Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux en recevant cet après-midi Monsieur Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
On associe souvent le rôle de l'assurance maladie à la médecine de ville, puisque l'hôpital relève de la DGOS et des ARS. Il n'en reste pas moins que l'assurance maladie est malgré tout le financeur numéro 1, et de loin, de l'activité hospitalière, même si ce financement est globalisé.
Par ailleurs, l'assurance maladie contrôle, en lien avec les ARS, le codage et la facturation effectués par les établissements.
Une raison supplémentaire de vous entendre, Monsieur le directeur général, porte sur le fait que les difficultés de l'hôpital sont également liées - nous l'avons vu depuis les travaux de cette commission d'enquête -, à des dysfonctionnements ou des défauts d'organisation globaux de notre système de santé. Il est loin le temps où l'assurance maladie n'était que le payeur. Elle est à présent un des principaux organisateurs de notre système de santé, au travers de ses différentes actions, que ce soit en termes d'amélioration de l'accès aux soins, de l'organisation des parcours et de l'optimisation des moyens, par une recherche de la qualité des prises en charge.
Cette audition est, comme d'habitude, diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié.
Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je dois vous rappeler, Monsieur le directeur général, que vous êtes devant une commission d'enquête et qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant je le jure.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thomas Fatôme prête serment.
Merci Monsieur le directeur général de votre présence à cette audition. Comme l'a dit le Président, vous avez un regard global sur le fonctionnement de notre système de santé, qui est très largement financé par l'assurance maladie, plus encore s'agissant des soins hospitaliers que des soins de ville.
Nous souhaitons donc connaître votre analyse sur la situation actuelle du système hospitalier et les facteurs de tension, propres à l'hôpital ou liés plus globalement au système de santé, qui affectent la prise en charge des patients et le fonctionnement des établissements.
Nous évoquons très largement, depuis le début de nos travaux, les interactions entre la ville et l'hôpital. Lundi encore, à propos des urgences et des soins non programmés, nous évoquions l'importance de la visite à domicile, notamment pour les personnes âgées.
L'organisation de la permanence des soins, la prise en charge des soins non programmés, l'optimisation des parcours, en amont de l'hôpital ou au retour à domicile, la pertinence des soins, sont autant de sujets qui sont en lien avec les difficultés de l'hôpital.
Enfin, beaucoup de nos interlocuteurs appellent à refonder, à l'échelle territoriale, l'organisation des soins, en associant tous les acteurs autour d'une mission de service public garantissant aux populations une prise en charge adaptée, avec des variations dans ce que l'on entend par cette mission de service public à l'échelle territoriale.
Ce sont les différents sujets que nous souhaitons évoquer avec vous. Je compléterai par des questions, après vos propos.
Monsieur le directeur général, je vous propose de prendre la parole pour une dizaine de minutes environ, puis la rapporteure et nos collègues pourront vous interroger.
Merci Monsieur le Président. Je suis accompagné de Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins à la Caisse nationale d'assurance maladie.
Vous avez d'emblée rappelé ce que je voulais indiquer en introduction. L'assurance maladie est effectivement le principal financeur des établissements de santé, quel que soit leur statut. Près de 80 % des recettes de ces établissements proviennent de l'assurance maladie obligatoire ce qui, en effet, lui confère un rôle de payeur. Cela implique une mobilisation souvent méconnue et des travaux lourds de gestion des systèmes d'information, des systèmes de facturation et des paiements des établissements de santé.
Derrière ce rôle de payeur, vous l'avez évoqué, Monsieur le Président, on trouve aussi celui de contrôleur de la tarification à l'activité. Près de 100 000 séjours font l'objet de contrôles chaque année. Cet exercice a toutefois été assez largement suspendu depuis la crise sanitaire, pour des raisons que l'on peut comprendre aisément, a fortiori avec la garantie de financement appliquée pour 2020, 2021 et le début de l'année 2022.
Au-delà de son rôle de payeur, l'assurance maladie tâche à la fois de structurer les soins de ville. Elle s'efforce aussi d'être un acteur de parcours de soins efficaces, en amont et à la sortie de l'hôpital. Enfin, elle oeuvre à promouvoir la qualité et la pertinence des actes, sans oublier un rôle important qui consiste à fournir des analyses et des travaux, pour participer à la compréhension des évolutions de notre système de santé. C'est notamment ce que nous faisons chaque année dans notre rapport « charges et produits » sur l'évolution du système de santé.
Je ne m'attarderai pas sur une analyse approfondie de la situation de l'hôpital. Sur une longue période, il est confronté à des évolutions assez largement contradictoires, avec d'un côté le vieillissement de la population et l'impact des maladies chroniques, qui rendent le recours à l'hôpital plus important, et de l'autre des évolutions technologiques et un virage ambulatoire qui, au contraire, réduisent les durées de séjour et diminuent également le nombre de lits.
En comparaison avec les autres pays européens, nous ne sommes pas extrêmement décalés. Nous comptons globalement plus de lits que la moyenne des pays, notamment de l'OCDE, mais un peu moins de personnel soignant par lit, et on voit, comme dans d'autres pays, à la fois une réduction globale du nombre de lits et une réduction des durées de séjour, qui s'expliquent assez largement par les progrès technologiques.
Nous connaissons aussi, bien évidemment, certaines spécificités, notamment en termes d'organisation, avec les trois secteurs du public, du privé lucratif et du privé non lucratif, qui cohabitent, parfois dans des logiques complémentaires et parfois dans des logiques de compétition, mais toujours sur la base d'un financement très largement couvert par l'assurance maladie obligatoire et par les complémentaires santé.
J'essaierai de partager quatre enjeux que je perçois aujourd'hui. Les trois derniers sont liés à des actions que l'assurance maladie engage sur les thématiques que j'ai déjà quelque peu évoquées.
Le principal enjeu tourne autour des problématiques d'attractivité, notamment en matière de ressources humaines de l'hôpital, et de capacités financières à investir. De ce point de vue, et même si nous ne sommes que le financeur, je relèverai tout de même le caractère historique des décisions prises dans le cadre du Ségur de la santé. J'utilise le terme volontairement, puisqu'il y a peu de points de comparaisons dans le système de santé, et même au-delà, d'un tel mouvement à la fois de revalorisation des personnels, de soutien à la restauration de la capacité financière des établissements de santé et de soutien de leurs investissements.
Vous connaissez les chiffres. Je propose de ne pas y revenir dans le détail, avec près de 9 milliards d'euros sur les revalorisations de personnels, près de 19 milliards d'euros sur le plan d'investissement, même si ces deux enveloppes n'obéissent pas du tout à la même logique et à la même temporalité. En tout cas, en tant que financeur, je peux témoigner d'un investissement absolument considérable, pour répondre aux différents défis.
Les effets de ces mesures mettront sans doute du temps à se mesurer et je perçois qu'on les oublie parfois un peu vite ou, en tous cas, qu'on ne mesure peut-être pas suffisamment à quel point elles sont massives et doivent permettre aux établissements de restaurer progressivement leur attractivité en termes de ressources humaines et d'investir pour le présent et pour l'avenir.
