Mes chers collègues, nous examinons la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive COM(2022) 177 final. Je voudrais excuser notre collègue Philippe Bonnecarrère, qui était pressenti comme rapporteur sur ce texte, mais qui ne pouvait pas se rendre disponible.
Comme vous le savez, la liberté de la presse est consubstantielle à la démocratie. En pratique, la « libre communication des pensées et des opinions », considérée comme l'un des droits « les plus précieux » de l'homme par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, est protégée, tant par notre droit national que par la Charte européenne des droits fondamentaux.
Cependant, depuis quelques années, le travail des journalistes est menacé par des « poursuites judiciaires manifestement infondées ou abusives altérant le débat public », communément appelées « poursuites-bâillons ». Le principal objectif des requérants est alors d'empêcher, de limiter ou de pénaliser le débat public en attaquant des journalistes devant la justice, afin de les intimider et de les contraindre à cesser leurs critiques ou enquêtes, notamment par épuisement de leurs ressources financières.
Adoptée le 27 avril dernier, la proposition de directive que nous examinons s'inscrit dans un ensemble de mesures destinées à défendre la liberté de la presse défini par la Commission européenne dans son plan d'action pour la démocratie européenne du 3 décembre 2020, qui se compose plus précisément d'une recommandation sur la sécurité des journalistes, de la proposition de directive que nous examinons, ainsi que d'une initiative législative à venir en faveur de la liberté des médias.
L'objet de la proposition est très large. En pratique, celle-ci vise à protéger les personnes participant au débat public en « prévoyant des garanties contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière ». C'est l'objet de son article 1er.
La proposition énumère plusieurs indices permettant d'identifier ces procédures tels que le caractère « disproportionné, excessif ou déraisonnable » de la demande en justice, l'existence de procédures multiples engagées par le requérant concernant des questions similaires, « l'intimidation », « le harcèlement » ou « les menaces » de la part du requérant ou de ses représentants.
Les procédures judiciaires concernées sont celles s'appliquant « aux matières de nature civile ou commerciale ayant une incidence transfrontière » ; c'est l'article 2 de la proposition.
La proposition de directive demande aux États membres de veiller à ce que les personnes faisant l'objet de procédures judiciaires abusives puissent bénéficier de certaines protections procédurales. En pratique, ces personnes pourraient demander à la juridiction saisie d'imposer au requérant de fournir une garantie pour les frais de procédure et, le cas échéant, les dommages-intérêts si elle estimait qu'une telle garantie était appropriée. Ce sont les articles 5 et 8 de la proposition.
De plus, la juridiction compétente pourrait adopter une « décision rapide de rejet, total ou partiel » des procédures judiciaires manifestement infondées. La charge de la preuve incomberait alors au requérant, en vertu des articles 5 et 9 à 12 de la proposition. Ces décisions pourraient être prises d'office par la juridiction concernée.
Les personnes visées par une procédure judiciaire abusive pourraient à leur tour déposer un recours contre la personne les ayant attaquées en justice afin d'obtenir réparation intégrale du préjudice subi. Dans ce cadre, le requérant qui viendrait à être condamné devrait « supporter tous les frais de procédure » et pourrait se voir infliger des sanctions.
Par ailleurs, les juridictions concernées pourraient accepter que « des organisations non gouvernementales qui assurent la protection ou la promotion des droits des personnes participant au débat public » prennent part à la procédure pour soutenir le défendeur. C'est l'article 7.
Enfin, un État membre serait tenu de refuser de reconnaître les décisions des juridictions d'un pays tiers issues de procédures abusives et de ne pas les appliquer. Ces décisions seraient en effet considérées comme manifestement contraires à l'ordre public dans l'hypothèse où, dans le droit interne de cet État membre, la procédure suivie aurait été considérée comme infondée et abusive.
Dans cette hypothèse, la personne ayant fait l'objet d'une telle procédure, si elle est désormais domiciliée dans un État membre de l'Union européenne, pourrait demander, devant la juridiction compétente de cet État membre, réparation « de tous dommages et frais liés à la procédure menée » dans le pays tiers. Ce sont les articles 17 et 18 de la proposition.
Bien entendu, les États membres devront transposer ces mesures dans leur droit national, dans un délai de deux ans, mais leurs marges d'adaptation sont limitées. Pour rappel, signalons que le droit français reconnaît et sanctionne déjà les procédures judiciaires abusives.
Il me semble que cette proposition de directive importante suscite plusieurs difficultés juridiques et nécessite l'adoption de l'avis motivé dont un projet vous a été distribué en amont de notre réunion.
Je souhaite formuler deux remarques préalables.
En premier lieu, sur le principe, il nous faut défendre le principe d'une protection des journalistes et des défenseurs des droits de l'Homme contre les procédures judiciaires abusives. En conséquence, il nous faut soutenir la Commission européenne dans ses efforts actuels.
En second lieu, en France, le régime juridique de protection des journalistes ne relève pas de la procédure civile mais plutôt du droit pénal. La liberté de la presse est garantie par la loi - c'est la fameuse loi du 29 juillet 1881 - et les journalistes peuvent être amenés à répondre d'éventuels abus qui constituent des infractions pénales : injures, diffamation, etc. Mais ils bénéficient alors des garanties du procès pénal.
De là, la proposition telle qu'elle est présentée semble ne pas être totalement aboutie.
Premièrement, cette proposition, jugée pourtant essentielle par la Commission européenne, n'a donné lieu à aucune étude d'impact sur sa conformité au principe de subsidiarité ou sur sa cohérence. Cette absence a été considérée comme préjudiciable par le Conseil des barreaux européens, qui, dans un avis du 10 décembre dernier, soulignait la « nécessité d'une évaluation et d'une analyse approfondies des réglementations et mesures nationales existantes », afin de « garantir que les principes de subsidiarité et de proportionnalité soient bien respectés à cet égard ». En conséquence, comme le rappelle le projet d'avis motivé, nous ne sommes en mesure ni d'évaluer l'ampleur quantitative du phénomène des « procédures-bâillons » dans les États membres ni de conclure à la nécessité de l'ensemble des dispositions du texte. De plus, en l'absence d'analyse juridique précise, il existe un doute légitime sur la compatibilité des dispositions du chapitre III permettant à une juridiction de rejeter rapidement une procédure comme « manifestement infondée », avec le droit à un procès équitable, qui implique qu'une partie ne soit pas placée en net désavantage par rapport à une autre.
Deuxièmement, la base juridique sélectionnée, à savoir l'article 81 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ne paraît pas constituer un fondement suffisant pour autoriser l'ensemble des nouvelles procédures envisagées. Je pense par exemple à la disposition de l'article 17 imposant aux États membres de refuser, comme contraires à l'ordre public, la reconnaissance et la mise en oeuvre d'une décision rendue dans un pays tiers manifestement infondée ou abusive. L'article 81 couvre en effet la coopération entre États membres, pas les relations avec les pays tiers.
Troisièmement, la définition des « matières ayant une incidence transfrontière », qui justifie la compétence de l'Union européenne et délimite le champ d'application de la proposition de directive, est problématique. En effet, une matière européenne est en principe considérée comme transfrontière lorsque deux États membres au moins sont concernés. Ainsi n'est pas transfrontière une procédure dans laquelle « les deux parties sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie ».
La proposition dégage pourtant deux exceptions dans lesquelles une procédure serait transfrontière alors que les requérants et le tribunal sont situés dans le même État membre : d'une part, dans l'hypothèse où « l'acte de participation au débat public concernant une question d'intérêt public contre lequel une procédure judiciaire est engagée a une incidence sur plus d'un État membre » ; d'autre part, lorsque « le requérant ou des entités associées ont engagé, simultanément ou antérieurement, des procédures judiciaires contre le même défendeur ou des défendeurs associés dans un autre État membre. » C'est l'article 4 de la proposition.
