S'agissant du niveau de recours à l'hôpital, je doute que la situation française affiche des spécificités majeures par rapport à nos voisins. Les comparaisons avec l'international doivent en outre être nuancées ou prises avec prudence, en particulier concernant l'imputation de telle ou telle organisation des soins sur la part hospitalière, sur les soins de ville ou sur le médicosocial.
Globalement, on observe une bascule assez forte, sur vingt ans, entre une hospitalisation complète qui voit son poids diminuer, et l'hospitalisation partielle, avec la chirurgie ambulatoire. C'est le premier point marquant.
Une réduction globale du nombre d'établissements et du nombre de lits s'observe aussi, en lien avec cette évolution structurelle, ainsi qu'une réduction de la durée moyenne de séjour. En France, elle était de 11,6 jours en 2004, pour passer à 8,8 jours en 2019. Cette évolution reste tout à fait comparable à ce qui se passe en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Les mêmes phénomènes liés aux modalités de prise en charge s'observent.
L'un des éléments sans doute les plus préoccupants est l'augmentation continue du recours aux urgences qui, malgré différents dispositifs mis en place, a du mal à être régulée. Ces venues à l'hôpital ne sont pas toujours totalement justifiées par des urgences avérées. Ce phénomène reste bien évidemment compliqué à appréhender pour un usager ou un patient.
Vous m'interrogez en outre sur les éventuelles redondances entre le Prado et les programmes d'accompagnement à domicile. Je ne crois pas que nous soyons dans une configuration d'excès d'accompagnement des parcours de soins. La Cour des comptes a évidemment bien raison de s'inquiéter de risques de redondance, mais c'est moins un excès qu'une insuffisance globale d'accompagnement et de structuration de ces parcours que l'on observe. Je crois que la Cour des comptes a plus spécifiquement porté une interrogation sur l'intervention des branches retraite et maladie pour l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). Nous avons intégré ce point dans nos programmes d'accompagnement. Dès lors, je ne crois pas qu'on puisse parler de redondance.
A mon avis, l'enjeu porte plutôt sur la structuration du côté de la ville, notamment au travers des CPTS. Sont-elles capables de prendre en charge une partie de ce parcours de soins et de cette sortie d'hôpital ? Si c'est le cas, tant mieux, même si l'objectif n'est pas que l'assurance-maladie abandonne ce dispositif d'accompagnement. Avec les CPTS, nous tenons seulement à ce que le parcours entre la ville et l'hôpital soit fluide et qu'il n'y ait plus besoin d'accompagnement en tant que tel. C'est l'un des objectifs que nous leur fixons et l'une des raisons pour lesquelles nous les finançons, y compris sur le sujet « parcours insuffisance cardiaque ». C'est plutôt à ce niveau qu'il nous faut agir collectivement, en déterminant comment nos programmes d'action Prado peuvent continuer à se déployer, comment ils peuvent céder la place un rôle accru des CPTS, dès lors qu'elles auront maillé le territoire, qu'elles se seront vraiment structurées en interne et qu'elles auront la capacité à faire. C'est dans cette optique que nous travaillons. Si nous réussissons, alors je pense que nous aurons oeuvré efficacement pour le parcours de soins des patients.
S'agissant du rôle respectif de l'hôpital public et du secteur privé, nous nous trouvons dans une situation où se mélangent complémentarité et concurrence, et je pense pour ma part que c'est assez fructueux. Nous ne sommes pas totalement dans la concurrence, parce qu'un certain nombre de champs d'action et d'intervention sont davantage en complémentarité qu'en concurrence. Pour autant, il existe parfois aussi une concurrence. Ce mix est assez sain. Nous perdrions beaucoup à faire des choix drastiques, dans un sens ou dans l'autre. Nous avons besoin de l'hôpital public, du secteur privé, comme du secteur privé non lucratif. Tous ont leur histoire et leur champ d'intervention prioritaire. Vous savez que le privé est évidemment plus impliqué sur le MCO et notamment la chirurgie ambulatoire que l'hôpital public. Je pense que ce mix d'interventions est à conserver, en essayant de favoriser les complémentarités. Nous avons vu dans la crise covid qu'elles étaient tout à fait possibles, lorsqu'elles étaient rendues nécessaires voire indispensables, et que les différents modes d'organisation coordonnée doivent être soutenus.
S'agissant de la permanence des soins ambulatoires, vous demandez si les dispositifs que nous avons arrêtés ou que le ministère a arrêté en lien avec nous, sont suffisants ou suffisamment attractifs. C'est évidemment une question délicate. Une hausse de 20 % des forfaits reste assez substantielle. Comme vous le savez, cette activité de permanence des soins reste jugée difficile et prenante par les médecins libéraux, qui n'ont pas souhaité se réinvestir massivement dans cette activité.
Peut-être avez-vous relevé une proposition des représentants des infirmiers libéraux. Il s'agirait que les médecins libéraux ne soient pas les seuls à se déclarer disponibles pour être acteurs de cette permanence des soins, mais aussi les équipes de soins et les infirmiers. C'est une idée à creuser. Il faudra analyser ce qu'elle signifie en termes de prise en charge, de délégation ou de responsabilités. Il me semble en tout cas que cette idée mérite d'être approfondie. Il est évident que nous devons continuer à investir, à la fois pour essayer de faire du service d'accès aux soins en journée une réalité. Nous en sommes encore à un niveau largement expérimental, puisque 22 projets de SAS se déploient actuellement. En tout cas, sans doute faut-il continuer à investir sur une permanence des soins plus efficace, pour diminuer les passages aux urgences. Pour répondre directement à votre question, je pense que c'est un travail qu'il nous faut encore approfondir au cours des prochains mois.
