La proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité vise à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeur mondiales. Elle s'inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe et de l'objectif d'amélioration de la protection des droits de l'Homme en Europe et ailleurs.
Ce devoir de vigilance est « contraignant » pour les entreprises dites « concernées » : il met en effet à leur charge des obligations de moyens. Concrètement, toute entreprise concernée devra identifier, réduire et, si possible, supprimer les incidences négatives, effectives ou potentielles, de ses activités sur les droits de l'Homme et sur l'environnement, qu'il s'agisse de ses propres opérations, de celles de ses filiales et des opérations réalisées dans ses chaînes de valeur, amont et aval, par des entités avec lesquelles elle a une relation commerciale établie.
Les petites et moyennes entreprises, qui ne relèvent pas directement du champ d'application du texte, peuvent donc être concernées dès lors qu'elles interviennent dans la chaîne de valeur d'une entreprise assujettie.
Ce texte intervient alors que plusieurs États membres, dont la France, ont adopté ou sont en voie d'adopter des législations nationales, dont les champs d'application et les périmètres sont différents. La loi française, dont le président Rapin a rappelé que notre collègue Christophe-André Frassa a été le rapporteur pour le Sénat, fait obligation aux grandes entreprises d'élaborer, de publier et de mettre en oeuvre des mesures adaptées d'identification des risques dans leurs chaînes d'approvisionnement, - donc en amont -, et de prévention des atteintes aux droits de l'Homme et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes, à l'environnement. De son côté, l'Allemagne a adopté en 2021 une législation qui oblige les entreprises à se doter d'un plan de vigilance sur l'ensemble de la chaîne de valeur, - donc en amont et en aval -, mais les fournisseurs ou distributeurs indirects ne doivent faire l'objet d'une vigilance raisonnable que si l'entreprise a eu une connaissance précise et étayée de violations de droits commises par eux. Au surplus, seules sont concernées les obligations ou interdictions limitativement énumérées.
La définition d'un cadre européen transversal et harmonisé en matière de devoir de vigilance des entreprises s'est donc imposée pour éviter la fragmentation en cours des règles applicables sur le marché intérieur et le développement de nouvelles sources de distorsions de concurrence, au bénéfice notamment d'entreprises de pays tiers actives dans ce marché.
S'appliquant sur les chaînes de valeur, donc y compris hors du territoire européen, ainsi qu'aux entreprises de pays tiers actives dans l'Union, ce cadre devrait en outre avoir des effets d'entraînement à l'échelle mondiale et faciliter le fléchage des investissements.
La proposition de directive a fait l'objet de travaux préparatoires nourris, à la recherche d'un équilibre acceptable, tant par les partenaires sociaux et les organisations de protection des droits de l'Homme et de l'environnement que par les entreprises. Dans leurs réponses à la consultation publique, 95,9 % des ONG, 68 % des entreprises, dont 75,5 % des grandes entreprises et 58,7 % des PME, et 59,6 % des fédérations professionnelles se sont déclarées favorables au principe de la définition d'un cadre. De leur côté, les États membres participants se sont déclarés favorables à une approche transversale plutôt que sectorielle ou thématique, également applicable aux entreprises des pays tiers exerçant des activités en Europe.
La notion clé de cet équilibre est la proportionnalité dans la mise en oeuvre des obligations : proportionnalité à la gravité des effets, mais également aux capacités des différents opérateurs économiques, y compris au regard des contextes locaux, qui peuvent rendre la tâche très difficile, voire impossible, en raison de la situation de certaines populations ou de l'absence de droit syndical.
Le texte a été initialement préparé par la direction générale des affaires juridiques, sous l'égide du commissaire Didier Reynders, avant que le commissaire Thierry Breton, chargé du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME, y soit associé. Il a depuis connu des évolutions substantielles, en particulier quant à la définition des entreprises concernées. Ce sujet reste discuté.
De son côté, le Parlement européen, qui s'impatientait, a adopté le 10 mars 2021 une résolution contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises, accompagnée d'un projet de directive sur les obligations de vigilance dans les chaînes de valeur.
Face à la multiplication de régimes nationaux, le Conseil a demandé, pour sa part, à la Commission, dans ses conclusions du 1er décembre 2020, de présenter une proposition de cadre juridique de l'Union européenne sur la gouvernance d'entreprise durable, comprenant des obligations de vigilance intersectorielles applicables tout au long des chaînes de valeur mondiales.
L'élaboration du texte a été longue et difficile, avec une étude d'impact considérée à deux reprises comme insuffisante par le comité d'examen de la régulation (RSB). La Commission indique avoir répondu aux insuffisances signalées. Nous ne sommes - est-il besoin de le préciser ? - pas pleinement convaincus...
Pour notre part, nous avons procédé à une bonne vingtaine d'auditions en visioconférence ou dans le cadre d'un déplacement à Bruxelles. Cela nous a permis de recueillir les points de vue de représentants d'entreprises, de syndicats et d'ONG, de juristes, de représentants des deux directions générales compétentes de la Commission européenne, du shadow rapporteur PPE du Parlement européen, Axel Vos, du directeur des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice et de la DG Trésor.
Au vu de l'ensemble des éléments que nous avons pu collecter et analyser, il nous apparaît que le texte proposé appelle des observations sur plusieurs points fondamentaux : la définition des entreprises soumises au devoir de vigilance ; la définition du périmètre de vigilance ; la concrétisation de la notion clé de proportionnalité ; la mise en oeuvre des mesures de vigilance ; le rôle des parties prenantes ; le contrôle du respect des obligations de vigilance par les entreprises ; la place faite aux victimes ; la gouvernance des entreprises ; enfin, la cohérence avec d'autres législations européennes.