obligations et, le cas échéant, d'exercer son pouvoir de sanction à l'encontre des professionnels.

Les sanctions encourues en ce domaine suivent les mêmes procédures que pour les autres manquements : elles sont établies à la suite de griefs dressés par le collège de l'AMF à la suite d'enquêtes proposées et conduites par les services de cette dernière, sous l'autorité du secrétaire général, puis transmises à une commission des sanctions, aujourd'hui présidée par une magistrate de l'ordre judiciaire, Mme Claude Nocquet, et à laquelle ni le secrétaire général ni moi-même ne sommes parties.

Les sanctions encourues sont les mêmes que pour les autres manquements.

À l'encontre de professionnels assujettis, il s'agit de l'avertissement, du blâme, de l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, ainsi que d'une sanction pécuniaire d'un montant de 100 millions d'euros ou du décuple des profits réalisés.

À l'encontre des personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de ces professionnels, ces sanctions sont l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités, ainsi qu'une sanction pécuniaire d'un montant de 300 000 euros ou du quintuple des profits réalisés.

Je fournirai bien évidemment tous ces éléments à la commission d'enquête.

Je l'ai dit : lorsque, dans l'accomplissement de ses missions, l'AMF découvre des faits susceptibles d'être liés au blanchiment de capitaux, elle doit les communiquer à TRACFIN, qui la tient informée des suites réservées au dossier.

Nous coopérons étroitement avec TRACFIN et nous avons élaboré avec ce dernier des lignes directrices pour compléter la réglementation actuelle par un volet pédagogique à destination des professionnels relevant de notre compétence. En effet, en instaurant l'approche par les risques et en renforçant l'obligation de déclaration de soupçon à TRACFIN, la transposition de la directive anti-blanchiment a profondément modifié les obligations professionnelles des sociétés de gestion, des conseillers financiers en investissement, des dépositaires bancaires et des personnes chargées des mécanismes de règlement-livraison d'instruments financiers, lesquelles sont également soumises au contrôle de l'AMF.

Sous le contrôle du secrétaire général, je tiens à indiquer au Parlement que les relations entre TRACFIN et la direction des enquêtes ou la direction des contrôles ont été renforcées ces dernières années. Si nous nous étions vus il y a trois ou quatre ans, je ne vous aurais pas tenu le même propos. Nous avons désormais un collaborateur qui suit davantage ces opérations. En outre, Thierry Francq et Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN, se rencontrent régulièrement pour renforcer cette coopération.

En ce qui concerne la coopération internationale et les centres offshore, je l'ai dit, la coopération internationale de l'AMF avec ses homologues s'exerce dans le cadre de ses enquêtes, de la surveillance des marchés et de l'échange d'informations sur les intermédiaires financiers.

Au titre de l'année 2012, la liste des États et territoires considérés comme non coopératifs sur le plan de l'échange d'informations fiscales est composée du Botswana, de Brunei, du Guatemala, des Îles Marshall, de Montserrat, de Nauru, de Niue et des Philippines.

À ce jour, l'AMF n'a pas eu besoin de solliciter ses homologues situés dans ces États.

En revanche, elle a constaté de gros progrès dans l'efficacité de la coopération internationale en matière boursière depuis quelques années et s'estime globalement satisfaite des réponses apportées à ses demandes d'informations. Les relations sont plus ou moins faciles selon les pays ; je reste à votre disposition pour vous en dire davantage. Sachez toutefois que des progrès ont été réalisés avec la Suisse et Israël, ce qui n'a pas toujours été évident.

L'AMF est par ailleurs très active dans les travaux menés au sein de l'OICV pour favoriser la coopération internationale. Ainsi, elle est membre du groupe de travail sur les enquêtes, la coopération internationale et l'échange d'informations entre régulateurs, qui cherche à améliorer la coopération avec les régulateurs considérés comme peu coopératifs, qu'ils soient membres ou non de l'OICV.

Après identification de ces derniers à partir de cas concrets restés infructueux, un dialogue confidentiel est engagé afin de comprendre leurs difficultés et trouver des solutions. Les obstacles sont généralement liés aux lois sur le secret bancaire - vous le savez certainement - et au fait que certaines réglementations exigent la violation préalable d'une loi locale pour qu'il y ait coopération. Ce groupe de travail cherche également à anticiper l'apparition de nouveaux centres non coopératifs utilisés pour effectuer des opérations boursières illicites.

Le nouveau secrétaire général de l'OICV, le Britannique David Wright, qui a passé beaucoup de temps à la commission européenne, est particulièrement sensibilisé à ces sujets. Je vous signale qu'il s'exprime remarquablement bien en français. Vous pourriez avoir intérêt à le rencontrer dans le cadre de vos travaux : son expérience à Bruxelles et ses fonctions actuelles à l'OICV font qu'il a une très grande compétence en ce domaine et qui est parfaitement clair sur ces sujets.

L'AMF participe aussi activement au groupe de travail de l'OICV qui étudie les candidatures à la signature de l'accord multilatéral d'échange d'informations sur ces sujets. Devenu un « standard » international, cet accord a été élaboré par l'OICV pour faciliter l'échange d'informations entre ses signataires, dans le cadre des enquêtes menées sur les suspicions d'infractions boursières.

Chaque membre de l'OICV candidat à la signature doit donc pouvoir démontrer aux membres de ce groupe que son système juridique lui permet de réunir les informations demandées et de les transmettre sans restriction à ses homologues afin que ces derniers puissent les utiliser dans les cas prévus par l'accord. Je parle sous le contrôle de Thierry Francq : aucun pays ne peut plus aujourd'hui être admis comme membre de l'OICV s'il ne peut montrer sa capacité à signer ce projet d'accord ou, en anglais, multilateral memorandum of understanding (MMoU).

Vous le constatez, le sujet de l'évasion des capitaux englobe le fonctionnement de l'ensemble des marchés et de tous les acteurs de la chaîne financière.

Je n'en reste pas moins lucide : à chaque fois, on croit avoir réalisé de grands progrès, mais ce phénomène aux ramifications tentaculaires est une hydre dont les têtes repoussent de manière toujours différente quand on les lui coupe.

C'est d'autant plus vrai que, parmi nos assujettis - je ne parle pas des institutions financières, qui ont l'habitude de la coopération et, notamment, coopèrent directement avec TRACFIN, de manière satisfaisante -, figurent à la fois des sociétés de gestion de grande dimension, d'autres de très petite dimension et, je l'ai dit, plusieurs milliers de conseils en investissement financier, qu'il nous est très difficile de surveiller.

Pour vous donner un exemple, avec les moyens qui sont les siens, l'AMF a réalisé, sur ces milliers de conseillers, une dizaine de contrôles - au demeurant bien choisis par le secrétaire général, puisqu'ils ont permis de suivre les cas les plus délicats. Vous voyez tout de même la disproportion qu'il y a entre le champ de la profession en France et le nombre de contrôles qui peuvent être faits ! Je tenais à le redire devant la représentation nationale.

L'organisation professionnelle doit véritablement contrôler ces conseils en investissement financier : je le répète ici, tant que cette profession ne sera pas suffisamment cadrée, nous connaîtrons toujours beaucoup de difficultés dans les domaines des délits boursiers et de ce qui est recouvert par l'expression de « lutte contre le blanchiment ».

Telles sont les informations que je souhaitais vous communiquer. Je laisserai le secrétaire général, qui est beaucoup plus savant que moi, répondre aux questions relatives aux enquêtes, aux diligences et à la coopération avec les différents États.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Ma première question concerne l'organisation générale de l'Autorité des marchés financiers, que vous avez évoquée très brièvement. J'aimerais connaître les moyens dont elle dispose, l'organisation de ses services ainsi que les procédures qu'elle utilise.

Comment fonctionnez-vous ? Exercez-vous un contrôle au fil de l'eau, de manière systématique ? Vos contrôles se font-ils au contraire sur la base d'un soupçon ou d'un signalement ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

L'Autorité des marchés financiers compte aujourd'hui environ 440 collaborateurs - ce n'est pas tout à fait à l'unité près ; cet effectif change tous les jours - pour surveiller, d'une part, les transactions financières à la bourse de Paris - l'échelle des ordres qui y sont passés en une année est aujourd'hui le milliard de transactions - et, d'autre part, environ 700 sociétés cotées faisant appel à l'épargne publique, quelque 600 sociétés de gestion, 700 autres prestataires de services d'investissement et à peu près 6 000 conseillers en investissement financier.

Au-delà des transactions à la bourse de Paris, le champ de surveillance de l'AMF est en cours d'extension à tout type de produit dérivé, y compris les dérivés portant sur les matières premières. En effet, quelques activités sont cotées sur la place de Paris, notamment dans le domaine agricole. Nous sommes également compétents - depuis peu - sur le marché des quotas de CO2.

Tel est l'univers que nous devons contrôler.

Notre dispositif est organisé de la manière suivante.

Nous avons, d'une part, des équipes qui assurent une surveillance. Une équipe est ainsi dédiée à la surveillance des transactions. Chaque jour, nous passons des tests statistiques sur l'ensemble des transactions que nous recevons pour détecter d'éventuels mouvements anormaux, et que, le cas échéant, nous analysons.

Environ 300 alertes nous remontent chaque jour. Bien évidemment, beaucoup s'expliquent facilement. Nous procédons à une analyse des cas plus énigmatiques, cette analyse pouvant ensuite déboucher, après décision de ma part, sur une enquête.

Nous avons également développé une surveillance accrue des intermédiaires financiers. Si nous exercions depuis longtemps déjà une surveillance assez importante et rapprochée des sociétés de gestion de portefeuille, nous avons décidé d'accentuer également la surveillance des agissements des différents intermédiaires de marché.

Voilà pour ce qui est de la veille visant à détecter des problèmes en amont.

Deux autres équipes, composées de contrôleurs et d'enquêteurs, interviennent à la suite de cette surveillance ou de dénonciations de l'extérieur - il y en a. Lorsqu'il nous semble que nous pouvons subodorer un manquement boursier, un manquement d'initié, une manipulation de cours, une fausse information ou un manquement aux obligations professionnelles des professionnels réglementés, nous déclenchons, en cas de manquement aux obligations professionnelles, un contrôle ou, en cas de manquement boursier, une enquête.

C'est notamment dans le cadre de ces enquêtes que nous pouvons « tomber » - si j'ose dire - sur des mouvements anormaux : si nous ne pouvons pas les relier à des manquements boursiers, nous transmettons les informations dont nous disposons à TRACFIN, à charge pour ce dernier de rechercher si de tels mouvements peuvent relever d'une logique de blanchiment - quel que soit le délit sous-jacent, qui peut donc être une fraude fiscale. S'il s'agit clairement d'un délit, notamment fiscal, nous transmettons l'affaire au parquet.

Comme l'a indiqué Jean-Pierre Jouyet, qui en a cité deux exemples, si nos enquêtes ne visent pas à rechercher un délit fiscal, elles peuvent nous amener à découvrir un tel délit.

Dans le cadre des contrôles, nous pouvons aussi tomber sur un cas de fraude fiscale mais, ce qui arrive le plus souvent, ce sont plutôt des déficiences en matière d'organisation dans la lutte contre le blanchiment des professionnels. En fonction du degré de gravité de ces insuffisances, soit nous exigeons une mise au carré du professionnel, soit, pour les cas les plus graves, nous proposons au collège de notifier des griefs, en vue d'une éventuelle sanction.

Nous avons, à l'AMF, une trentaine de contrôleurs et une quarantaine d'enquêteurs. Pour effectuer la surveillance à la fois des professionnels financiers et des transactions financières - je ne parle pas des sociétés cotées, bien que nous les surveillions aussi -, les moyens les plus importants sont en réalité les moyens informatiques : face à l'océan de données et de transactions, l'homme ne suffit pas. Toutefois, l'intelligence humaine demeure irremplaçable en la matière et c'est la raison pour laquelle nous avons dédié une trentaine de collaborateurs à la surveillance des transactions et des professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je vous remercie de cette présentation.

Pouvez-vous préciser sur quelle échelle de temps s'opère le milliard de transactions que vous avez évoqué ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il s'agit non pas d'un milliard de transactions, mais d'un milliard d'ordres passés en bourse, lesquels ne donnent pas toujours lieu à des transactions. En vérité, nous n'auscultons pas seulement les transactions, mais aussi les ordres, notamment pour détecter les cas de manipulation.

Bien que les statistiques soient un peu mouvantes, sachez que plusieurs milliards d'ordres sont aujourd'hui passés en bourse chaque année.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quid des 300 cas d'alerte - correspondant à des délits d'initiés, de manipulations de cours, de fausses informations... - que vous avez évoqués ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

C'est le nombre d'alertes qui nous remontent chaque jour.

Ces alertes proviennent de tests statistiques, lesquels, on le sait, ont leurs limites.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Il y a des variations.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il est à cet égard bien évident que la majorité de ces 300 cas s'explique très simplement par ailleurs et ne donne donc pas lieu à analyse poussée.

Les abus de marché, les manquements boursiers, l'analyse poussée des alertes et parfois des soupçons résultant de dénonciations - de la part de professionnels et, parfois, de particuliers - donnent lieu à l'ouverture d'environ quarante à cinquante enquêtes par an.

Nous menons aussi des enquêtes à la demande de nos homologues étrangers lorsqu'une partie de ce qui les intéresse a lieu en France ou est liée aux agissements de personnes françaises.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous est-il arrivé de repérer des faits de fraude fiscale à l'occasion de ces alertes ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il n'est généralement pas possible de déterminer immédiatement que les mouvements donnant lieu à des alertes correspondent à une fraude fiscale.

En revanche, un certain nombre d'opérations s'expliquent facilement par ce que l'on appelle de « l'optimisation fiscale », qui, je le rappelle, est légale. Je pense à quelques cas classiques d'optimisation s'agissant par exemple du versement du dividende ou du coupon d'une obligation : en fonction de leur situation fiscale, les investisseurs peuvent avoir intérêt à réaliser une plus-value plutôt qu'à toucher un dividende et donc à faire un aller-retour et à transformer l'un en l'autre. De telles opérations, inspirées par des considérations fiscales, ne sont pas pour autant de celles que l'on doit dénoncer.

On n'arrive généralement à la conclusion que l'on est manifestement ou de façon quasi certaine en face d'un délit fiscal devant être transmis au parquet qu'au cours d'une enquête ; le simple examen d'une transaction ne suffit pas, il faut aller plus loin.

Nos enquêtes portent sur des faits susceptibles de constituer des manquements boursiers. Par conséquent, si nous pensons qu'il n'est pas possible ou qu'il est très improbable que l'alerte que nous analysons soit liée à un manquement boursier, nous n'ouvrons pas d'enquête. En revanche, si l'opération nous paraît bizarre, nous la transmettons à TRACFIN.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Il vous est donc arrivé, au terme de ces différents processus, de vous retrouver face à des délits établis.

Sur l'ensemble des affaires que vous avez eu à traiter, à combien de transmissions au parquet avez-vous procédé ? Pouvez-vous en outre, sans violer l'anonymat, nous indiquer la nature précise des faits concernés ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Le nombre de transmissions au parquet, en dehors des délits boursiers, est évidemment assez aléatoire puisque, je le répète, nous ne recherchons pas les délits : nous les découvrons à l'occasion de nos enquêtes. En tout état de cause, il s'agit de quelques unités par an.

Pour ce qui est des faits, nous en avons déjà cité quelques cas de figure : sièges fictifs, opérations de dissimulation de bénéfices des sociétés...

En vérité, nous détectons surtout des fraudes fiscales liées à des personnes morales puisque, pour ces dernières, nous sommes guidés par le sens économique de l'opération. Pour les personnes physiques, les fraudes fiscales sont beaucoup plus difficiles à identifier car on peut, d'une manière ou d'une autre, trouver une explication raisonnable à tout mouvement financier.

Les transmissions au parquet concernent donc essentiellement des personnes morales.

Bien entendu, une enquête peut nous amener à découvrir un compte important dans un pays de nature à nous laisser penser que des sommes résultent pour partie de fraudes fiscales. En tout état de cause, il ne peut s'agir que d'un vague soupçon.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Il faut en apporter la preuve !

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il est bien évident que nous ne pouvons guère alors que garder dans un coin de la tête qu'une fraude fiscale explique peut-être l'existence de ce compte. Toutefois, pour envoyer un dossier à TRACFIN, il nous faut des éléments sérieux et suffisants indiquant une anomalie et, pour le transmettre au parquet, il nous faut non pas une certitude - l'AMF n'est pas un juge pénal ! -, mais un très fort soupçon, une forte présomption.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

On sait que beaucoup de banques françaises ont des entités dans les paradis fiscaux. J'imagine que, dans le cadre de votre travail de suivi, de régulation et de contrôle de l'activité bancaire, et plus précisément dans le cadre de vous enquêtes, vous êtes confrontés à cette réalité.

Comment vous comportez-vous en présence de structures opaques d'un organisme bancaire mondial implanté dans des paradis fiscaux offshore ? Suivez-vous d'un peu plus près les ordres provenant de ces territoires ? Quelle stratégie déployez-vous face à cette difficulté ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Premièrement, le contrôle général des banques ne relève pas de l'AMF.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Il relève de l'Autorité de contrôle prudentiel. L'AMF contrôle la circulation des produits.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Nous surveillons certaines activités de banques, lorsqu'elles sont prestataires de services d'investissement.

En revanche, c'est l'Autorité de contrôle prudentiel qui est en charge de l'organisation des dispositifs anti-blanchiment au sein des groupes bancaires.

Deuxièmement, nous recevons systématiquement toutes les informations concernant les transactions - des transactions boursières classiques portant sur les valeurs cotées à la bourse de Paris aux transactions sur les marchés dérivés - menées en Europe, par quelque intermédiaire financier que ce soit, dans notre domaine de compétence Nous recevons ces informations automatiquement, chaque jour, de l'ensemble de l'Europe. Mais, dans les éléments que nous recevons, nous ne disposons pas de l'identité du bénéficiaire de l'opération ; nous ne connaissons que celle de l'intermédiaire financier. Par conséquent, lorsque nous jugeons qu'il faut analyser plus avant la transaction, nous devons demander à cet intermédiaire de nous donner le nom de la personne qui est « derrière » la transaction.

C'est classiquement à ce moment que nous pouvons arriver dans un centre offshore. En effet, si l'intermédiaire est en général européen, le bénéficiaire économique de l'opération ne l'est pas nécessairement : il peut être installé dans un centre offshore. Dans cette hypothèse, nous demandons à notre autorité-soeur dans le pays concerné --y compris un centre offshore - de nous communiquer les informations dont elle dispose afin de nous permettre d'aller plus loin dans les investigations.

De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la plupart des centres offshore auxquels nous avons eu affaire ces dernières années coopèrent effectivement.

En vérité, s'ils coopèrent, c'est parce qu'ils savent que nous recherchons non pas des délits fiscaux, mais des délits boursiers et parce qu'ils ont bien compris que ne pas coopérer pour les délits boursiers ne serait pas bon pour leur image de centre financier.

Les raisonnements sont peut-être un peu différents en matière fiscale...

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Parmi les deux enquêtes que vous avez citées, l'une concerne une société dont le siège social était au Luxembourg. Quelle a été l'attitude du Luxembourg dans cette affaire ? Vos interlocuteurs ont-ils été très coopératifs ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Nous n'avons rencontré aucune difficulté.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Votre travail a-t-il évolué - le cas échéant, dans quelle mesure et dans quelles proportions ? - depuis les derniers G20, notamment depuis celui de 2009, dont l'ordre du jour comportait la lutte contre les paradis fiscaux et l'évasion ? Votre rôle s'en est-il trouvé modifié, voire renforcé ? Si oui, de quelle manière ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Sur la fraude fiscale en tant que telle, la réponse est non.

En revanche, il est tout à fait clair qu'une pression accrue s'exerce désormais sur les pays qui restent non coopératifs ou peu coopératifs à notre égard. On le voit bien, un certain nombre de pays cherchent à montrer qu'ils jouent le jeu.

Cette pression supérieure s'exerce en particulier sur les grands pays émergents. Si beaucoup d'entre eux coopèrent très bien, d'autres le font moins aisément. Non qu'ils ne soient pas coopératifs, mais il y a une habitude à créer.

Je prends l'exemple de la Chine : jusqu'à une période récente, nous n'avions pas coopéré avec la Chine, car nous n'en avions pas réellement eu l'occasion. C'était d'ailleurs le cas pour l'ensemble des Occidentaux. Mais le monde change très vite. Aujourd'hui, nous commençons à avoir besoin de l'aide de la Chine dans certaines de nos enquêtes. On sent bien que les Chinois ne sont pas encore complètement à l'aise, mais je ne doute pas que, dans le cadre du G20, la coopération, un peu longue aujourd'hui à se mettre en place, s'améliorera dans les trimestres à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur Jouyet, je vous remercie beaucoup de la qualité de votre propos.

On l'a bien compris, la fraude fiscale n'est pas votre coeur de métier. C'est, pour vous, une activité annexe ou connexe : lorsque vous avez des doutes ou des interrogations, vous transmettez les dossiers au parquet.

Réalisez-vous ensuite un travail statistique sur, d'une part, le nombre de cas que vous avez transmis au parquet et, d'autre part, les suites qui y ont été données ? En particulier, savez-vous dans quelles proportions ces transmissions ont été suivies de poursuites pénales - étant bien évidemment entendu que le rôle de la politique du parquet en la matière est crucial ?

