Monsieur le président, je tenais tout d'abord à vous remercier pour votre invitation car cette audition va nous permettre, je l'espère, d'échanger de manière approfondie sur les enjeux de l'enseignement agricole, qui est selon moi une des spécificités et une des fiertés de notre politique éducative.
Plus encore, l'enseignement agricole est un puissant vecteur de reconquête de notre souveraineté alimentaire. Il est un atout inestimable pour que l'impératif de lutte contre le dérèglement climatique irrigue notre société toute entière et que les secteurs agricole, alimentaire et forestier accélèrent encore les transitions dans lesquels ils se sont engagés.
Ceci est d'autant plus vrai que notre enseignement agricole bénéficie d'un véritable enracinement local. C'est d'ailleurs l'une de ses spécificités, avec 800 établissements présents partout en France, dans l'hexagone et en outre-mer. Ces établissements sont en lien étroit et quotidien avec le monde agricole et rural, les collectivités territoriales, ainsi que les organismes de recherche. Cet ancrage territorial est une vraie force pour expérimenter, innover, inventer l'agriculture de demain. Pour ce faire, l'enseignement agricole dispose de 250 exploitations agricoles ou ateliers technologiques dans des établissements divers. Il s'agit de supports concrets de formation et de diffusion de pratiques innovantes.
Je voudrais commencer par évoquer la rentrée 2022 pour saluer la dynamique remarquable de notre enseignement agricole dont l'attractivité grandissante ne se dément pas, avec une large palette de formations, un taux de réussite et d'insertion professionnelle particulièrement élevé, un accueil et un accompagnement de qualité qui séduisent des jeunes aux profils de plus en plus variés. Nous ne le dirons jamais assez : aujourd'hui 44 % des élèves de l'enseignement agricole sont des filles et 90 % des élèves de l'enseignement agricole ne sont pas issus d'une famille agricole. L'année scolaire 2022-2023 est marquée par une augmentation globale du nombre de jeunes suivant une formation de l'enseignement agricole, de la quatrième au diplôme d'ingénieur et de vétérinaire, en formation initiale scolaire ou par la voie de l'apprentissage. Dans la démographie globale que nous connaissons, il s'agit d'un élément à souligner, bien que cette augmentation soit disparate selon les filières.
Ces évolutions témoignent d'une véritable prise de conscience de notre jeunesse pour laquelle l'agriculture est essentielle, au sens premier du terme. Elle est essentielle par sa vocation productive et nourricière - la crise sanitaire et la guerre en Ukraine l'ont souligné, s'il était besoin de le faire. Mais elle l'est également parce qu'elle est source de solutions dans un contexte de changement climatique, qu'elle est porteuse de sens pour beaucoup de jeunes et d'une manière de voir la société et par conséquent d'une possibilité de la changer. Tout en préservant ce qui fait la compétitivité et l'excellence de notre agriculture, nous devons aussi faire notre cette vision que porte notre jeunesse. Un agriculteur ou un forestier n'est pas un acteur économique tout à fait comme les autres. Par la relation singulière qu'il entretient avec la terre, la nature, le vivant le végétal, la forêt, le bois et par sa capacité à réinventer des pratiques séculaires, il est avant tout un entrepreneur du vivant et un acteur des grands défis de notre temps qu'ils soient climatiques ou sociétaux.
À cet égard l'enseignement agricole est, avec les investissements massifs portés dans le cadre de France Relance et de France 2030, l'une des pièces maîtresses pour anticiper les profonds bouleversements à l'oeuvre. Il permet de penser les futures installations dans une perspective de transition écologique et énergétique en formant des agriculteurs passionnés qui seront en même temps des citoyens éclairés. Je voudrais dire ma profonde reconnaissance au personnel du ministère. Plus de 18 000 fonctionnaires oeuvrent au service de notre enseignement agricole. Je souhaite devant vous les remercier pour leur engagement sans faille au service de l'avenir de nos jeunes et de celui de notre agriculture et de nos forêts.
