Intervention de Thomas Fatome

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 16 février 2022 à 16h30
Audition de M. Thomas Fatôme directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie

Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie :

Merci Monsieur le Président. Je suis accompagné de Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins à la Caisse nationale d'assurance maladie.

Vous avez d'emblée rappelé ce que je voulais indiquer en introduction. L'assurance maladie est effectivement le principal financeur des établissements de santé, quel que soit leur statut. Près de 80 % des recettes de ces établissements proviennent de l'assurance maladie obligatoire ce qui, en effet, lui confère un rôle de payeur. Cela implique une mobilisation souvent méconnue et des travaux lourds de gestion des systèmes d'information, des systèmes de facturation et des paiements des établissements de santé.

Derrière ce rôle de payeur, vous l'avez évoqué, Monsieur le Président, on trouve aussi celui de contrôleur de la tarification à l'activité. Près de 100 000 séjours font l'objet de contrôles chaque année. Cet exercice a toutefois été assez largement suspendu depuis la crise sanitaire, pour des raisons que l'on peut comprendre aisément, a fortiori avec la garantie de financement appliquée pour 2020, 2021 et le début de l'année 2022.

Au-delà de son rôle de payeur, l'assurance maladie tâche à la fois de structurer les soins de ville. Elle s'efforce aussi d'être un acteur de parcours de soins efficaces, en amont et à la sortie de l'hôpital. Enfin, elle oeuvre à promouvoir la qualité et la pertinence des actes, sans oublier un rôle important qui consiste à fournir des analyses et des travaux, pour participer à la compréhension des évolutions de notre système de santé. C'est notamment ce que nous faisons chaque année dans notre rapport « charges et produits » sur l'évolution du système de santé.

Je ne m'attarderai pas sur une analyse approfondie de la situation de l'hôpital. Sur une longue période, il est confronté à des évolutions assez largement contradictoires, avec d'un côté le vieillissement de la population et l'impact des maladies chroniques, qui rendent le recours à l'hôpital plus important, et de l'autre des évolutions technologiques et un virage ambulatoire qui, au contraire, réduisent les durées de séjour et diminuent également le nombre de lits.

En comparaison avec les autres pays européens, nous ne sommes pas extrêmement décalés. Nous comptons globalement plus de lits que la moyenne des pays, notamment de l'OCDE, mais un peu moins de personnel soignant par lit, et on voit, comme dans d'autres pays, à la fois une réduction globale du nombre de lits et une réduction des durées de séjour, qui s'expliquent assez largement par les progrès technologiques.

Nous connaissons aussi, bien évidemment, certaines spécificités, notamment en termes d'organisation, avec les trois secteurs du public, du privé lucratif et du privé non lucratif, qui cohabitent, parfois dans des logiques complémentaires et parfois dans des logiques de compétition, mais toujours sur la base d'un financement très largement couvert par l'assurance maladie obligatoire et par les complémentaires santé.

J'essaierai de partager quatre enjeux que je perçois aujourd'hui. Les trois derniers sont liés à des actions que l'assurance maladie engage sur les thématiques que j'ai déjà quelque peu évoquées.

Le principal enjeu tourne autour des problématiques d'attractivité, notamment en matière de ressources humaines de l'hôpital, et de capacités financières à investir. De ce point de vue, et même si nous ne sommes que le financeur, je relèverai tout de même le caractère historique des décisions prises dans le cadre du Ségur de la santé. J'utilise le terme volontairement, puisqu'il y a peu de points de comparaisons dans le système de santé, et même au-delà, d'un tel mouvement à la fois de revalorisation des personnels, de soutien à la restauration de la capacité financière des établissements de santé et de soutien de leurs investissements.

Vous connaissez les chiffres. Je propose de ne pas y revenir dans le détail, avec près de 9 milliards d'euros sur les revalorisations de personnels, près de 19 milliards d'euros sur le plan d'investissement, même si ces deux enveloppes n'obéissent pas du tout à la même logique et à la même temporalité. En tout cas, en tant que financeur, je peux témoigner d'un investissement absolument considérable, pour répondre aux différents défis.

Les effets de ces mesures mettront sans doute du temps à se mesurer et je perçois qu'on les oublie parfois un peu vite ou, en tous cas, qu'on ne mesure peut-être pas suffisamment à quel point elles sont massives et doivent permettre aux établissements de restaurer progressivement leur attractivité en termes de ressources humaines et d'investir pour le présent et pour l'avenir.