J'en viens à ma deuxième question : vous nous avez bien signalé la zone de flou qui entoure un certain nombre de professions peu réglementées, d'entreprises en conseil diverses. Pour ma part, je souhaite vous interroger sur le rôle, en amont, des conseils d'administration de nos grandes entreprises françaises : comme moi, vous savez que l'entre-soi y est très pratiqué et qu'un grand nombre d'administrateurs croulent sous le travail et les dossiers. J'ai furtivement siégé dans un grand conseil d'administration ; on m'a alors expliqué que le principe de confiance était dominant, qu'un dossier n'était a priori pas épluché de façon exhaustive avant une session et que seuls quelques membres du conseil planchaient en fait sur ces questions, en vertu d'une répartition des rôles définie à l'avance.

Comme chacun sait, l'Allemagne n'a pas la même culture que la France s'agissant des administrateurs, ce qui n'est pas sans conséquence sur le rôle qui leur est dévolu en termes de formation - tous les conseils d'administration sont précédés de training. Quelle est votre vision du rôle français des conseils d'administration ?

Ma troisième et dernière interrogation porte davantage sur votre coeur de métier : elle concerne le rôle de l'information, sa communication et la question des fuites.

En France, la profession journalistique est très courageuse et fait très bien son métier. Pour autant, certains groupes de presse ont des intérêts extrêmement liés à ceux des grands groupes industriels ou bancaires. Ces questions sont extrêmement sensibles car l'information, c'est de l'argent. Vous le savez aussi bien que moi : derrière les rumeurs, vraies ou fausses, et les contre-informations, on trouve parfois des consultants cherchant à mettre en difficulté les concurrents des entreprises qu'ils aident en organisant de fausses fuites et en diffusant de fausses informations.

Quelle est la marge de manoeuvre dont vous bénéficiez dans ce domaine ?

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Premièrement, nous n'avons pas fait de statistique ad hoc sur les dossiers relatifs à des opérations de lutte contre le blanchiment, de financement du terrorisme ou de fraude fiscale adressés au parquet.

En revanche, nous tenons des statistiques sur tout dossier réalisé à la suite d'une enquête, d'un contrôle ou d'une alerte que nous transmettons au parquet.

Il y a quelques jours, nous avons mis à jour les statistiques portant sur les enquêtes, ce qui nous a permis d'avoir une visibilité sur les dossiers restés sans suite et sur les délais de traitement judiciaire.

Madame Bouchoux, je peux vous dire que, d'une manière générale, la comparaison n'est ni au déshonneur ni au désavantage de l'AMF, qu'il s'agisse des sanctions ou des délais de traitement.

Deuxièmement, en ce qui concerne les conseils d'administration, chacun sait que je suis attaché au franco-allemand, mais le modèle allemand que vous avez cité n'est pas le seul à devoir être considéré ! Le modèle britannique qui existe en ce domaine n'est pas mauvais non plus.

Quant au modèle français, il s'est amélioré, notamment en termes de formation. Je pense à l'Institut français des administrateurs ; je ne sais si vous avez auditionné Daniel Lebègue, son président. En tout état de cause, des progrès certes récents, mais importants ont été accomplis en matière de formation et d'information des administrateurs.

En outre, il faut distinguer les conseils et les comités d'audit. C'est ce qui a été fait à l'AMF c'est ce qui a été fait à l'AMF avec le groupe de travail sur les comités d'audit, constitué en 2010 et présidé par Olivier Poupart-Lafarge, membre du collège, dont le rapport public a notamment contribué à clarifier les missions de ces comités.. Pour avoir travaillé à la direction du Trésor - Thierry Francq et moi-même avons été administrateurs de sociétés à participation publique, Thierry Francq plus souvent que moi, puisqu'il est resté plus longtemps en poste dans cette direction - nous connaissons les pratiques et pouvons assez légitimement nous exprimer sur le sujet.

À cet égard, je suis d'avis que l'implication dans les dossiers dépend de chaque administrateur ! Je parle sous le contrôle de Thierry Francq : il n'y a pas de règle qui interdise à un administrateur de poser des questions ou d'avoir accès à un dossier. La situation contraire serait anormale et devrait être signalée à l'AMF : si, en tant que telle, cette dernière ne dispose pas de pouvoirs réglementaires en matière de gouvernance, elle a le droit de s'assurer que les pratiques respectent les codes de bonne conduite édictés en la matière, notamment le code AFEP-MEDEF. C'est au législateur qu'il appartient de décider s'il faut aller plus loin en ce domaine.

À l'AMF, le comité d'audit, qui est investi de fonctions particulières, est distinct des comités de nomination et de rémunération, dont sont aujourd'hui membres les représentants de l'État ; vous avez raison, cela n'a pas toujours été le cas, notamment lorsque Thierry Francq et moi-même travaillions à la direction du Trésor.

Il appartient à tout administrateur d'étudier les dossiers : s'il n'a pas fait son travail, il y va de sa responsabilité individuelle. En tout cas, je ne connais pas d'administrateurs de l'AMF qui se soit plaint de ne pouvoir accéder à un dossier ou de la répartition des dossiers.

Troisièmement, vous m'avez interrogé sur la profession journalistique. Sachez que nous contrôlons la qualité, l'objectivité et l'exhaustivité de l'information, au travers des documents qui nous sont communiqués par les sociétés.

Vous comprendrez que je sois prudent sur ce point - peut-être le secrétaire général complétera-t-il. En tout état de cause, si nous devons respecter l'indépendance journalistique, lorsque nous sommes en présence de fausses rumeurs, lorsque nous nous apercevons qu'il y a des tentatives de manipulation dans la presse, nous en prenons compte dans nos enquêtes et dans nos contrôles. Nous auditionnons alors les représentants de la presse, quels qu'ils soient, sur ces rumeurs et sur leur origine.

Je ne sais pas si le secrétaire général, qui connaît ce point mieux que moi, souhaite apporter des explications.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il faut distinguer le cas particulier des journalistes amenés à émettre des recommandations d'investissement. En effet, s'il ne saurait être question de remettre en cause le secret des sources, ces professionnels sont régis par des dispositions assez particulières : ils doivent appliquer des règles de déontologie spécifiques. Il nous est déjà arrivé d'enquêter sur de tels journalistes : nous nous sommes alors demandé s'ils pouvaient avoir un intérêt personnel aux recommandations qu'ils avaient formulées.

À ma connaissance - mais peut-être ma mémoire ne remonte-t-elle pas assez loin -, nous n'avons jamais à ce jour détecté de telles opérations au cours de nos enquêtes,...

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Exactement !

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

à une exception, Nicolas Miguet, qui se trouve être aussi journaliste et a récemment été condamné par l'AMF pour ce type d'agissements. Je peux l'indiquer car il s'agit d'une sanction publique. Je précise d'ailleurs que des recours sont en cours.

Nous disposons donc tout de même de moyens d'action.

Le relais de rumeurs est un cas beaucoup plus difficile à traiter : en raison du secret des sources, nous n'avons même pas le pouvoir de demander à un journaliste la source de la rumeur qu'il a relayée. Nous cherchons malgré tout à enquêter, mais il est clair que c'est extrêmement difficile. Bien entendu, c'est d'autant plus difficile quand le journaliste est à l'étranger.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Cela nous est arrivé. D'ailleurs, une enquête est en cours sur une rumeur venue de l'étranger.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Le cas est bien connu.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il n'est pas non plus très facile d'enquêter sur de telles rumeurs. Nous disposons tout de même de moyens pour le faire.

Pour la plupart des rumeurs qui nous semblent avoir possiblement donné lieu à des opérations financières - celles qui n'ont pas eu d'impact parce qu'elles n'étaient pas crédibles ne nous préoccupent pas trop -, nous sommes conduits à mener des investigations dans les salles de marché, car c'est souvent là que naît la rumeur, même si le truchement d'un journaliste a été nécessaire.

En tout état de cause, les rumeurs font partie des sujets les plus difficiles à appréhender dans le cadre d'une enquête. Nous ne désespérons pas pour autant...

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Cela vaut d'ailleurs pour tous les régulateurs, qu'ils soient français, allemand ou britannique.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Du reste, cela ne vaut pas seulement en matière boursière.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Premièrement, j'ai bien entendu, messieurs, que la coopération internationale semblait être plus importante en cas de délits boursiers qu'en cas de fraude fiscale. Il semble que ce constat soit partagé.

Vous avez évoqué tout à l'heure l'organisation internationale de la surveillance des marchés financiers. La coopération est-elle plus importante sur le territoire européen, et je ne parle pas seulement de l'Union européenne ? Se fait-elle également avec des États aujourd'hui jugés coopératifs, alors qu'ils restent des paradis fiscaux, comme le Luxembourg, les Îles anglo-normandes, Andorre, Monaco ou la Suisse ?

Vous avez indiqué que vos homologues étrangers - vous avez cité le Luxembourg - répondaient de manière positive à vos demandes d'enquête dès lors qu'il s'agissait de délits boursiers. Pour notre part, nous avons constaté, à l'occasion de nos auditions, que la coopération était beaucoup plus compliquée à mettre en oeuvre lorsque l'enquête est menée par un juge.

De manière un peu réciproque, vos homologues des pays que je viens de citer vous adressent-ils des demandes d'enquêtes sur des délits boursiers ayant eu lieu en France ?

Deuxièmement, qu'il s'agisse des délits de fraude fiscale ou des délits boursiers, nous sommes confrontés à la même difficulté : le sentiment d'avoir toujours un temps de retard sur ceux qui souhaitent frauder. Existe-t-il, au sein de l'AMF, une cellule de recherche et d'innovation dont l'ambition serait d'avoir un temps d'avance, notamment en termes de progrès technologiques, sur ceux qui cherchent toujours à contourner la loi ou les dispositifs que nous mettons en place ? Si tel n'est pas le cas, cela signifie-t-il que vous considérez vos moyens actuels comme suffisants ? En quelque sorte, avez-vous les moyens de votre ambition ?

Troisièmement, on constate souvent que l'exemplarité peut être une solution efficace pour éviter la fraude fiscale. Il en va sans doute de même pour les délits boursiers que vous êtes amenés à constater. Quels moyens de communication mettez-vous en oeuvre à cet effet ?

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Sur les aspects fiscal et boursier, je suppose que vous avez également entendu les agents de la Direction générale des impôts et de la Direction de la législation fiscale : pour avoir commencé ma carrière au ministère de l'économie et des finances, je ne voudrais pas laisser croire qu'elles ne font pas elles aussi le maximum en matière de coopération pour obtenir ces différentes informations ! La coopération administrative fiscale existe. Le secrétaire général et moi-même avons simplement dit que nous n'en étions pas chargés.

Au niveau européen, la coopération est forte, en particulier s'agissant des délits boursiers. Vous avez cité les pays qui présentaient parfois le plus de difficultés. Si je m'en tiens à la seule Union européenne - je parle sous le contrôle de Thierry Francq-, sachez qu'il y a un partage égal entre les enquêtes et les travaux que nous réalisons dans le cadre national et ceux qui sont liés à de la coopération européenne ou internationale. Autrement dit, nos enquêtes ont désormais une dimension internationale, ce qui est un fait nouveau. Les statistiques mensuelles que le secrétaire général et moi-même recevons le montrent : sur la quarantaine de cas que nous recevons, la moitié a une origine européenne ou internationale. La coopération se fait donc dans les deux sens.

Avec un certain nombre de pays, les difficultés se concentrent en fait davantage sur les règles. Se mettre d'accord sur les règles qui limiteront au maximum les délits boursiers et les arbitrages réglementaires ou fiscaux découlant d'interprétations de la législation, notamment européenne : voilà ce qui pose problème. Nous le vérifions aujourd'hui avec le Luxembourg. Que signifie exactement la réglementation sur la distribution de tel produit financier ? Par quelles obligations l'information sur tel autre produit est-elle régie ? Qu'a-t-on le droit de faire ou de ne pas faire à Luxembourg et à Paris ?

Bien que nous essayions de dialoguer avec nos amis luxembourgeois, le secrétaire général a récemment saisi l'Autorité européenne des marchés financiers - à la différence du comité qui l'a précédée, l'ESMA détient un pouvoir d'arbitrage - pour qu'elle tranche ces questions et nous dise qui, du Luxembourg ou de la France, a raison sur l'application de la règle.

Dans nos relations avec les Luxembourgeois comme avec les Finlandais, c'est l'application et la portée de nos règles qui constituent aujourd'hui le vrai sujet européen.

La coopération avec les pays situés en dehors de l'Union européenne bute sur des difficultés classiques, davantage liées, comme l'a souligné le secrétaire général, soit à des secrets bancaires, soit aux législations internes.

Vous m'avez ensuite interrogé sur le temps de retard que nous pourrions avoir par rapport aux fraudeurs. Je vous le confirme : ce retard existe bel et bien.

Toutefois, comme l'a indiqué Thierry Francq, nous essayons vraiment de nous améliorer sur le plan informatique et de recruter des professionnels de la surveillance des marchés.

Sa modestie a empêché le secrétaire général de souligner qu'il a mis en oeuvre une réforme ayant rationalisé les méthodes d'enquête et de surveillance des marchés de l'AMF. Auparavant, nous n'avions pas de service véritablement dédié à la surveillance des marchés. Aujourd'hui, nous disposons de moyens informatiques et de moyens de contrôle renforcés, ainsi que de moyens d'observation d'Internet.

En tant que président de cette institution et de son collège, il me semble que nous avons fait des progrès, mais il est vrai que nous avons du retard au regard du milliard de transactions et des méthodes de passation d'ordre existant aujourd'hui - ce qu'on appelle le « trading à haute fréquence » ; nous essayons de le combler. D'ailleurs, tout le monde a du retard, même les Américains ou les Anglais ! Pour permettre au régulateur de combler son retard, des règles tendant à une meilleure organisation des marchés doivent être trouvées.

Enfin, grâce au législateur, de récents progrès ont été faits en termes d'exemplarité : la publicité des sanctions est aujourd'hui la règle, et non plus l'exception.

D'ailleurs, la publicité à titre d'exemplarité devient aujourd'hui un élément de la sanction : elle est permise, elle est plus fréquente. Mais, pour cela, il faut qu'il y ait sanction. Tant que la sanction - ou la non-sanction, d'ailleurs - n'est pas intervenue, on reste dans un mode confidentiel. C'est une fois la sanction prononcée que l'on peut communiquer et donner un avertissement ; il faut un acte de droit positif.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Pour compléter ce que vient de dire Jean-Pierre Jouyet, je précise que nous n'avons plus de problèmes de coopération avec les petits pays centres offshore en Europe, qu'ils soient dans ou hors de l'Union européenne - à l'exception d'un seul, Andorre, qui, du point de vue boursier, ne représente objectivement pas un enjeu très important, puisque ce n'est pas une place financière.

Nous recevons assez peu de demandes de la part de ces pays. À leur égard, nous sommes surtout demandeurs, et ce pour une raison simple : il n'est pas illogique qu'un pays comme le Liechtenstein, qui n'a pas de bourse, n'ait pas beaucoup d'informations à nous demander !

S'agissant des questions technologiques, la situation dépend des sujets. Ainsi, le manquement d'initiés n'est pas un sujet technologique : c'est un sujet vieux comme la bourse ! En l'espèce, tout le problème consiste à détecter et à remonter les filières et les obstacles que nous rencontrons existent dans toutes les enquêtes.

Je prends l'exemple des « fadettes », auxquelles l'AMF a fort heureusement accès dans le cadre de ses enquêtes. Comme vous le savez, il s'agit uniquement des factures détaillées, et non pas du contenu des conversations. Les fadettes nous sont très utiles pour établir l'existence de liens entre différentes personnes, l'enjeu, dans un réseau d'initiés, consistant à reconstruire ces liens.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Notamment ceux qui existent sur la salle des marchés !

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Toutefois, la législation de certains pays européens ne permet pas à leurs autorités d'avoir accès aux fadettes, ce qui peut poser problème. Dans ce cas, la coopération judiciaire est probablement plus efficace, les polices judiciaires ayant logiquement plus de pouvoir que les autorités administratives.

En revanche, la technologie est importante pour les manipulations du carnet d'ordres et le high frequency trading. Nous avons recruté des ingénieurs financiers, ce qui ne me déplaît pas parce que je suis moi-même ingénieur de formation.

Oui, nous sommes en retard. J'espère que nous parviendrons, dans ce domaine très technologique, à faire aboutir des enquêtes qui donneront lieu à des sanctions ; c'est pour nous un enjeu. Ce sera toutefois très long et d'autant plus long que les opérations les plus technologiques sont souvent aussi les plus internationales, ce qui donne des enquêtes extrêmement complexes.

Nous défendons une innovation limitée : l'innovation, c'est bien mais, si le coût de la surveillance qu'elle implique devient énorme pour la collectivité, il faut savoir la ralentir. Je pense que c'est sur ce sujet que le débat portera en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Messieurs, je vous prie tout d'abord de m'excuser pour mon retard : j'ai participé à une conférence de presse pour y présenter un rapport, dont je remettrai un exemplaire au président Jean-Pierre Jouyet. Je les remercie, lui ainsi que son secrétaire général, pour la qualité de leurs réponses, qui enrichissent notre réflexion.

Ma question concerne les places offshore : quelle est votre analyse de leur influence sur le fonctionnement des marchés, notamment sur celui du marché français ? Cette influence existe-t-elle ? Le cas échéant, quelle est-elle ?

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Comme le secrétaire général l'a indiqué, la question se pose en termes fiscaux plus qu'en termes boursiers.

Permettez-moi une réponse personnelle - je laisserai ensuite à Thierry Francq le soin de la compléter : cette influence existe, tout en étant en réduction. Dans le domaine qui est le nôtre - je ne vous parle pas de la fiscalité -, un certain nombre d'opérateurs ou de clients, personnes morales ou physiques, peuvent estimer que la réglementation est moins lourde à tel endroit qu'à tel autre. L'AMF considère que de tels arbitrages se font aux risques et périls de chacun : nous ne voulons pas en connaître, sauf si des opérations de manipulation ou de délits d'initiés étaient par la suite découvertes, comme l'a souligné Thierry Francq.

En ce qui concerne d'autres places non européennes - en tout cas, extérieures à l'Union européenne - je n'ai pas le sentiment qu'elles aient une influence décisive en termes boursiers ou financiers, même si des possibilités d'arbitrage réglementaire demeurent. Pour le régulateur que nous sommes, il s'agit de la principale difficulté. Au regard de notre mission de protection de l'épargne, nous tenons des propos sans ambiguïté : c'est à l'épargnant, personne morale ou physique, de prendre ses responsabilités. Nous souhaitons que ce soit extrêmement clair pour les organismes qui peuvent procéder à de tels arbitrages.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Je ne dispose pas de l'ordre de grandeur concernant les volumes des transactions provenant des centres offshore, par exemple à la bourse de Paris, parce que, je l'ai dit, nous n'avons affaire qu'aux intermédiaires. Toutefois, nos enquêtes et ce qu'on appelle les « dépouillements » - lesquels consistent à demander aux intermédiaires l'identité et la localisation de ceux qui sont « derrière » l'opération - nous donnent le sentiment que ce phénomène est assez limité.

Pour l'essentiel, ce sont des hedge funds qui sont localisés dans ces territoires. Cela ne signifie pas pour autant que leurs agissements sont répréhensibles ! Nous comprenons d'ailleurs qu'il existe, pour ces fonds, certaines facilités.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Ces facilités sont d'ordre réglementaire.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

De ce point de vue, nous essayons de communiquer sur l'intérêt d'un cadre très régulé et de faire de la publicité en ce sens - comme l'a dit Jean-Pierre Jouyet, il faudrait essayer de le faire plus souvent - : c'est un élément de protection.

Vous vous souvenez sans doute de l'affaire Madoff. Madoff, c'étaient essentiellement des fonds situés dans un centre offshore. À la suite de problèmes liés à la crise et aux fonds eux-mêmes, on s'est aperçu que des titres avaient disparu - en réalité, ils n'avaient jamais existé. Si les lois françaises, qui sont très strictes, ont permis de contraindre le dépositaire au paiement - puisque la surveillance relevait de sa responsabilité -, d'autres pays, y compris européens, espèrent toujours régler cette affaire.

Le jour où il y a un problème, il est beaucoup plus compliqué de récupérer son argent quand il est placé dans les centres offshore. Il faut donc agir, non seulement en dénonçant certaines pratiques des centres offshore, mais aussi en montrant l'avantage de ne pas y recourir.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

J'insiste sur ce que vient de dire le secrétaire général, car ce point est très important. Il est vrai que ces placements dans des fonds à risque peuvent être tentants quand les taux sont à leur niveau actuel, mais il faut bien savoir que, si les choses tournent mal, vous n'avez aucune possibilité de remboursement.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains fonds sont placés dans les centres offshore ; c'est aussi pour cela aussi que les rendements peuvent y être plus élevés. Néanmoins, il n'y a aucune réglementation, aucune garantie, aucun centralisateur, aucun dépositaire qui surveille l'argent que vous avez placé.