Ce champ d'application est trop flou. En effet, si une telle définition extensive de la notion de matière « transfrontière » était acceptée pour des raisons d'opportunité, une telle réglementation européenne couvrirait l'ensemble des conflits opposant des journalistes ou défenseurs de droits de l'homme à une partie adverse dans une procédure civile nationale.
Nous partageons tous l'objectif de la Commission européenne d'une protection accrue des journalistes et des défenseurs des droits de l'Homme. Mais, même pour des raisons de communication politique, il ne faut pas « brûler les étapes ». Or c'est le sentiment que nous donne la lecture de ce texte.
Notre avis motivé doit ainsi être considéré comme une « piqûre de rappel » pour « retravailler ce dispositif ». Comme l'a confirmé M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice quand je l'ai auditionné, c'est ce message qui a été adressé à la Commission européenne par plusieurs États membres lors de la présentation du texte au groupe droit civil du Conseil, et c'est l'engagement qui a été pris par la Commission.
C'est dans cet esprit que je vous soumets la proposition de résolution portant avis motivé qui vous a été transmise.
La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne portant avis motivé, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mesure phare du plan d'action pour la démocratie européenne présenté par la Commission européenne, le 3 décembre 2020, la proposition de directive COM (2022) 177 final a pour objectif d'élaborer un cadre juridique pour protéger les personnes physiques ou morales, en particulier les journalistes et les défenseurs des droits de l'Homme, attaquées en raison de leur participation au débat public, au travers de procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles et ayant une incidence transfrontière.
Dans le cadre de cette proposition, les juridictions compétentes pourraient, à titre principal :
imposer, si nécessaire, au requérant de fournir une garantie pour les frais de procédure, ou pour les frais de procédure et les dommages-intérêts (articles 5 et 8 de la proposition) ;
adopter une « décision rapide de rejet, total ou partiel, des procédures judiciaires altérant le débat public comme étant manifestement infondées ». La charge de la preuve incomberait alors au requérant. La décision de la juridiction serait cependant susceptible de recours (articles 5 et 9 à 12 de la proposition) ;
autoriser le dépôt d'un recours contre une procédure judiciaire abusive et permettre d'obtenir réparation intégrale du préjudice subi (articles 5 et 14 à 16).
En outre, un État membre pourrait refuser, parce que manifestement contraires à l'ordre public, la reconnaissance et l'application d'une décision rendue dans un pays tiers, dans le cadre d'une procédure judiciaire engagée contre une personne en raison de sa participation au débat public, dans l'hypothèse où, dans le droit interne de cet État membre, la procédure suivie aurait été considérée comme infondée et abusive (articles 17 à 19).
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat émet les observations suivantes :
l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; ce qui implique d'examiner, non seulement si l'objectif de l'action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l'intensité de l'action entreprise n'excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif que cette action vise à réaliser ;
la liberté de la presse et l'indépendance des médias sont des conditions essentielles de la vie démocratique ; ainsi, dans son principe, toute initiative européenne protégeant les journalistes et les défenseurs des droits de l'Homme contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives doit être soutenue ;
toutefois, en l'espèce, l'absence d'analyse d'impact de la présente proposition de directive empêche de mesurer le nombre et l'ampleur actuels de telles procédures judiciaires dans les États membres et de constater les éventuelles carences de leur droit national ; elle nuit de ce fait à la clarté juridique de la proposition et empêche de conclure à la nécessité de l'ensemble des dispositions envisagées par la Commission européenne. Pour rappel, lors de la phase de consultation publique sur cette proposition, dans un avis du 10 décembre 2021, le Conseil des barreaux européens avait souligné « la nécessité d'une évaluation et d'une analyse approfondies des réglementations et mesures nationales existantes » afin de « garantir que les principes de subsidiarité et de proportionnalité soient bien respectés à cet égard » ;
en l'absence d'analyse juridique précise des propositions prévues, il existe même un doute légitime sur la compatibilité de certaines dispositions du texte, comme celles du chapitre III permettant à une juridiction de rejeter rapidement une procédure comme « manifestement infondée », avec le droit à un procès équitable, qui implique qu'une partie ne soit pas placée dans une situation de net désavantage par rapport à une autre1(*);
par ailleurs, la Commission européenne justifie son intervention sur le fondement des dispositions de l'article 81 paragraphe 2, point f, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui habilitent le Parlement européen et le Conseil à adopter des mesures visant à garantir « l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédures civiles applicables dans les États membres. ». Or, cette base juridique est insuffisante pour permettre à l'Union européenne d'imposer de nouvelles procédures civiles ou commerciales aux États membres lorsqu'un seul d'entre eux est concerné ou de leur demander de ne pas reconnaître et de ne pas appliquer une décision de justice rendue dans un pays tiers au motif qu'elle constituerait selon eux l'aboutissement d'une procédure judiciaire infondée ou abusive ;
enfin, la large définition donnée des « matières ayant une incidence transfrontière » par l'article 4 de la proposition est disproportionnée et non conforme au principe de subsidiarité, lorsqu'elle vise des procédures judiciaires concernant des parties « domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie », dès lors que l'acte de participation au débat public contre lequel une procédure judiciaire est engagée « a une incidence sur plus d'un État membre » ou que le requérant, ou ses associés, aurai(en)t engagé « simultanément ou antérieurement » des procédures judiciaires contre le même défendeur dans un autre Etat membre. En effet, si une telle définition de la notion de matière « transfrontière » était acceptée pour des raisons d'opportunité, le champ d'application de cette réglementation européenne serait susceptible de couvrir de facto l'ensemble des procédures judiciaires nationales, civiles ou commerciales, opposant des journalistes ou défenseurs de droits de l'Homme dans leur activité, à une partie adverse.
Nous examinons à présent une proposition législative importante dont la négociation a débuté à l'échelon européen : celle sur le devoir de vigilance des entreprises.
Le sujet mobilise le Sénat depuis déjà plusieurs années. Afin d'empêcher la survenance de drames en France et à l'étranger, comme l'effondrement en 2013 du Rana Plaza, immeuble qui abritait des ateliers de confection au Bangladesh, une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre avait été déposée au mois de février 2015 et adoptée par l'Assemblée nationale. Son objectif était de responsabiliser les sociétés transnationales et d'obtenir des réparations pour les victimes de dommages portant atteinte aux droits humains et à l'environnement. Le texte avait été transmis au Sénat, qui l'avait rejeté en novembre 2015 sur le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa. Je ne retracerai pas dans le détail le parcours législatif compliqué de ce texte, qui a fini par aboutir à l'adoption d'une loi promulguée en mars 2017. D'autres pays ont suivi depuis, si bien que la Commission européenne a estimé nécessaire de proposer une législation européenne afin d'éviter un morcellement juridique susceptible de fausser la concurrence dans le marché intérieur.
Le trio de rapporteurs chargés du dossier, Christine Lavarde, Didier Marie et Jacques Fernique, a beaucoup travaillé et nous présente aujourd'hui une proposition de résolution européenne (PPRE).
La proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité vise à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeur mondiales. Elle s'inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe et de l'objectif d'amélioration de la protection des droits de l'Homme en Europe et ailleurs.
Ce devoir de vigilance est « contraignant » pour les entreprises dites « concernées » : il met en effet à leur charge des obligations de moyens. Concrètement, toute entreprise concernée devra identifier, réduire et, si possible, supprimer les incidences négatives, effectives ou potentielles, de ses activités sur les droits de l'Homme et sur l'environnement, qu'il s'agisse de ses propres opérations, de celles de ses filiales et des opérations réalisées dans ses chaînes de valeur, amont et aval, par des entités avec lesquelles elle a une relation commerciale établie.
Les petites et moyennes entreprises, qui ne relèvent pas directement du champ d'application du texte, peuvent donc être concernées dès lors qu'elles interviennent dans la chaîne de valeur d'une entreprise assujettie.