J'en arrive à présent aux chantiers sur lesquels l'assurance maladie est plus directement impliquée. En tant qu'opérateur, nous essayons d'être un acteur qui pousse à la structuration des soins de ville et à renforcer leur capacité à traiter plus de patients, en amont comme en aval de l'hôpital. Nous soutenons l'exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles - MSP, centres de santé, équipes de soins coordonnés, etc.) et la dynamique des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles sont plus de 240 à avoir signé l'accord conventionnel interprofessionnel avec l'assurance maladie et couvrent près de 30 % de la population. Il en va de même avec l'accord sur les MSP et l'accord sur les centres de santé, dont la signature devrait être imminente et qui participe du renforcement de la capacité des soins de ville à s'organiser et à prendre en charge plus de patients.
Le second volet de cette action porte sur les soins non programmés et la permanence des soins, où nous intervenons en pilotage partagé avec nos collègues du ministère des solidarités et de la santé et, sur le terrain, entre le réseau de l'assurance maladie et les agences régionales de santé. Au-delà, on trouve bien évidemment la mise en place du service d'accès aux soins, dont nous avons défini avec les médecins libéraux, au travers de l'avenant n° 9, les conditions de financement, qu'il s'agisse de la régulation ou de l'effection. C'est ce cadre financier qui permet au SAS de se déployer sur le terrain même si, bien évidemment, tout n'est pas évident.
Par ailleurs, même si le sujet est davantage à la main des agences régionales de santé et du ministère, nous sommes également partenaires de la permanence des soins ambulatoires (PDSA). La revalorisation des tarifs de la permanence des soins ambulatoires, intervenue il y a quelques semaines, se traduit par une augmentation des forfaits de près de 20 %. Je pense que cette revalorisation adresse un signal fort d'attractivité et en tout cas de soutien aux médecins mobilisés par la permanence des soins.
Le troisième volet de la structuration des soins de ville vise à augmenter le temps médical disponible et à éviter des bascules vers les services d'urgence non justifiées. C'est à ce niveau que l'on retrouve le programme d'action sur les assistants médicaux. Nous avons comptabilisé à ce jour plus de 2 700 assistants médicaux employés par les médecins libéraux, avec l'équivalent d'une file active augmentée d'un million de patients et de près de 500 000 pour les médecins traitants. Il s'agit là bien évidemment de la mesure principale, mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui a trait à la structuration des équipes de soins autour des médecins, comme le rôle des infirmiers Asalée (actions de santé libérale en équipe) ou celui des infirmiers de pratique avancée. Dans le même temps, il s'agit aussi de favoriser un certain nombre de délégations de tâches, ce qui nous amène notamment à négocier actuellement une nouvelle convention avec les pharmaciens, qui devrait les mettre en capacité d'assurer par exemple les rappels de vaccination, le dépistage du cancer colorectal et d'autres éléments du parcours de soins, comme la prévention des infections urinaires. Il s'agit de faciliter l'accès aux soins, de renforcer le temps médical et donc de mettre davantage les médecins libéraux en situation de prendre en charge des patients, et de diminuer les recours injustifiés à l'hôpital et aux urgences.
En complément de l'accompagnement et de la structuration des soins de ville, nous menons une action autour des parcours de soins. J'ai deux éléments majeurs à citer de notre côté. Le premier renvoie à tout ce qui touche aux programmes Prado d'accompagnement de la sortie de l'hôpital. Comme vous le savez, ces programmes se sont d'abord construits autour de l'accompagnement des femmes en sortie de maternité, organisé avec des sages-femmes libérales. Ce programme a assez profondément changé le rôle des sages-femmes libérales, augmenté leur nombre et solvabilisé leurs actions. En 2019, avant la crise, il a permis un accompagnement de sortie de l'hôpital de près de 400 000 femmes, ce qui est assez considérable. Il se déploie aujourd'hui sur d'autres types de prise en charge, notamment les sorties post-épisodes chirurgicaux, les sorties en cas d'insuffisance cardiaque ou en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Il s'agit pour nous d'être un acteur qui facilite la sortie d'hôpital et la mise en relation entre l'hôpital, la médecine de ville et les acteurs des soins de ville. Un certain nombre de ces programmes a trouvé leur vitesse de croisière, même s'il faut continuer à les faire évoluer.
Derrière cela, on retrouve aussi notre ambition plus large d'essayer de structurer les parcours de soins, pas seulement en sortie d'hôpital, mais aussi en amont. Nous en avons fait état dans notre rapport « charges et produits » pour 2022, autour de l'insuffisance cardiaque. Nous commençons à construire des outils pour mettre les médecins généralistes en situation de mieux accompagner les patients susceptibles d'être victimes d'insuffisance cardiaque. Nous construisons de surcroît des outils tout au long de la chaîne et de ce parcours, puisque nous voyons à quel point nous pouvons faciliter le parcours de soins, en matière de prévention comme en matière d'accompagnement. Nous pouvons sans doute mieux organiser le recours à l'hôpital, éviter les hospitalisations injustifiées et organiser la sortie.
Le troisième axe d'action de l'assurance maladie concerne la qualité et la pertinence des soins. J'évoquerai simplement différents leviers et outils, d'abord des outils d'ouverture de données et de mise à disposition des structures de soin de leur situation et de leur « performance », même si le terme n'est pas sans doute le meilleur. Je ne prendrai qu'un exemple. Comme vous le savez, nous sommes engagés sur le développement de la chirurgie ambulatoire. Cette activité répond à la fois à une attente des patients et des établissements de santé. Depuis deux ou trois ans, nous avons développé un outil appelé Visuchir, outil de data visualisation extrêmement performant de mise à disposition des établissements. Il fournit en open data aux professionnels des éléments sur leur taux de chirurgie ambulatoire, ainsi que des comparaisons par rapport à d'autres spécialités comparables ou à d'autres établissements comparables, entre départements ou entre régions. Nous tenons à développer cet outil, qui est assez largement plébiscité par les professionnels de santé exerçant ces activités.
Au-delà de l'utilisation des datas, nous soutenons le financement la qualité des soins, dans le cadre de la montée en charge de l'incitation financière pour l'amélioration de la qualité (Ifaq). Nous pensons que la diversification des modes de financement de l'hôpital, avec notamment la montée en charge des financements à la qualité, est un sujet important. Nous travaillons, en lien extrêmement étroit avec la DGOS, sur le devenir de ces indicateurs, leur enrichissement et le renforcement de leur caractère opérationnel.