Bien évidemment, nous recommandons aux personnes et aux family offices - il y en a - qui y placent leur argent de savoir ce qu'ils font. Monsieur Collin, votre question est très pertinente, car nous devons encore renforcer la publicité sur ce sujet et mettre davantage en garde les épargnants français et européens. Il faut que la zone euro, voire l'Union européenne dans son ensemble, y réfléchisse, mais c'est un de nos chantiers.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous avons parlé de fraudes et de délits, ce qui est logique au regard de la mission dévolue à l'AMF. Pourtant, monsieur le secrétaire général, vous avez tout à l'heure évoqué un autre point : les profits financiers qui sont en quelque sorte générés par l'ingénierie fiscale, ou l'optimisation fiscale.

Au regard de votre expérience, vous est-il possible de dresser l'inventaire, au moins partiel, des techniques légales d'optimisation fiscale les plus fréquemment mises en oeuvre et, en tout cas, les plus importantes en termes de masses financières ?

Mes autres questions seront celles d'un béotien. Il me semble que toutes les transactions que vous avez à vérifier sont, par nature, des contrats. Peut-on limiter l'imagination contractuelle ? Doit-on, pour limiter certains produits financiers ou certaines techniques boursières, donner de nouveaux coups de butoir au principe, sacro-saint dans notre droit, de la liberté contractuelle ? Dans ce cas, quelle serait la direction prioritaire de ces « uppercuts » ?

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Monsieur Pillet, nous n'avons pas procédé à cet exercice d'inventaire des optimisations fiscales autorisées. Toutefois, ce que nous voyons clairement, à travers notre prisme, c'est, pour l'essentiel, un arbitrage entre flux et stock, entre flux et plus-value. Nous voyons des dividendes, des coupons - j'en ai parlé -, qui donnent lieu à des opérations importantes utilisant, par exemple, les dérivés ; une partie des opérations de dérivés, même si ce n'est pas la majorité, s'explique uniquement de cette manière.

Je le répète, compte tenu de notre champ de compétence, nous voyons essentiellement des techniques d'optimisation fiscale relevant de la fiscalité du patrimoine. Bien évidemment, il existe beaucoup d'autres types d'optimisation fiscale qui restent complètement hors de notre champ de vision à l'intérieur des groupes, comme les problèmes de prix de transfert.

J'en viens à la liberté contractuelle : il y a tout de même un certain nombre de dispositions d'ordre public qui la limitent ! D'ailleurs, une opération boursière n'est pas forcément un contrat au sens strict du terme. Une opération de dérivé, c'est un contrat, contrairement à une transaction sur une action : certes, vous êtes lié par un contrat au prestataire qui effectue des opérations pour votre compte mais l'opération elle-même n'est pas un contrat.

Cela dit, qu'il s'agisse ou non d'un contrat, oui, il me semble qu'il faut limiter certaines libertés en la matière : s'il existe déjà des limitations dans le domaine de la finance, il faut en envisager d'autres, comme, par exemple, pour encadrer le high frequency trading - le trading à haute fréquence - dont j'ai parlé.

Nous demandons que, demain, les autorités de régulation aient la possibilité d'intervenir sur toutes les règles techniques et sur tous les paramètres d'un marché pour assurer son bon fonctionnement et la protection de l'épargne. Aujourd'hui, nous n'avons la main que sur certains paramètres.

Oui, il faut aller plus loin dans la possibilité de limiter les libertés qui existent encore aujourd'hui sur les marchés financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Monsieur le président, sur le plan purement fiscal, j'ai le sentiment que, parmi les manipulations de cours, les opérations de sous-évaluation sont plus dommageables que les opérations de surévaluation.

Il nous arrive de nous interroger sur les raisons pour lesquelles une entreprise donnée rachète ses propres actions, sur la façon dont la filiale assez minoritaire d'une grande entreprise parvient à racheter les actions de la maison mère, sur le fait que, depuis deux mois, tous les grands marchés du monde ont échappé au leader naturel. Pour le coup, il est évident que le fisc est, à chaque fois, désavantagé.

Suivez-vous toutes ces problématiques ? Le rachat d'actions est-il une technique que vous rencontrez régulièrement ? Pouvez-vous préconiser quelques solutions ? Pouvez-vous nous dire franchement si le bien-fondé d'une opération de rachat de ses propres actifs par une entreprise est vraiment toujours vérifié ?

Se pose aussi le problème des véhicules. Puisque cette audition a lieu dans le cadre d'une commission d'enquête portant essentiellement sur l'évasion fiscale, je rappelle que le fisc est également confronté au problème des seuils. Il est bien évident que tel ou tel véhicule vous permet de ne pas tout déclarer. Or, selon la concurrence qui existe entre les groupes, la plus-value latente peut être forte ; c'est d'ailleurs généralement le cas. Comment trouver une solution fiscale à ce manque de transparence sur les véhicules ?

J'en viens à ma dernière question. J'imagine que vous saisissez essentiellement le procureur de Paris. Y a-t-il à l'AMF un intermédiaire qui soit complètement au courant de ces problèmes ? Les sujets sont d'une complexité telle que l'on devrait normalement désigner régulièrement un juge d'instruction. Pouvez-vous nous indiquer le nombre approximatif d'affaires qui ont été présentées à un juge d'instruction ?

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Je vais laisser le secrétaire général répondre à votre question sur les saisines, puisque c'est lui qui les suit.

Sur les mécanismes tels le rachat d'actions, je précise qu'ils ne dépendent pas que de la fiscalité ! L'évolution des marchés joue un rôle non négligeable. Le contrôle des sociétés, le souhait de garder des bases dans le capital national jouent également. Je le répète : les motivations ne sont pas uniquement fiscales.

Sur le plan fiscal, le problème porte sur la façon dont le législateur souhaite traiter l'imposition des plus-values par rapport à celle des dividendes ou des bénéfices. Tel est l'enjeu ! Dans un second temps, il s'agira de regarder comment cette réglementation fiscale, qu'il ne m'appartient pas de juger en tant que président de l'AMF, s'insère dans le cadre européen.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Il est clair que, sur le plan économique, le rachat d'actions est quasiment équivalent au versement d'un dividende. Toutefois, l'actionnaire touche, dans un cas, un revenu - un flux - et, dans l'autre, une plus-value. Plus l'imposition des plus-values diffère de celle des revenus financiers, plus les opérations d'arbitrage sont nombreuses. Cela dit, je peux comprendre qu'il ne soit pas si simple d'aligner les deux fiscalités, pour des raisons concrètes et pratiques.

S'agissant de la saisine du parquet, beaucoup d'éléments relèvent du parquet de Paris, qui, dans le domaine boursier, a un monopole national. Cela étant, nous avons des relations avec d'autres parquets, puisque nous sommes amenés à détecter, par exemple, de possibles escroqueries. Nous en avons ainsi détecté une en début d'année dans le Var : nous sommes donc bien évidemment, dans cette affaire, en contact avec le parquet du Var.

Aujourd'hui, la collaboration avec le parquet de Paris est bonne ; elle est fluide. Cela n'a pas toujours été le cas.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Pour compléter ce que vient de dire le secrétaire général, je précise qu'il y a à l'AMF une direction des affaires juridiques ainsi qu'une magistrate qui suit les affaires contentieuses et les sanctions. Les relations de l'AMF avec les juges et le procureur général près la cour d'appel passent par cette magistrate et par le secrétaire général.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Sur le nombre de saisines du parquet, je vous avoue que je n'ai pas les chiffres en tête, mais j'estime que c'est de l'ordre d'une centaine par an. Diverses raisons peuvent motiver la saisine d'un parquet : soit des manquements boursiers, soit la détection d'escroquerie ou d'activités sans agrément puisque, sur ces questions, nous n'avons pas de pouvoir - le seul pouvoir appartenant au pénal. À ma connaissance, une grande part des affaires que nous transmettons au parquet fait l'objet d'enquêtes de ce dernier plutôt que des juges d'instruction ; c'est en tout cas ce que l'on a pu noter ces dernières années.

Enfin, le problème des seuils nous préoccupe, non pas pour des raisons fiscales,...

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

mais pour des raisons de transparence du marché.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Petit à petit, nous apportons des améliorations dans nos dispositifs.

Premièrement, cela a été souligné, un certain nombre de sanctions, publiques et donc pédagogiques, sont intervenues récemment, qui ont fait date en la matière.

Deuxièmement, l'enjeu ne porte pas tant sur les franchissements de seuils directs que sur les franchissements de seuils indirects au travers d'instruments dérivés. Comme nous l'avions suggéré, la loi, qui ne couvrait initialement que le cas des instruments à dénouement en actions, a été modifiée avec l'aide des sénateurs, quand il est apparu que l'on pouvait aussi, par une technique encore plus sophistiquée, utiliser des instruments à dénouement monétaire - lesquels sont désormais également couverts par la législation. Cette extension va d'ailleurs également intervenir à l'échelle européenne.

Nous sommes donc en train de boucher ce trou.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Nous avons d'autres trous à boucher sur le plan fiscal !

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Certes, mais vous comprenez bien que ce qui est important pour nous, c'est le contrôle de sociétés et l'information sur les prises de contrôle rampantes.

En ce qui me concerne, je ne suis pas suffisamment compétent pour répondre à votre question sur les incidences fiscales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur Jouyet, en tant que président de l'autorité chargée du contrôle et de la régulation des marchés financiers, et compte tenu de votre expérience européenne, je voudrais avoir votre sentiment sur la compétitivité de la bourse de Paris.

En effet, l'évasion des capitaux ou des actifs hors de France renvoie à la question de la compétitivité de la place boursière de Paris dans l'espace européen, par rapport à Londres ou à Francfort. Comment se situe actuellement la place financière de Paris parmi les acteurs du marché ? A-t-elle tendance à s'étioler, alors que la zone euro ne compte que deux bourses, dont celle de Paris ?

On a parlé beaucoup de la « directive Barnier » à la Commission européenne. Ma question va un peu dans le sens contraire de celle de mon ami François Pillet : n'y a-t-il pas trop de réglementation ? D'une manière générale, les Français ne sont-ils pas tellement soucieux de réguler qu'ils en perdent finalement un peu de compétitivité dans l'espace européen ?

Je voudrais ensuite obtenir une précision. Nous nous réjouissons avec vous du fait que le GAFI ait placé la France au troisième rang mondial de la lutte contre la fraude fiscale. Quels sont les pays situés aux premier et deuxième rangs ? S'agit-il de pays européens ? Ne vous sentez pas obligés de nous communiquer la réponse tout de suite...

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Nous nous ferons un plaisir de vous la transmettre !

En toute franchise, je considère que le problème de la place de Paris n'est pas lié à la « surréglementation ». Sa sécurité reconnue et la clarté et l'objectivité de son régulateur par rapport aux différents investisseurs sont, au contraire, des avantages !

La compétitivité de la place de Paris est liée à trois éléments.

Premièrement, c'est le nombre et l'importance des groupes qui resteront cotés à Paris qui déterminera l'importance de la place.

Deuxièmement, il faut que la défense de la place de Paris soit considérée comme un intérêt politique.

Troisièmement, il existe aujourd'hui entre les différentes places une bataille industrielle extrêmement forte, liée au degré d'organisation des marchés. Plus les marchés seront organisés, plus il y aura de chambres de compensation, c'est-à-dire de mutualisation des ordres d'achats et de vente, plus ces dernières seront liées à la zone euro, plus la place de Paris sera forte. En revanche, si nous perdons des batailles d'influence européenne sur l'organisation des marchés, sur les chambres de compensation des ordres d'achat et sur le lieu d'implantation de ces chambres, la place de Paris s'affaiblira.

Je crois avoir été assez clair et franc avec vous !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

J'ai encore plusieurs questions à vous poser mais, si vous en êtes d'accord, je vous laisserai le soin de nous retourner vos réponses écrites dès que vous en aurez la possibilité.

Je conclurai en vous posant une question plus générale.

On a vu les difficultés qui existent au sein de l'Union européenne pour trouver un accord sur la définition des notions. Je voudrais connaître la définition que l'AMF donne à la notion de « risque fiscal ». Quel message souhaiteriez-vous porter à vos homologues européens sur ce sujet ?

Je pense, par exemple, aux informations données par les entreprises sur leurs risques fiscaux.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers

Il est vrai que, dans un certain nombre de dossiers que nous avons ou que nous avons eu à connaître - je ne peux pas être plus précis -, les informations données par les entreprises sur les risques fiscaux encourus ou supportés nous ont paru insuffisantes ; je parle ici sous le contrôle de Thierry Francq.

Dans une telle situation, le secrétaire général peut informer les représentants de ces entreprises qu'ils doivent faire connaître aux actionnaires et au public l'impact direct d'une stratégie qu'ils ont arrêtée ou d'une décision fiscale qu'ils ont prise. Même si ce n'est pas facile, nous essayons de surveiller au plus près ces éléments, qui doivent figurer dans l'information communiquée par les entreprises.

Debut de section - Permalien
Thierry Francq, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers

Les facteurs de risque constituent une rubrique obligatoire dans l'information que doivent transmettre les émetteurs. Néanmoins, si nous essayons de faire converger les pratiques en Europe, des différences fortes subsistent. Ainsi, nous sommes en la matière plus demandeurs et plus exigeants que la moyenne.

Un point demeure extrêmement délicat : lorsqu'une affaire judiciaire est en cours ou encas de litige, il n'est pas toujours évident de demander aux entreprises le montant de leur risque fiscal. En effet, ce renseignement peut avoir une influence sur le déroulement de la procédure. On ne peut exiger d'un émetteur qu'il nous délivre une information manifestement contraire à son intérêt social.

En dépit des limites indépassables que continue de connaître cet exercice de communication, nous espérons que la convergence se poursuivra dans les prochaines années, avec la construction européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le président, monsieur le secrétaire général, il me reste à vous remercier pour ces précisions très complètes.

Dans quelques instants, nous auditionnerons M. Maurice Lévy. Nous essaierons d'oeuvrer pour que les entreprises françaises soient de plus en plus présentes à la bourse de Paris et de plus en plus fortes.

La commission procède ensuite à l'audition de M. Maurice Lévy, président directeur général de Publicis.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Mes chers collègues, nous accueillons M. Maurice Lévy, président directeur général de Publicis.

Je vous rappelle, monsieur le président directeur général, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Maurice Lévy prête serment.)

Je vous remercie.

Monsieur le président, je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire, avant de répondre aux questions que vous a déjà adressées notre rapporteur, M. Éric Bocquet, puis à celles des membres de la commission.

Vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Permettez-moi, pour commencer, monsieur le président, d'apporter une correction. Je suis non pas le président directeur général de Publicis Groupe, mais le président de son directoire. Publicis est une société à conseil de surveillance et directoire.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Mes pouvoirs sont limités. Ils ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux d'un président directeur général. Je le dis juste pour ordre. Ayant juré de dire toute la vérité, je la dis donc également sur mon titre !

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Ce n'est pas un problème. Les sociétés à conseil de surveillance et à directoire étant peu nombreuses, par extension, je suis de manière générale appelé président directeur général, mais je tenais à apporter cette précision.

Je tiens également à préciser que je ne suis pas du tout un spécialiste de la fiscalité et que, fort heureusement pour moi, je ne connais rien à la fraude. Je me contente de la chasser lorsque je la trouve au sein du groupe Publicis.

Si la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales a pour objet d'enquêter sur la fraude fiscale, il me semble important de préciser, en tant que président de l'AFEP, l'Association française des entreprises privées, que, de mon point de vue, ainsi que de celui de ses adhérents, les grandes entreprises sont étrangères à la fraude, qu'elles sont unanimes à condamner.

Pour illustrer mon propos, je rappelle que les grandes entreprises, à commencer par Publicis, ont des codes de déontologie. Le nôtre, appelé Janus, est extrêmement clair. Il s'agit, d'une part, de veiller à la direction et à l'éthique et, d'autre part, de sanctionner. Il est donc à deux visages. Nous donnons régulièrement des indications à nos collaborateurs sur le comportement qui doit être le leur à travers le monde.

Il est important de condamner tout amalgame entre fraudes et grandes entreprises, et je tiens à le faire de manière très claire.

Après ce préambule, je vous propose maintenant de présenter le rôle de l'AFEP, lequel n'est pas très bien connu, d'évoquer un instant les spécificités et les enjeux d'avenir des grandes entreprises, le positionnement de ces entreprises, qui sont soumises à la multiplicité des impositions locales. Enfin, si cela vous intéresse d'avoir le point de vue du président de l'AFEP sur la fiscalité, je vous donnerai quelques pistes pour demain sur cette question.

L'AFEP regroupe près d'une centaine - quatre-vingt-dix-sept ou quatre-vingt-dix-huit - des plus grandes entreprises exerçant leur activité en France. Les effectifs employés par ces entreprises à travers le monde s'élèvent à 5,8 millions de personnes - c'est donc assez important -, pour un chiffre d'affaires annuel de 1 500 milliards d'euros. La capitalisation boursière des entreprises françaises atteignait près de 800 milliards d'euros au 31 décembre 2011. C'est dire le poids de ces entreprises.

Qui sont les grandes entreprises françaises ? Ces entreprises sont d'abord un acteur indispensable du tissu économique français. Ainsi, selon l'INSEE, en 2012, on dénombrait 2 691 049 entreprises françaises, dont 217 sont considérées comme de grandes entreprises. Ces 217 entreprises représentent 3 986 077 emplois, soit 31 % des effectifs du secteur marchand en France, 62 % des dépenses ou investissements de recherche réalisés sur le territoire, 33 % de la valeur ajoutée produite et près de 50 % du chiffre d'affaires à l'export.

J'ajoute que les grandes entreprises françaises, compte tenu de notre économie, sont surreprésentées dans le classement des cinq cents premières entreprises mondiales. Nous sommes devant l'Allemagne, ce qu'il faut tout de même souligner. C'est l'un des rares domaines dans lequel nous battons l'Allemagne de manière très claire.

Enfin, et contrairement aux idées reçues, les grandes entreprises sont un important contributeur aux finances publiques. Le débat sur les prélèvements doit être recentré sur l'ensemble des prélèvements supportés par les entreprises, qui, je le rappelle, représentent 335 milliards d'euros, c'est-à-dire près de 50 % des prélèvements totaux.

Quel est le rôle de l'AFEP ? Quel est notre métier ? Que faisons-nous ?

L'AFEP a pour objectif et pour mission essentielle de faire valoir la position des grandes entreprises françaises auprès des institutions européennes, des organisations internationales et des pouvoirs publics français, essentiellement lors de l'élaboration des réglementations à caractère horizontal, dans les domaines de l'économie, des finances, de la fiscalité, du droit des sociétés, du droit de la concurrence, de la propriété intellectuelle, du droit de la consommation, en matière de réglementation sociale, de droit du travail, de droit de l'environnement, etc.

Notre mission consiste à analyser ce qui peut être élaboré, à en discuter avec les membres de l'AFEP et à rapporter le point de vue et les positions des membres de l'association aux différentes institutions, y compris d'ailleurs au Sénat, où nous venons assez fréquemment afin d'évaluer s'il existe des zones d'amélioration.

Dans le cadre de cette activité, l'AFEP ne collecte aucune information spécifique sur ses adhérents. Ce n'est pas sa mission. Ses analyses sont fondées sur des données publiées, comme les documents de référence des entreprises. Elle n'entreprend aucune démarche sectorielle ou individuelle : elle n'intervient pas en qualité de conseil, que ce soit d'un point de vue juridique, fiscal, social ou environnemental. Ce n'est pas son métier, je tiens à le préciser. Un tel métier existe, il est tout à fait honorable, mais l'AFEP n'a pas les moyens de l'exercer.

De manière générale, les grandes entreprises ont pour vocation de se développer, tant en France qu'à l'étranger. La conquête de nouveaux marchés étrangers implique d'ailleurs une implantation locale. Ces entreprises se battent sur le marché mondial pour accroître leurs parts de marché.

Le siège et les décisionnaires des grandes entreprises sont en France, mais les marchés d'aujourd'hui, et de demain hélas ! - et on peut le regretter pour une certaine part - sont ailleurs : en Chine, au Brésil, en Inde. Les grandes entreprises sont donc également implantées dans ces pays afin d'accompagner leurs clients et de conquérir les marchés locaux.

Ainsi, Publicis est présent dans plus de 109 pays, soit via des sociétés que le groupe contrôle, soit via des entreprises qui nous représentent. C'est l'équivalent d'une formule de franchise ou d'affiliation.

La France représente aujourd'hui 9 % du chiffre d'affaires du groupe Publicis ; 91 % de notre chiffre est réalisé hors de nos frontières. Tout l'état-major du groupe se trouve en France. Les clients français, c'est-à-dire les entreprises françaises, ne représentent aujourd'hui, et on peut le regretter, que 7 % de notre chiffre. Le reste - 93 % - est réalisé avec des sociétés qu'il faut aller conquérir dans le middle west américain, au Chili, au Brésil, en Inde, en Chine, en Russie, etc.

À cet égard, nous sommes d'ailleurs extrêmement vigilants sur le choix des clients. Ainsi avons-nous refusé, pendant des années, de travailler avec des clients locaux dans un certain nombre de pays dans la mesure où nous n'étions pas assurés de la sécurité des opérations.

Quelles sont les motivations d'une implantation locale ? Le client est local. Il est inséré dans un tissu culturel, dans lequel, compte tenu du métier que nous exerçons, nous devons nous-mêmes nous insérer. Le slogan de Publicis est : « Viva la différence ! ». Publicis doit d'ailleurs une partie de sa réussite au fait d'avoir d'emblée reconnu que la mondialisation devait se faire sur les différences culturelles, sur la reconnaissance culturelle de chaque pays et de chaque région. C'est ainsi que nous avons réussi à battre ceux qui proposaient une homogénéisation, que l'on pourrait qualifier d' « américanisation ».