Ce texte intervient alors que plusieurs États membres, dont la France, ont adopté ou sont en voie d'adopter des législations nationales, dont les champs d'application et les périmètres sont différents. La loi française, dont le président Rapin a rappelé que notre collègue Christophe-André Frassa a été le rapporteur pour le Sénat, fait obligation aux grandes entreprises d'élaborer, de publier et de mettre en oeuvre des mesures adaptées d'identification des risques dans leurs chaînes d'approvisionnement, - donc en amont -, et de prévention des atteintes aux droits de l'Homme et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes, à l'environnement. De son côté, l'Allemagne a adopté en 2021 une législation qui oblige les entreprises à se doter d'un plan de vigilance sur l'ensemble de la chaîne de valeur, - donc en amont et en aval -, mais les fournisseurs ou distributeurs indirects ne doivent faire l'objet d'une vigilance raisonnable que si l'entreprise a eu une connaissance précise et étayée de violations de droits commises par eux. Au surplus, seules sont concernées les obligations ou interdictions limitativement énumérées.
La définition d'un cadre européen transversal et harmonisé en matière de devoir de vigilance des entreprises s'est donc imposée pour éviter la fragmentation en cours des règles applicables sur le marché intérieur et le développement de nouvelles sources de distorsions de concurrence, au bénéfice notamment d'entreprises de pays tiers actives dans ce marché.
S'appliquant sur les chaînes de valeur, donc y compris hors du territoire européen, ainsi qu'aux entreprises de pays tiers actives dans l'Union, ce cadre devrait en outre avoir des effets d'entraînement à l'échelle mondiale et faciliter le fléchage des investissements.
La proposition de directive a fait l'objet de travaux préparatoires nourris, à la recherche d'un équilibre acceptable, tant par les partenaires sociaux et les organisations de protection des droits de l'Homme et de l'environnement que par les entreprises. Dans leurs réponses à la consultation publique, 95,9 % des ONG, 68 % des entreprises, dont 75,5 % des grandes entreprises et 58,7 % des PME, et 59,6 % des fédérations professionnelles se sont déclarées favorables au principe de la définition d'un cadre. De leur côté, les États membres participants se sont déclarés favorables à une approche transversale plutôt que sectorielle ou thématique, également applicable aux entreprises des pays tiers exerçant des activités en Europe.
La notion clé de cet équilibre est la proportionnalité dans la mise en oeuvre des obligations : proportionnalité à la gravité des effets, mais également aux capacités des différents opérateurs économiques, y compris au regard des contextes locaux, qui peuvent rendre la tâche très difficile, voire impossible, en raison de la situation de certaines populations ou de l'absence de droit syndical.
Le texte a été initialement préparé par la direction générale des affaires juridiques, sous l'égide du commissaire Didier Reynders, avant que le commissaire Thierry Breton, chargé du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME, y soit associé. Il a depuis connu des évolutions substantielles, en particulier quant à la définition des entreprises concernées. Ce sujet reste discuté.
De son côté, le Parlement européen, qui s'impatientait, a adopté le 10 mars 2021 une résolution contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises, accompagnée d'un projet de directive sur les obligations de vigilance dans les chaînes de valeur.
Face à la multiplication de régimes nationaux, le Conseil a demandé, pour sa part, à la Commission, dans ses conclusions du 1er décembre 2020, de présenter une proposition de cadre juridique de l'Union européenne sur la gouvernance d'entreprise durable, comprenant des obligations de vigilance intersectorielles applicables tout au long des chaînes de valeur mondiales.
L'élaboration du texte a été longue et difficile, avec une étude d'impact considérée à deux reprises comme insuffisante par le comité d'examen de la régulation (RSB). La Commission indique avoir répondu aux insuffisances signalées. Nous ne sommes - est-il besoin de le préciser ? - pas pleinement convaincus...
Pour notre part, nous avons procédé à une bonne vingtaine d'auditions en visioconférence ou dans le cadre d'un déplacement à Bruxelles. Cela nous a permis de recueillir les points de vue de représentants d'entreprises, de syndicats et d'ONG, de juristes, de représentants des deux directions générales compétentes de la Commission européenne, du shadow rapporteur PPE du Parlement européen, Axel Vos, du directeur des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice et de la DG Trésor.
Au vu de l'ensemble des éléments que nous avons pu collecter et analyser, il nous apparaît que le texte proposé appelle des observations sur plusieurs points fondamentaux : la définition des entreprises soumises au devoir de vigilance ; la définition du périmètre de vigilance ; la concrétisation de la notion clé de proportionnalité ; la mise en oeuvre des mesures de vigilance ; le rôle des parties prenantes ; le contrôle du respect des obligations de vigilance par les entreprises ; la place faite aux victimes ; la gouvernance des entreprises ; enfin, la cohérence avec d'autres législations européennes.
La proposition vise les entreprises européennes répondant à des critères cumulés de chiffre d'affaires et d'effectifs salariés.
Nous proposons de privilégier une approche groupe, comme en matière d'information s'agissant de responsabilité sociale et environnementale (RSE), dans la mesure où il s'agit d'apprécier un poids économique réel, c'est-à-dire consolidé, dans la mesure également où de nombreuses politiques sont définies au niveau du groupe, par exemple en matière d'achats, où seul le groupe peut établir une cartographie complète des incidences négatives de ses activités et de celles de ses chaînes de valeur et dispose des moyens nécessaires, ce qui allégera d'autant la charge de ses filiales et sous-filiales. Une démarche comparable et adaptée devrait à notre avis être également mise en oeuvre à l'égard des entreprises étrangères actives dans l'Union.
Le texte identifie des activités à fort impact sur les droits de l'Homme et l'environnement, comme la fabrication de textile ou l'exploitation de ressources minérales. Nous demandons qu'il renvoie à la nomenclature européenne statistique, dite NACE, créée en 2006, qui permet de distinguer entre les différentes étapes : extraction, production, affinage, transformations, etc. pour ne soumettre à ce régime dit du groupe 2, que les seules activités à fort impact.
Par ailleurs, il nous paraît souhaitable de clarifier le périmètre de la chaîne de valeur, qui est un élément central du dispositif, car il définit le champ des obligations des entreprises en matière de vigilance. La proposition de directive parle de l'amont et de l'aval et vise, au-delà des liens capitalistiques, les entreprises avec lesquelles existent des « relations commerciales établies », tout en introduisant un critère de proportionnalité dans les moyens mis en oeuvre pour identifier les conséquences négatives, potentielles ou réelles, de l'activité de ces partenaires. L'évaluation et la portée de ces termes doivent impérativement être précisées.
Autre point important : les seuils d'application du devoir de vigilance. Ils sont définis au regard du chiffre d'affaires et du nombre de salariés. S'agissant tout d'abord des entreprises dont l'activité est considérée comme à fort impact, les seuils fixés font que des PME seraient directement soumises au devoir de vigilance. Dans la mesure où la Commission ne justifie pas cette approche, nous recommandons que le seuil de chiffre d'affaires soit aligné sur celui de la recommandation de 2003 actualisée concernant les PME/TPE, soit 50 millions d'euros.
Pour les entreprises du groupe 1, la Commission a finalement fixé le seuil d'effectifs à 500 salariés. Dès lors, sont concernées non pas les seules grandes entreprises, comme le prévoit la loi française de 2017, qui a retenu un effectif de 5 000 salariés, mais aussi des entreprises moins importantes. Or celles-ci vont devoir mettre en oeuvre des obligations de moyens et affronter le risque d'une possible mise en jeu de leur responsabilité. De son côté, la loi allemande retient un effectif de 3 000 salariés en 2023 puis 1 000 à compter de 2024, ce qui me paraît plus raisonnable.