Toujours autour des sujets de qualité et de pertinence des soins, j'évoquerai les dispositifs liés aux mécanismes d'accord préalable, que nous avons mis en place sur un certain nombre de prises en charge. Je citerai l'exemple très parlant de la chirurgie bariatrique, dans lequel notre pays connaissait depuis plusieurs années une augmentation extrêmement significative et même exponentielle. Nous avons mis en place cet outil d'accord préalable dématérialisé de la chirurgie bariatrique. Il a permis, je le crois, de s'assurer que les indications de réalisation de cette chirurgie et de prise en charge étaient mieux respectées. Cet outil s'applique également pour des orientations en SSR qui peuvent être injustifiées, même si cela pose souvent des sujets importants de système d'information. Ce type de démarche participe du soutien à la pertinence et à la qualité des soins.
Le dernier élément sur ce volet porte sur le contrat d'amélioration pour la qualité et l'efficience des soins (Caqes), contrat tripartite entre l'ARS, l'assurance maladie et l'établissement, qui évolue dans sa forme. Ainsi, il vise cette année à permettre un engagement partagé sur un certain nombre de thématiques, nationales ou régionales, autour de la prescription de produits de santé, de la prescription de transports et d'un certain nombre d'actes exécutés à l'hôpital, avec une forme d'intéressement qu'il nous semble intéressant de promouvoir, même si les exercices 2020 et 2021 ont été largement mis de côté, compte tenu des impacts de la crise.
Pour illustrer la mobilisation de l'assurance maladie sur les sujets qui touchent à l'hôpital ou, en tout cas, qui participent de cette prise en charge de parcours plus efficaces, je terminerai par citer le numérique en santé. Ce sujet est complètement d'actualité, puisque nous avons lancé le 3 février, sous l'égide du ministre, Mon espace santé. Cet espace vise à consolider, au sein d'un espace sécurisé numérique de santé, l'ensemble des données du parcours de soin du patient, à sa main. Il lui appartiendra évidemment de décider de partager ces données avec les différents professionnels de santé, en ville et à l'hôpital. Derrière ce projet, on retrouve évidemment la feuille de route du Ségur du numérique en santé, qui vise à assurer le partage d'informations entre acteurs de ville et d'hôpital, avec des financements importants (2 milliards d'euros). La communauté hospitalière est très engagée dans ces projets, qui doivent permettre d'assurer l'utilisation de la messagerie sécurisée et la diffusion des comptes rendus d'hospitalisation. La démarche devrait de surcroît participer à forger un parcours de soins plus fluide. Il s'agit en tout cas de l'un des objectifs que nous avons fixés à ce programme d'action.
Je termine ici mon propos introductif, en ayant le sentiment d'avoir seulement effleuré beaucoup de sujets qui touchent à l'action de l'assurance-maladie vis-à-vis de l'organisation des soins et de l'hôpital.
Merci Monsieur le directeur général. Madame la rapporteure, vous avez la parole.
J'aimerais connaître votre appréciation sur le niveau de recours à l'hospitalisation en France. Quelle est son évolution dans le temps ? Avez-vous des comparaisons à nous fournir par rapport à d'autres pays ? Quelle est la caractéristique de la France sur ce point ?
Vous avez évoqué le programme Prado. La Cour des comptes a souligné le risque de redondance ou de mauvaise articulation avec d'autres initiatives. Où en est-on ?
Quelle est votre position sur la coexistence d'activités de l'hôpital public et du secteur privé lucratif ? Quelle est la complémentarité entre les deux ?
Vous avez évoqué les actions menées pour renforcer les prises en charge des soins non programmés. Vous avez noté l'amélioration des prises en charge pour la permanence des soins. Nous avons pris connaissance des travaux de Madame Polton sur les comparaisons avec l'étranger en matière d'attractivité dans les zones sous-denses. Comment pallier les déficits des zones sous-denses ? Il nous semble que les incitations doivent porter davantage sur l'installation que sur les gardes. De plus, il faut vraiment que les incitations financières soient très fortes, en évitant le saupoudrage. Qu'en est-il de votre action ?
Pouvez-vous nous dire combien d'assurés n'ont pas de médecin traitant déclaré ? Cela a souvent pour conséquence que ces personnes se tournent vers les espaces de soins non programmés des maisons médicales de garde ou directement vers l'hôpital.
S'agissant des assistants médicaux, ils apportent un gain de temps important pour les médecins libéraux. Nous sommes en deçà des autres pays européens sur ces dispositifs. Quel est le profil des assistants médicaux ? Selon vous, quel serait le nombre d'assistants nécessaires pour pallier la surcharge de travail, notamment celle des médecins traitants
Enfin, je voudrais évoquer l'Ondam hospitalier. N'a-t-il pas longtemps été décorrélé de l'évolution des besoins de soins ? La tarification ne correspond pas toujours au coût réel des prises en charge. La façon dont le tarif est fixé et son évolutivité restent assez floues. Quel est votre regard sur la T2A, quinze ans après sa mise en oeuvre ?
S'agissant du niveau de recours à l'hôpital, je doute que la situation française affiche des spécificités majeures par rapport à nos voisins. Les comparaisons avec l'international doivent en outre être nuancées ou prises avec prudence, en particulier concernant l'imputation de telle ou telle organisation des soins sur la part hospitalière, sur les soins de ville ou sur le médicosocial.
Globalement, on observe une bascule assez forte, sur vingt ans, entre une hospitalisation complète qui voit son poids diminuer, et l'hospitalisation partielle, avec la chirurgie ambulatoire. C'est le premier point marquant.
Une réduction globale du nombre d'établissements et du nombre de lits s'observe aussi, en lien avec cette évolution structurelle, ainsi qu'une réduction de la durée moyenne de séjour. En France, elle était de 11,6 jours en 2004, pour passer à 8,8 jours en 2019. Cette évolution reste tout à fait comparable à ce qui se passe en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Les mêmes phénomènes liés aux modalités de prise en charge s'observent.
L'un des éléments sans doute les plus préoccupants est l'augmentation continue du recours aux urgences qui, malgré différents dispositifs mis en place, a du mal à être régulée. Ces venues à l'hôpital ne sont pas toujours totalement justifiées par des urgences avérées. Ce phénomène reste bien évidemment compliqué à appréhender pour un usager ou un patient.
Vous m'interrogez en outre sur les éventuelles redondances entre le Prado et les programmes d'accompagnement à domicile. Je ne crois pas que nous soyons dans une configuration d'excès d'accompagnement des parcours de soins. La Cour des comptes a évidemment bien raison de s'inquiéter de risques de redondance, mais c'est moins un excès qu'une insuffisance globale d'accompagnement et de structuration de ces parcours que l'on observe. Je crois que la Cour des comptes a plus spécifiquement porté une interrogation sur l'intervention des branches retraite et maladie pour l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). Nous avons intégré ce point dans nos programmes d'accompagnement. Dès lors, je ne crois pas qu'on puisse parler de redondance.