J'en arrive à présent aux chantiers sur lesquels l'assurance maladie est plus directement impliquée. En tant qu'opérateur, nous essayons d'être un acteur qui pousse à la structuration des soins de ville et à renforcer leur capacité à traiter plus de patients, en amont comme en aval de l'hôpital. Nous soutenons l'exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles - MSP, centres de santé, équipes de soins coordonnés, etc.) et la dynamique des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles sont plus de 240 à avoir signé l'accord conventionnel interprofessionnel avec l'assurance maladie et couvrent près de 30 % de la population. Il en va de même avec l'accord sur les MSP et l'accord sur les centres de santé, dont la signature devrait être imminente et qui participe du renforcement de la capacité des soins de ville à s'organiser et à prendre en charge plus de patients.

Le second volet de cette action porte sur les soins non programmés et la permanence des soins, où nous intervenons en pilotage partagé avec nos collègues du ministère des solidarités et de la santé et, sur le terrain, entre le réseau de l'assurance maladie et les agences régionales de santé. Au-delà, on trouve bien évidemment la mise en place du service d'accès aux soins, dont nous avons défini avec les médecins libéraux, au travers de l'avenant n° 9, les conditions de financement, qu'il s'agisse de la régulation ou de l'effection. C'est ce cadre financier qui permet au SAS de se déployer sur le terrain même si, bien évidemment, tout n'est pas évident.

Par ailleurs, même si le sujet est davantage à la main des agences régionales de santé et du ministère, nous sommes également partenaires de la permanence des soins ambulatoires (PDSA). La revalorisation des tarifs de la permanence des soins ambulatoires, intervenue il y a quelques semaines, se traduit par une augmentation des forfaits de près de 20 %. Je pense que cette revalorisation adresse un signal fort d'attractivité et en tout cas de soutien aux médecins mobilisés par la permanence des soins.

Le troisième volet de la structuration des soins de ville vise à augmenter le temps médical disponible et à éviter des bascules vers les services d'urgence non justifiées. C'est à ce niveau que l'on retrouve le programme d'action sur les assistants médicaux. Nous avons comptabilisé à ce jour plus de 2 700 assistants médicaux employés par les médecins libéraux, avec l'équivalent d'une file active augmentée d'un million de patients et de près de 500 000 pour les médecins traitants. Il s'agit là bien évidemment de la mesure principale, mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui a trait à la structuration des équipes de soins autour des médecins, comme le rôle des infirmiers Asalée (actions de santé libérale en équipe) ou celui des infirmiers de pratique avancée. Dans le même temps, il s'agit aussi de favoriser un certain nombre de délégations de tâches, ce qui nous amène notamment à négocier actuellement une nouvelle convention avec les pharmaciens, qui devrait les mettre en capacité d'assurer par exemple les rappels de vaccination, le dépistage du cancer colorectal et d'autres éléments du parcours de soins, comme la prévention des infections urinaires. Il s'agit de faciliter l'accès aux soins, de renforcer le temps médical et donc de mettre davantage les médecins libéraux en situation de prendre en charge des patients, et de diminuer les recours injustifiés à l'hôpital et aux urgences.

En complément de l'accompagnement et de la structuration des soins de ville, nous menons une action autour des parcours de soins. J'ai deux éléments majeurs à citer de notre côté. Le premier renvoie à tout ce qui touche aux programmes Prado d'accompagnement de la sortie de l'hôpital. Comme vous le savez, ces programmes se sont d'abord construits autour de l'accompagnement des femmes en sortie de maternité, organisé avec des sages-femmes libérales. Ce programme a assez profondément changé le rôle des sages-femmes libérales, augmenté leur nombre et solvabilisé leurs actions. En 2019, avant la crise, il a permis un accompagnement de sortie de l'hôpital de près de 400 000 femmes, ce qui est assez considérable. Il se déploie aujourd'hui sur d'autres types de prise en charge, notamment les sorties post-épisodes chirurgicaux, les sorties en cas d'insuffisance cardiaque ou en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Il s'agit pour nous d'être un acteur qui facilite la sortie d'hôpital et la mise en relation entre l'hôpital, la médecine de ville et les acteurs des soins de ville. Un certain nombre de ces programmes a trouvé leur vitesse de croisière, même s'il faut continuer à les faire évoluer.

Derrière cela, on retrouve aussi notre ambition plus large d'essayer de structurer les parcours de soins, pas seulement en sortie d'hôpital, mais aussi en amont. Nous en avons fait état dans notre rapport « charges et produits » pour 2022, autour de l'insuffisance cardiaque. Nous commençons à construire des outils pour mettre les médecins généralistes en situation de mieux accompagner les patients susceptibles d'être victimes d'insuffisance cardiaque. Nous construisons de surcroît des outils tout au long de la chaîne et de ce parcours, puisque nous voyons à quel point nous pouvons faciliter le parcours de soins, en matière de prévention comme en matière d'accompagnement. Nous pouvons sans doute mieux organiser le recours à l'hôpital, éviter les hospitalisations injustifiées et organiser la sortie.