Avant d'évoquer les éléments budgétaires du programme stricto-sensu, je voudrais partager avec vous mes priorités politiques pour l'enseignement agricole.
En premier lieu, l'enseignement agricole sera un outil majeur au service et au coeur du projet de pacte et de loi d'orientation d'avenir pour l'agriculture. Sa modernité, la capacité d'évolution permanente dont il a su faire preuve en font l'un des leviers les plus pertinents pour avancer en ce domaine. Cela suppose qu'une mobilisation conjointe de tous les acteurs de l'orientation des jeunes soit assurée pour que chaque élève de collège connaisse les opportunités de formation et de métiers qui existent dans l'enseignement agricole.
Le deuxième enjeu important à mes yeux est celui de la formation des vétérinaires. Il nous faut en former davantage. Aujourd'hui, plus de 50 % des vétérinaires exerçant en France sont formés à l'étranger. Aussi, pour consolider le maillage territorial vétérinaire - élément déterminant pour améliorer la condition d'exercice de la profession mais aussi pour continuer à assurer la sécurité sanitaire - mon ministère continuera à augmenter le nombre de places au concours véto. À l'horizon 2030, avec cette nouvelle augmentation des promotions et l'ouverture à la rentrée de 2022 de l'école vétérinaire privée d'intérêt général de Rouen, 840 vétérinaires seront formés par an en France, soit 75 % de plus qu'en 2017. L'objectif est que ces nouveaux recrutements d'étudiants soient adaptés aux réalités du métier de vétérinaire. Mon ministère amplifiera le concours véto post-bac, qui répond pleinement aux préoccupations de jeunes générations notamment celles issues de milieux ruraux ou moins favorisés qui hésitent de plus en plus à s'inscrire dans un cursus généraliste de classes préparatoires, préférant dès le bac s'orienter dans des cursus intégrés conduisant en 6 ans au métier de vétérinaire praticien notamment en rural. Cette avancée s'inscrit dans un contexte plus global de feuille de route pour lutter contre la désertification vétérinaire, qui fait d'ailleurs singulièrement écho à la désertification médicale. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la journée nationale vétérinaire avec l'ensemble des parties prenantes.
Le troisième enjeu est celui du projet de réforme de la voie professionnelle, porté par ma collègue Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnelle. L'enseignement agricole pourra bénéficier de pistes évoquées dans le cadre de la concertation en cours, notamment la mise en place dès la 5ème d'une demi-journée intitulée « Avenir », dédiée à la découverte des métiers, notamment techniques manuels ou relationnels. Tous les métiers auxquels l'enseignement agricole prépare devront être mises en avant. Il s'agit d'une opportunité majeure pour faire connaître l'enseignement agricole et recruter davantage d'élèves dans des métiers qui en ont besoin. La perspective potentielle que les moyens soient réorientés sur les métiers en tension permettrait de valoriser l'enseignement agricole qui, de fait, prépare à des métiers en tension (dans la production et dans la transformation) mais aussi aux services aux personnes en milieu rural.
C'est dans ce contexte, afin de préfigurer ces orientations et à l'aune des enjeux que j'ai évoqués, qu'il convient d'examiner le budget des programmes 142 et 143 dont je voudrais vous présenter les axes forts.
En 2023, ce sont 2,02 milliards d'euros de budget qui seront consacrés à l'enseignement agricole, avec 1,6 milliard d'euros pour l'enseignement technique et 0,42 milliard d'euros pour l'enseignement supérieur. À ces moyens budgétaires s'ajoutent ceux du compte d'affectation spéciale au développement agricole et rurale (CASDAR), qui représentent 660 millions d'euros. Sans présenter toutes les évolutions budgétaires, je me permettrai d'insister sur trois points qui me semblent devoir être valorisés.