A mon avis, l'enjeu porte plutôt sur la structuration du côté de la ville, notamment au travers des CPTS. Sont-elles capables de prendre en charge une partie de ce parcours de soins et de cette sortie d'hôpital ? Si c'est le cas, tant mieux, même si l'objectif n'est pas que l'assurance-maladie abandonne ce dispositif d'accompagnement. Avec les CPTS, nous tenons seulement à ce que le parcours entre la ville et l'hôpital soit fluide et qu'il n'y ait plus besoin d'accompagnement en tant que tel. C'est l'un des objectifs que nous leur fixons et l'une des raisons pour lesquelles nous les finançons, y compris sur le sujet « parcours insuffisance cardiaque ». C'est plutôt à ce niveau qu'il nous faut agir collectivement, en déterminant comment nos programmes d'action Prado peuvent continuer à se déployer, comment ils peuvent céder la place un rôle accru des CPTS, dès lors qu'elles auront maillé le territoire, qu'elles se seront vraiment structurées en interne et qu'elles auront la capacité à faire. C'est dans cette optique que nous travaillons. Si nous réussissons, alors je pense que nous aurons oeuvré efficacement pour le parcours de soins des patients.
S'agissant du rôle respectif de l'hôpital public et du secteur privé, nous nous trouvons dans une situation où se mélangent complémentarité et concurrence, et je pense pour ma part que c'est assez fructueux. Nous ne sommes pas totalement dans la concurrence, parce qu'un certain nombre de champs d'action et d'intervention sont davantage en complémentarité qu'en concurrence. Pour autant, il existe parfois aussi une concurrence. Ce mix est assez sain. Nous perdrions beaucoup à faire des choix drastiques, dans un sens ou dans l'autre. Nous avons besoin de l'hôpital public, du secteur privé, comme du secteur privé non lucratif. Tous ont leur histoire et leur champ d'intervention prioritaire. Vous savez que le privé est évidemment plus impliqué sur le MCO et notamment la chirurgie ambulatoire que l'hôpital public. Je pense que ce mix d'interventions est à conserver, en essayant de favoriser les complémentarités. Nous avons vu dans la crise covid qu'elles étaient tout à fait possibles, lorsqu'elles étaient rendues nécessaires voire indispensables, et que les différents modes d'organisation coordonnée doivent être soutenus.
S'agissant de la permanence des soins ambulatoires, vous demandez si les dispositifs que nous avons arrêtés ou que le ministère a arrêté en lien avec nous, sont suffisants ou suffisamment attractifs. C'est évidemment une question délicate. Une hausse de 20 % des forfaits reste assez substantielle. Comme vous le savez, cette activité de permanence des soins reste jugée difficile et prenante par les médecins libéraux, qui n'ont pas souhaité se réinvestir massivement dans cette activité.
Peut-être avez-vous relevé une proposition des représentants des infirmiers libéraux. Il s'agirait que les médecins libéraux ne soient pas les seuls à se déclarer disponibles pour être acteurs de cette permanence des soins, mais aussi les équipes de soins et les infirmiers. C'est une idée à creuser. Il faudra analyser ce qu'elle signifie en termes de prise en charge, de délégation ou de responsabilités. Il me semble en tout cas que cette idée mérite d'être approfondie. Il est évident que nous devons continuer à investir, à la fois pour essayer de faire du service d'accès aux soins en journée une réalité. Nous en sommes encore à un niveau largement expérimental, puisque 22 projets de SAS se déploient actuellement. En tout cas, sans doute faut-il continuer à investir sur une permanence des soins plus efficace, pour diminuer les passages aux urgences. Pour répondre directement à votre question, je pense que c'est un travail qu'il nous faut encore approfondir au cours des prochains mois.
Sur les patients sans médecin traitant, j'ai deux chiffres à partager avec vous. 6 millions de patients n'ont pas de médecin traitant, sachant que 3 de ces 6 millions n'en ont pas du tout. Les 3 millions restant sont ceux dont le médecin traitant est en cessation d'activité. Ces deux chiffres doivent évidemment être pris avec beaucoup de sérieux. Nous actionnons deux leviers à ce sujet.
D'une part, il fait partie des missions prioritaires des CPTS. Derrière les financements de l'assurance maladie se trouve en effet l'idée que la CPTS doit inclure dans son programme d'action la façon d'accompagner les patients sans médecin traitant et de convaincre les médecins de devenir le médecin traitant de ces patients.
S'agissant des assistants médicaux, l'objectif vise précisément à permettre au médecin d'organiser son activité différemment et d'accepter davantage de patients dans sa patientèle, en tant que médecin traitant. Les 2 700 assistants médicaux recrutés permettent la possible inscription de 500 000 patients auprès d'un médecin traitant. Je crois donc que nous faisons oeuvre utile dans ce programme.
Les origines professionnelles des assistants médicaux sont variées. Ce sont parfois d'anciennes secrétaires médicales, parfois d'anciens professionnels de santé. Ils n'ont parfois pas de compétences particulières. Des obligations de formation vont de pair avec les programmes. Elles sont sans doute un peu lourdes par rapport au dispositif, ce qui explique peut-être une partie des freins que l'on rencontre encore. Il en existe deux autres, qui n'appellent d'ailleurs pas de réponse évidente. Le premier tient aux locaux. Nous avons lancé un sondage qualitatif pour savoir pourquoi les médecins n'ont pas recruté d'assistant médical. La première réponse était : « je n'ai pas le local adapté pour accueillir un assistant médical ». Le deuxième sujet, pour résumer, est la peur de l'embauche, si le recrutement ne fonctionne pas au bout de deux ou trois ans, etc. Ce sont des sujets sur lesquels nous souhaitons revenir avec les médecins lors de la négociation de la future convention médicale, au deuxième semestre 2022. Il est important de tirer le bilan de ce dispositif, sachant que les médecins qui ont fait ce choix en sont extrêmement satisfaits. Ils nous l'ont indiqué. Cela a changé leurs pratiques, en leur apportant un appui considérable. Nous aimerions désormais aller plus vite et plus loin dans le déploiement. Sur la cible de 4 000 assistants médicaux à la fin de l'année 2022, nous en sommes à 2 700 La crise a freiné le mouvement, notamment en 2020. A ce jour, nous enregistrons une cinquantaine de contrats par semaine. Sans doute pourrait-on aller plus loin vis-à-vis de certains médecins, notamment les spécialistes, je pense en particulier aux pédiatres, auprès desquels nous pourrions davantage valoriser cet apport, en le faisant connaître. Beaucoup de médecins ne connaissent pas encore cette possibilité.
S'agissant de l'Ondam hospitalier, il est difficile d'émettre une vision tout à fait définitive. Au cours de la décennie 2010-2019, l'Ondam hospitalier a évolué comme la richesse nationale, ou juste en dessous, ce qui peut témoigner d'une forme de contrainte budgétaire importante, tout en rappelant que l'assurance maladie connaissait en 2010 un déficit de l'ordre de 11 milliards d'euros, ce qui était très significatif, et qu'avant la crise, en 2019 et 2020, nous étions proches de l'équilibre. Il convient donc d'étudier cette décennie à l'aune de cette situation. Sans doute le curseur entre cette contrainte budgétaire et les conditions d'évolution de l'organisation interne de l'hôpital et de son lien avec la ville n'est pas totalement étranger aux tensions que nous connaissons aujourd'hui.