Nous avons sur ce point des divergences avec mes collègues rapporteurs. J'ai donc déposé un amendement, portant le n° °1, qui a pour objet de relever le seuil d'effectifs au niveau allemand, c'est-à-dire à 1 000 salariés.
Entre une initiative pionnière de la loi française de 2017 et aujourd'hui, la perception par les entreprises du devoir de vigilance s'est profondément modifiée, sous la pression du marché, celle des actionnaires, celle des citoyens, beaucoup plus d'ailleurs que par l'effet de la loi. C'est valable en France, mais également dans bon nombre de pays.
Si la mise en place d'un plan de vigilance à un coût, une majorité d'entreprises considèrent que les gains sont aussi extrêmement sensibles, en matière non seulement réputationnelle, mais aussi d'accès au financement.
Depuis 2017, la France a adopté la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, ou loi Pacte, aux termes de laquelle l'entreprise peut aujourd'hui être gérée dans un intérêt social, prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de l'activité.
La proposition de la Commission vise à distingue deux groupes d'entreprises : un premier concernant les entreprises de plus de 500 salariés ayant un chiffre d'affaires net mondial supérieur ou égal à 150 millions d'euros et un second relatif à des entreprises dans des secteurs à fort impact - textile, agroalimentaire, production de minerais et de métaux -, pour lesquelles le seuil serait de 250 salariés et le chiffre d'affaires net mondial supérieur à 40 millions d'euros. Tout cela représente à l'échelle européenne 13 000 entreprises pour les deux groupes et 4 000 entreprises non européennes, sur plusieurs millions d'entreprises. En France, sur 4,5 millions d'entreprises, un peu plus de 6 000 ont un effectif supérieur à 250 salariés. Si l'on ajoute le critère du chiffre d'affaires, seules quelques centaines d'entreprises françaises relèveraient du premier groupe.
Je plaide donc de nous en tenir aux seuils proposés par la Commission. Je pense que la question du respect des droits humains et de l'environnement doit concerner toutes les entreprises et l'ensemble des acteurs économiques. Le respect de ces droits ne saurait être conditionné à des seuils, d'autant que la directive introduit la notion de proportionnalité dans les réponses à apporter dans le plan de vigilance.
Cependant, souhaitant trouver un compromis et ayant pris en considération les arguments de la Commission, nous acceptons que l'on fixe un seuil. À mon sens, le porter à 1 000 salariés réduirait considérablement le nombre d'entreprises soumises au devoir de vigilance à l'échelle européenne, risquant ainsi de rendre la directive inopérante. Or, pour le respect des droits fondamentaux, qu'il s'agisse des droits humains ou du droit à l'environnement, il est nécessaire d'introduire cette vigilance dans le fonctionnement des entreprises.
Au demeurant, un certain nombre d'autres restrictions figurent déjà dans la proposition de directive. D'ailleurs, elles soulèvent des difficultés, et, comme l'a souligné Christine Lavarde, nous nous proposons de revenir dessus. Par exemple, la notion de groupe nous paraît préférable à celle d'entreprise. Mais un seuil à 1 000 salariés appréhendé au niveau groupe aurait pour effet de réduire le nombre d'entreprises concernées. Le seuil retenu par la Commission était le fruit d'un compromis. Je pense qu'il peut aussi faire l'objet d'un compromis entre nous, d'autant que la PPRE relève le montant du chiffre d'affaires pour les entreprises du groupe 2 afin d'épargner les PME.
Je partage la position que Didier Marie vient d'exprimer. À mon sens, relever encore les seuils reviendrait à exclure des entreprises à risques. Le Parlement européen avait proposé un seuil à 250 salariés ; la Commission européenne a préféré doubler ce seuil, en le portant à 500 salariés. Beaucoup de nos interlocuteurs, ONG, syndicats, nous ont indiqué regretter un tel affaiblissement de la portée du texte. Le chiffre de 500 salariés est bien un compromis. Je pense qu'il serait déraisonnable de relever le seuil à 1 000 salariés.
J'aurais besoin d'éclaircissements. Le dispositif proposé concerne-t-il les sociétés mères ou les filiales ? S'il s'agit des sociétés mères, les montants envisagés paraissent assez dérisoires...
Je trouve assez perturbant que l'on envisage de doubler les seuils d'une manière qui peut sembler arbitraire. Il nous en faut plus pour être en mesure de statuer.
Ce ne sont pas des seuils que nous avons inventés ; ils existent. Le seuil de 500 salariés est celui qui est proposé par la Commission dans la directive. Au demeurant, il fait écho au seuil que l'on retrouve dans d'autres directives ou règlements européens, même s'il y a encore besoin d'harmonisation en la matière. Je le dis très clairement, j'aurais préféré qu'il n'y ait pas de seuil. Mais le seuil proposé par la Commission va justement dans le sens de cette forme d'harmonisation progressive. Il ne nous paraît pas opérant de reprendre le seuil allemand, qui ne s'applique pas dans les autres pays européens. L'idée est d'aller vers une harmonisation sur un seuil couramment utilisé par l'Union européenne dans l'ensemble de ses directives et règlements.
Nous préconisons que l'on prenne comme référence le groupe, et non pas seulement l'entreprise, faute de quoi des sociétés mères pourront se vider de leurs effectifs salariés et échapper ainsi au devoir de vigilance.
L'amendement déposé par Christine Lavarde concerne les entreprises du premier groupe, dont le chiffre d'affaires est supérieur ou égal à 150 millions d'euros ; le seuil d'effectifs serait donc porté à 1 000 salariés. Les entreprises du deuxième groupe resteraient à un seuil de 250 salariés. Il ne me paraît pas pertinent d'avoir une dichotomie aussi importante entre les deux groupes.
Comme le soulignait Didier Marie, l'effet réputationnel est aujourd'hui très important. Je pense donc que les entreprises sont incitées à entreprendre d'elles-mêmes toutes ces démarches RSE, que le marché va les y aider.
En revanche, l'obligation qui est faite de maîtriser l'ensemble de sa chaîne de valeur crée un vrai risque. Pour une petite société, c'est très compliqué d'y arriver. Cela risque d'entraîner de multiples contentieux.
La France a été pionnière. Elle avait fixé un seuil de 5 000 salariés. Et il faudrait passer directement à 500 ? Les Allemands, qui légifèrent après nous, ont fait le choix de procéder par paliers, pour descendre à 1 000 salariés en 2024.
Il faut prendre conscience du saut qui est demandé à notre économie. La semaine dernière, j'ai eu des échanges - mes collègues rapporteurs n'étaient pas avec moi - avec des représentants de grands groupes de l'automobile. À leurs yeux, le dispositif envisagé va poser de multiples problèmes à leurs sous-traitants, qui sont souvent des petites entreprises dans des secteurs technologiques très particuliers.
Nous avons beaucoup de défis devant nous. Je crois beaucoup à la force du marché pour engager le mouvement.
J'ai avec moi un document émanant d'une centaine de grandes entreprises, dont Danone, qui indique très clairement que toutes les entreprises établies dans l'Union européenne et/ou actives sur le marché intérieur devraient être couvertes par la législation. De nombreuses PME européennes reconnaissent que la responsabilité en matière de droits de l'Homme et de droit de l'environnement n'est pas une question de taille d'entreprise et que leur inclusion dans le champ d'application de la législation européenne leur donnerait plus de sécurité juridique. L'une des motivations des entreprises est d'avoir un cadre couvrant le plus largement possible la vigilance. Dès lors qu'une entreprise mettra son plan de vigilance en place - et celui-ci devra être proportionné à sa taille et à ses moyens ; on ne demandera pas la même chose à un grand groupe et à une PME -, elle sera protégée.
J'en viens maintenant à la question du périmètre de vigilance.
