Intervention de Maurice Lévy

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Maurice Lévy président directeur général de publicis

Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis :

Ce sont deux questions extrêmement importantes.

Je commencerai par évoquer le cas de la Chine, car ce sera rapide : tout y est insécurité. Tout ! On peut s'y faire retirer son autorisation d'exercer du jour au lendemain. La fragilité juridique y est excessive. Rien n'est respecté : ni le droit de propriété intellectuel, ni le droit de propriété industrielle. Et la liste est longue... Je n'arrive pas à comprendre qu'on ne puisse pas en discuter avec les Chinois.

J'ai évoqué ce problème publiquement - je sais que cela n'a pas été très apprécié - auprès de Wen Jiabao. Lors d'une session privée du World economic forum, dont je fais partie - il y avait 200 personnes -, j'ai expliqué la situation au Premier ministre chinois. Il a pris des positions d'une extraordinaire rigueur, comme savent le faire les Chinois, mais qui n'ont donné aucun résultat.

La situation en Chine est aussi difficile en raison du maquis extrêmement compliqué que constituent les provinces, les régions, l'État. Il y a un système féodal de gouvernement. Je ne peux pas en dire beaucoup plus sur la Chine. Le fait est que, si la Chine ne connaissait pas cette croissance exceptionnelle, si tous nos clients n'y étaient pas, il n'est pas certain que nous y serions allés si rapidement.

Je me souviens que, lorsque j'avais dit à Marcel Bleustein-Blanchet, au début des années quatre-vingt-dix, qu'il allait falloir y aller, il m'avait demandé : « Maurice, est-ce que vous parlez chinois ? ». Je lui avais répondu que non, mais que je n'en avais pas besoin. En fait, il voulait dire que je n'avais pas la mentalité chinoise.

La situation en Chine est effectivement préoccupante.

Sur les pays latins et anglo-saxons, il y a beaucoup à dire.

Le premier coupable, selon moi - pardon de le dire - est l'État. Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis des décennies - pas seulement ces dix, quinze ou vingt dernières années - ont tous évité de parler de payeur de taxes, préférant masquer les choses, parler de contribution. En outre, l'État n'a cessé d'expliquer qu'il fallait diminuer l'assiette, comme si ce n'était pas bien de payer l'impôt. Il a donc réduit l'assiette parce que c'est bien socialement, au lieu de dire qu'il était bon socialement de l'élargir, même si la contribution est petite, et d'expliquer que payer l'impôt est un devoir. De très nombreuses lois traduisent cette volonté. Régulièrement, le ministre des finances ou le Président de la République expliquent à la télévision que le nombre de contribuables a diminué d'un million dans l'année. Et on s'en réjouit ! De telles déclarations donnent évidemment à penser que contribuer n'est pas bien.

Il serait de loin préférable d'instaurer une assiette plus large, de prévoir une petite taxe pour tous, et d'aider ceux qui n'ont pas les moyens par de la redistribution. Le système de redistribution fonctionne si bien en France !

Quant aux grandes entreprises, elles sont scrutées de manière épouvantable. Lisez les rapports d'analyses faits sur ces entreprises. Tout ce que nous faisons y est épluché. Le niveau de détail des questions qui nous sont posées est impressionnant.

J'ai ainsi été obligé de m'informer sur la tonne équivalent carbone pour pouvoir répondre aux questions d'investisseurs. Je pensais pourtant que nous n'étions pas concernés par ces préoccupations. Je pensais en effet que, puisque nous n'avons pas d'usine, nous ne générions pas de gaz à effet de serre. Or j'ai découvert que si, tout simplement parce que nous avons des collaborateurs, lesquels respirent ! Il faudrait donc que j'aie moins de collaborateurs, car plus j'en ai, plus je produis de tonnes équivalent carbone...

Nous sommes donc scrutés de manière extrêmement détaillée. Les grandes entreprises, celles qui sont cotées, celles qui font appel aux capitaux étrangers et aux investisseurs internationaux, sont soumises à la question de manière très rigoureuse. Et il est très mal vu de tricher et de ne pas être extrêmement strict. Je ne suis pas en train de dire que toutes les entreprises se comportent de manière rigoureuse, mais je sais que, de manière générale, tel est le cas.

Nous serons dans une situation extrêmement fragile aussi longtemps que nous ne saurons pas en France trouver de solutions au manque de capitaux. Un investisseur et une association nous ont interrogés sur la manière dont le capital de Publicis était détenu. Malheureusement, notre situation n'est pas très différente de celles des entreprises du CAC 40 : 59 % de notre capital est détenu par des investisseurs étrangers. Heureusement que la famille et les salariés en détiennent encore une part, autrement, ce pourcentage s'établirait plutôt à 65 % ou 70 %.

Pour conclure, permettez-moi de revenir sur un point qu'il me paraît intéressant d'explorer. Depuis de très nombreuses années, on fait peser l'impôt sur un nombre de plus en plus petit, soit d'entreprises, soit d'individus. L'assiette se restreignant, la pression augmente. De ce fait, nombreux sont les gens qui cherchent des moyens pour éviter de payer l'impôt. La conclusion est simple : nous avons intérêt à élargir la base, comme c'est le cas dans tous les pays.

Certes, il y a partout un peu de fraude. Toutefois, j'ai l'impression que les médias ne nous rendent pas service lorsqu'ils titrent par exemple : « La fraude fiscale : le sport favori des Français ». Ils ne cessent de publier des numéros spéciaux dans lesquels des spécialistes donnent des trucs pour éviter d'avoir à payer trop d'impôts. Nous-mêmes, nous sommes fréquemment sollicités par des entreprises, des conseils, qui nous proposent de réduire la base fiscale de Publicis. Nous évitons cela. À titre personnel, je l'évite.

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