S'agissant de la tarification à l'activité, il est là aussi difficile de répondre de façon extrêmement simple. Je pense qu'un système de tarification de l'hôpital doit être en mesure d'appréhender les différentes activités d'un établissement de santé, de s'adapter à l'évolution de ses charges et de son activité, d'accompagner son dynamisme et de soutenir la qualité des soins. Il existe sans doute beaucoup d'autres items qui s'attachent à cette tarification. Néanmoins, dès lors qu'on arrive à répondre à ces trois préoccupations, je pense qu'on parvient à un système de tarification cohérent. De ce point de vue-là, il faut souligner que le poids de la T2A dans les financements hospitaliers est légèrement supérieur à 50 %, ce qui signifie qu'un peu moins de 50 % correspondent à autre chose que la T2A. Il est utile de le noter. Pour tous ceux qui se souviennent de la dotation globale, je ne suis pas sûr que ce fût un système extrêmement pertinent, y compris pour accompagner les différentes activités hospitalières, voire les hôpitaux les plus dynamiques. C'est donc bien au travers d'un mix de financements que l'on peut répondre aux différents défis. C'est ce que produit notre système aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui est à l'oeuvre dans les réformes du financement qui sont mises en oeuvre cette année pour la psychiatrie et l'année prochaine pour le SSR, avec un mix de financements qui conjugue des dotations liées à une forme d'activité, à la population et à la qualité. C'est un tel financement, comptant différents leviers, qui répondra aux différentes exigences.
Je terminerai en soulignant que nous disposons d'un système de tarification à l'activité dont la nomenclature est extrêmement fine et assez notoirement plus détaillée que dans d'autres pays. C'est sans doute le génie français à l'oeuvre. Même si la situation n'est pas non plus simple du côté de la nomenclature des actes techniques pilotée par l'assurance maladie, nous avons pu partager avec un certain nombre d'experts le fait que la nomenclature française de la T2A restait tout de même extrêmement détaillée. Peut-être mériterait-elle d'être un peu simplifiée. C'est un chantier compliqué.
J'aimerais que nous allions plus loin sur cette question, même si vous avez en partie répondu à la rapporteure. Dans votre introduction, vous avez signalé que le vieillissement de la population faisait partie des facteurs qui poussent au développement de l'activité hospitalière, tout comme le développement des maladies chroniques. Sur cette question du financement de l'activité hospitalière, la nécessité d'un mix est assez largement partagée. En revanche, on entend assez largement le point de vue que le financement à l'activité est adapté pour certains types d'activités, mais qu'il mérite certainement d'évoluer pour les pathologies chroniques ou les parcours complexes. Partagez-vous aussi ce constat ? Si oui, est-ce que vous avez mené des réflexions sur le mode d'emploi à appliquer ? On entend souvent que ce financement n'est pas suffisant et pas adapté à ces situations, mais il reste à écrire le mode d'emploi permettant de le faire évoluer positivement.
Par ailleurs, vous avez dit que nous comptions dans notre pays moins de personnels soignants par lit que la moyenne de l'OCDE. Je voudrais recueillir votre avis sur une initiative lancée dans les hôpitaux d'un État australien, le Queensland, où il a été décidé de prévoir une infirmière pour six patients. Le nombre d'infirmières a été augmenté de façon très importante. L'embauche de 167 infirmières a coûté 33 millions de dollars australiens, mais l'évaluation de cette décision a montré que cela avait permis d'économiser 255 réadmissions et plus de 20 000 journées d'hospitalisation, soit l'équivalent de 67 millions de dollars australiens. L'économie globale s'élève à 34 millions au total, en embauchant massivement du personnel soignant dans les hôpitaux. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
En premier lieu, il est important de rappeler que le système n'est pas statique au niveau de ses modes de financement. Or il est en train de bouger assez profondément. En effet, des réformes du financement sont mises en oeuvre pour des champs importants de la prise en charge hospitalière, les soins de psychiatrie d'un côté et les soins de suite et de réadaptation de l'autre. Leur calendrier a dû s'adapter, compte tenu notamment de la crise ou de la complexité de transformer des modes de financement assez profondément, avec ce mix que j'évoquais entre des formes de rémunération qui permettent de prendre en compte l'activité d'établissement, une forme de dotation populationnelle et une forme de financement à la qualité. Je reste succinct à chaque fois. Ce n'est pas exactement la même chose dans ces différentes réformes. Je pourrai bien évidemment y revenir.
Nous participons techniquement à ces travaux, même s'ils sont pilotés par les équipes du ministère. Nous y participons dans l'ingénierie, éventuellement par des études d'impact et dans la mise en oeuvre en aval dans les systèmes d'information. Je pense que ces réformes traduisent bien une évolution des modes de financement de l'hôpital, adaptés aux différentes formes de prise en charge. La T2A paraît adaptée pour certaines activités classiques de MCO, moins pour d'autres activités- on pense aux soins palliatifs mais aussi à d'autres modes de prise en charge. C'est le premier point que je souhaitais citer.
En outre, deuxième point, l'assurance maladie est très investie avec les équipes du ministère dans ce que l'on appelle les expérimentations de l'article 51. Ces expérimentations recouvrent notamment des travaux assez lourds, en construction, sur une tarification à l'épisode de soins pour certaines prises en charge. C'est en particulier le cas en chirurgie (la chirurgie orthopédique et la chirurgie viscérale et digestive), pour construire un mode de financement qui englobe un épisode de soins. Ces travaux très lourds ont été conçus en plusieurs phases. Nous débutons la phase 2, avec une quarantaine d'établissements de santé qui ont commencé à s'engager en octobre 2021 sur un financement effectif à l'épisode de soins. Je crois que c'est assez prometteur comme mode de financement, car il tient mieux compte de ce qui se passe à l'hôpital et de ce qui se passe en ville, avec une appréciation plus adaptée des séquences de soins.
J'en arrive à votre exemple australien. Les comparaisons internationales doivent être étudiées avec beaucoup de prudence, parce que la façon de comptabiliser les éléments peut fortement fluctuer. Nous ne comptons pas nécessairement tous de la même façon le nombre de lits ou même ce qui caractérise l'hôpital ou ce qui caractérise le médico-social. Grosso modo, nous atteignons environ 6 lits pour 1 000 habitants, là où la très grande majorité des pays se situe plutôt entre 2 et 4. Seuls les Allemands et les Japonais sont très au-dessus. Un schéma exactement inverse s'applique ensuite sur le ratio des personnels par rapport au nombre de lits. Ceux qui ont beaucoup de lits ont un ratio de personnel par nombre de lits moins élevé, car les montants finissent par s'égaliser. La France compte ainsi environ 3 ETP par lit d'hospitalisation, là où nos amis belges ou nos amis canadiens en comptent beaucoup plus. De surcroît, il faudrait aussi étudier un peu plus finement l'historique de l'organisation des systèmes de soins. In fine, je ne saurais affirmer si l'exemple australien doit être suivi. Ce sont des sujets sur lesquels l'assurance maladie dispose de leviers et d'un champ d'action relativement limités. Tout ce que je peux me permettre de dire, c'est que le débat sur le nombre de lits est devenu assez compliqué dans notre pays. En réalité, n'oublions pas que s'il y a moins de lits qu'il y a vingt ans, c'est parce que nous avons fait des progrès techniques.