Le troisième axe d'action de l'assurance maladie concerne la qualité et la pertinence des soins. J'évoquerai simplement différents leviers et outils, d'abord des outils d'ouverture de données et de mise à disposition des structures de soin de leur situation et de leur « performance », même si le terme n'est pas sans doute le meilleur. Je ne prendrai qu'un exemple. Comme vous le savez, nous sommes engagés sur le développement de la chirurgie ambulatoire. Cette activité répond à la fois à une attente des patients et des établissements de santé. Depuis deux ou trois ans, nous avons développé un outil appelé Visuchir, outil de data visualisation extrêmement performant de mise à disposition des établissements. Il fournit en open data aux professionnels des éléments sur leur taux de chirurgie ambulatoire, ainsi que des comparaisons par rapport à d'autres spécialités comparables ou à d'autres établissements comparables, entre départements ou entre régions. Nous tenons à développer cet outil, qui est assez largement plébiscité par les professionnels de santé exerçant ces activités.

Au-delà de l'utilisation des datas, nous soutenons le financement la qualité des soins, dans le cadre de la montée en charge de l'incitation financière pour l'amélioration de la qualité (Ifaq). Nous pensons que la diversification des modes de financement de l'hôpital, avec notamment la montée en charge des financements à la qualité, est un sujet important. Nous travaillons, en lien extrêmement étroit avec la DGOS, sur le devenir de ces indicateurs, leur enrichissement et le renforcement de leur caractère opérationnel.

Toujours autour des sujets de qualité et de pertinence des soins, j'évoquerai les dispositifs liés aux mécanismes d'accord préalable, que nous avons mis en place sur un certain nombre de prises en charge. Je citerai l'exemple très parlant de la chirurgie bariatrique, dans lequel notre pays connaissait depuis plusieurs années une augmentation extrêmement significative et même exponentielle. Nous avons mis en place cet outil d'accord préalable dématérialisé de la chirurgie bariatrique. Il a permis, je le crois, de s'assurer que les indications de réalisation de cette chirurgie et de prise en charge étaient mieux respectées. Cet outil s'applique également pour des orientations en SSR qui peuvent être injustifiées, même si cela pose souvent des sujets importants de système d'information. Ce type de démarche participe du soutien à la pertinence et à la qualité des soins.

Le dernier élément sur ce volet porte sur le contrat d'amélioration pour la qualité et l'efficience des soins (Caqes), contrat tripartite entre l'ARS, l'assurance maladie et l'établissement, qui évolue dans sa forme. Ainsi, il vise cette année à permettre un engagement partagé sur un certain nombre de thématiques, nationales ou régionales, autour de la prescription de produits de santé, de la prescription de transports et d'un certain nombre d'actes exécutés à l'hôpital, avec une forme d'intéressement qu'il nous semble intéressant de promouvoir, même si les exercices 2020 et 2021 ont été largement mis de côté, compte tenu des impacts de la crise.

Pour illustrer la mobilisation de l'assurance maladie sur les sujets qui touchent à l'hôpital ou, en tout cas, qui participent de cette prise en charge de parcours plus efficaces, je terminerai par citer le numérique en santé. Ce sujet est complètement d'actualité, puisque nous avons lancé le 3 février, sous l'égide du ministre, Mon espace santé. Cet espace vise à consolider, au sein d'un espace sécurisé numérique de santé, l'ensemble des données du parcours de soin du patient, à sa main. Il lui appartiendra évidemment de décider de partager ces données avec les différents professionnels de santé, en ville et à l'hôpital. Derrière ce projet, on retrouve évidemment la feuille de route du Ségur du numérique en santé, qui vise à assurer le partage d'informations entre acteurs de ville et d'hôpital, avec des financements importants (2 milliards d'euros). La communauté hospitalière est très engagée dans ces projets, qui doivent permettre d'assurer l'utilisation de la messagerie sécurisée et la diffusion des comptes rendus d'hospitalisation. La démarche devrait de surcroît participer à forger un parcours de soins plus fluide. Il s'agit en tout cas de l'un des objectifs que nous avons fixés à ce programme d'action.

Je termine ici mon propos introductif, en ayant le sentiment d'avoir seulement effleuré beaucoup de sujets qui touchent à l'action de l'assurance-maladie vis-à-vis de l'organisation des soins et de l'hôpital.

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