À titre d'exemple, je citerai l'un de nos clients extrêmement important sur l'ensemble de l'Europe qui nous a dit un jour qu'il avait besoin de nous au Kazakhstan. Nous lui avons répondu que nous étions désolés, mais que nous ne connaissions pas le Kazakhstan, que nous ne savions même pas très bien où situer ce pays sur une carte. Il a rétorqué que, soit nous étions présents au Kazakhstan, soit nous perdions sa collaboration. Cela a été simple : il nous a immédiatement fallu trouver un partenaire au Kazakhstan. Nous ne nous y sommes pas installés nous-mêmes, nous avons choisi un partenaire que, ensuite, nous avons racheté. C'est ainsi que nous avons pu préserver la collaboration avec ce client.

L'un de nos très grands clients internationaux à qui j'avais dit qu'il allait nous falloir dix ans pour installer Publicis à l'échelon mondial m'a dit : « Écoutez, la mondialisation, c'est simple : on y est ou on n'y est pas. C'est comme être enceinte : vous l'êtes ou vous ne l'êtes pas. Si vous n'êtes pas mondial, vous ne nous intéressez pas ». C'est ainsi que cela se passe. Nous avons donc été contraints de suivre. Actuellement, nous nous intéressons majoritairement aux pays offrant au groupe des perspectives de croissance et de développement avec des clients locaux.

Toute implantation locale implique une imposition locale. Nous sommes donc assujettis aux impôts locaux. Conformément au droit local et au droit international, les entreprises paient l'impôt sur les bénéfices du pays dans lequel elles réalisent leurs bénéfices. Ainsi, toutes les filiales américaines de Publicis paient, sur les bénéfices réalisés aux États-Unis, l'impôt fédéral et l'impôt des États, ce qui représente des sommes assez considérables. En Chine, le groupe Publicis paie sur toutes les transactions entre 5 % et 9 % de business tax.

Nous sommes souvent interrogés sur la notion d'optimisation fiscale. Je le dis clairement, la fiscalité est une charge, à laquelle nous prêtons la même attention que toutes les autres charges, afin de préserver la compétitivité de l'entreprise, mais nous n'effectuons pas d'opération d'optimisation fiscale juste pour faire de l'optimisation. Ce n'est pas notre façon de faire. Le mot « optimisation » ne fait pas partie de notre vocabulaire.

En revanche, nous sommes bien entendu attentifs à notre ETR, l'effective tax rate, le taux effectif d'imposition. J'ai découvert ce taux - je ne savais même pas ce que c'était, j'ai dû m'informer auprès de notre directeur financier pour le savoir - à la lecture du rapport d'un analyste dans lequel il était question de l'ETR de Publicis. Ce taux est étudié et comparé par tous les analystes financiers.

Le taux effectif d'imposition de Publicis est de l'ordre de 29 %. Le taux de notre plus grand concurrent, qui est britannique - son fondateur est britannique, il est même sir, mais sa société s'est récemment installée à Dublin - est de 24 %, soit une différence de cinq points. Le taux d'Omnicom, autrefois WPP, est supérieur de près d'un tiers. Celui d'IPG, notre concurrent américain, s'établit à 26 % et celui de Havas à 23 %.

La charge d'impôt comptabilisée par le groupe fait l'objet d'un audit régulier, annuel, par les commissaires aux comptes et par tous nos auditeurs. Nous avons des règles extrêmement précises. Leur application est vérifiée en interne et en externe.

À cet égard, il me paraît important de dire de manière extrêmement claire - il faut dire la vérité, toute la vérité - que la différence entre les taux d'imposition pose problème. Il existe une compétitivité fiscale organisée par les États, y compris au sein de l'Union européenne. Les États font des annonces sur leurs avantages compétitifs, qu'il s'agisse de leurs routes, de leur climat, de leurs écoles, du niveau de bien-être ou de leur taux d'imposition.

À titre d'exemple, l'Irlande a attiré WPP. Cette société britannique, qui était installée à Londres, a transféré son siège social à Dublin en indiquant qu'elle le faisait pour des raisons strictement fiscales. Le CEO, le chief executive officer, de WPP a très clairement indiqué qu'un tel déménagement étant à l'avantage de ses actionnaires, il se devait de le faire.

Cette compétitivité n'est pas seulement le fait d'États laxistes.

Ainsi, l'Allemagne a modifié sa fiscalité et privilégié une assiette beaucoup plus large et un taux d'imposition plus réduit. De ce fait, le taux d'impôt fédéral sur les sociétés est relativement faible : il s'établit à 15 %.

Le Royaume-Uni vient d'annoncer un plan d'abaissement du taux de l'impôt sur les sociétés, lequel va passer de 24 % en 2011 à 23 % en 2012, puis à 22 % en 2013. Ce pays, et c'est intéressant, vient de créer la « patent box » : les redevances de brevets sont imposées au taux de 10 %. Il est donc intéressant de loger les brevets en Grande-Bretagne, puisque c'est dans l'intérêt de l'actionnaire.

Néanmoins, la dimension fiscale n'est que l'un des éléments que le chef d'entreprise prend en compte avant de décider de s'implanter dans un pays. Les principaux éléments qui concourent à la compétitivité d'un État sont la qualité des infrastructures, du système éducatif, le coût horaire du salaire, sa capacité à former de la main-d'oeuvre. La fiscalité est un élément accessoire, et seulement accessoire.

Le plus important pour un chef d'entreprise, ce sont les éléments juridiques et sociaux, qu'il examine avec attention. Dans certains cas, ils constituent un fatras difficile pour certaines entreprises, notamment les entreprises américaines. Je n'évoquerai même pas des entreprises chinoises, qui, elles, ne connaissent pas le droit romain et qui, en plus, se trouvent confrontées à un monde qui leur est totalement étranger.

Permettez-moi maintenant d'évoquer très brièvement les pays que j'ai appelés, il y a un peu plus d'un an, non plus émergents, mais « submergents », plus couramment dénommés les BRIC, à savoir le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Ces pays prennent certaines libertés : ils décident de règles n'ayant strictement rien à voir avec les principes qui sont approuvés et admis par l'OCDE. Les taxes qu'ils décident sont en contradiction avec les conventions internationales.

Je n'entrerai pas dans le détail, mais je vous communiquerai des données par voie électronique, comme vous me l'avez demandé. J'aimerais toutefois vous faire part de trois éléments très intéressants.

Premièrement, tous les effectifs de gestion du groupe Publicis sont installés en France. Nous facturons donc sous forme de managements fees nos prestations dans tous les pays, de manière tout à fait cohérente et vérifiable. Or il nous faut soumettre je ne sais combien de documents aux administrations fiscales locales, qui contestent systématiquement nos factures, car elles pensent que nous pompons les profits réalisés dans leur pays et que nous les rapatrions en France pour alléger la charge fiscale.

Lorsque la France facture des prestations de services au Brésil, l'administration brésilienne considère qu'il s'agit de prestations techniques - ces prestations sont pourtant certaines et ne souffrent aucune critique - et prélève à ce titre un impôt à la source de 15 %, auquel s'ajoutent 25 % d'impôts et de charges diverses. Il en résulte que nous, entreprise française, nous ne recevons que 60 % de ce que nous facturons alors que nous devrions normalement en recevoir 100 %.

À cet égard, j'indique au passage - puisqu'il faut parler franchement devant cette commission - que nous ne recevons pas beaucoup d'aide ni de l'administration ni de l'État en pareilles circonstances. On nous laisse un peu seuls face à ces problèmes.

Permettez-moi de vous donner un deuxième exemple, extrêmement intéressant. Lors d'un contrôle fiscal en Chine, l'administration chinoise a redressé l'une de nos filiales au titre de la business tax, qui est une taxe sur le chiffre d'affaires. L'administration exige qu'on lui présente les fapiao, lesquels sont des documents estampillés. Des inspecteurs sont venus collecter ces documents, mais ne les ayant pas tous trouvés, ils ont décidé de nous taxer - ils ne nous ont pas laissé les collecter nous-mêmes comme nous le leur demandions -, arguant du fait qu'il nous serait ensuite possible de réclamer la différence. Nous avons été obligés de payer afin que l'on ne nous retire pas notre licence. Plus tard, nous avons présenté tous les documents à l'administration. Mais on nous a alors dit : « Attention ! L'administration ne peut pas perdre la face. » Revenir en arrière serait, pour elle, perdre la face...

Nous avons demandé l'aide de l'ambassade de France en Chine, celle de l'ambassade de Chine en France, nous avons tenté toutes sortes de choses, mais en vain. Par ailleurs, nous n'avons pas trouvé un seul avocat qui soit disposé à s'attaquer à l'administration fiscale chinoise. Nous avons donc dû payer une somme totalement indue juste pour que l'administration chinoise ne perde pas la face !

Voilà ce qu'il se passe dans un certain nombre de pays.

Pour ne pas abuser de votre temps, je ne vous parlerai pas de l'Inde, qui est un exemple très connu. Ce pays taxe des entreprises au motif qu'elles vendent de manière indirecte en Inde, et ce en contradiction totale avec une décision de la Cour de cassation indienne et de la cour suprême, ainsi qu'avec toutes les règles de l'OCDE.

Les grandes entreprises françaises sont un peu désarmées lorsqu'elles sont confrontées à de telles situations. Elles aimeraient - je le dis en leur nom en tant que président de l'AFEP - bénéficier un peu plus souvent du soutien de l'État français.

Pour conclure, permettez-moi de vous donner quelques pistes d'amélioration, lesquelles prennent évidemment en compte les intérêts des entreprises. Cela dit, l'intérêt des entreprises, c'est aussi l'intérêt de la France. Nous le savons très bien, si nous voulons que la France renoue avec la croissance, nous devons créer des emplois, être plus compétitifs et réussir à implanter des activités plus conséquentes en France.

La fiscalité, comme je l'ai souligné, est un élément qui fait partie intégrante de la compétitivité des entreprises. Elle est d'une façon ou d'une autre répercutée sur les prix. De ce fait, plus une entreprise est taxée, plus ses prix sont élevés. Elle n'a pas le choix.

Dans ce contexte, la bonne solution, celle qui nous paraît la plus évidente, c'est la convergence, à tout le moins avec nos partenaires européens. Nous savons bien - nous ne sommes pas complètement idiots - que la convergence est impossible avec le Brésil et la Chine. En revanche, elle est possible avec les principaux pays européens. Des pays européens, qui bénéficient du soutien de l'Europe, ne devraient pas être en concurrence en matière de fiscalité. Cela me paraît être un élément de base. Ce serait là la moindre des solidarités dans la maison Europe.

En outre, à l'heure où il est beaucoup question de nouveaux impôts, il me paraît important de souligner que notre charge fiscale est plus importante et plus lourde qu'ailleurs. Nous faisons partie des champions du monde de la fiscalité. Avant d'alourdir cette charge, il conviendrait d'y réfléchir à deux fois. Méfions-nous de la fiscalité pesant sur le siège des entreprises et sur un certain nombre d'autres éléments, car elle est très pénalisante.

Pour conclure, je ferai trois remarques.

Premièrement, une certaine sécurité juridique est nécessaire. Il est extrêmement pénalisant de devoir remettre en cause une décision une fois qu'elle a été prise parce que les textes ont changé. C'est pour le moins embarrassant.

Deuxièmement, il faut éviter la rétroactivité fiscale. Ces quinze dernières années, il a été un peu trop fait appel à la rétroactivité alors qu'il fut un temps où la non-rétroactivité était un principe sacro-saint, extrêmement respecté. Un nouveau texte ne s'appliquait pas de manière rétroactive.

Enfin, troisièmement, il serait bon, comme c'est le cas dans un certain nombre de pays, que les entreprises françaises puissent développer avec l'administration des relations empreintes d'un esprit de collaboration, et non de méfiance. Une telle collaboration permettrait d'aller au-delà du rescrit. Dans certains cas, avant de prendre certaines décisions, les entreprises pourraient se tourner vers l'administration, lui demander des conseils, comment elle voit les choses, discuter avec elle des risques. Ce serait extrêmement utile pour l'économie française.

Je vous prie de me pardonner d'avoir été un peu long, mais ayant deux casquettes, je m'exprimais à double titre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

La tache est importante, monsieur Lévy, il fallait être complet. Nous avons bien compris votre message.

Je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais je dois m'absenter quelques instants. M. Collin va me remplacer.

(M. Yvon Collin, vice-président de la commission d'enquête, remplace M. Philippe Dominati au fauteuil de la présidence.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Ma première question s'adressera au dirigeant de Publicis que vous êtes, monsieur Lévy, et non au représentant de l'AFEP.

Vous nous avez présenté votre groupe et son activité. Vous dites qu'il est présent dans 109 pays dans le monde. J'ai bien noté que vous évitiez scrupuleusement les paradis fiscaux. Toutefois, le groupe Publicis compte-t-il des entités dans des territoires à fiscalité privilégiée, en Europe et dans le monde ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Oui, mais nous avons des activités partout où nous sommes présents. Ainsi, en Russie, où l'impôt est de 20 %, nous avons près de mille personnes. En Irlande, les quelques agences que nous avons ne fonctionnent qu'en Irlande, c'est-à-dire que nous n'avons pas d'extraterritorialité. Nous ne sommes pas installés dans un pays alors que nous servirions des clients dans un autre pays : en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou ailleurs. Partout où nous sommes, nous servons des clients internationaux localement ou des clients locaux.

Si vous cherchez à savoir, monsieur le rapporteur, si nous nous installons dans un pays pour éviter ou optimiser la fiscalité, la réponse est non.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Le débat sur la différence entre optimisation et fraude fiscale revient régulièrement lors de nos travaux. Vous nous avez expliqué que vous pratiquiez l'optimisation...

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Non, non !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Selon vous, à partir de quel moment peut-on parler de pratique frauduleuse fiscalement ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Je n'ai pas dit que nous pratiquions l'optimisation fiscale.

Si l'optimisation consiste à faire des manipulations afin de transférer des activités, de réduire les investissements ou à mettre en place des opérations compliquées dans le seul but de réduire l'impôt, c'est clair : nous ne faisons pas cela. Et je le dis sous serment.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Pour moi, c'est très simple : frauder, c'est effectuer de manière intentionnelle une opération afin de ne pas payer l'impôt qui est dû. Je ne saurais pas vous donner une définition juridique. La mienne est un peu basique, mais concrète.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous n'avez donc pas d'entités dans les territoires offshore ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

C'est très clair : nous n'en avons pas.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Nous n'y avons pas de comptes non plus.

À cet égard, permettez-moi de vous donner un exemple assez amusant. Il y a quelques années - c'était il y a quatre ou cinq ans -, nous avons décidé de créer une société financière parce que nous traitons énormément d'argent. Pour vous donner une idée des montants en jeu, sachez que, si notre marge brute d'autofinancement se situe autour de 6 milliards d'euros, notre volume d'affaires est de l'ordre de 60 milliards d'euros.

Lorsque nous avons créé cette société financière, on nous a conseillé de nous installer en Irlande. J'ai refusé. J'ai préféré rester en France, et ce pour deux raisons. La première est une raison idiote de patriotisme d'entreprise. La seconde tient à la suspicion générale. Je ne voulais pas que l'on puisse ne serait-ce que nous soupçonner d'avoir agi uniquement pour des raisons fiscales. Les choses sont d'une grande clarté.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quel jugement portez-vous sur la démarche de votre concurrent britannique qui, lui, a choisi des cieux fiscaux plus cléments, à savoir l'Irlande ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Nous avons été interrogés, pour ne pas dire interpellés, y compris par des actionnaires, à ce sujet.

Il y a quelques années, le gouvernement de Gordon Brown a décidé d'augmenter la fiscalité sur les sièges d'entreprises. Un certain nombre d'entreprises britanniques plus ou moins visibles ont alors décidé de quitter Londres - j'y reviendrai, car c'est un sujet important -, à l'instar de la plus visible d'entre elles, non pas en raison de son poids - le poids d'une entreprise de communication est faible par rapport à celui d'une entreprise comme Total -, mais de l'importance que lui confère le fait de travailler avec des clients mondiaux et dans l'univers des médias. Le chef de cette entreprise - tout cela est public - a interpellé le gouvernement et lui a indiqué que, s'il mettait en oeuvre cette mesure, il quitterait Londres. Le gouvernement, et c'est normal, l'a instaurée. L'entreprise a alors transféré son siège, après avoir organisé des assemblées générales extraordinaires. Il a procédé à une opération assez compliquée puisqu'il s'est installé en partie à Dublin, en partie à Guernesey. Je ne connais pas bien le détail de ces opérations, qui m'ont l'air assez sophistiquées. À ce moment-là, de nombreux investisseurs m'ont demandé ce que je comptais faire. Je leur ai indiqué que je comptais ne rien faire.

Je pense tout d'abord que, si nous sommes ce que nous sommes, nous le devons au pays qui nous accueille et qui nous a permis de nous développer lorsque nous n'étions pas grand-chose, c'est-à-dire la France. Je pense ensuite qu'il est normal que nous contribuions à l'effort national. Sur cette question, ma position a été d'une grande clarté vis-à-vis des actionnaires, et je l'ai défendue publiquement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Dernière question, il me semble, monsieur Lévy, que vous avez été l'un des signataires de l'appel des seize en 2011.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Je suis à l'origine, non pas de l'appel des seize, mais d'une tribune publiée dans Le Monde, laquelle a paru à près en même temps que celle de M. Warren Buffet, bien que je l'aie adressée au Monde avant que M. Warren Buffet ait pris sa position.

J'avais alors adopté une position très claire. Elle l'est d'ailleurs toujours. Nous traversons une période difficile et nous devons faire des efforts. Il est normal que ceux qui reçoivent la meilleure part contribuent davantage. J'appelais à une contribution supplémentaire de ceux qui sont, comme je l'ai dit, les mieux nantis, les plus favorisés.

Le Nouvel Observateur a ensuite décidé de s'emparer de ce texte et de lancer l'appel des seize, que j'ai hésité à signer, car je n'aimais pas le « Taxez-nous ! ». Je n'aimais pas cette approche un peu vulgaire. J'ai néanmoins signé, parce que je ne voulais pas être en contradiction avec le propos que j'avais tenu dans ma tribune. Je suis bien sûr favorable à une augmentation des impôts, mais jusqu'à un certain point.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Ce n'est pas qu'il ne faut pas exagérer, c'est qu'il ne faut être ni confiscatoire ni décourageant. Voilà tout ce que j'ai à dire. Je suis très favorable à l'augmentation des impôts. À titre personnel, je veux bien en payer plus, mais, je le répète, l'impôt ne doit être ni décourageant, ni confiscatoire, ni humiliant.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Merci de votre exposé extrêmement pédagogique et clair. En ce qui me concerne, je vous poserai deux questions.

En matière de fraude et d'évasion fiscale, il y a la réalité factuelle, difficile à saisir - nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs semaines - et la représentation que les acteurs économiques peuvent s'en faire.

Selon une députée européenne que j'ai souvent croisée ces derniers temps et qui a beaucoup travaillé sur ces questions, il existe deux types de pays : d'un côté les pays latins, où le rapport à la norme est un peu flou - on y cherche plutôt la transgression -, de l'autre les pays nordiques, où, pour de multiples raisons historiques et culturelles, on est plus rigide, plus strict. On peut supposer que la fraude et l'évasion fiscales y sont soit moins importantes, soit plus réprimées.

Compte tenu de vos compétences dans le domaine de la communication notamment, ainsi que de votre connaissance des grandes entreprises françaises, pensez-vous qu'il soit possible de modifier l'image d'un certain nombre d'entre elles en termes de vertu afin de les faire passer de la catégorie des pays latins à celle des pays nordiques ?

Vous avez évoqué, à dessein je pense, le cas extrêmement compliqué de la Chine, où le système évolue sans cesse. En France, le système évolue tous les ans, en Chine, il évolue tous les six mois, et différemment selon les régions. Il est ainsi possible d'y entamer un processus commercial avec un système de taux qui peut changer trois semaines plus tard. La Chine est un maquis très compliqué.

Pour autant, ce pays lutte, par des moyens sur lesquels on peut avoir des réserves, de façon très énergique contre la fraude. Vous le savez comme moi, la fraude fiscale est passible de la peine de mort dans un certain nombre d'États en Chine.

J'aimerais savoir, monsieur Lévy, si, selon vous, il existe une manière démocratique et saine de faire en sorte que les acteurs économiques passent de la transgression au respect des normes, afin de limiter la fraude et l'évasion fiscale. Il est vrai, comme vous l'avez bien montré, qu'une différence d'un point en termes de taux, quand les sommes en jeu s'élèvent à 60 milliards ou à 100 milliards d'euros, cela représente beaucoup d'argent.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Ce sont deux questions extrêmement importantes.

Je commencerai par évoquer le cas de la Chine, car ce sera rapide : tout y est insécurité. Tout ! On peut s'y faire retirer son autorisation d'exercer du jour au lendemain. La fragilité juridique y est excessive. Rien n'est respecté : ni le droit de propriété intellectuel, ni le droit de propriété industrielle. Et la liste est longue... Je n'arrive pas à comprendre qu'on ne puisse pas en discuter avec les Chinois.