La Cnam dispose de capacités analytiques très importantes. Malgré toutes les limites aux comparaisons, sur lesquelles je vous rejoins, n'avez-vous pas mené d'analyses pour déterminer si augmenter le nombre de personnels soignants ne pouvait pas augmenter la qualité de la prise en charge, qui réduisait la durée d'hospitalisation et des réadmissions. Disposez-vous de données qui vont dans ce sens ?
Nous disposons de très peu d'éléments sur le fonctionnement interne de l'hôpital, car nous ne les captons pas dans notre système d'information.
Sur les assistants médicaux, j'ai eu un retour de médecins généralistes, qui me disent que les aides pour le financement de ces postes sont maintenues dans le temps sous condition que le nombre de patients augmente. Si on imagine que l'assistant médical permet de dégager plus de temps entre le médecin et son patient, cela ne signifie pas nécessairement qu'il peut prendre plus de patients. Pour ma part, j'habite dans un territoire rural où les médecins généralistes sont au taquet. Je pense qu'une difficulté se pose, parce qu'on a atteint une limite. Je crois que l'une des conditions posée est également de travailler en exercice coordonné, alors que les médecins qui exercent seuls pourraient bénéficier utilement d'un assistant médical.
Je suis élue lui dans le Nord de la Nièvre, sur le secteur de Clamecy. Un certain nombre de médecins généralistes ont émis une proposition pour la permanence des soins en journée, sachant que bien souvent les urgences ne fonctionnent pas dans notre hôpital de proximité, faute de praticiens. Il s'agit de s'organiser en journée pour proposer une permanence des soins, comme il en existe le soir et, chacun à leur tour, de libérer leur agenda et de se rendre disponible pour accueillir toutes les urgences que leurs collègues ne peuvent pas prendre, moyennant un forfait d'urgence. Ce système a donné lieu à une négociation de marchands de tapis avec le directeur général de l'ARS. Je comprends tout à fait. C'est le jeu de la négociation. Pour autant, il s'agit d'une proposition émanant d'un territoire, avec les moyens dont on dispose. Il faut l'écouter, parce que ces médecins ont vraiment besoin d'être entendus. Le directeur général de l'ARS a justement fait remarquer que cette proposition n'entrait pas dans le cadre négocié au niveau national. Néanmoins, les dispositions arrêtées avec les CPTS sont complexes, apparaissent comme des usines à gaz et semblent totalement illisibles sur le territoire. En revanche, si on explique clairement aux généralistes combien cela leur rapporte de se rendre disponibles une journée, alors ils sont prêts à s'engager. J'aimerais entendre votre retour à ce sujet.
Je rejoins en outre ce que disait Bernard Jomier. Il importe de tout mettre dans la balance. En effet, investir en personnels peut sembler cher, mais aussi apporter d'importantes économies en termes d'engorgement à l'hôpital.
Autour de la table, nous sommes tous très attachés à la qualité des soins. C'est le sens de nos propositions et de nos questionnements.
Je voudrais vous interroger sur le montant versé pour les visites exécutées en téléconsultation. Lors de nos auditions, SOS Médecins nous a fait état de la situation dans les territoires, c'est-à-dire non seulement un déficit de généralistes, mais en outre le fait que les généralistes ont de plus en plus de difficultés à faire des visites à domicile, pour différentes raisons. Le représentant de SOS Médecins attirait notamment notre attention sur le fait que si les consultations en télémédecine, qui doivent bien évidemment être rémunérées, sont à un tarif trop alléchant, alors les visites à domicile risquent de ne pas se développer, car elles nécessitent beaucoup de temps et d'engagement. La Cnam a-t-elle déjà reçu des retours à ce sujet, qui est nouveau ? Avez-vous des données ?
Par ailleurs, concernant le temps d'hospitalisation, vous avez souligné qu'il était plus court, ce dont on ne peut que se réjouir, du fait des progrès de la médecine ou de la montée de l'ambulatoire. La Cnam dispose-t-elle de retours sur les réadmissions ? L'exemple australien que Bernard Jomier a cité montre bien que la prévention permet des économies à long terme. Or la France reste en retard à ce sujet.
Enfin, je tiens à creuser la piste ouverte par Catherine Deroche. Nous avons constaté qu'il y avait très peu de mécanismes de régulation des dépenses de médecine de ville et que l'Ondam hospitalier a été contraint et sous-exécuté, pour combler le déficit des dépenses de soins de ville. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Vous avez évoqué l'évolution de l'Ondam hospitalier de 2010 à 2019, en montrant qu'il avait suivi la richesse nationale, ce qui constituait certainement une contrainte réelle. Qu'en est-il de l'évolution de l'Ondam soins de ville ? Reliez-vous la sous-exécution de l'Ondam hospitalier, qui est tout de même un peu étonnante, au mécanisme de la T2A ? En effet, toute augmentation de l'activité est absorbée, dans le cadre de l'enveloppe fermée de l'Ondam, par la baisse de la valeur des tarifs, entraînant de façon un peu perverse une course à l'activité. Comment expliquez-vous la sous-exécution, depuis plusieurs années, de l'Ondam hospitalier, sinon sous l'hypothèse d'une compensation de ce que vous ne maîtrisez pas en termes de régulation, à savoir l'augmentation de l'Ondam soins de villeville qui, lui, est sur-exécuté ?
Bernard Jomier a souligné qu'il n'était question du nombre de lits, mais du nombre de personnes par lit. Vous avez indiqué que la situation française n'était pas exceptionnelle voire plutôt en dessous de la moyenne. Quand on réduit le nombre de lits et que l'hospitalisation partielle augmente, alors on se concentre sur le moment le plus consommateur de soins, juste avant la sortie de la personne. Ne pensez-vous pas que cela devrait augmenter le nombre de personnels par lit, non seulement parce que l'hospitalisation partielle nécessite beaucoup de logistique, mais aussi parce que ça génère un recentrage sur le moment le plus concentré en soins ? Face à cette baisse de lits, pour autant qu'elle soit totalement expliquée par l'ambulatoire et les progrès techniques, il aurait dû y avoir une augmentation tendancielle du nombre de soignants autour de ces lits.
Enfin, la question de la durée moyenne de séjour est valable pour la chirurgie mais pas vraiment et même pas du tout pour la médecine générale. Vous avez en outre évoqué la complémentarité entre le public et le privé, mais n'est-ce pas plutôt une segmentation, avec de nombreux actes réalisés dans le privé qui peuvent s'inscrire dans l'ambulatoire et la baisse des durées moyennes de séjour, alors que le public se concentre sur la médecine générale, qui n'a pas vraiment changé. Pensez-vous que les outils favorisent le privé lucratif, ou plutôt que le lucratif se coule dans les outils et segmente son activité ?