À la différence de la loi française, qui a une portée générale, la proposition de directive liste en annexe des obligations et interdictions précises, issues de conventions et accords internationaux, qui concernent, d'une part, les droits de l'Homme - Déclaration universelle des droits de l'Homme, pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou encore pacte international relatif aux droits civils et politiques... - et, d'autre part, l'environnement, avec la convention de Minamata sur le mercure, celle de Stockholm sur les polluants organiques persistants, celle de Bâle sur les déchets dangereux...
Une telle approche, inspirée de la loi allemande, a le mérite de conférer une portée contraignante à ces obligations et interdictions relevant du droit international, qui ne sont en principe applicables qu'aux seuls États ayant ratifié les conventions internationales. Il s'agit de passer du droit souple au droit dur, comme l'ont souligné plusieurs de nos interlocuteurs. Cette démarche peut être acceptée dans son principe, car elle clarifie les choses pour les entreprises. Il nous a toutefois semblé que son caractère très limitatif et l'absence de mention d'actualisations ultérieures méritaient à tout le moins de demander que soient visés des textes fondamentaux, comme la Convention européenne des droits de l'Homme ou la charte sociale européenne, sans oublier des textes clés en matière de protection de l'environnement.
Je signale toutefois que nous ne demandons pas d'inclure ici les accords de Paris sur la lutte contre le changement climatique. En effet, l'article 15 de la proposition de directive prévoit que les entreprises concernées devront établir un plan visant à garantir que le modèle d'entreprise et la stratégie d'entreprise sont compatibles avec la transition climatique, en particulier la limitation du réchauffement à 1,5 degré. Je ne vous le cache pas, j'aurais préféré que le texte aille plus loin. Mais, comme nous l'ont dit les services de la Commission, il faut s'en tenir à un « équilibre » si nous voulons pouvoir avancer. D'ailleurs, d'autres directives ou règlements visent l'accord de Paris.
Au-delà, il nous semble nécessaire qu'un mécanisme de mise à jour de l'annexe soit prévu pour permettre la prise en compte de nouvelles conventions. Je pense en particulier aux principes et droits fondamentaux au travail que vient d'adopter la conférence internationale du travail dans le cadre de l'OIT. Ceci me conduit d'ailleurs à demander l'inclusion de la dimension santé-sécurité au travail, comme le prévoient les lois françaises et allemandes.
La proposition de directive décrit par ailleurs les mesures de vigilance que doivent prendre les entreprises. À nos yeux, il faudrait également faciliter la mise en place de ces mesures, en particulier en guidant l'évaluation des incidences négatives potentielles ou réelles, grâce à la publication de lignes directrices sectorielles, comprenant des indicateurs précis ; en veillant à l'équilibre du cadre contractuel de prévention, sous forme de clauses et de codes de conduite, que prévoit le texte, en particulier pour qu'il ne conduise pas à reporter les responsabilités sur les partenaires commerciaux, qui peuvent être des PME ; enfin, en adaptant à leurs capacités les diligences « appropriées » que les PME partenaires devront mettre en oeuvre.
Venons-en maintenant au rôle des parties prenantes : il doit être renforcé et différencié, selon qu'il s'agit de parties prenantes internes ou externes, dans la mesure où ces parties prenantes doivent accompagner la construction et la mise en oeuvre du dispositif de vigilance.
À cet égard, la proposition de la Commission nous paraît lacunaire, motif pour lequel nous suggérons l'inclusion dans les parties prenantes des représentants des salariés et des syndicats, ainsi que des organisations de la société civile actives en matière de défense des droits humains ou de l'environnement.
Nous proposons également de mieux intégrer les parties prenantes aux différentes étapes du processus.
Concernant le processus de recueil de plaintes que les entreprises doivent mettre en place, nous recommandons que le plaignant soit informé des suites de sa plainte.
La proposition de directive propose que le contrôle du respect des obligations des entreprises en matière de vigilance soit confié à des autorités nationales réunies au sein d'un réseau européen pour faciliter les échanges d'information et harmoniser les pratiques.
Cette approche, dont il nous a été indiqué qu'elle ne conduirait pas à créer de nouvelles structures mais prendrait appui sur des autorités existantes, permettra d'assurer un contrôle effectif sur le respect de leurs obligations par les entreprises concernées. Il nous semble également indispensable que ces autorités accompagnent les entreprises dans la mise en oeuvre et soient pour elles des interlocuteurs. Une capacité de médiation nous paraît également devoir être prévue.
J'en viens maintenant à la responsabilité civile des entreprises qui est susceptible d'être recherchée par les victimes de dommages résultant d'incidences négatives qu'une entreprise aurait dû identifier, supprimer ou réduire. La proposition de directive ne prévoit pas une responsabilité civile du droit commun, mais la subordonne à un ensemble de conditions et de limites.
Pour autant, il nous semble que les victimes doivent pouvoir être accompagnées, et en particulier être représentées en cas de contentieux par un syndicat, une association ou une organisation de la société civile, sous certaines réserves, afin de prévenir les détournements orchestrés, par exemple, par un concurrent.
Par ailleurs, dans la mesure où la victime risque de ne pas être en mesure de démontrer que l'entreprise n'a pas mis en oeuvre les mesures de vigilance lui incombant, je propose, dans un amendement portant le n° 2, de compléter l'alinéa 126 pour préconiser une inversion partielle de la charge de la preuve. Dès lors que la victime a démontré l'existence d'un dommage pouvant résulter de l'une des atteintes figurant dans l'annexe, il reviendrait à l'entreprise de démontrer qu'elle a mis en oeuvre les mesures de vigilance qui lui incombaient. Cette approche n'est toutefois pas partagée par notre collègue Christine Lavarde.
En effet, à mon sens, il s'agit d'un domaine qui relève de la compétence des États membres. Il me semble donc plus sage, comme le prévoit le texte de la Commission, de s'en remettre à l'application des règles nationales en matière de responsabilité civile.
Le débat avait eu lieu au moment de l'élaboration de la loi française, et l'inversion de la charge de la preuve a finalement été écartée par l'Assemblée nationale. Le Parlement européen a proposé cette inversion, considérant la grande difficulté pour les victimes d'établir la preuve concrète que le dommage résulte de manquements de l'entreprise à nos obligations de vigilance.
Par notre amendement, nous proposons non pas un alignement sur la position du Parlement européen, mais un « juste milieu » : il appartiendrait bien à la victime de démontrer d'abord l'existence d'un dommage, mais il reviendrait ensuite à l'entreprise de prouver qu'elle a mis en oeuvre les mesures de vigilance qui lui incombaient. Cette proposition me paraît équilibrée et, surtout, susceptible de faire l'objet d'un consensus européen.
J'en viens à un autre sujet de préoccupation. La proposition de directive prévoit que le devoir de vigilance doit être intégré dans les politiques de l'entreprise, ce qui en fait un élément clé de sa stratégie. Cela ne pose pas de problème. En revanche, elle définit en son article 25 les responsabilités de ceux qu'elle qualifie d'« administrateurs ». Or, dirigeants exécutifs et structures collectives jouent un rôle distinct et le droit européen n'a pas vocation à s'immiscer dans le fonctionnement interne des entreprises. Dès lors, nous nous interrogeons sur le bien-fondé de cet article.
Par ailleurs, il est prévu que le devoir de vigilance ne s'applique pas aux organismes publics. Nous préconisons néanmoins qu'un mécanisme incitatif soit introduit en ce sens dans la commande publique.
D'autre part, dans la mesure où il s'agit d'une législation transversale, il conviendra de veiller à son articulation avec d'autres législations, par exemple la publication d'information RSE, dont la révision vient d'être validée et qui prévoit une information en matière de vigilance.
Nous proposons par ailleurs que la Commission européenne promeuve le devoir de vigilance dans le cadre des négociations commerciales et au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il faut que l'ensemble des entreprises qui agissent sur le territoire de l'Union européenne soient soumises aux mêmes règles.