J'ai évoqué ce problème publiquement - je sais que cela n'a pas été très apprécié - auprès de Wen Jiabao. Lors d'une session privée du World economic forum, dont je fais partie - il y avait 200 personnes -, j'ai expliqué la situation au Premier ministre chinois. Il a pris des positions d'une extraordinaire rigueur, comme savent le faire les Chinois, mais qui n'ont donné aucun résultat.

La situation en Chine est aussi difficile en raison du maquis extrêmement compliqué que constituent les provinces, les régions, l'État. Il y a un système féodal de gouvernement. Je ne peux pas en dire beaucoup plus sur la Chine. Le fait est que, si la Chine ne connaissait pas cette croissance exceptionnelle, si tous nos clients n'y étaient pas, il n'est pas certain que nous y serions allés si rapidement.

Je me souviens que, lorsque j'avais dit à Marcel Bleustein-Blanchet, au début des années quatre-vingt-dix, qu'il allait falloir y aller, il m'avait demandé : « Maurice, est-ce que vous parlez chinois ? ». Je lui avais répondu que non, mais que je n'en avais pas besoin. En fait, il voulait dire que je n'avais pas la mentalité chinoise.

La situation en Chine est effectivement préoccupante.

Sur les pays latins et anglo-saxons, il y a beaucoup à dire.

Le premier coupable, selon moi - pardon de le dire - est l'État. Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis des décennies - pas seulement ces dix, quinze ou vingt dernières années - ont tous évité de parler de payeur de taxes, préférant masquer les choses, parler de contribution. En outre, l'État n'a cessé d'expliquer qu'il fallait diminuer l'assiette, comme si ce n'était pas bien de payer l'impôt. Il a donc réduit l'assiette parce que c'est bien socialement, au lieu de dire qu'il était bon socialement de l'élargir, même si la contribution est petite, et d'expliquer que payer l'impôt est un devoir. De très nombreuses lois traduisent cette volonté. Régulièrement, le ministre des finances ou le Président de la République expliquent à la télévision que le nombre de contribuables a diminué d'un million dans l'année. Et on s'en réjouit ! De telles déclarations donnent évidemment à penser que contribuer n'est pas bien.

Il serait de loin préférable d'instaurer une assiette plus large, de prévoir une petite taxe pour tous, et d'aider ceux qui n'ont pas les moyens par de la redistribution. Le système de redistribution fonctionne si bien en France !

Quant aux grandes entreprises, elles sont scrutées de manière épouvantable. Lisez les rapports d'analyses faits sur ces entreprises. Tout ce que nous faisons y est épluché. Le niveau de détail des questions qui nous sont posées est impressionnant.

J'ai ainsi été obligé de m'informer sur la tonne équivalent carbone pour pouvoir répondre aux questions d'investisseurs. Je pensais pourtant que nous n'étions pas concernés par ces préoccupations. Je pensais en effet que, puisque nous n'avons pas d'usine, nous ne générions pas de gaz à effet de serre. Or j'ai découvert que si, tout simplement parce que nous avons des collaborateurs, lesquels respirent ! Il faudrait donc que j'aie moins de collaborateurs, car plus j'en ai, plus je produis de tonnes équivalent carbone...

Nous sommes donc scrutés de manière extrêmement détaillée. Les grandes entreprises, celles qui sont cotées, celles qui font appel aux capitaux étrangers et aux investisseurs internationaux, sont soumises à la question de manière très rigoureuse. Et il est très mal vu de tricher et de ne pas être extrêmement strict. Je ne suis pas en train de dire que toutes les entreprises se comportent de manière rigoureuse, mais je sais que, de manière générale, tel est le cas.

Nous serons dans une situation extrêmement fragile aussi longtemps que nous ne saurons pas en France trouver de solutions au manque de capitaux. Un investisseur et une association nous ont interrogés sur la manière dont le capital de Publicis était détenu. Malheureusement, notre situation n'est pas très différente de celles des entreprises du CAC 40 : 59 % de notre capital est détenu par des investisseurs étrangers. Heureusement que la famille et les salariés en détiennent encore une part, autrement, ce pourcentage s'établirait plutôt à 65 % ou 70 %.

Pour conclure, permettez-moi de revenir sur un point qu'il me paraît intéressant d'explorer. Depuis de très nombreuses années, on fait peser l'impôt sur un nombre de plus en plus petit, soit d'entreprises, soit d'individus. L'assiette se restreignant, la pression augmente. De ce fait, nombreux sont les gens qui cherchent des moyens pour éviter de payer l'impôt. La conclusion est simple : nous avons intérêt à élargir la base, comme c'est le cas dans tous les pays.

Certes, il y a partout un peu de fraude. Toutefois, j'ai l'impression que les médias ne nous rendent pas service lorsqu'ils titrent par exemple : « La fraude fiscale : le sport favori des Français ». Ils ne cessent de publier des numéros spéciaux dans lesquels des spécialistes donnent des trucs pour éviter d'avoir à payer trop d'impôts. Nous-mêmes, nous sommes fréquemment sollicités par des entreprises, des conseils, qui nous proposent de réduire la base fiscale de Publicis. Nous évitons cela. À titre personnel, je l'évite.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

J'ai apprécié, monsieur Lévy, votre discours sur la volonté des responsables politiques de restreindre l'assiette fiscale.

Permettez-moi une anecdote. J'ai appartenu à la majorité qui a supprimé l'impôt sur les grandes fortunes, l'IGF, en 1986. En contrepartie, l'assiette de l'impôt sur le revenu avait été restreinte, ce qui avait bénéficié à 2 millions de contribuables ayant des bas revenus. Celui qui a pris cette décision a toujours pensé qu'il avait perdu les élections en 1988 parce qu'il avait supprimé l'IGF. Les 2 millions de contribuables ayant bénéficié de la réduction de l'assiette ne lui en ont apparemment pas été très reconnaissants !

De telles décisions sont non seulement des erreurs économiques et fiscales, mais également des erreurs politiques la plupart du temps.

Plus sérieusement, permettez-moi de revenir sur le débat sur la réindustrialisation de notre pays. Alors que tout le monde veut réindustrialiser le pays, pour ma part, je suis de ceux qui pensent que notre principale richesse aujourd'hui, ce sont plutôt les brevets, la propriété industrielle, les marques, le marketing, etc. Je pense que, en matière de production, nous ne pouvons pas concurrencer certaines régions du monde, qui sont aujourd'hui imbattables compte tenu de leurs régimes sociaux. Ce qui fait la différence des chaussures Nike et Adidas, c'est le marketing, non leur lieu de fabrication, qui est de toute façon le même.

Ne pensez-vous pas qu'une fiscalité qui privilégierait un peu ces productions immatérielles aurait un intérêt, qu'elle permettrait d'attirer les chercheurs, les industriels, tous ceux qui passent le cap de la simple production ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Vous avez ce matin auditionné M. Jean-Pierre Jouyet avant moi. Il se trouve que nous avons, lui et moi, cosigné un rapport intitulé L'économie de l'immatériel, la croissance de demain, l'un des rares auxquels j'ai contribué. Il se trouve que plus de 80 % des propositions que nous y avons faites ont été appliquées. Les rapports des deux autres commissions auxquelles j'ai participé, dont l'une concernait la lutte contre la toxicomanie, ont malheureusement terminé au cimetière des rapports des commissions.

Bien avant de rédiger ce rapport, je m'étais déjà beaucoup penché sur le problème de l'économie de l'immatériel. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai été choisi pour travailler avec Jean-Pierre Jouyet sur ce sujet.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, l'économie immatérielle permet non seulement de créer de la richesse, mais également des emplois à forte valeur ajoutée. Elle favorise la croissance de filières d'intelligence et de moyens susceptibles de conduire à la création de véritables pôles de développement. C'est vrai par exemple de la filière de l'économie du numérique, mais il y en a d'autres.

Publicis est un exemple d'entreprise de l'économie de l'immatériel. Nous ne produisons que de l'immatériel. Nous n'avons pas un seul ouvrier. Nos seules fabrications sont des prototypes.

Que s'est-il passé dans ce secteur ?

Je rappelle que le premier moteur de recherche au monde a été créé par des Français, de même que la première plateforme au monde d'enchères sur internet. Je pourrais donner d'autres exemples. Il faut souligner que des Français ont été suffisamment géniaux pour inventer cela.

À ce stade, permettez-moi d'évoquer mon cas personnel. J'ai fait une partie de mes études aux États-Unis. Mes trois fils y ont également suivi des études après avoir fait les grandes écoles françaises. Lorsqu'ils sont arrivés aux États-Unis, ils faisaient partie des 1 % des meilleurs élèves en mathématiques et en sciences physiques. Nous étions, et nous sommes toujours, excellents dans ces domaines. Nous avons des talents rares et bien supérieurs à ceux qui existent dans d'autres pays.

Dans ces conditions, de quoi souffrons-nous ? Nous souffrons de deux maux. Premièrement, nous n'avons pas de capitaux. C'est ainsi, nous ne savons pas les mobiliser. Deuxièmement, en matière de capital-risque, nous avons une culture risk-averse, comme disent les Américains.

Je vais m'expliquer sur ce point.

De nombreux films ou histoires racontent cela : en France, lorsque quelqu'un présente son projet à une banque pour obtenir un investissement, on lui demande d'abord quelles sont ses garanties ; aux États-Unis, on lui prête de l'argent. Sept ou huit fois sur dix, les banques perdent, mais trois fois sur dix, elles gagnent. Et elles gagnent alors beaucoup.

Prenons l'exemple des fonds d'investissements de la Silicone Valley aux États-Unis, les private equities. À cet égard, si cela vous intéresse de savoir comment ils fonctionnent, je serai très heureux de vous ménager des contacts. Sur dix de leurs investissements, il y en a un qui est brillant, ou plutôt un sur cent. Il y en a un sur mille qui donne un Facebook ou un Google. Ensuite, il y en a deux ou trois qui sont bons, voire très bons, un ou deux qui sont moyens, et cinq qui sont totalement déficitaires. C'est à peu près comme cela que cela se passe. Les Américains ont la culture du risque.

En France - c'est un problème culturel français -, nous sommes peu enclins à prendre des risques. Nous sommes excellents dans d'autres domaines, mais pas dans celui-là, et ce parce que nous n'avons pas assez de capitaux. Les choses seraient plus faciles si nous en avions davantage.

À la suite de la rédaction du rapport sur l'économie de l'immatériel, j'ai eu l'idée de créer un fonds dédié. J'ai d'abord essayé d'inciter des gens à le créer, car ce n'était pas mon métier, je ne suis pas un financier. J'ai tenté de convaincre de nombreux financiers qu'ils avaient intérêt à créer un tel fonds, car il était porteur d'avenir, mais je n'ai pas été entendu. Probablement n'étais-je pas assez bon pour défendre ce dossier, je suis prêt à le croire. J'ai donc décidé de le créer moi-même. J'ai alors présenté mon projet à Didier Lombard et à Stéphane Richard, alors respectivement président et directeur général du groupe France Télécom-Orange, qui ont trouvé que c'était une bonne idée et m'ont instantanément dit : « Faisons-le ! ». Et nous l'avons fait.

Nous avons créé une structure spécifique afin qu'elle soit totalement déconnectée de Publicis et de France Télécom-Orange pour éviter tout conflit d'intérêts. Nous détenons 49 % de cette société indépendante, qui investit dans trois domaines.

Elle investit tout d'abord lors de la phase dite « early stage » en anglais, c'est-à-dire au tout début du projet.

Quand l'idée prend forme, ce sont les business angels qui investissent un peu d'argent, ceux que les Américains appellent friends and family.

Lorsque l'idée a commencé à prendre forme, que l'équipe a eu de quoi faire deux ou trois présentations et réunir quelques associés, nous donnons de l'argent.

À l'étape suivante, il est possible de faire un investissement moyen, de 2 millions à 3 millions d'euros.

Enfin, vient la phase que l'on appelle le « growth ». Les investissements peuvent alors atteindre de 20 millions à 30 millions d'euros.

Nous avons mis 75 millions d'euros sur la table, tout comme France Télécom-Orange. D'autres partenaires vont également investir. Le Fonds européen a mis une dizaine de millions d'euros. La caisse des dépôts et consignations va probablement, elle aussi, investir à hauteur de 10 millions d'euros. J'aimerais que d'autres entreprises investissent des sommes substantielles, afin que nous puissions disposer d'un fonds de 500 millions ou 600 millions d'euros qui nous permette d'aider de multiples jeunes start-up. Proportionnellement, nous avons certainement au moins autant d'avantages qu'Israël dans ce domaine.

Il faut savoir qu'Israël est le premier pays au monde en termes de dépôt de brevet par habitant. Les Israéliens déposent plus de brevets et contribuent davantage à la valeur ajoutée. Les présidents de Google, de Facebook, d'Apple, de Microsoft, d'Intel ou de Cisco disent tous la même chose : la filière a été mise en oeuvre en Israël il y a quinze ans. Elle partait de rien. Il y a quinze ans, c'était la taille des diamants. Ils ont mis en place un système supporté par l'État, lequel est d'ailleurs décrit dans le rapport sur l'économie de l'immatériel. Nous y avons très bien expliqué comment réaliser une telle opération, qui favorise le bon développement des entreprises.

En revanche, je suis un peu moins d'accord avec vous sur un point, monsieur le sénateur. Je pense qu'il ne faut pas choisir entre économie immatérielle « ou » réindustrialisation. Je pense qu'il faut plutôt être dans la relation « et ». Il faut investir prioritairement dans le secteur de l'immatériel, car il est porteur d'avenir, mais nous devons également tout faire pour réindustrialiser la France. Notre pays compte plus de 60 millions d'habitants et notre économie ne reposera jamais uniquement sur les nouvelles technologies, sur la génétique ou ces autres voies nouvelles de développement. Il nous faut donc trouver les moyens d'avoir une assise industrielle forte.

À cet égard, je rappelle que, en 1993, Raymond H. Lévy, qui était à l'époque encore président de Renault, Dominique Strauss-Kahn, qui était alors ministre de l'industrie, et moi-même, nous avions créé le Cercle de l'industrie, dont l'objet était de développer l'industrie, de la faire mieux apprécier en France et de la défendre auprès de Bruxelles.

Permettez-moi de vous raconter juste une anecdote, car elle est révélatrice de notre culture.

Nous avions alors voulu organiser une opération portes ouvertes avec des entreprises, ainsi qu'une exposition et un débat au Carrousel du Louvre. Nous souhaitions la participation d'étudiants de l'université et des grandes écoles, de lycéens et de collégiens, y compris d'établissements techniques bien sûr. Quel drame ! Que de temps avons-nous perdu ! Plus d'un an de négociations a été nécessaire avec les professeurs et l'éducation nationale, car ils ne voulaient pas laisser leurs élèves venir rencontrer des entreprises. Depuis, les choses ont changé et se sont nettement améliorées, je dois le dire, mais, à l'époque, c'était incroyable : nous étions la peste. Il était totalement tabou de proposer à de jeunes têtes de venir rencontrer des patrons et dialoguer avec eux, se rendre compte de ce qu'était l'industrie et visiter des usines.

Grâce à l'intervention massive de Dominique Strauss-Kahn, qui n'était alors plus ministre, nous avons réussi à faire venir des classes entières, essentiellement de collèges techniques, mais aussi de quelques collèges et lycées d'enseignement général. Les enfants étaient heureux comme tout ; c'était formidable !

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Je le reconnais. Pas assez vite, pas autant que nous le souhaitons, mais des progrès très sensibles ont été faits. Pardonnez-moi de m'enflammer un peu sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

C'est très bien, c'est très intéressant, monsieur Lévy.

À mon tour, je vous poserai une question.

Pouvez-vous nous indiquer combien d'entités recouvrent les quatre-vingt-dix-huit entreprises que vous représentez ? Combien y en a-t-il en France ? Combien y en a-t-il à l'étranger ?

Les évolutions aujourd'hui traduisent-elles un progrès de l'internationalisation des chaînes de valeur ? Avez-vous une idée du poids de la variable fiscale dans ce processus ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Je ne sais pas. Je peux vous donner quelques éléments, mais, pour le reste, je vous ferai une réponse écrite.

Je parle sous le contrôle de Stéphanie Robert, directrice de l'AFEP, ici présente. Sur les quatre-vingt-dix-huit entreprises de l'AFEP, seules sept ou huit, peut-être une dizaine - je n'ai pas le décompte en tête - ont leur siège à l'étranger. Toutes les autres ont leur siège en France.

Comment se répartit la valeur ? Comment se répartissent les filiales ? Comment fonctionnent-elles ? Quelle est la valeur ajoutée transférée, pas transférée ? Je suis dans le bleu le plus total. Je ne sais rien ! Tout ce que je peux vous dire, c'est comment fonctionne Publicis.

Publicis est installé en propre dans quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq pays et dans cent neuf pays au total. Nous avons un peu plus de mille centres de profit et un peu plus de sept cents entités légales. Une centaine de nos entités comptent encore des associés locaux ayant vendu leur affaire et conservé une participation. Nous exerçons donc notre activité localement.

Ces entreprises locales paient au groupe des prestations de management fees, correspondant au concours que nous leur apportons, et des coordination fees, pour les clients. Nous avons des centres de coordination qui s'assurent que la stratégie du client est bien suivie partout, ainsi que des équipes basées à Paris. Ces équipes sont facturées partout dans le monde. Voilà comment nous fonctionnons.

Tout est très documenté, très clair. Malgré cela, nous sommes soumis à des contrôles fiscaux épouvantables dans tous les pays, qui contestent quasi automatiquement toutes nos factures.

Dès lors que nous facturons des management fees ou des coordination fees, des honoraires de support ou de prestations, le fisc local nous interroge : « Attendez, n'est-ce pas là un moyen de prélever de la substance qui a été générée dans ce pays pour échapper à l'impôt local ? ». Tout ce que nous facturons, je le répète, est donc documenté de manière extrêmement rigoureuse.

Je pense d'ailleurs que les très grandes entreprises, celles qui travaillent à l'international, sont toutes forcées d'avoir une documentation extraordinairement précise concernant leurs transferts de technologie, de matières premières, leurs travaux intermédiaires, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Dans une interview que vous avez donnée au mois d'avril en tant que président de l'AFEP, vous avez évoqué les 250 entreprises qui représentent 27 % des emplois, 34 % de la valeur ajoutée, 53 % des exportations et 62 % des investissements en recherche et développement. S'agit-il des entreprises adhérentes de l'AFEP ou des entreprises françaises ? D'où viennent ces chiffres, qui sont très forts ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Ce sont les 250 entreprises françaises.

Je vous ai communiqué tout à l'heure des chiffres légèrement différents, qui sont ceux de l'INSEE.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Les chiffres que j'ai indiqués tout à l'heure sont des sources INSEE, mais ceux que vous venez de citer sont des données que nous avons recueillies nous-mêmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

J'espère, monsieur Lévy, que vous n'avez pas eu l'impression d'avoir été soumis à la question par la commission de notre vénérable assemblée.

Ce qui nous préoccupe, comprenez-le bien, c'est la transparence, bien évidemment. Nous souhaitons comprendre les situations et donc la nécessité de trouver des capitaux in fine. Vous dites que nous manquons de capitaux, nous en cherchons nous-mêmes. C'est le but ultime du travail que nous menons : il faut financer la formation, l'économie, l'équipement, les infrastructures. Il faut de l'argent pour l'économie réelle.

Par ailleurs, j'indique que, si le nombre de contribuables diminue, c'est peut-être aussi un signe de la paupérisation d'une catégorie de la population en France, vous le savez comme nous. Plusieurs millions de nos concitoyens sont passés sous le seuil de pauvreté. Il y a là peut-être un lien de cause à effet.

Pour terminer, permettez-moi de vous citer le commentaire fait par l'institut Alphavalue que j'ai lu ce matin dans la presse. À l'occasion des nominations des membres des conseils d'administration dans les grands groupes, lesquelles ont lieu actuellement, cet institut soulignait que nombreux sont les membres qui siègent dans plusieurs conseils d'administration. Il ajoutait : « En France, on est les champions de la financiarisation des conseils, les administrateurs sont de plus en plus de purs financiers. »

Après vous avoir entendu parler d'activités réelles, d'économie réelle, d'industrie, j'ai l'impression que vous serez d'accord avec cet avis. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Je ne l'ai pas lu, je ne ferai donc qu'un commentaire général.

La composition des conseils d'administration s'améliore nettement depuis une dizaine d'années. Il y avait, et c'était un reliquat du système des noyaux durs, un système de barbichette. C'était : « J'entre dans ton conseil, tu entres dans le mien ; je prends 2 % de ta société, tu prends 2 % de la mienne. » Puisqu'il n'y avait pas d'argent, ce système de privatisation avait été monté de manière à éviter que les entreprises ne tombent sous contrôle étranger. Il a effectivement eu cette vertu puisque, de manière générale, il y a eu des investissements, des fusions en France, mais peu d'entreprises françaises sont passées sous contrôle étranger, à l'exception notable de l'une d'entre elles, Pechiney.

Ce système a bien fonctionné et n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Désormais, nous avons un système classique, comme il en existe aux États-Unis, où les sociétés ne sont pas contrôlées. La seule chose qui protège les entreprises pour l'instant, c'est d'avoir accès à des capitaux, quand elles le peuvent, et d'être bien tenues par un conseil d'administration.