Le premier point est la poursuite du plan pluriannuel de renforcement de la capacité d'accueil des quatre écoles nationales vétérinaires engagé en 2022. La taille des promotions de chacune des quatre écoles nationales d'Alfort, de Lyon, de Nantes et de Toulouse sera portée à 180 étudiants formés, recrutés sur concours, en favorisant la diversité sociale et géographique des lauréats. Afin de maintenir des conditions de formation de qualité, les écoles nationales vétérinaires bénéficieront d'une dotation d'État de 8 ETPT supplémentaires d'enseignants ou praticiens hospitaliers par an sur 2023-2025. Elles pourront renforcer leurs équipes pédagogiques et techniques en ayant les moyens de recruter 12 agents supplémentaires par an sur 2023-2025.
Le deuxième point concerne les 10,3 millions d'euros supplémentaires consacrés à l'accueil des élèves en situation de handicap, qui participent à la hausse substantielle des moyens de l'enseignement technique agricole. Cela fait écho à la nature même de l'enseignement agricole qui porte une attention particulière au cheminement de chaque apprenant et qui s'est toujours distingué par son caractère inclusif. 4 377 jeunes sont ainsi aidés en 2021-2022. 1 252 ETP sont prévus pour les assistants d'éducation (AED), 1 007 pour les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Il s'agit d'un élément de progrès majeur que je tenais à souligner en cette semaine du handicap, dont la clôture se déroulera d'ailleurs au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. En outre, 3,4 millions d'euros supplémentaires seront alloués à l'amélioration de l'encadrement et de la surveillance des élèves, notamment pour l'internat qui est l'autre grande spécificité de l'enseignement agricole par rapport à la filière générale. Je souhaite rappeler également que les enseignants bénéficieront de mesures pour revaloriser leur métier.
Enfin, avec 3,69 millions d'euros supplémentaires, le budget 2023 renforce le dispositif médico-social au bénéfice des élèves et étudiants de l'enseignement agricole technique. Il s'agissait d'une nécessité, notamment au regard de l'épreuve de la crise sanitaire et du confinement. Il convient plus largement de répondre aux besoins d'information des jeunes, d'écoute, de repérage de leurs éventuelles difficultés. Je continuerai de porter une attention toute particulière à ce sujet dans le cadre du dialogue social, en lien avec les équipes éducatives, comme je l'ai rappelé aux organisations syndicales du ministère.
Au-delà de ces avancées, je voudrais également évoquer brièvement le sujet de la recherche, sur lequel je sais que votre commission est attentive. Le plafond du CASDAR est maintenu à 126 millions d'euros, mais j'ai obtenu de bénéficier de l'excédent de recettes 2022, qui devrait représenter 17 millions d'euros. Cela permettra de renforcer le financement des actions entreprises par les organismes impliqués dans la recherche appliquée et le développement pour favoriser l'adoption d'innovations et de changements de pratiques soutenant en particulier les transitions agro-écologiques.
En conclusion, je souhaiterais évoquer devant vous le pacte d'avenir et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricole annoncé par le président de la République le 9 septembre dernier, sur lequel nous aurons l'occasion de travailler ensemble. Trois des quatre axes de travail en effet annoncés concernent votre commission au premier plan : l'orientation et la formation ; la transmission et l'installation ; et la transition et l'adaptation face aux changements climatiques, notamment par la recherche et l'innovation.
Je voudrais tout d'abord vous faire part d'une conviction : je crois profondément que réussir le défi du renouvellement des générations nous impose collectivement de valoriser la vocation d'agriculteurs et de salariés en agriculture ou en agro-alimentaire. Il s'agit d'une question d'image de la profession et d'attractivité. Il faut que nous disions ensemble à ces jeunes qu'ils vont exercer des métiers qui ont du sens, qui vont leur permettre de jouer un rôle déterminant dans les transitions à l'oeuvre en faveur des pratiques agricoles plus résilientes et plus durables, de nouveaux modèles alimentaires ou de la préservation de nos ressources, de la biodiversité, de nos forêts et de leur permettre de s'inscrire dans une démarche citoyenne de long terme. L'enseignement agricole peut et doit participer à tous ces défis.