Sur les patients sans médecin traitant, j'ai deux chiffres à partager avec vous. 6 millions de patients n'ont pas de médecin traitant, sachant que 3 de ces 6 millions n'en ont pas du tout. Les 3 millions restant sont ceux dont le médecin traitant est en cessation d'activité. Ces deux chiffres doivent évidemment être pris avec beaucoup de sérieux. Nous actionnons deux leviers à ce sujet.
D'une part, il fait partie des missions prioritaires des CPTS. Derrière les financements de l'assurance maladie se trouve en effet l'idée que la CPTS doit inclure dans son programme d'action la façon d'accompagner les patients sans médecin traitant et de convaincre les médecins de devenir le médecin traitant de ces patients.
S'agissant des assistants médicaux, l'objectif vise précisément à permettre au médecin d'organiser son activité différemment et d'accepter davantage de patients dans sa patientèle, en tant que médecin traitant. Les 2 700 assistants médicaux recrutés permettent la possible inscription de 500 000 patients auprès d'un médecin traitant. Je crois donc que nous faisons oeuvre utile dans ce programme.
Les origines professionnelles des assistants médicaux sont variées. Ce sont parfois d'anciennes secrétaires médicales, parfois d'anciens professionnels de santé. Ils n'ont parfois pas de compétences particulières. Des obligations de formation vont de pair avec les programmes. Elles sont sans doute un peu lourdes par rapport au dispositif, ce qui explique peut-être une partie des freins que l'on rencontre encore. Il en existe deux autres, qui n'appellent d'ailleurs pas de réponse évidente. Le premier tient aux locaux. Nous avons lancé un sondage qualitatif pour savoir pourquoi les médecins n'ont pas recruté d'assistant médical. La première réponse était : « je n'ai pas le local adapté pour accueillir un assistant médical ». Le deuxième sujet, pour résumer, est la peur de l'embauche, si le recrutement ne fonctionne pas au bout de deux ou trois ans, etc. Ce sont des sujets sur lesquels nous souhaitons revenir avec les médecins lors de la négociation de la future convention médicale, au deuxième semestre 2022. Il est important de tirer le bilan de ce dispositif, sachant que les médecins qui ont fait ce choix en sont extrêmement satisfaits. Ils nous l'ont indiqué. Cela a changé leurs pratiques, en leur apportant un appui considérable. Nous aimerions désormais aller plus vite et plus loin dans le déploiement. Sur la cible de 4 000 assistants médicaux à la fin de l'année 2022, nous en sommes à 2 700 La crise a freiné le mouvement, notamment en 2020. A ce jour, nous enregistrons une cinquantaine de contrats par semaine. Sans doute pourrait-on aller plus loin vis-à-vis de certains médecins, notamment les spécialistes, je pense en particulier aux pédiatres, auprès desquels nous pourrions davantage valoriser cet apport, en le faisant connaître. Beaucoup de médecins ne connaissent pas encore cette possibilité.
S'agissant de l'Ondam hospitalier, il est difficile d'émettre une vision tout à fait définitive. Au cours de la décennie 2010-2019, l'Ondam hospitalier a évolué comme la richesse nationale, ou juste en dessous, ce qui peut témoigner d'une forme de contrainte budgétaire importante, tout en rappelant que l'assurance maladie connaissait en 2010 un déficit de l'ordre de 11 milliards d'euros, ce qui était très significatif, et qu'avant la crise, en 2019 et 2020, nous étions proches de l'équilibre. Il convient donc d'étudier cette décennie à l'aune de cette situation. Sans doute le curseur entre cette contrainte budgétaire et les conditions d'évolution de l'organisation interne de l'hôpital et de son lien avec la ville n'est pas totalement étranger aux tensions que nous connaissons aujourd'hui.
S'agissant de la tarification à l'activité, il est là aussi difficile de répondre de façon extrêmement simple. Je pense qu'un système de tarification de l'hôpital doit être en mesure d'appréhender les différentes activités d'un établissement de santé, de s'adapter à l'évolution de ses charges et de son activité, d'accompagner son dynamisme et de soutenir la qualité des soins. Il existe sans doute beaucoup d'autres items qui s'attachent à cette tarification. Néanmoins, dès lors qu'on arrive à répondre à ces trois préoccupations, je pense qu'on parvient à un système de tarification cohérent. De ce point de vue-là, il faut souligner que le poids de la T2A dans les financements hospitaliers est légèrement supérieur à 50 %, ce qui signifie qu'un peu moins de 50 % correspondent à autre chose que la T2A. Il est utile de le noter. Pour tous ceux qui se souviennent de la dotation globale, je ne suis pas sûr que ce fût un système extrêmement pertinent, y compris pour accompagner les différentes activités hospitalières, voire les hôpitaux les plus dynamiques. C'est donc bien au travers d'un mix de financements que l'on peut répondre aux différents défis. C'est ce que produit notre système aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui est à l'oeuvre dans les réformes du financement qui sont mises en oeuvre cette année pour la psychiatrie et l'année prochaine pour le SSR, avec un mix de financements qui conjugue des dotations liées à une forme d'activité, à la population et à la qualité. C'est un tel financement, comptant différents leviers, qui répondra aux différentes exigences.
Je terminerai en soulignant que nous disposons d'un système de tarification à l'activité dont la nomenclature est extrêmement fine et assez notoirement plus détaillée que dans d'autres pays. C'est sans doute le génie français à l'oeuvre. Même si la situation n'est pas non plus simple du côté de la nomenclature des actes techniques pilotée par l'assurance maladie, nous avons pu partager avec un certain nombre d'experts le fait que la nomenclature française de la T2A restait tout de même extrêmement détaillée. Peut-être mériterait-elle d'être un peu simplifiée. C'est un chantier compliqué.