Enfin, une entrée en vigueur progressive, mais rapidement engagée nous paraît indispensable. Il s'agit d'être pragmatique, sans mettre en risque nos entreprises, et de progresser vers une mise en place mondiale du devoir de vigilance, puisque le poids de l'économie européenne permet de faire bouger les lignes.
Je remercie les rapporteurs d'avoir exposé les grandes lignes de cette proposition de résolution, qui appelle, selon moi, plusieurs réserves.
La première concerne évidemment les seuils retenus, qui sont bien plus bas que ceux que prévoit le droit français. L'amendement de Mme Lavarde tend à un relèvement des seuils à au moins 1 000 salariés. Ce serait plus acceptable que le seuil proposé par la Commission, même si cela reste bien en dessous du seuil français.
Comme les obligations de vigilance s'appliqueraient non seulement aux grandes entreprises, mais aussi aux entreprises de taille intermédiaire, voire aux petites et moyennes entreprises, je soutiens un relèvement des seuils : les entreprises de moyennes et de petite taille n'ont absolument pas les mêmes moyens que les grandes entreprises pour mettre en oeuvre de telles mesures de vigilance.
La définition retenue de la chaîne de valeur est, là encore, extensive. Les obligations de vigilance vont donc par ricochet concerner un très grand nombre de petites entreprises. Je rappelle que le droit français ne prend en compte que les relations commerciales directes entre les parties.
Les rapporteurs envisagent d'aller plus loin que la proposition de directive et de faciliter l'engagement de la responsabilité des entreprises en inversant la charge de la preuve. Le droit français comme la proposition de directive imposent au demandeur de prouver qu'une faute de l'entreprise est la cause du préjudice qu'il subit. Renverser la charge de la preuve rendrait la tâche extrêmement difficile aux entreprises qui devraient démontrer qu'elles ont respecté leurs obligations de vigilance. Je n'y suis pas favorable. Le dispositif visé à l'amendement n° 2 est présenté comme une inversion partielle de la charge de la preuve. Mais cela ne change rien aux conséquences de cette inversion, puisqu'il serait très difficile aux entreprises de démontrer qu'elles ont correctement mis en oeuvre leurs obligations. C'est pour cela qu'une telle option ne figure ni dans le droit français ni dans la proposition de directive.
Il est aussi envisagé dans la proposition de résolution de confier de nouveaux pouvoirs à des autorités administratives pour sanctionner les entreprises contrevenantes. On ajouterait donc un nouvel échelon par rapport au droit français qui peut agir rapidement ou à plus long terme dans le cadre d'une action en responsabilité civile... Il me semble que faire intervenir des autorités administratives créera de la complexité inutile et surtout du contentieux.
La proposition de résolution européenne n'évoque pas un sujet important figurant au tout début de la proposition de directive : celle-ci prévoit qu'elle n'a pas pour objet ni pour effet de réduire la protection déjà existante dans les États. Cela revient pour la France à une forme de clause d'irréversibilité du droit national et à ne pas pouvoir assouplir sa législation actuelle en matière de vigilance. Ce point pourrait constituer une vraie difficulté. Les entreprises françaises seront plus exposées que leurs concurrentes, puisque toute violation d'autres normes que celles qui sont juridiquement énumérées par la directive sera potentiellement sanctionnable.
Je tiens à remercier nos rapporteurs pour ce travail d'une précision remarquable.
Une des lacunes pointées au cours des auditions concerne précisément la question d'une autorité de contrôle. Les entreprises disent elles-mêmes qu'elles ont besoin d'une autorité pour les accompagner et les conseiller. On pourrait envisager une autorité européenne, mais cela soulève des difficultés au regard du principe de subsidiarité. La Commission a donc retenu le principe d'autorités nationales de contrôle. Pour l'essentiel, il s'agira d'autorités qui existent déjà. La directive prévoit en outre un échelon de mutualisation européen pour éviter des distorsions et favoriser la coopération.
J'ai été assez vigilante sur le fait de ne pas venir ajouter une nouvelle structure en droit interne, alors que la démarche vise plutôt à rationaliser et à simplifier l'action publique. On ne doit pas être uniquement dans la sanction ; il faut aussi pouvoir aider les entreprises à définir le plan de vigilance qu'elles mettront en oeuvre. Il appartiendra à chaque pays de choisir la ou les structures nationales concernées ; parfois, il pourra s'agir d'une structure privée. Mais l'important est de ne pas être seulement dans une démarche punitive : il faut aussi accompagner les entreprises et les aider.
Je partage ce qui a été indiqué sur l'autorité de contrôle. L'idée est d'avoir des indicateurs en droit européen comme en droit national, de telle sorte que les entreprises puissent bâtir leur plan de vigilance en toute connaissance de cause. Il faut donc que ces autorités de contrôle puissent pratiquer des médiations, de l'interprétation du texte et, le cas échéant, infliger des sanctions administratives si telle ou telle entreprise était récalcitrante. Bien entendu, tout cela n'exclut pas le recours au juge.
Sur les obligations de vigilance, il y a un aspect philosophique. À mon sens, tous les acteurs économiques se doivent de respecter des principes quasi universels aujourd'hui codifiés par des conventions internationales, que ce soit en matière de droits humains, de droit du travail ou de protection de l'environnement. Pour autant, nous avons décidé, par souci de compromis, de conserver le seuil proposé par la Commission.
La question de la charge de la preuve est évidemment la plus sensible. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile pour des travailleurs au Bangladesh ou des sous-traitants dans un pays d'Asie de faire la démonstration du préjudice subi du fait de l'activité, par exemple, d'une entreprise française. Les autorités locales ne peuvent pas accéder aux informations de l'entreprise et savoir si celle-ci a effectivement mis en place un dispositif de vigilance. C'est, nous semble-t-il, à l'entreprise de faire la démonstration qu'elle a pris toutes les mesures adéquates pour prévenir ou réduire les effets négatifs, potentiels ou réels, de ses activités.
On nous dit que l'inversion de la charge de la preuve serait contraire au droit français. Or, si l'article 1353 du code civil dispose effectivement que le requérant doit faire la preuve de l'existence d'une obligation et de son inexécution, il existe des exceptions, prévues à l'article 1354 du même code : elles peuvent concerner une contestation de filiation ou encore le harcèlement d'un salarié par son supérieur hiérarchique. Je pourrais également évoquer les dispositions relatives à la bonne foi figurant à l'article 2274 du code civil. L'organisation UFC-Que Choisir va ainsi attaquer une quinzaine de banques qui ont remis en cause la présomption de bonne foi de leurs clients. Il est donc envisageable d'introduire des exceptions, puisqu'il en existe déjà. En l'absence d'inversion partielle de la charge de la preuve, des salariés dans des pays étrangers, voire des salariés en France n'auront pas accès aux informations de l'entreprise et ne pourront pas démontrer que celle-ci n'a pas respecté ses obligations en matière de vigilance.
Nous discutons d'une directive en projet. Des siscussions vont être engagées puis des trilogues entre le Parlement et la Commission, entre lesquels il y a quand même des différences d'approche extrêmement sensibles. Une fois que la directive aura été adoptée, il y aura encore deux ans avant la transposition. Autant dire qu'elle n'entrera pas en vigueur tout de suite.
L'inversion de la charge de la preuve n'est pas « contraire au droit français » ; c'est un choix que n'a pas fait le droit français. C'est totalement différent. Les exceptions que Didier Marie vient de mentionner n'ont pas grand-chose à voir avec la question du devoir de vigilance incombant aux entreprises...
Pour ma part, je considère - c'est la position retenue par le Sénat en 2016 et confirmée par l'Assemblée nationale - qu'il appartient au plaignant de démontrer que le plan de vigilance lui a été préjudiciable. Si la Commission n'a pas fait le choix de l'inversion de la charge de la preuve, je ne vois pas pourquoi nous devrions, nous, le faire, alors que ce n'est pas celui qui a été retenu par le droit français.