Au-delà des moyens supplémentaires accordés à l'enseignement agricole par ces programmes, plusieurs orientations importantes ont déjà été esquissées dans la perspective de ce texte important. Il a d'abord été annoncé la création d'un fonds de 20 millions d'euros pour l'enseignement agricole, dédié à l'innovation pédagogique et au développement de formations nécessaires aux compétences de demain. Une autre orientation concerne la création d'un fonds entrepreneurs du vivant France 2030, doté de 400 millions d'euros pour soutenir le portage du foncier agricole et les installations en transition. À mon sens, la question n'est pas tant la transmission-reprise mais la transmission-transition pour faire en sorte d'installer des jeunes dans des systèmes agricoles résilients face aux dérèglements climatiques en particulier. Enfin, ce texte devrait comprendre la création d'un réseau France installations agricoles pour mieux accompagner chaque personne souhaitant s'installer en agriculture et pour mettre en place un réseau d'incubateurs d'entrepreneurs et d'entreprises agricoles innovantes. Comme je l'ai déjà rappelé, beaucoup de jeunes s'inscrivant dans nos établissements scolaires ne sont pas issus du monde agricole. Cela est une gageure importante pour nous en matière d'ouverture et d'adéquation avec ces attentes nouvelles. Pour assurer le défi du renouvellement, il y a là un vivier qu'il nous faudra évidemment explorer.
Enfin, je voudrais terminer en vous présentant le calendrier de la large concertation qui sera engagée sur le pacte. La préparation de la concertation est en cours. Elle se déroulera jusqu'au 7 décembre, date à laquelle je lancerai formellement la concertation, en lien notamment avec les organisations professionnelles agricoles et les chambres d'agriculture, avec tous les acteurs, les ONG, les interprofessions et la distribution. Le but est de construire un diagnostic consensuel et partagé sur les grandes tendances de fond liées à l'enjeu de renouvellement des générations. Les régions seront également associées. Compte tenu des compétences qui leur sont conférées dans la réforme de la PAC, elles auront un rôle éminent à jouer tant sur la formation que sur l'installation ou l'accompagnement par les investissements des agriculteurs ou des entreprises agro-alimentaires.
S'en suivra jusqu'en avril 2023 un deuxième temps de concertation que j'ai souhaité de niveau national mais aussi de niveau régional car nombre de nos enjeux agricoles sont liés à des spécificités régionales (zones de plaine, zones de montagne, zones impactées par le dérèglement climatique et celles qui le seront moins). Nous avons besoin d'instaurer un dialogue entre les chambres d'agriculture, les régions et l'État pour affiner la planification au niveau régional. Nous travaillerons avec les conseils régionaux sur la déclinaison des enjeux et des outils dans une logique de planification et d'adaptation locales. À la fin du 1er semestre 2023, nous aurons bâti ensemble le pacte d'avenir entre les générations. Le projet de loi sera la traduction de ce pacte s'agissant des éléments législatifs nécessaires.
Le pacte et le projet de loi auront pour objectifs d'orienter, de former en nombre et en compétence, de rendre possible la transmission et l'installation, le tout en s'assurant que ces femmes et ces hommes salariés et exploitants, cédants et entrepreneurs, disposent de l'accompagnement, des innovations et des moyens pour répondre aux grandes évolutions de l'agriculture. Il s'agit bien d'un enjeu de souveraineté dont l'enseignement agricole est une clé de voûte.
Je voudrais avoir un dernier mot pour les enseignants qui jouent un rôle éminent pour réussir ces transitions. Ils seront les acteurs mais aussi parfois les inspirateurs des décisions que nous devrons prendre.