Il est vrai que les conseils d'administration comptent de nombreux financiers. Nous vivons dans un monde de plus en plus compliqué et, pour réaliser certaines opérations financières, il nous faut des gens connaissant bien le sujet. Prenons l'exemple des convertibles. J'avoue que je ne savais pas ce que c'était et que j'étais ignorant sur ce sujet. Heureusement que, au sein du conseil, quelqu'un m'a expliqué ce que c'était et comment cela se passait, m'a indiqué comment procéder, notamment en ce qui concerne les appels d'offres et certains aspects juridiques précis. Compte tenu de la financiarisation de l'économie, avoir des gens qui connaissent bien le sujet, ce n'est pas plus mal.

En revanche, bien entendu, il ne faut pas que les conseils d'administration soient dominés par les financiers, c'est clair. Je ne connais pas la composition de tous les conseils, mais je pense que beaucoup d'efforts et de progrès ont été réalisés.

Nous avons également fait des progrès en matière de féminisation des conseils d'administration. Lors de mon arrivée à l'AFEP - pardon de le souligner -, nous avons pris une initiative concurremment au projet de Jean-François Copé et de Marie-Jo Zimmermann afin de féminiser les conseils d'administration. La féminisation des conseils a été très utile, car elle nous a obligés à aller chercher des femmes ailleurs.

Au sein de l'AFEP, nous avons mis au point un système très intéressant - cela s'est fait avant moi - de mentor et de mentee. Des femmes qui ont un potentiel et sont susceptibles de devenir demain membres de conseils d'administration sont prises en charge par des chefs d'entreprise, qui les parrainent pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'elles intègrent un conseil d'administration.

La féminisation des conseils a provoqué un rajeunissement, ce qui n'est pas plus mal. Aux États-Unis, de tels propos me vaudraient un procès en discrimination. Cela m'est d'ailleurs arrivé : dans une note, j'avais écrit qu'il faudrait songer à rajeunir, on m'a immédiatement intenté un procès !

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

J'ai constaté que le Sénat s'était considérablement rajeuni.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Je vous rassure, monsieur Lévy, nous ne sommes que 22 % !

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Publicis compte 50 % de femmes, madame la sénatrice. Il y a trois semaines, nous avons d'ailleurs reçu un prix aux États-Unis : nous sommes, dans ce que l'on appelle les fortune five hundred - les cinq cents premières fortunes - la société dont le conseil d'administration est le plus féminisé. Et ce n'est pas tout : 42 % du top management de nos agences est féminin.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

Faites attention, nous sommes enregistrés !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, je vous remercie de bien vouloir répondre par écrit aux questions qui n'ont pas été évoquées au cours de votre audition.

Debut de section - Permalien
Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis

J'en prends note, monsieur le rapporteur.

Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, de votre patience. Je vous prie de bien vouloir m'excuser d'avoir mis un peu de chaleur dans mon exposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Personne ne demande plus la parole ?...

Monsieur Lévy, je vous remercie de votre participation.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Mes chers collègues, nous accueillons M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, au ministère de l'économie, des finances et du commerce extérieur, et commissaire du Gouvernement auprès de l'Autorité des marchés financiers.

Monsieur le directeur général, je vous rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Ramon Fernandez prête serment.)

Je vous remercie.

Je vous propose de commencer cette audition par un exposé, puis de répondre aux questions que notre rapporteur, M. Éric Bocquet, vous a communiquées. Je lui passerai ensuite la parole, ainsi qu'aux autres membres de la commission.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Je vous présenterai tout d'abord les grandes lignes des missions de ma direction pour être sûr de bien identifier qui fait quoi dans nos différentes administrations, notamment à Bercy, et je me concentrerai, dans mon propos introductif, sur l'état des négociations au niveau international concernant les sujets qui intéressent plus particulièrement votre commission d'enquête.

La direction générale du Trésor est directement impliquée dans plusieurs processus qui touchent de près ces sujets, et les agendas ont été assez chargés au cours des derniers mois.

Les grandes missions de la direction générale du Trésor sont les suivantes.

La première concerne l'élaboration des prévisions économiques et le conseil sur les politiques économiques et les politiques publiques qui portent sur les domaines financier, social et sectoriel.

La deuxième a trait à la régulation du financement de l'économie et des institutions intervenant en matière d'assurance, de banque et d'investissement sur les marchés financiers.

La troisième grande mission concerne les négociations financières et commerciales bilatérales et multilatérales ainsi que l'aide publique au développement.

Ce sont les agents de ces deux derniers services, c'est-à-dire la régulation du financement de l'économie et les négociations financières et commerciales bilatérales et multilatérales, qui participent directement aux négociations sur ces sujets qui vous intéressent. Il s'agit notamment de la régulation financière, qui se discute au G20, des sujets prudentiels, qui se discutent au sein du Conseil de stabilité financière, le CSF, ou le Financial Stability Board, le FSB, et de la négociation des standards anti-blanchiment au sein du Groupe d'action financière, le GAFI.

La quatrième grande mission a trait au soutien à l'export et à l'investissement à l'étranger des entreprises.

Enfin, la cinquième grande mission concerne la gestion de la trésorerie et de la dette de l'État.

S'agissant des sujets qui vous intéressent plus particulièrement aujourd'hui, l'action de la direction se concentre notamment sur la négociation financière multilatérale au G20 mais aussi au GAFI.

Je ferai un point général sur le G20 et un point rapide sur l'état des discussions en cours avant le sommet du G20 à Los Cabos au Mexique les 18 et 19 juin prochain.

Depuis le G20 de Londres en 2009, et particulièrement tout au long de l'année 2011, dans le cadre de la présidence française du G20, la direction du Trésor a été fortement mobilisée, avec d'autres administrations, sur la régulation financière et la lutte contre les juridictions non coopératives. Je ferai un point général sur les avancées en matière de régulation financière, parce que ce sont des thèmes qui sont étroitement liés entre eux, et je ferai ensuite un point plus précis sur les avancées en matière de lutte contre les juridictions non coopératives, le sujet qui vous intéresse le plus.

Depuis le premier sommet fondateur aux États-Unis, fin 2008, à chaque réunion du G20, à l'échelon ministériel ou à l'échelon des chefs d'État, la régulation financière a donné lieu à des discussions intenses et je pense pouvoir dire qu'on a obtenu des avancées importantes, même si les observateurs peuvent parfois regretter, à juste titre sans doute, que les progrès soient trop lents.

Des progrès très importants avaient déjà été accomplis avant la présidence française du G20, je pense notamment au renforcement du cadre prudentiel des banques avec les accords dits de « Bâle III », qui ont multiplié entre quatre et cinq fois les obligations de fonds propres des banques, à la régulation des dérivés sur les marchés de gré à gré, à l'encadrement de la rémunération des opérateurs de marché et à la lutte contre les juridictions non coopératives.

La présidence française du G20 en 2011 a veillé à maintenir intact le niveau d'ambition que les chefs d'État et de gouvernement s'étaient fixé fin 2008 et qui se résume encore assez bien, me semble-t-il, dans une des phrases du communiqué d'octobre 2008, à savoir que tous les acteurs, produits et marchés financiers devaient faire l'objet d'une régulation ou d'une surveillance appropriée. C'est une définition qui illustre assez bien ce que l'on cherche à faire dans le cadre de ces travaux du G20. À Cannes, des progrès très importants ont été accomplis en ce sens.

Les pays du G20 seront désormais soumis à un suivi plus strict de la bonne mise en oeuvre des décisions prises, qu'il s'agisse des accords de Bâle, des bonus ou des marchés dérivés, et, au sein de toutes ces institutions, ont été mis en place des cadres de surveillance collectifs permettant de faire de la peer review, où chacun contrôle un peu le voisin pour être sûr que tout le monde avance d'un pas à peu près comparable, ce qui est évidemment un enjeu important.

Le Conseil de stabilité financière publie annuellement un tableau de bord pour identifier les carences observées dans la transposition des accords de principe qui sont conclus au niveau du G20.

Le G20 a également adopté un cadre commun de traitement des institutions financières d'importance systémique, intégrant une supervision renforcée, de nouveaux standards de résolution des crises et des surcharges en capital, à partir de 2016, pour les grandes banques systémiques, dont une première liste a été publiée à Cannes. Donc, au-delà de Bâle III, les grandes institutions financières systémiques devront accumuler un capital supplémentaire. Quatre banques françaises font partie de la liste des banques systémiques qui devront respecter ces engagements supplémentaires.

Le G20 s'est aussi mis d'accord sur des principes de régulation et de surveillance du système bancaire parallèle, le shadow banking - nous pourrons y revenir plus en détail -, sur des principes de régulation des dérivés de matières premières ainsi que de renforcement de la protection des consommateurs. De nouveaux chantiers de travail ont été lancés, par exemple sur le fonctionnement des marchés des Credit Default Swaps, ces CDS qui défraient régulièrement la chronique et qui justifient une régulation renforcée.

Enfin, à Cannes, le Conseil de stabilité financière a été renforcé en énonçant le principe qu'il serait doté d'une personnalité juridique, qui lui permettra d'avoir des facilités en matière de recrutement et d'effectivité de ses actions. C'est ce que, à Cannes, le Président de la République avait salué sous le nom d'« organisation mondiale de la finance ».

J'en viens à la lutte contre les juridictions non coopératives.

Le concept en tant que tel est apparu, me semble-t-il, en 2009, à un moment où l'on cherchait à déterminer et à identifier des juridictions non coopératives dans plusieurs domaines, et pas uniquement en matière fiscale. Donc, ce terme de juridictions non coopératives englobe la lutte contre les paradis fiscaux, mais aussi la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et les territoires non coopératifs en matière prudentielle.

La mobilisation, notamment française, a permis de garder ce sujet bien en vue sur l'agenda des chefs d'État et de gouvernement. Tous les communiqués y font référence, mais il n'y a pas que de la communication : il y a aussi un soutien politique aux actions concrètes qui permettent d'avancer dans ces trois filières - quelles que soient les réticences rencontrées ici et là - et dans l'édiction d'un certain nombre de législations, de réglementations, de processus de surveillance quant à l'effectivité de standards internationaux.

Nous avons ainsi obtenu que ces trois processus - le fiscal, le prudentiel et le blanchiment - aboutissent à l'élaboration de listes internationales, auxquelles peuvent être attachées des sanctions. Les institutions financières internationales ont été mobilisées dans ce cadre, je pense notamment aux institutions de Bretton Woods - FMI et Banque mondiale -, mais aussi aux banques régionales telles que la BERD et la BEI, qui ont également été mobilisées : ces institutions ont été conduites à appliquer, en matière de juridictions non coopératives, des politiques pouvant conduire à exclure de leurs financements des pays identifiés comme étant non coopératifs.

Nous avons aussi mis à l'agenda la transparence des personnes morales et des constructions juridiques. C'est un sujet majeur et transversal par rapport aux processus que j'ai évoqués. Il s'agit d'assurer une meilleure transparence de ces entités qui servent très souvent d'écran et permettent ou facilitent l'évasion fiscale ou d'autres flux financiers illicites. C'est un sujet difficile, car il touche au droit des sociétés, mais il faut avancer sur ce point également si l'on ne veut pas que nos efforts menés par ailleurs restent vains.

Sur les trois filières, je ne reviendrai pas sur les résultats obtenus par le Forum mondial en matière de lutte contre les paradis fiscaux parce que vous avez entendu mes collègues de la direction de la législation fiscale, qui participent directement à ces travaux. Nous pourrons y revenir ultérieurement si vous avez des questions car la direction générale du Trésor travaille avec la DLF sur ces sujets, mais ce sont les « chefs de file » et ce sont eux qui sont à la manoeuvre.

Je détaillerai en quelques minutes les deux autres processus qui impliquent plus directement la direction générale du Trésor, c'est-à-dire le volet prudentiel et le volet blanchiment.

S'agissant du volet prudentiel, c'est un processus qui est conduit dans le cadre du Conseil de stabilité financière, le Financial Stability Board. Il se trouve que je préside le groupe d'experts qui prépare les travaux des différents échelons du FSB. C'est un groupe qui a été créé en 2009 pour identifier les juridictions non coopératives en matière prudentielle. Il s'attache notamment à garantir que les différents pays disposent d'une supervision efficace de leurs secteurs bancaire, assurantiel et de marché, s'agissant notamment de la capacité à échanger les informations pertinentes dont ils disposent. Typiquement, est-ce qu'une autorité de marché qui identifie une manipulation de marché va pouvoir demander d'accéder à l'information émanant d'une autre autorité de marché, information qui permettra d'identifier l'origine, par exemple, d'un délit d'initié ? Autrement dit, les autorités chargées du contrôle des banques, des assurances et des marchés, ont-elles la capacité d'accéder à l'information auprès des institutions homologues dans différents territoires, quels qu'ils soient, pouvant être à l'origine de manipulations ou de contreparties dans le cadre d'opérations frauduleuses ? Il s'agit encore une fois d'échanges d'informations dans les domaines prudentiels, élaborées par le Comité de Bâle et les comités comparables, qui édictent ces normes en matière d'assurance et de marchés.

Au terme de nos travaux, qui sont d'ailleurs toujours en cours - hier, à Hong Kong, une assemblée plénière du Conseil de stabilité financière a acté un certain nombre de points à la suite des travaux précédents -, nous sommes parvenus à faire émerger une première liste qui a été rendue publique lors du sommet de Cannes et qui identifie les territoires qui, soit jouent complètement le jeu, soit ont des failles dans leurs dispositifs mais y travaillent, soit sont clairement identifiés comme non coopératifs. Ce sujet prudentiel peut sembler à première vue un peu éloigné des sujets fiscaux, mais une supervision efficace implique que les établissements supervisés soient agréés, que les institutions chargées de leur supervision aient effectivement les moyens de mener leur mission et d'accéder à l'information en cas de doute. Cela garantit que le marché est sain et cela crée les conditions d'une détection efficace des flux financiers illicites.

En matière de blanchiment, la direction générale du Trésor participe directement aux négociations au sein du GAFI. Cette instance, qui vise à élaborer des standards internationaux pour préserver l'intégrité de nos systèmes financiers, travaille sur la prévention et la détection des flux financiers illicites. Je ne vous détaillerai pas l'ensemble des activités de cette instance, mais j'aimerais souligner quelques points d'actualité qui pourraient vous intéresser.

Le premier point concerne la liste des juridictions à risque.

Au-delà des normes qu'il a édictées, le GAFI a mis en place un processus assez « robuste » d'évaluation par les pairs, permettant d'identifier les juridictions qui n'ont pas de dispositif anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme.

À l'issue de chaque réunion plénière du GAFI, c'est-à-dire trois fois par an, est publiée une liste actualisée de juridictions, qui identifie de façon graduelle les pays en fonction de leurs défaillances. Une trentaine de juridictions font actuellement l'objet d'une identification publique et d'un suivi renforcé afin de maintenir la pression internationale et de s'assurer qu'elles prennent les mesures nécessaires pour y remédier.

Le deuxième point a trait à la révision des standards et aux travaux en cours.

L'assemblée plénière de février 2012 a acté deux évolutions majeures qui vous concernent tout particulièrement.

Premièrement, la fraude fiscale est désormais explicitement entrée dans le champ des infractions dont traite le GAFI. C'était déjà le cas en France et au niveau communautaire, mais ce n'était pas encore officiellement acté par le GAFI. C'est donc une avancée importante, à laquelle la France a fortement contribué : aujourd'hui, blanchiment et fraude fiscale ne peuvent plus être distingués, c'est une novation résultant de la révision des standards, qui date de février 2012.

Deuxièmement, les standards sur la transparence des personnes morales ont été, là aussi avec le soutien actif de la France, clarifiés et renforcés. Comme vous avez pu le constater, la plupart des montages de fraude ou d'optimisation fiscale utilisent des structures opaques, qui permettent de dissimuler le bénéficiaire réel des fonds et ainsi de les soustraire à l'impôt. Nous avons en France un système de registre des sociétés très complet et très largement accessible, qui nous permet d'avoir et d'échanger beaucoup d'informations sur nos personnes morales, ce que le GAFI a noté lors de l'évaluation de la France. Toutefois, ce n'est pas le cas de nombreuses autres juridictions, ce qui complique, de nombreuses enquêtes fiscales ou judiciaires, voire les empêche d'aboutir. Ce sujet transversal est très important, il doit aussi progresser au niveau du Forum mondial qui traite également de ces sujets. Le G20 a mandaté le GAFI et l'OCDE pour faire un rapport sur l'avancée de leurs travaux en la matière lors du G20 de Los Cabos, en juin prochain.

Enfin, troisième point, le GAFI a mis en place un mécanisme novateur d'examen des dispositifs nationaux de régularisation fiscale, qui le conduit à analyser dès leur mise en place les mécanismes de ce type pour s'assurer qu'ils ne conduisent pas à favoriser le blanchiment de capitaux. Par exemple, le dispositif espagnol de rapatriement des avoirs fera l'objet, dès l'assemblée plénière du mois de juin, un examen attentif et donnera lieu, si nécessaire, à des recommandations au gouvernement espagnol. C'est donc un processus qui est mis en place de manière systématique.

En conclusion, on peut dire, me semble-t-il, que, avec la crise financière, le monde a pris conscience de l'importance des sujets de régulation financière et de la nécessité de progresser pour limiter les risques systémiques.

Dans cet agenda, la lutte contre les juridictions non coopératives a pris une place importante : il n'y a pas de réunion du G20 où le sujet ne soit pas évoqué. Vous aurez vu, au fil des communiqués du G20, que la pression est maintenue pour que l'ensemble des instances compétentes se penchent sur la question. Je dois dire, en tant que président de ce groupe d'experts sur le volet prudentiel, que ce processus oblige les différentes instances compétentes à se mobiliser et à délivrer des résultats puisqu'il y a des procédures de revue par les pairs.

Ce processus de listing, d'identification des juridictions non coopératives a un impact très fort, qui n'est d'ailleurs pas consensuel. Vous avez des pays dans lesquels cette pratique consistant à mettre à l'index des territoires au motif qu'ils ne respectent pas un certain nombre de règles n'est, en réalité, pas du tout consensuelle. C'est, nous semble-t-il, un processus efficace, la pression publique permettant d'obtenir des résultats. Nous continuerons donc à peser en ce sens.

En même temps, il faut être conscient du fait que ce sont des dispositifs qui n'avancent que dans la mesure où l'on obtient l'assentiment des différents États concernés. C'est donc un processus qui peut paraître lent, parfois même trop lent, mais il avance dans ce cadre où nous arrivons collectivement à élaborer des règles partagées et appropriées par les différents territoires.

Les travaux vont continuer, les vôtres permettront, me semble-t-il, de mettre plus précisément l'accent sur l'un des aspects de cette démarche, mais les sujets sont liés les uns aux autres et nous avons intérêt à maintenir une pression collective sur ces trois volets : fraude fiscale, blanchiment et filière prudentielle, car, en réalité, les trois permettent de croiser les informations et d'avoir une approche plus efficace de cette problématique.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le directeur général, je vous remercie de cette présentation.

Ma première question portera sur les travaux du GAFI, travaux évidemment centraux au regard des actions qui doivent être menées.

Vous avez évoqué une liste de trente juridictions, et vous parlez parfois à leur sujet d'un suivi renforcé. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce suivi renforcé dans le cas de juridictions non conformes ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Le suivi renforcé s'applique lorsque vous avez un certain nombre de groupes qui, au moment de l'identification d'un territoire comme respectant insuffisamment certains standards, engagent un dialogue avec les autorités de ce territoire pour l'inciter à se mettre en conformité.

Il y a donc plusieurs phases dans le processus. Elles permettent de faire le point régulièrement et sont une incitation très forte à ce que les législations, les réglementations nationales soient mises à jour afin d'être en conformité au moment de la deuxième étape de la revue. Par exemple, la France a fait l'objet d'une revue du GAFI l'année dernière. C'est un exercice qui suscite une très forte mobilisation de l'ensemble des administrations concernées parce que personne ne souhaite évidemment être identifié comme étant défaillant. Cela se passe ainsi pour l'ensemble des territoires.

Ce dispositif fonctionne avec des examinateurs. Certains pays sont désignés comme examinateurs, vont engager un dialogue resserré avec les États en question et rapporteront ensuite devant l'assemblée plénière, devant le groupe, pour attester ou pas de la mise à jour des différents pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous avez évoqué comme ligne d'action souhaitée l'inscription à l'agenda de la nécessaire transparence des personnes morales et vous avez parlé à ce propos de l'existence d'entités écrans. Quels sont vos moyens, vos méthodes pour appréhender cette particularité ? Pensez-vous que la réflexion actuelle sur l'éventuel renforcement de la réglementation communautaire à ce sujet - je pense à l'enregistrement des trusts et sociétés - pourrait aboutir à une réponse utile en matière de lutte ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Notre processus est en phase de montée en puissance. Il a été demandé - la commande a été passée en février au G20 ministériel qui s'est tenu au Mexique - à l'OCDE de faire un rapport sur ce type de processus, rapport qui permettra de voir de quelle manière les trusts et ces structures opaques renforcent les dérives du système.

En France, nous avons un système de registre des sociétés qui limite ce type d'abus, mais dans d'autres territoires ce type de disposition n'existe pas.

On amorce ici, me semble-t-il, un processus qui permettra d'identifier les problèmes de façon beaucoup plus claire, qui ne suscite pas non plus - pour être franc - un enthousiasme considérable chez un certain nombre de nos partenaires hébergeant de telles structures. Par conséquent, ce processus prendra un peu de temps et le G20 servira précisément à cela.