Et l'on ne peut pas dire qu'il s'agirait d'une inversion « partielle ». Une inversion n'est jamais partielle ; soit on inverse, soit on n'inverse pas.
Ce n'est pas le choix de la Commission, mais c'est le choix du Parlement européen, notamment du shadow rapporteur PPE du texte...
Je précise que, lors de nos auditions, seulement deux personnes nous ont évoqué l'inversion de la charge de la preuve. Les autorités françaises, pourtant très allantes pour que le texte soit discuté pendant la présidence française de l'Union européenne, ne l'ont pas envisagée. Je comprends donc en creux qu'elles approuvent la proposition de la Commission à cet égard.
La commission adopte l'amendement n° 1 et rejette l'amendement n° 2.
La commission adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l' avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 50, §1 et 2, g), et 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la déclaration universelle des droits de l'Homme,
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Vu la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
Vu la convention relative aux droits de l'enfant,
Vu la convention relative aux droits des personnes handicapées,
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu les principes directeurs des Nations-unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme : mise en oeuvre du cadre de référence « protéger, respecter, et réparer » (2011),
Vu la charte sociale européenne du Conseil de l'Europe,
Vu les principes directeurs de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) à l'intention des entreprises multinationales (mis à jour en 2011), les recommandations sur la conduite responsable des entreprises, le guide sur le devoir de vigilance pour une conduite responsable des entreprises (2018) et les guides sectoriels,
Vu les conventions n° 29, 87, 98, 100, 105, 111, 138 et 182 de l'Organisation internationale du travail (OIT),
Vu la convention de 1992 sur la diversité biologique,
Vu la convention de Minamata sur le mercure (2013),
Vu la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (2001),
Vu la convention de Vienne pour la protection de la couche d'ozone,
Vu la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination,
Vu l'accord de Paris sur le climat,
Vu la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil sur la publication d'informations non financières (NFRD), en cours de modification par la proposition de directive COM(2021) 189 sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD),
Vu le règlement (UE) 995/2010 du Parlement européen et du Conseil établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché,
Vu le règlement (UE) 2017/821 du Parlement européen et du Conseil fixant les obligations liées au devoir de vigilance à l'égard de la chaîne d'approvisionnement pour les importateurs de l'Union qui importent de l'étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l'or provenant de zones de conflit ou à haut risque,
Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »),
Vu la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union (« lanceurs d'alerte »),
Vu la communication de la Commission intitulée « Le pacte vert pour l'Europe » COM(2019) 640 final,
Vu le plan d'action de l'Union européenne sur les droits humains et la politique commerciale,
Vu les douze propositions législatives « Ajustement à l'objectif 55 » présentées en 2021 par la Commission européenne pour accélérer la lutte contre le changement climatique, atteindre la neutralité climatique en 2050 et tenir l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% au moins en 2030 par rapport à 1990,
Vu la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises,
Vu les conclusions du Conseil du 1er décembre 2020 demandant à la Commission de présenter une proposition de cadre juridique de l'UE sur la gouvernance d'entreprise durable, comprenant des obligations de vigilance intersectorielles applicables tout au long des chaînes de valeur mondiales ;
Vu la proposition de directive COM(2022) 71 final sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937,
· Un cadre européen pour un devoir de vigilance des entreprises bienvenu dans son principe
Considérant que le développement durable est un enjeu mondial majeur, en particulier les objectifs liés aux droits de l'Homme et à l'environnement ;
Considérant que l'Union a fait de la transition de l'économie européenne vers une économie verte et neutre sur le plan climatique l'une de ses priorités et qu'elle s'est fixé à cet effet des objectifs exigeants en matière de durabilité ;
Considérant que, pour atteindre ces objectifs, il est indispensable que les entreprises, qui s'inscrivent directement ou indirectement dans des chaînes de valeur européennes et mondiales, intègrent ces objectifs dans leur stratégie et leurs politiques, qu'elles définissent et mettent en oeuvre des processus de prévention des risques, de suppression ou à tout le moins d'atténuation des effets négatifs de leur activité sur les droits de l'Homme et l'environnement ;
Considérant que certains États membres, dont la France, ont adopté des législations de portée générale ou plus ciblées en la matière, ou sont en train d'en élaborer ;
Convient qu'il est nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, de prévenir une fragmentation des règles et de réduire les distorsions de concurrence susceptibles d'en résulter ;
Considérant qu'une normalisation et des spécifications sectorielles et géographiques des processus de vigilance permettront une comparabilité des démarches et de leurs effets et une plus grande efficacité globale en matière de durabilité et de fléchage des financements ;
Souligne qu'une approche partagée du devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité aura des effets d'entraînement à l'échelle mondiale et de promotion des normes européennes, dans la mesure où il est prévu que les entreprises européennes ou actives en Europe devront veiller à la mise en oeuvre de mesures de prévention, de suppression ou d'atténuation des effets négatifs de leurs chaînes de valeur mondiales en matière de durabilité ;
Approuve en conséquence pleinement le principe de la définition d'un cadre européen harmonisé visant à responsabiliser les entreprises à l'égard de ces effets négatifs et à renforcer la traçabilité de leurs relations avec les fournisseurs et les distributeurs, cadre d'ailleurs souhaité tant par les États membres que par le Parlement européen et la Conférence sur l'avenir de l'Europe, et dont sont attendus des effets positifs sur des enjeux essentiels ;
Attire toutefois l'attention sur le fait qu'il est indispensable de ne pas privilégier une approche formelle du devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et sur la nécessité de revoir ou préciser plusieurs points, en particulier pour tenir compte des capacités inégales des entreprises ;
· Le champ d'application doit être ajusté et complété
Considérant qu'il est proposé de distinguer quatre types d'entreprises tenues de mettre en oeuvre un devoir de vigilance - trois européens, l'autre de pays tiers -, sur la base de critères d'effectifs et de chiffre d'affaires, ou encore de type d'activité, et considérant que la portée des obligations de vigilance diffère selon le type d'entreprises ;
Recommande de clarifier plusieurs aspects de cette approche et d'en améliorer la pertinence sur certains points pour faciliter les démarches des entreprises ;
- Privilégier une approche groupe, y compris pour les entreprises de pays tiers actives dans l'Union
Considérant que l'approche retenue par l'article 2 ne tient pas compte de l'organisation et du fonctionnement des groupes auxquels appartiennent nombre d'entreprises, dans le mesure où le chiffre d'affaire retenu n'est pas consolidé, ce qui ne permet pas d'apprécier correctement leur poids économique, alors même que l'approche par entreprise n'est pas cohérente avec l'organisation des groupes, par exemple en matière de centralisation des achats ou en encore de distribution, sans compter qu'elle conduira à des exercices redondants et manquant de cohérence, voire ignorant les sociétés mères qui n'atteignent pas les seuils d'effectifs salariés ;
Considérant toutefois que l'article 4§2 prévoit un partage de ressources et d'informations au sein des groupes ;
Recommande de privilégier une approche groupe, au niveau le plus pertinent en matière d'évaluation et de traitement des risques sur lesquels doit s'exercer le devoir de vigilance, et d'en tirer toutes les conséquences, notamment en matière d'obligations de reporting pour les filiales et sous-filiales ;
Demande que la définition du poids économique prenne en compte le chiffre d'affaires consolidé et le nombre de salariés des filiales consolidées ;
Invite à prévoir une approche adaptée pour définir le périmètre concerné des entreprises de pays tiers, en particulier en tenant compte de la part réalisée dans l'Union du chiffre d'affaires consolidé du groupe auquel elles appartiennent ;
- Affiner la définition des activités à fort impact