Je terminerai par l'exemple des soins critiques. Je m'étonnais dans l'une des auditions que les soins critiques étaient déficitaires, tant dans le public que dans le privé, et que le privé lucratif continuait à en faire. On m'a répondu que ce n'était pas gênant, car le privé lucratif va ensuite réaliser un acte chirurgical très lucratif. Cela leur permet de rebondir, alors que l'hôpital public rentre en médecine générale après les soins critiques et ne récupère rien du tout. Est-il normal que les deux soins critiques soient également valorisés ?
Vous avez évoqué l'augmentation du recours aux urgences, sans entrer dans le détail. A l'heure actuelle, on construit de plus en plus de maisons médicales ou de maisons de santé, mais les médecins ne font pas de gardes. Comment éviter les urgences, surtout pour de la bobologie ?
J'ai une dernière question. Elisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (HAD), nous a indiqué que la HAD progressait mais doucement. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Je tâcherai d'apporter des éléments de réponse dans l'ordre, même si certains éléments se recoupent.
Dans l'avenant relatif aux assistants médicaux figure bien un engagement visant à ce que les médecins prennent en charge davantage de patients. Il s'agit à la fois de passer potentiellement un peu plus de temps avec certains patients, mais aussi d'assumer une patientèle plus importante. Honnêtement, les retours que nous avons reçus, tant quantitatifs que qualitatifs, témoignent que cela fonctionne. Ce n'est pas parce que nous sommes plus intelligents que les autres ou que nous avons inventé le système. C'est ce qui s'observe dans les autres pays dont les organisations reposent sur des cabinets dans lesquels les médecins comptent autour d'eux davantage de professionnels de santé ou des personnes qui ne sont pas loin d'être des professionnels de santé, pour accompagner leur pratique. Si l'assurance maladie finance cet appui, c'est à la fois par souci de qualité de prise en charge individuelle, mais aussi pour mettre le médecin en situation d'assumer une patientèle plus importante. Je crois que ce qui est devant nous, c'est une organisation des soins de ville, une organisation des cabinets de médecins de ville et une organisation des maisons de santé qui s'appuieront davantage sur une collaboration entre le médecin et les professionnels paramédicaux. C'est typiquement ce qu'on fait avec les psychologues, quand on prend en charge des soins de psychologie. C'est aussi pour aider le médecin traitant à prendre en charge des patients et ne pas le laisser seul. Je pense que c'est de plus en plus une équipe de soins qui se construit. Peut-être que le patient ne verra pas toujours le médecin ou qu'il le verra sur une durée plus courte, ce qui change un peu nos habitudes, du fait de prises en charge plus simples, assurées par d'autres professionnels de santé. C'est là le modèle des infirmières Asalée, un peu le modèle, d'une certaine manière, des IPA libérales, même s'il y a sûrement différents modèles d'IPA. Je propose que Madame Pougheon apporte un complément à ce sujet.
Veuillez prêter serment de dire toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites je le jure.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Julie Pougheon prête serment.
S'agissant des conditions pour obtenir une aide pour l'embauche d'un assistant médical, nous sommes effectivement partis sur le principe que les médecins accompagnés étaient en exercice regroupé, avant même d'être en exercice coordonné. Ce n'est pas nécessairement un médecin isolé, mais plutôt un médecin en exercice regroupé. Il existe néanmoins un certain nombre de dérogations à cette règle, notamment dans les zones sous-denses, où elle ne s'applique pas. Là où il existe des problèmes de démographie médicale, nous avons levé cette exigence.
Par ailleurs, sur l'ensemble des autres zones, des dérogations existent si les médecins ne sont pas regroupés physiquement, c'est-à-dire s'ils n'ont pas un lieu d'exercice commun mais s'ils travaillent dans une logique de coordination, soit parce qu'ils ont des assistants partagés, parce qu'ils partagent le même dispositif de continuité des soins, ou parce qu'ils ont des lieux d'exercice qui sont proches.
La logique que nous essayons de pousser comme dynamique à travers nos différents dispositifs consiste à sortir les médecins de leur exercice isolé. Une fois cette condition remplie, ils doivent prendre l'engagement de s'inscrire dans une démarche d'exercice coordonné, qui n'est pas forcément en place au moment où ils bénéficient de l'aide, mais qui doit se concrétiser dans les deux ans. Là encore, nous appliquons une vision large de la notion d'exercice coordonné, puisque nous couvrons toutes les formes d'exercice coordonné, aussi bien les maisons de santé pluriprofessionnelles que les équipes de soins primaires ou spécialisés, que des formes plus locales, qui pourraient être reconnues par les commissions paritaires qui associent l'assurance maladie et les médecins.
Nous nous inscrivons donc dans une vision large, dans l'objectif de sortir le médecin d'une pratique isolée en cabinet, en continuant à les inciter à s'orienter vers la coordination des soins.
S'agissant de la permanence des soins en journée, nous tâchons avec le SAS de faire ce que vous décrivez, à savoir proposer un numéro de téléphone disponible en journée pour assurer la régulation médicale. Ce numéro permet notamment aux gens qui n'ont pas de médecin traitant ou qui ne trouvent pas de rendez-vous avec leur médecin traitant de bénéficier d'un point d'appui. Cette régulation médicale permet de déterminer le niveau d'urgence et si une consultation médicale ou une visite est nécessaire, avant de déclencher une « effection », c'est-à-dire une prise de rendez-vous. C'est ce que nous voulons faire dans le cadre du SAS. C'est la raison pour laquelle nous finançons la régulation à hauteur de 90 euros de l'heure, qui est le tarif fixé dans l'avenant n° 9. Nous avons également prévu un financement à l'effection, avec à la fois des forfaits structures versés aux médecins et puis, si aucun rendez-vous n'est trouvé, une rémunération complémentaire de l'ordre de 15 euros, en simplifiant. C'est ce que les ARS essayent de déployer sur le terrain avec notre appui, et qui doit sûrement donner lieu à des adaptations territoriales, parce que cette problématique varie évidemment selon les départements.
Je précise que dans nos relations avec les CPTS, nous sommes assez souples. La CPTS reste libre d'appuyer l'organisation du SAS comme elle le souhaite, grâce aux financements de l'assurance maladie. Nous n'avons pas prescrit de modèle extrêmement précis. Nous tenons seulement à ce qu'il existe une articulation avec le SAS, sans compétition entre les organisations de soins non programmés, sinon l'assuré ne pourra pas s'y retrouver.
L'un de nos seuls points de vigilance es que nous voulons éviter de financer des formes d'astreinte ou de permanence de médecins qui « attendraient le malade ». Je caricature volontairement. Dans cette période difficile de démographie médicale, il est absurde de financer de telles périodes et de stériliser du temps médical, alors que nous avons besoin de temps médical disponible et qu'il s'agit de l'un des éléments que nous voulons pousser. C'est sur ce point que des discussions se tiennent parfois, quand les médecins libéraux demandent que nous rémunérions l'astreinte, y compris si le patient ne se présente pas. Dans la période actuelle, nous préférons les mises en commun d'information ou d'agendas, pour permettre à un régulateur de trouver des rendez-vous, plutôt que d'assigner des périodes d'astreinte à des médecins libéraux en journée. Cela ne nous semble en effet pas complètement adapté.