Lorsque, dans une réunion, des chefs d'État, des ministres, des banques centrales, des fonctionnaires proposent de mettre l'accent sur ce type de réflexion, vous avez une très forte pression collective pour avancer. C'est à cela que sert notamment le G20. Il donne parfois le sentiment d'aller insuffisamment vite, mais typiquement, le mandat de travail qui a été donné sur ce sujet au GAFI et à l'OCDE en ce début d'année est une innovation. Il permet de dire explicitement - et c'est accepté par tous les pays qui sont autour de la table - que c'est un sujet qu'il faut étudier pour voir s'il présente des risques particuliers et quel type de décisions il faut prendre pour essayer d'y remédier.

Sur ce point, à ce stade, il est un peu tôt, me semble-t-il, pour dire ce qui pourra sortir de ces travaux, mais ce qu'il faut retenir, c'est que, pour la première fois, le sujet des trusts, notamment, et des fiducies sera examiné et décortiqué à la fois par l'OCDE - qui avait déjà beaucoup travaillé sur la question - et le GAFI, pour voir quelles conclusions, sur le plan des politiques publiques, il faut tirer du diagnostic qui sera fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quel est le niveau de représentation de la France au sein du GAFI ? Par exemple, votre direction est-elle associée à ses travaux ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Bien sûr, la délégation est le plus souvent dirigée par le chef du bureau compétent de la direction générale du Trésor, qui est au sein du service des affaires multilatérales. Il y a donc un contact et un dialogue très réguliers.

Par ailleurs, nous avons parfois envoyé ou eu des ressortissants qui ont occupé des fonctions importantes au sein du secrétariat général, notamment du GAFI. Cela est dû à notre forte implication dans le déroulement des travaux, implication qui se conjugue avec des discussions interministérielles avec d'autres services ; je pense notamment à Jean-Baptiste Carpentier et TRACFIN.

Nous avons un processus interministériel d'échanges qui mobilisent d'autres ministères, d'autres structures administratives et qui peuvent apporter leur contribution à ces réflexions.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous arrive-t-il d'être personnellement impliqué dans ces travaux en tant que directeur ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Pas en participant aux réunions du GAFI elles-mêmes, mais plutôt par le canal des travaux préparatoires au conseil Ecofin lorsque ces sujets sont abordés, notamment au sein du comité économique et financier, évidemment des travaux du G20, et parfois en marge d'autres événements. Par exemple, à Washington, en avril, en marge de la réunion des ministres des finances du G20, il y a eu une cérémonie visant à mettre un accent politique, et le ministre des finances de l'époque s'est rendu à cette manifestation pour acter le renouvellement du mandat du GAFI pour huit ans.

Je ne vais pas, à titre personnel, aux réunions du GAFI, ce sont les services de la direction qui y vont, et c'est le cas d'ailleurs dans les autres structures administratives des pays qui participent au GAFI. Nous avons toutefois l'occasion d'en parler à mon niveau dans les enceintes que j'ai évoquées.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Pour aborder le volet prudentiel, quels sont les enseignements du groupe de supervision prudentielle, puisque ne figureraient, à ma connaissance, sur la liste des mauvais élèves à cet égard que deux pays : la Libye et le Venezuela ? Est-ce exact et, si oui, est-ce crédible ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Dans le cadre de cet exercice, on a examiné dans un premier temps soixante et une juridictions internationales, qui ont été classées par rang de systémicité, c'est-à-dire en fonction de leur importance systémique, parce qu'il s'agissait de pays accueillant des activités financières significatives en matière bancaire, d'assurance ou de marchés.

On a ensuite examiné la manière dont ces différents territoires respectaient les standards du comité de Bâle en matière bancaire et des comités « frères » en matière d'assurance et de marchés et on a classé les différents États dans différentes catégories.

Un certain nombre de pays, dont la France, ont été clairement reconnus comme respectant l'ensemble des quatorze standards. D'autres n'étaient pas en conformité avec au moins un des quatorze standards. Or il suffit de ne pas respecter plus d'un des quatorze standards pour être identifié comme présentant un défaut potentiel de mise en oeuvre. Dix-huit juridictions figuraient dans cette « liste grise ». Ce ne sont pas des territoires que l'on a choisi d'identifier comme étant non coopératifs parce qu'ils expriment une volonté de coopération. Ils ont, de manière volontaire, indiqué vouloir s'inscrire dans la liste de ceux qui se prêteraient au jeu d'un examen approfondi avec les équipes du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale ou d'un groupe de travail spécifique mis en place à cet effet par le Conseil de stabilité financière. La Chine, par exemple, qui figurait initialement dans cette liste intermédiaire, a accompli un travail très important de FSAP - Financial Sector Assessment Program - avec le FMI, lequel a conclu que, en réalité, ce pays respectait l'ensemble de ces standards. La Chine passe donc dans la catégorie numéro un.

Il y a effectivement une liste réduite à la portion congrue. Mais il ne faut pas s'attacher à cette liste-là : c'est la liste du milieu qui est en réalité la plus intéressante. Dans la « liste » de ceux qui disent ne pas vouloir coopérer, il n'y a plus qu'un État : le Venezuela. On a donné le bénéfice du doute aux nouvelles autorités libyennes, qui, objectivement, me semble-t-il, doivent disposer d'un peu de temps avant de s'engager dans ce processus. En revanche, le Venezuela n'a pas souhaité s'engager dans ce dialogue, qui témoigne d'une volonté de se mettre en conformité à une date à déterminer. Le Venezuela est donc aujourd'hui le seul sur cette liste et il fait l'objet de mesures supplémentaires de la part du Conseil de stabilité financière, qui visent à alerter les autorités, notamment prudentielles, sur le fait que ce pays ne manifeste pas la volonté d'engager ce dialogue. Mais nous espérons collectivement que ce dialogue s'engagera.

Ce qui est important, me semble-t-il, c'est qu'il s'agit d'un processus conduisant l'ensemble des pays dont on constate, à leur corps défendant parfois, qu'ils ne respectent pas l'ensemble de ces standards, à s'engager dans ce dialogue, à amender leur législation, leur réglementation, pour se mettre en conformité. C'est donc un dispositif qui fonctionne de manière « préventive ». Le fait de ne pas avoir une liste noire de quinze États ne signifie pas que le processus est un échec. Il signifie que vous avez déclenché une mobilisation d'un certain nombre d'acteurs, des superviseurs, des législateurs, des gouvernements, qui font en sorte que les failles soient corrigées pour éviter d'être stigmatisé par une inscription sur ces listes.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quels sont les standards pour la gestion de cette liste ? Quels sont les requis ? Je pense à la transparence sur la présence de trusts éventuellement. Cela fait-il partie des obligations ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le rapporteur, je vous transmettrai la liste précise de ces standards, qui sont aujourd'hui en train d'être complétés.

Le Comité de Bâle, il y a deux mois environ, a complété la liste de ces standards en matière d'échange d'informations. On examinera donc aussi désormais la conformité des différents États à ces standards au regard de cette liste complétée. Le comité international chargé de la supervision des entreprises d'assurance est engagé dans le même processus.

Ce sont des standards qui visent à vérifier, par exemple, que les opérateurs financiers sont soumis à des obligations d'agrément préalable à l'exercice des activités en question, qu'il y a des processus de vérification, notamment des compétences et de l'expérience des dirigeants, qu'une autorité de supervision peut exercer un contrôle en ayant accès à l'information nécessaire, que les superviseurs ont la possibilité juridique et même l'obligation d'échanger l'information, alors que, dans certains cas, un superviseur peut dire : « Je suis juridiquement dans l'impossibilité de vous donner cette information parce qu'elle est couverte par tel ou tel secret professionnel. »

Ces standards visent à vérifier, pour l'essentiel - pour l'instant, nous nous attachons principalement à contrôler ces standards qui sont des standards d'échange d'informations -, qu'il ne peut pas y avoir de barrière ayant pour origine une interdiction d'échanger de l'information. Si les superviseurs ne peuvent pas échanger l'information, ils ne peuvent pas aller chercher l'origine de telle ou telle fraude ou de tel ou tel délit. Il s'agit encore une fois du champ prudentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Pouvez-vous nous préciser ce que représente exactement le phénomène du shadow banking - qui est cité régulièrement -, notamment les opportunités d'évasion fiscale internationale qu'il peut receler ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Le shadow banking est un sujet qui est lié au renforcement très puissant de la réglementation dans le secteur bancaire.

Depuis 2009, on a considérablement renforcé les obligations pesant sur les banques : je pense aux obligations de fonds propres, qui auront été multipliées au moins par cinq, mais parfois plus pour les institutions identifiées comme étant systémiques. On a mis en place des règles contraignantes, par exemple en termes de rémunération des opérateurs de marchés. Ces règles ont été transposées en droit interne français par un certain nombre de textes, y compris réglementaires, avec des pouvoirs intrusifs donnés à l'Autorité de contrôle prudentiel pour vérifier que ces standards sont respectés. Donc, dans toute une série de domaines, et ce sera également le cas en matière de supervision et de résolution des banques, on a renforcé le contrôle sur les banques.

Le problème est que, ce faisant, on renforce les incitations à faire dériver un certain nombre d'activités de nature bancaire vers des acteurs non bancaires. Il peut s'agir d'un trust, d'une compagnie d'assurance, d'un hedge fund, un fonds de gestion collective.

Si l'on ne prend pas garde à avoir des règles compatibles entre elles ou, a minima, comparables, on créera une forte incitation à faire dériver un certain nombre de pratiques et d'activités d'un domaine vers l'autre. C'est l'origine des travaux sur le shadow banking.

C'est d'ailleurs un travail qui a été impulsé, notamment sur notre initiative, lors d'une assemblée plénière du Conseil de stabilité financière en octobre 2010, en Corée du Sud. Quand nous avons dit qu'il fallait traiter ce sujet, au début on nous a regardés un peu bizarrement : quel est le sujet ? Aujourd'hui - cela a été entériné dans le cadre de la présidence française du G20 l'année dernière et cela a fait l'objet de travaux hier à Hong Kong dans le cadre de l'assemblée plénière du FSB, le communiqué de presse publié ce matin en atteste -, nous progressons. Le sujet est complexe puisque l'on traite d'opérateurs qui sont le plus souvent régulés, mais qui justifient d'une régulation différente.

Je pense aussi à la titrisation, une activité importante qui relève de ce domaine, mais qui peut présenter des différences, par exemple en termes de contraintes pesant sur la solvabilité, la liquidité, la rémunération des opérateurs. Tel est l'essentiel des travaux en cours sur le shadow banking.

Il y aura évidemment des interactions possibles avec ce qui vous intéresse, mais, aujourd'hui, la problématique n'est pas nécessairement concentrée sur ce sujet-là, notamment dans la mesure où toute une série de ces opérateurs sont par ailleurs régulés. La réglementation en matière de lutte contre le blanchiment s'applique aussi bien à des opérateurs non bancaires qu'à des opérateurs strictement bancaires.

C'est un axe de programme qui permettra aussi d'avoir un oeil sur les problématiques d'évasion fiscale ou de fraude, qui n'est pas le fait générateur de cette réflexion, mais qui, de manière générale, consiste à vérifier que la sphère bancaire n'est pas la seule à justifier d'une attention forte des régulateurs et des superviseurs pour éviter que tout ce qui, en réalité, peut créer un problème pour le système financier dans son ensemble ne parte vers d'autres domaines qui seraient régulés, mais qui présenteraient des opportunités pour des activités qui seraient mieux régulées dans le secteur bancaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Très concrètement, quelle est la part du shadow banking dans l'ensemble des flux financiers ? Quels types d'opérations et quels opérateurs y sont impliqués ? Pourriez-vous nous donner des exemples concrets ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le rapporteur, j'essaierai de vous retrouver un graphique que l'on nous avait présenté lors d'une des réunions du Fonds monétaire international - je n'ai pas de chiffres aujourd'hui, mais je vous les transmettrai - qui montrait la part relative des différents centres financiers entre les activités bancaires stricto sensu et le shadow banking. Ce graphique était illustré de cercles plus ou moins grands, de la balle de golf au ballon de football, et l'on pouvait observer que la taille des centres financiers différait souvent très largement selon que l'on essayait de capturer ce shadow banking ou que l'on se concentrait uniquement sur le secteur bancaire.

Encore une fois, shadow banking ne veut pas dire que ce sont des activités qui échappent à toute forme de régulation ou qui sont en soi répréhensibles. La gestion collective des OPCVM, par exemple, est une activité périphérique et, de ce point de vue, une place comme le Luxembourg, avec ses 1 700 milliards d'euros sous gestion, est une place très importante qui ne présente pas nécessairement de difficultés, mais qui, si l'on ne veille pas à avoir des réglementations comparables ou homogènes, peut créer des problèmes.

De la même manière, les activités de titrisation, si elles ne sont pas encadrées, peuvent créer des problèmes. Les activités des fonds à effet de levier, les hedge funds, typiquement, sont localisées dans des centres financiers qui ne sont pas nécessairement la ville dans laquelle nous parlons aujourd'hui...

Donc, il y a des chiffres... Tout dépend des définitions que l'on retient, mais ce sont bien souvent des multiples des activités qui sont uniquement identifiées par les flux de banque à banque.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur le directeur du Trésor, je vous remercie de vos explications et de la mobilisation de vos équipes.

Je vous poserai une question assez simple en apparence concernant la méthode.

Nous ne sommes pas familiers de vos méthodes de travail au sein du GAFI ; personne ici, me semble-t-il, n'y a participé de façon concrète, et nous en avons seulement une connaissance livresque. Nous l'imaginons comme une démarche s'apparentant à des normes du type ISO 9001 : 2008 de management par la qualité, c'est-à-dire avec des auditeurs internationaux. Le pays audité fournit lui-même les preuves de sa bonne volonté concernant les douze standards et il est ensuite évalué au titre de chacun des standards. On imagine aussi que chaque pays se fixe des objectifs différents suivant qu'il n'a pas trop de soucis avec ces questions ou que ses usages sont peut-être assez éloignés d'une politique très transparente et très rigoureuse.

À ce propos, le système qui a été mis en place n'est-il pas plutôt le commencement de quelque chose qui devra, dans un second temps, déboucher sur d'autres méthodes ou d'autres techniques ? En effet, vous l'avez dit, ce n'est pas parce qu'il n'y a plus que deux pays sur la liste, voire un seul, le Venezuela, que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Compte tenu de votre grande expérience de ces méthodes et de votre connaissance de ces dossiers, quelles seraient, pour l'avenir, les pistes de réflexion pour poursuivre à l'échelle internationale une lutte effective dans ce domaine, pas tant en ce qui concerne le passé, que vous nous avez exposé de façon très convaincante et très claire, mais plutôt dans une démarche de prospective ? Si l'on devait se projeter dans dix ans, compte tenu de tout ce qui a été fait, que resterait-il encore à faire selon vous ?

Nous avons bien senti, tant sur les trusts que sur le shadow banking, une tension que vous avez bien mise en lumière entre l'intention des gouvernants, qui est indiscutable, et l'empressement des acteurs, qui semble plus mesuré.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Je dirai d'abord, pour répondre à votre question, madame le sénateur, que nous avons besoin d'une mobilisation politique permanente.

Nous avons eu dans le passé des processus comparables, notamment au GAFI ou en matière fiscale, avec des listes qui permettaient de mettre une pression publique sur un certain nombre de territoires et qui les incitait à prendre les mesures susceptibles de les faire sortir de ces listes.

Et puis, au fil du temps, la pression se relâche, on passe à autre chose et, finalement, il n'y a plus de liste. On procède bien à des exercices, mais ils ne se font plus sous l'oeil politique vigilant des autorités les plus élevées. Ce sont des exercices qui associent des fonctionnaires mobilisés sur ces questions, mais qui risquent de s'arrêter au niveau des fonctionnaires. S'il n'y a pas de pression politique ensuite pour changer une loi, pour faire respecter un standard, ça ne marche évidemment pas.

De ce point de vue, la grande vertu du G20, c'est de faire en sorte que ces questions de régulation financière en général, mais notamment ces questions de juridictions non coopératives, soient traitées au niveau le plus élevé.

La presse, à l'époque, me semble-t-il, avait raconté comment s'était déroulé le sommet de Londres en avril 2009, comment quelques chefs d'État avaient dû avoir des conversations parallèles, avec des suspensions de séance, pour essayer de se mettre d'accord en vue de trouver une méthode qui passait par une identification publique des territoires ne respectant pas les règles du jeu. C'était très difficile parce que, dans notre pays, il est assez naturel de dire que le name and shame, ça marche. Vous désignez un territoire en disant : « Il ne joue pas le jeu, et ce n'est pas bien ! »

Ce n'est pas consensuel du tout et, d'ailleurs, ce n'est pas déshonorant. Certains partenaires de la France, qui sont très respectables, partent d'une logique différente. Ce sont des territoires coopératifs impliqués dans ces démarches, mais ils vous disent : « On n'obtiendra pas de résultats de cette façon, il faut discuter entre nous ; si on stigmatise, on n'obtiendra pas de résultats et, au contraire, on risque de reculer parce que les uns et les autres se replieront sur leurs bases et refuseront d'engager ces dialogues. Or c'est, en réalité, par le dialogue que l'on progressera. »

Ce qui se fait aujourd'hui au niveau international, c'est une tentative de compromis entre ces deux approches, qui aboutit notamment à la question que vous m'avez posée sur les juridictions non coopératives en matière prudentielle : pourquoi diable n'y a-t-il que deux États ?

En réalité, il y en a beaucoup plus que deux. Soixante et un États ont été scrutés à la loupe et une trentaine, voire une quarantaine d'entre eux ont été clairement identifiés comme n'étant pas complètement en phase, mais on va éviter de les désigner comme étant non coopératifs parce que ce n'est pas vraiment le cas. Ils disent : « Aujourd'hui, je reconnais que je ne respecte pas tous ces standards, mais ce n'est pas une volonté de non-coopération, c'est simplement un état de fait. Les législations ou les standards ont évolué, il faut me laisser le temps de m'adapter. » C'est uniquement au terme d'un processus que l'on constate qu'il y a de la mauvaise foi, de la mauvaise volonté et, à ce moment-là, on l'identifie. C'est typiquement le cas de l'un des États cités précédemment. Ce peut être le cas d'autres États se trouvant dans la zone du milieu, mais qui, au bout d'un moment, se retrouvent dans la mauvaise liste parce qu'ils ont un délai pour se mettre en conformité et, au terme de celui-ci, s'ils ne font rien, le doute ne leur profite plus.

Aujourd'hui, dix-sept pays clairement identifiés comme non coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont inscrits sur la liste noire. Cela suscite de nombreux débats. Vous avez, dans ces listes, des pays qui sont parfois membres du G20 et qui doivent donc s'expliquer auprès de leurs partenaires.

Que doit-on faire pour l'avenir ? À mon sens, il faut continuer à exercer cette pression politique via l'ensemble de ces processus de revue, et il faut que l'on investisse sur ces revues par les pairs, qu'on y consacre du temps, de l'énergie, y compris du temps de fonctionnaires. Des fonctionnaires des autorités de supervision, de régulation, du Trésor, de la direction de la législation fiscale, doivent pouvoir être détachés dans des groupes d'experts qui passeront du temps à évaluer les autres pays et à pouvoir identifier les défaillances pour qu'elles puissent être corrigées.

Nous-mêmes, nous faisons parfois partie d'équipes chargées d'évaluer la performance des autres. C'est aussi la raison pour laquelle je préside ce groupe d'experts sur la filière prudentielle. Il faut que tout le monde se mobilise et que l'on maintienne ces sujets à l'ordre du jour du G20 au niveau politique et la réunion de Washington le mois dernier - qui a permis de renouveler le mandat du GAFI - est aussi le moyen de maintenir la pression.

Nous avons pour l'essentiel les outils techniques, même si certains doivent être complétés, notamment sur les trusts, les fiducies, les structures opaques, qui sont des mondes un peu moins bien identifiés aujourd'hui. Cela prendra du temps, mais, sur le reste, nous avons quarante recommandations du GAFI qui sont très claires et à l'aune desquelles nous examinerons la conformité des régimes juridiques des différents États, mais aussi la conformité de la pratique. C'est ce que l'on vous a expliqué sur la filière fiscale. Le Forum global a une phase 1 et une phase 2. Phase 1, on regarde d'abord la lettre des textes : avez-vous un régime juridique permettant de lutter contre la fraude fiscale, etc. ? Phase 2 : la lettre c'est bien, mais quelle est la pratique ? Si vous ne passez pas en phase 2, c'est que la lettre n'était pas conforme et vous faites l'objet d'une pression assez forte pour vous adapter.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Vos propos sur les avancées en matière de transparence des personnes morales sont très intéressants.

Quels sont les axes dans lesquels on pourrait classer ces avancées ? S'agit-il plutôt, par exemple, de l'homogénéisation du droit des sociétés ou de la mise en place d'obligations de publicité d'informations ? S'agit-il plutôt d'avancer en amont ou en aval ? Par quel axe technique peut-on avancer le plus vite et peut-on protéger ces avancées seulement par des engagements unilatéraux ou par des conventions bilatérales, des conventions multilatérales ? Comment peut-on mettre en place des règles pouvant avoir une sanction autre que morale ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le sénateur, il y a aujourd'hui, dans les standards du GAFI, deux recommandations concernant la transparence des personnes morales et des trusts. Ces recommandations visent à imposer notamment que chaque État ait les moyens d'obtenir l'information requise sur le bénéficiaire effectif des personnes morales enregistrées sur leur territoire.

C'est un sujet important parce que les trusts, les personnes morales, les sociétés écrans sont bien souvent impliquées dans des montages de fraude fiscale pour dissimuler l'identité du bénéficiaire effectif et pour éviter de faire apparaître le lien avec l'assujetti fiscal.

Nous avons aujourd'hui en France, avec le registre des sociétés publiques, quelque chose qui est très complet. Dans d'autres pays, ces registres sont beaucoup moins complets et leur accès est extrêmement difficile.

Nous avons donc un premier objectif qui est d'utiliser pleinement les recommandations du GAFI et de les faire respecter, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est la priorité : il s'agit de faire en sorte que, dans le cadre des travaux du GAFI et de la révision des standards, on puisse se concentrer sur ces sujets. Encore une fois, cela n'a pas été toujours très facile parce que certains États - je ne les citerai pas - n'ont pas été très « enthousiastes », assez conscients qu'ils sont des limites de leurs propres systèmes nationaux. Sur les trusts, c'était encore plus compliqué pour les mêmes raisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Pourquoi ne voulez-vous pas les citer, monsieur le directeur ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Je ne sais pas, monsieur le rapporteur. Dans le cadre des négociations, l'habitude est plutôt d'éviter de les citer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

On peut vous poser la question autrement : quels sont les alliés de la France dans ce combat ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Nous avons des alliés qui peuvent se trouver souvent en Europe mais aussi dans des pays émergents ou en développement : je pense, par exemple, à l'Inde, qui est très active sur ces sujets.

Les États-Unis sont assez coopératifs, ils jouent le jeu, en dépit du fait que le Delaware est clairement identifié parfois comme facilitateur. D'autres États sont un peu moins enthousiastes.

Je reviens à ce que l'on disait précédemment sur cette démarche consistant à essayer de progresser tous ensemble : ces exercices fonctionnent d'autant mieux que l'on arrive à se convaincre collectivement que c'est notre intérêt d'avancer.

Nous avons donc ces recommandations. Nous allons avoir l'exercice engagé avec le GAFI et l'OCDE, qui vont être des juges de paix extérieurs pouvant dire au regard de l'examen des textes : « Telle ou telle structure facilite un certain nombre de dérives... » Sur cette base nous pourrons avoir, me semble-t-il, une discussion intéressante et nous pourrons progresser.

Il faudra d'ailleurs progresser en faisant jouer les synergies entre les différents groupes parce que, typiquement, entre le GAFI et le Forum global, vous avez des interactions et il est utile que ces différents forums se répondent. L'une de nos tâches, c'est aussi, au sein de l'administration, de veiller à ce que l'information circule dans nos « différentes filières ». Nous parlons très souvent, notamment avec la direction de la législation fiscale, pour bien coordonner nos positions et échanger l'information entre nous sur l'évolution des standards dans les différents groupes.

Cependant, je ne voudrais pas laisser penser que rien n'avance sur ce sujet. Par exemple, nous avons obtenu, dans le cadre de ces discussions, que les pays qui créent des trusts imposent dans leurs lois des obligations de transparence pour ces entités créées selon leur propre droit. C'est un chemin long et difficile, mais dans lequel, à force de discussions et grâce à cette pression qui réunit chaque fois les différents États autour de cette table, on peut avancer.

Par ailleurs, je le répète, lors du sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique, les 18 et 19 juin, un rapport sera remis aux chefs d'État par l'OCDE et le GAFI.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Ce sera donc avant que M. le rapporteur nous soumette son propre rapport. Celui-ci sera donc inspiré de l'efficacité du sommet de Los Cabos.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Nous vous le transmettrons donc dès que nous le recevrons.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

La France se montrant, fort heureusement, leader dans ces opérations de transparence, ma question vous gênera peut-être un peu moins : y a-t-il une hiérarchie des États européens dans l'intensité coopérative ? Le Royaume-Uni est-il très coopératif ? L'Italie l'est-elle plus ? J'évoque la hiérarchie européenne, car il est peut-être plus facile de penser que les progrès se feront plus vite au sein de l'Union européenne qu'au niveau mondial. Y a-t-il des freins au sein de notre propre communauté ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le directeur, on sent très bien dans votre intervention la dimension internationale du sujet qui nous préoccupe. Or nous avons plutôt l'impression que nous sommes à un tournant. Des initiatives ont été prises lors du G20, par exemple les accords Rubik, où, d'un côté, il y a eu une impulsion et où, d'un autre, on voit deux grands partenaires européens - peut-être suivis par d'autres - qui vont contrecarrer cette impulsion, qui concerne en l'occurrence le domaine fiscal.

On sent que, au niveau international, plusieurs voies peuvent être prises et on ne sait pas si notre pays est isolé parmi ses partenaires européens - puisque c'est la dimension européenne qui nous préoccupe - ou si, au contraire, nous allons pouvoir renforcer cette position. C'est également valable en matière de fiscalité.

Par ailleurs, l'une des questions qui nous a été régulièrement posée lors des auditions concerne les membres du GAFI, puisque celui-ci, me semble-t-il, n'accepte pas d'autres adhésions en attendant les discussions avec la Commission pour l'élargir, mais parmi les Vingt-sept, tous ne sont pas membres du GAFI. Sur cette dimension internationale, le gouvernement français a-t-il adopté une position centrale ou risquons-nous un isolement ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le président, notre position est un peu en avance par rapport à la position centrale, mais nous ne sommes pas isolés, bien sûr.

Les Européens sont le plus souvent membres d'une des organisations. Vous avez l'institution centrale, le GAFI, le Conseil de stabilité financière, dont sont membres la plupart des pays de l'Union européenne et, par défaut, vous avez des groupes régionaux qui permettent d'associer ceux qui ne seraient pas membres du groupe central.

Les Européens de manière générale, notamment les Européens continentaux, sont mobilisés sur ces sujets : je pense à plusieurs pays au coeur de la zone euro. Les États-Unis ainsi que des grands pays émergents sont également concernés. J'ai évoqué l'Inde, mais par exemple, en matière de lutte contre les paradis fiscaux, des États d'Amérique latine sont, eux aussi, fortement mobilisés.

La France n'est pas isolée, bien sûr. Elle porte un message un peu plus exigeant que la moyenne et, en fonction des sujets, vous pouvez parfois avoir des partenariats plus forts dans un domaine que dans l'autre, mais vous avez tout de même une approche générale qui est le plus souvent partagée. Quand vous êtes mobilisé dans la lutte contre les juridictions non coopératives, vous êtes mobilisé dans les trois filières. Quand vous êtes un peu moins motivé parce que vous êtes éventuellement gêné sur tel ou tel aspect, vous vous faites parfois un peu plus discret.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Il y a vraiment un débat de fond qui est mené en France, bien sûr, mais aussi au sein de l'Union européenne. Nous avons effectué un déplacement à Bruxelles au cours duquel nous avons rencontré les services de M. Semeta, le commissaire chargé de la fiscalité. À l'évidence, il y a des failles, y compris au sein de l'Europe, il ne faut pas se mentir. L'attitude de « résistance » - c'est le moins que l'on puisse dire - du Luxembourg et de l'Autriche - moi, je peux les nommer -, pose un vrai problème et ces deux pays s'imposent aux vingt-cinq autres, même si semble s'exprimer ici et là la volonté de combattre les phénomènes d'évasion.

Par ailleurs, s'agissant des accords bilatéraux que M. le président vient d'évoquer, vous parliez de négociations multilatérales : c'est, me semble-t-il, la bonne démarche même si elle est plus dure et plus longue. Mais si, en même temps, ont lieu des démarches bilatérales entre des pays importants au sein de l'Union européenne, l'Allemagne et le Royaume-Uni avec la Suisse par exemple, cela pose des vraies questions et cela ne fait, à mon sens, que fragiliser la position de l'Union européenne, qui devrait être homogène et unanime. Aujourd'hui, nous sommes loin, à mon sens, de cette position. Il y a encore du chemin à parcourir, me semble-t-il.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le rapporteur, je ne suis pas en désaccord avec vous, mais ma direction n'est pas directement chargée de ces négociations fiscales. J'en parle donc avec d'autant plus de prudence que je ne suis pas directement responsable de ces négociations.

Il est vrai que les décisions se prennent à l'unanimité au sein de l'Union européenne, mais ce que je peux dire, c'est que la pression collective, dans un cercle qui va au-delà de la seule Europe, est plutôt un facteur qui aide à avancer, y compris en Europe. Je dis cela en ayant en tête ce qui s'est passé après avril 2009 : la liste de l'OCDE rendue publique lors du sommet de Londres comprenait un certain nombre d'États européens et, à la suite de cette publication, le rythme des négociations et des discussions bilatérales avec ces États s'est très fortement accéléré.

Les travaux du G20 ont donc eu un impact direct sur les négociations entre pays de l'Union européenne pour leurs propres accords bilatéraux, notamment sur l'échange d'informations en matière bancaire.

Je ne réponds pas forcément exactement à la question précise, parce que j'essaie de rester dans le cadre de mes attributions, mais le fait que ces sujets soient portés dans un cadre allant au-delà du seul champ européen permet d'induire une avancée supplémentaire par rapport au seul jeu de la règle de l'unanimité. On le voit bien lors des réunions du conseil Ecofin, les discussions sur les textes fiscaux s'arrêtent souvent assez vite parce que l'on constate qu'il n'y a pas unanimité et qu'il est donc très difficile de continuer à avancer. Les choses reprennent, mais la pression de l'extérieur fait parfois bouger les lignes et, en 2009, il a été très intéressant de voir comment tout cela s'est passé. Cela a parfois suscité un peu d'émotion...

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le directeur, je ne voulais pas vous embêter au point de vous demander le nom des mauvais élèves. Je vous demandais en quelque sorte, le « classement de sortie », ce qui est un peu différent.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le directeur général, la tentation n'est pas de vous poser seulement des questions liées à votre direction, tout simplement parce que le débat s'est affiné au sein de la commission et nous avons effectivement envie de revenir sur des sujets allant parfois au-delà de votre direction. Comme l'occasion est trop belle, nous en profitons pour avoir un sentiment personnel.

Par exemple, nous avons reçu hier le président du groupe Total et le président d'un autre groupe, à deux reprises des sociétés qui dépendaient du bénéfice mondial consolidé. Ce n'est pas directement lié, mais c'est un sujet qui est derrière nous et qui a souvent suscité des interrogations à la fois du Parlement et du ministère de l'économie et des finances. D'ailleurs, dans le gouvernement précédent, ce système avait été défendu par un ministre, Mme Lagarde, et abrogé par un autre, Mme Pécresse. On nous a fait remarquer que, en réalité, notre administration perdait beaucoup avec l'abandon de ce système puisqu'il n'y avait plus de pouvoir d'investigation avec une vision mondiale. Je voulais savoir si, par hasard - nous avons peut-être passé le temps du bilan - vous aviez un sentiment sur ce sujet ?

Selon les sociétés qui bénéficiaient de ce mécanisme, l'administration française avait un pouvoir d'investigation total, par exemple, dans les paradis fiscaux. En abandonnant ce mécanisme, ce n'est plus le cas puisqu'il y a une imposition forfaitaire. Avez-vous un point de vue sur ce sujet, bien qu'il ne relève pas directement de votre direction ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le président, honnêtement, je ne me sens pas en état d'établir un classement, sinon pour mettre la France en numéro un, ce qui est vraiment le moins que je puisse faire...

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Nous avons une coopération très importante sur ces sujets, notamment avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Nous partageons de nombreux points de vue et nous menons bien souvent ensemble les débats dans le cadre de ces réunions internationales.

Monsieur le président, s'agissant du régime fiscal, du bénéfice consolidé, de la concurrence fiscale, en quelque sorte, entre les grands groupes, la direction générale du Trésor réalise parfois des études pour essayer d'évaluer l'impact économique. Nous avons mené des travaux, y compris en France d'ailleurs, pour évaluer la réalité de l'impôt payé par les grands groupes, d'un côté, et les entreprises de taille intermédiaire et les petites et moyennes entreprises, de l'autre, à la suite des travaux du Conseil des impôts.

Je regarderai si nous avons des éléments plus précis à vous transmettre pour éclairer vos travaux, mais nous menons plutôt des études de cette nature. Nous ne sommes pas directement chargés des questions fiscales. Par conséquent, ce qui peut motiver nos travaux, ce serait de chercher dans quelle mesure telle ou telle pratique fiscale peut avoir un impact sur les évolutions économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je vais maintenant prendre le questionnaire qui vous a été transmis et pour lequel nous attendrons vos réponses écrites, car nous n'allons pas toutes les passer en revue, mais j'en extrais une qui m'intéresse plus particulièrement.

Y a-t-il des dispositions du code monétaire et financier qui, selon vous, mériteraient une réforme pour favoriser la lutte contre l'évasion fiscale ? Nous venons d'évoquer les grands groupes : par exemple, l'obligation de déclaration de compte à l'étranger pour les entreprises pourrait-elle être de nature à être un outil efficace dans cette lutte ?

D'autre part, la réglementation des flux d'investissements entre la France et l'étranger assure-t-elle une traçabilité suffisante à vos yeux ? Je vous poserai la même question pour les échanges intragroupes, que nous avons évoqués précédemment.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Dans le code monétaire et financier figurent aujourd'hui des obligations déclaratives qui concernent les banques ayant des implantations dans des territoires ou des États identifiés au niveau national comme non coopératifs.

De manière indirecte, le code monétaire et financier intéresse dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale dans la mesure où c'est dans ce code que l'on trouve les obligations d'identification des clients et de suivi de leurs transactions qui vont permettre d'identifier d'éventuelles dérives, y compris d'ailleurs s'agissant d'opérateurs non financiers, comme les professions juridiques notamment. Je suis donc dans le champ de déclaration de soupçon à la cellule TRACFIN et c'est en cela, me semble-t-il, que le code monétaire et financier est le point d'entrée pertinent pour étudier ce type d'opérations.

En revanche, je ne vois pas - mais c'est sans doute faute d'imagination - ce que l'on pourrait faire de fondamentalement différent dans le code monétaire et financier. D'ailleurs, le GAFI, dans ce domaine, a qualifié le dispositif français de l'un des plus performants de ceux qu'il avait eu à examiner.

Par conséquent, en matière de lutte contre la fraude fiscale, je ne vois pas là - mais nous allons y réfléchir davantage - de point qu'il conviendrait de modifier. Ce qui est important, encore une fois, c'est de veiller à sa bonne mise en oeuvre, notamment pour tout ce qui concerne la qualité de la supervision, le respect des obligations de déclaration de soupçon, etc.

En revanche, le code général des impôts est le code approprié pour mettre en oeuvre les dispositions fiscales pénalisant les transactions avec les territoires non coopératifs.

Votre seconde question portait sur la traçabilité des flux d'investissements.

Depuis quelques années, la méthodologie a évolué. On enregistre les flux d'investissements entre la France et l'étranger, conformément aux standards internationaux FMI-OCDE - c'est la Banque de France qui est chargée de ce suivi. Or on a constaté, au cours des dernières années, une croissance très forte de ces flux d'investissement sur le plan mondial, croissance qui est pour partie liée à des opérations intragroupes, que l'on ne savait pas distinguer avec les standards statistiques actuels puisqu'une transaction au sein d'un groupe était comptabilisée comme un flux étranger, par exemple du Luxembourg vers la France ou de la France vers le Luxembourg.

Pour essayer de neutraliser cet effet, l'OCDE et le FMI ont émis, en 2008, une recommandation visant à mettre en place une nouvelle méthode de comptabilisation, la méthode du « principe directionnel étendu », qui tend à neutraliser ces mouvements intragroupes et donne une image plus fidèle de la réalité économique de ces investissements étrangers.

Lorsque l'on étudie ces chiffres, on voit que les flux entrants et sortants d'investissements directs étrangers sont assez significativement réduits et que la ventilation géographique change aussi. Il est donc intéressant d'observer ce que donnent ces deux chiffres. On voit notamment que les investissements étrangers en France provenant d'un certain nombre d'États, notamment les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse ou le Royaume-Uni, qui sont des lieux d'accueil de ces entités où l'on héberge notamment des transferts, diminuent de manière significative.

La France applique cette méthode depuis 2010 et il est prévu, au sein de l'Union européenne, que tous les pays le fassent au plus tard en 2014. Nous avons donc déjà la capacité d'identifier ces différents flux.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

La liste française des États et territoires non coopératifs mise à jour en avril dernier, me semble-t-il, et qui compte huit pays, vous paraît-elle adéquate et correspondre à la réalité des situations ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Sur les flux intragroupes, je vous transmettrai des compléments d'information parce que j'ai répondu sur une partie du sujet mais pas sur la totalité.

Certaines listes sont partiellement concurrentes. Il y a les listes internationales, il y a les listes que nous avons élaborées en France - vous les avez certainement, mais nous vous les transmettrons de nouveau, et ainsi nous vérifierons que nous avons tous la même compréhension des choses - qui sont notamment celles des territoires paradis fiscaux soumis à obligation de transparence sur les activités offshore, listes dont l'existence est prévue par le code monétaire et financier, avec des territoires qui sont identifiés.

Sauf erreur, depuis avril 2012, huit États sont aujourd'hui identifiés. Ce sont des États de taille modeste - sans faire insulte à certains d'entre eux -, mais le Guatemala ou les Philippines ne sont pas des États si modestes que cela.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Vous avez le Liberia, Brunei, les Îles Marshall, Nauru. Le Botswana, je ne sais pas. Dans les pays finissant par « a », j'ai Montserrat et Guatemala.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Il y a peut-être le Botswana sur une des autres listes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Le bureau se demandait s'il n'allait pas faire une commission d'enquête...

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Le Botswana est sur la liste de l'OCDE ; c'est la raison pour laquelle je disais qu'il y a des listes concurrentes. Mais le Botswana est sur la liste des pays qui ne passent pas en phase 2, c'est-à-dire qui n'ont pas démontré leur capacité...

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Il est aussi sur la liste française, il a été ajouté à la mi-avril, c'est la dernière mise à jour.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

C'est vous qui avez raison : ma liste est donc incomplète, d'où l'intérêt de croiser nos listes.

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

En effet, et nous sommes les seuls à disposer d'une liste spécifique qui, au regard de nos propres relations bilatérales avec un certain nombre d'États, justifie que l'on choisisse de les identifier de la sorte.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Pour terminer, je vous poserai deux questions plus techniques.

La première concerne l'Europe, qui prend des initiatives sur ce sujet, nous l'avons évoqué.

La Commission européenne a lancé plusieurs propositions législatives, notamment concernant l'amélioration du règlement des opérations sur titres dans l'Union européenne et les dépositaires centraux de titres, les DCT. Jugez-vous que les obligations de transparence, qui pourraient résulter de ces textes européens en cours de négociation, permettront d'avoir une meilleure connaissance des transactions financières effectuées par le biais des systèmes multilatéraux de négociation, y compris les dark pools, et de pouvoir ainsi fiscaliser ces opérations ?

Dans la directive européenne AIFM - Alternative Investment Fund Managers - de juin 2011 sur les hedge funds, il est exigé que le dépositaire de ce type de fonds ne soit pas établi dans un État figurant sur la liste des territoires non coopératifs du GAFI ou dans un État n'ayant pas signé une convention modèle OCDE avec les États membres de l'Union européenne où il entend commercialiser le fonds. Jugez-vous que cette disposition est de nature à freiner l'accès au marché unique européen des hedge funds établis dans les centres offshore ?

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Monsieur le rapporteur, j'ai noté vos questions et je reprendrai contact avec vous pour vous apporter des réponses plus précises. Vous avez entendu le président de l'AMF ce matin...

Debut de section - Permalien
Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Ce qui est clair, c'est que ce sont des textes extrêmement importants dans l'agenda de renforcement de la régulation financière en Europe. La directive MIFID - Markets in Financial Instruments Directive - et plus particulièrement la directive AIFM ont donné lieu à des débats extrêmement difficiles, notamment avec un grand pays partenaire de l'autre côté de la Manche, qui considère - on peut comprendre leur raisonnement - qu'une régulation trop exigeante à vingt-sept aboutirait à délocaliser tout une partie de cette industrie financière, par exemple en Suisse ou pas très loin de la frontière de l'Union européenne.

Il y a donc un enjeu majeur, qui a fait l'objet des discussions en cours sur la directive MIFID, sur ces dark pools, toutes ces places non régulées et ces plateformes de transactions boursières, à travers lesquelles on a voulu, au début des années 2000, créer de la concurrence pour faire baisser les prix, mais en allant manifestement trop loin - c'était d'ailleurs la position de la France à l'époque - et en faisant dériver un certain nombre de flux vers des plateformes qui ne donnent pas les mêmes garanties de transparence et d'égalité des conditions de concurrence que les marchés réglementés.

Par conséquent, la directive en cours doit permettre, y compris s'agissant des dépositaires, de remettre les choses à plat et d'avoir des règles du jeu plus robustes.

Sur la directive AIFM, les règles qui ont été élaborées s'agissant des dépositaires ne sont pas, selon moi, de nature à freiner le développement du marché unique, mais je vais davantage réfléchir à la question pour vous apporter des éléments de réponse complémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le directeur général, nous vous remercions de toutes ces précisions qui ont pu compléter les réflexions de la commission.