Madame Cohen, vous avez évoqué les sujets de téléconsultation. Il se trouve que l'avenant n° 9 a tiré les enseignements de la crise sanitaire en simplifiant un certain nombre de règles de prise en charge. La règle qui imposait de rencontrer physiquement la personne avant de pouvoir réaliser une téléconsultation a été supprimée. Les règles des zones sous-denses ont également été adaptées. Le tarif dépend ensuite du secteur d'activité des médecins. Si le médecin est en secteur 2, il peut faire une téléconsultation à son tarif de secteur 2. S'il est en secteur 1, elle sera réalisée au tarif secteur 1. Il faut être tout à fait clair. Les conditions d'exercice des professionnels ne changent pas.
De notre point de vue, la téléconsultation trouve progressivement sa place dans le parcours de soins, mais c'est encore très récent. Les téléconsultations représentent environ 5 % des consultations des médecins généralistes. Avant la crise, il y a deux ans elles représentaient moins de 0,5 %. Le taux reste faible mais n'est pas nul.
Les pratiques n'étaient pas les mêmes non plus, à la fois du côté des professionnels et des assurés. Il n'y avait pas de réelle connaissance de cette pratique.
Nous avons fixé un cadre conventionnel avec l'avenant n° 9, qui assouplit le dispositif, tout en fixant un certain nombre de critères de qualité. Nous préparons actuellement une charte de la qualité des téléconsultations avec les organisations syndicales, en lien avec le Conseil de l'ordre. Nous prévoyons aussi des verrous et des plafonds. Nous considérons ainsi qu'un médecin libéral ne peut pas réaliser plus de 20 % de son activité en téléconsultation. Nous pensons en effet qu'il faut conserver une part significative d'activité en présentiel, dans un fonctionnement équilibré.
Madame Cohen et Madame Poncet-Monge ont suggéré que l'absence de mécanisme de régulation sur la ville se répercutait de ce fait sur l'Ondam hospitalier. Le sujet est compliqué.
En premier lieu, il existe tout même des mécanismes de régulation, y compris a priori, des soins de ville. Les dispositifs tarifaires que l'assurance-maladie négocie avec les professionnels de santé libéraux n'interviennent ainsi qu'après un délai de six mois après leur signature, ce qui constitue généralement un délai compatible avec la construction de l'Ondam. Il a pu y avoir des périodes dans lesquelles des revalorisations non prises en compte pouvaient impacter l'Ondam. Ces périodes-là sont derrière nous, depuis maintenant un grand nombre d'années. Par ailleurs, si jamais le comité d'alerte était amené à intervenir pour faire état d'un risque de dépassement de l'Ondam supérieur au seuil d'alerte, alors les revalorisations seraient décalées.
Ensuite, il faudrait étudier finement dix années d'Ondam pour vérifier les raisons pour lesquelles les soins de ville sont allés plus vite et les soins hospitaliers sont allés moins vite que prévu. Sur un plan macroéconomique, les écarts restent tout de même minimes. En moyenne, l'Ondam hospitalier de la période 2010-2019 a atteint un taux de 2 % par an et l'Ondam de ville 2,3 % par an, dans un univers où, sur longue période, la bascule progressive des prises en charge de l'hôpital vers la ville est mécanique et naturelle. La réduction des durées de séjour fait qu'il y a davantage de transport sanitaire, davantage de prises en charge en ville, davantage de sages-femmes qui interviennent à la sortie de la maternité et davantage d'infirmiers qui interviennent à domicile, parce que les gens restent moins longtemps à l'hôpital. Cette bascule progressive d'un système hospitalier vers un système où la ville prend davantage de place est assez cohérente. C'est un mouvement que partagent tous les pays développés.
Cela rejoint ensuite la préoccupation de l'engagement que prend le Gouvernement vis-à-vis du Parlement lorsqu'il propose le vote d'un objectif de dépenses d'assurance maladie et les moyens qu'il se donne pour le faire respecter. Avant la crise, le respect de l'Ondam a longtemps été un objectif de crédibilité du Gouvernement sur le pilotage des dépenses d'assurance maladie. Cela ne me semble pas totalement anodin, quand on pense à la masse que représentent les dépenses d'assurance maladie dans le PIB et au regard des enjeux de finances publiques. C'est aussi à regarder à l'aune de ces critères.
Vous m'avez de surcroît interrogé, Madame Poncet-Monge, sur les évolutions du nombre de personnels par lit. Il est intéressant de l'étudier sur longue période. J'ai évoqué le nombre de trois ETP par lit actuellement. Il était de deux au début des années 2000. De fait, cette hausse de 50 % constitue une augmentation significative du nombre de personnels par lit.
Vous m'avez également interrogé sur les réhospitalisations. Cet indicateur est notamment suivi par l'ATIH. Les statistiques attestent d'une certaine forme de stabilité dans le poids des réhospitalisations dans l'activité de MCO. Pour notre part, nous avons fixé comme l'un des objectifs du parcours « insuffisance cardiaque » que j'ai évoqué, notamment dans l'organisation de la sortie d'hospitalisation des insuffisants cardiaques, d'éviter la réhospitalisation. C'est un point qui est bien documenté. La sortie d'hôpital d'un insuffisant cardiaque mal organisée, sans relais du médecin traitant ou d'un infirmier, est en effet un facteur important de réhospitalisation C'est donc l'un des objectifs du programme Prado insuffisance cardiaque.
S'agissant de la HAD, je crains de ne pas avoir de données détaillées sur ce sujet. Nous pourrions vous relayer ces éléments, si nous en avions.
Nous ne disposons effectivement pas de beaucoup de points de comparaison.
Nous savons que nous étions, en 2019 en France, à 6,3 % des hospitalisations de court ou moyen séjour qui correspondent à une HAD. En comparaison avec l'international, il apparaît que nous faisons partie des pays qui ont choisi de ne pas restreindre le champ d'intervention de la HAD, soit à certains territoires, soit à certaines pathologies, mais de l'ouvrir largement. C'est aussi le cas, sauf erreur, de l'Australie et de l'Espagne, alors que certains autres pays ont plutôt fait le choix de cibler la HAD sur certaines pathologies ou certains territoires. Nous affichons donc plutôt une politique favorable à la HAD, en comparaison avec les autres pays, mais nous ne disposons guère de données pour nous situer.
Il y a donc une politique favorable, mais un taux qui reste faible, malgré tout, en comparaison avec les autres pays. Peut-être existe-t-il des freins culturels ou au niveau de l'organisation. Je pense que c'était le sens de la question de la rapporteure.
Merci, Monsieur le directeur général, pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 55.