Considérant que l'article 2§1, b) identifie des secteurs jugés comme ayant un fort impact sur les droits de l'Homme et l'environnement ;
Préconise que ce périmètre soit défini par référence à la Nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE) établie par le règlement (CE) 1893/2006, qui prend en compte les différentes étapes des processus de production, afin que la limitation de la portée de l'obligation de recensement des incidences négatives prévue à l'article 6 aux seules incidences graves réelles et potentielles, soit circonscrite de manière tout à la fois plus précise et pertinente ;
Recommande de veiller à la cohérence entre la notion de secteur à fort impact et celle de « secteur à haut risque » qui pourrait figurer dans la nouvelle directive relative au reporting extra-financier (CRDS) ;
- Aligner le seuil de chiffre d'affaires des activités à fort impact sur le seuil européen applicable aux PME
Considérant que, dès lors que leur chiffre d'affaires excède 40 millions d'euros, les entreprise exerçant des activités à fort impact sont soumises aux obligations de vigilance en matière de durabilité ;
Demande que ce seuil soit relevé à 50 millions d'euros, en cohérence avec la recommandation n° 2003/361/CE du 6 mai 2003 actualisée concernant les PME/TPE ;
- Des seuils d'effectifs salariés à relever
Considérant que la Commission a relevé à 500 salariés le seuil initialement envisagé, sauf pour les entreprises exerçant des activités à fort impact pour lesquelles elle propose de fixer ce seuil à 250 salariés ;
Observe que ces seuils d'effectifs sont plus élevés que ceux que prévoient les législations française et allemande ;
Estime qu'il ne faut pas surcharger les entreprises européennes qui seront en tout état de cause indirectement affectées par le devoir de vigilance des entreprises concernées dès lors qu'elles entretiennent avec elles des relations commerciales établies ;
Demande en conséquence que les entreprises concernées du groupe 1 aient un effectif salarié consolidé d'au moins 1 000 salariés ;
- Clarifier le périmètre de la chaîne de valeur
Considérant que la définition de la chaîne de valeur est un élément central du périmètre du devoir de vigilance, qui inclut l'amont comme l'aval des activités liées à la production de biens ou à la prestation de services ;
Considérant qu'au-delà des relations capitalistiques ou de contrôle, les relations commerciales doivent être prises en compte dans la définition du périmètre ; que la nature de ces relations, dont les critères d'appréciation sont précisés à l'article 3, est précisée par l'exigence supplémentaire non définie d'être « bien » établies ;
Considérant que les principes directeurs des Nations-Unies « entreprises et droits humains » de 2011 et la déclaration tripartite de l'OIT sur les multinationales retiennent la notion de « relations commerciales » ;
Préconise la suppression de ce qualificatif imprécis, qui n'apparaît d'ailleurs pas dans la version anglaise du texte ;
Considérant par ailleurs que le périmètre de la chaîne de valeur est restreint, pour les entreprises financières réglementées, aux seules activités des clients bénéficiant de services de crédit et de prêt ainsi que d'autres services financiers ; et considérant que les services financiers destinés aux PME ne sont pas concernés ;
Attire l'attention sur la nécessité d'une approche pertinente et cohérente, fondée sur une identification précise et documentée des activités concernées, en lien avec l'entreprise cliente de ces services ;
S'interroge sur le bien-fondé de cette restriction alors que la durabilité est devenue une considération majeure en matière d'investissements ;
· Un périmètre de vigilance à compléter et à préciser
Considérant que les incidences négatives, réelles ou potentielles sur l'environnement ou les droits de l'Homme, que les entreprises concernées doivent identifier, prévenir, réduire ou supprimer, lorsque cela est possible, résultent de la violation d'interdictions ou d'obligations figurant dans certaines conventions internationales énumérées dans l'annexe de la proposition de directive ;
Considérant que cette approche, emportant des obligations précises pour les entreprises concernées, leur rend ainsi opposables des conventions internationales qui, en vertu du droit international, ne s'imposent qu'aux seuls États qui les ont ratifiées ;
Approuve cette démarche dans son principe mais déplore son caractère incomplet dès lors que certaines conventions, pourtant particulièrement importantes, ne sont pas visées, en particulier les instruments européens fondamentaux en matière de droits de l'Homme comme la convention européenne des droits de l'homme et la charte sociale européenne du Conseil de l'Europe ou encore la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; observe qu'il en est de même pour des textes fondamentaux en matière environnementale, comme par exemple la convention relative aux zones humides d'importance internationale ;
Demande que la dimension santé-sécurité au travail soit explicitement visée, en cohérence avec son inclusion dans les principes et droits fondamentaux au travail que vient d'adopter la conférence internationale du travail ;
Préconise qu'un mécanisme de mise à jour de l'annexe soit prévu pour permettre la prise en compte ultérieure de nouvelles conventions internationales ;
Considérant par ailleurs que le point 21 de l'annexe précise que sont également visées les violations d'une interdiction ou d'un droit non couvert par l'annexe mais incluses dans les conventions sur les droits de l'Homme figurant dans la section 2, dès lors que ces violations répondent à deux conditions : porter directement atteinte à un intérêt juridique protégé par ces conventions et pouvoir faire raisonnablement l'objet, par l'entreprise concernée, de l'établissement du risque d'y porter atteinte et de la définition de mesures appropriées ;
Souligne la complexité, en l'absence d'indicateurs, du contrôle du caractère raisonnable d'une telle démarche d'identification du risque par l'entreprise ;
· Définir le caractère proportionné de la portée des obligations de moyens, en particulier pour les PME
Considérant que le cadre prévu par la proposition de directive impose aux entreprises d'identifier les effets négatifs réels ou potentiels en matière de durabilité attachés à leur chaîne de valeur, de mettre en oeuvre des mesures de vigilance adaptées à la gravité de ces effets et à leurs capacités et d'en organiser le suivi ;
Considérant que des normes internationales en matière de conduite responsable des entreprises ont été progressivement adoptées et complétées au cours des années récentes mais que les entreprises ne les appliquent que sur une base volontaire, en lien avec leur responsabilité sociale et environnementale (RSE) ;
Constate que ces seules initiatives ne suffisent pas à répondre aux enjeux, et qu'il est donc nécessaire, pour garantir l'effectivité du devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, de les généraliser et de les renforcer, en particulier dans les activités à fort impact ;
Estime que le choix d'obligations de moyens précises, dont la méconnaissance est susceptible d'engager la responsabilité de l'entreprise (article 1er §1, a), permet de donner une portée tout à la fois concrète et contraignante à des objectifs identifiés, sans faire peser sur les entreprises concernées des obligations de résultat que la spécificité des productions ou des contextes locaux peut d'ailleurs rendre inatteignables ;
Attire l'attention sur le fait que, pour être « appropriée » au sens de l'article 3, une mesure doit prendre en compte non seulement le degré de gravité des effets négatifs en matière de durabilité des chaînes de valeur de l'entreprise concernée et les circonstances du cas d'espèce, mais également le poids économique de l'entreprise, y compris les moyens dont elle dispose à raison de sa taille ;
Considérant l'absence, dans les études d'impact produites par la Commission, d'évaluation de la charge induite par le devoir de vigilance pour les PME, en particulier celles qui exercent des activités dans les secteurs à fort impact, charge qui s'ajoutera à leurs obligations sectorielles, ce qui risque d'être très lourd au regard de leurs moyens ;
Considérant que la plupart des PME ne sont pas directement visées par le texte mais que, dès lors qu'elles entretiennent des relations commerciales avec les entreprises concernées, elles sont susceptibles d'être considérées comme appartenant à leurs chaînes de valeur et doivent, à ce titre, mettre en oeuvre des mesures pour traiter les effets négatifs de leur activité ;
Demande que les obligations de ces entreprises en matière de durabilité soient proportionnées à leurs ressources et prioritairement centrées sur les incidences négatives réelles de leurs activités ;
Souligne que les garanties contractuelles, auxquelles les articles 7 et 8 accordent une place centrale, doivent tenir compte des capacités de ces entreprises et ne pas leur imposer des obligations qu'elles ne sont pas en mesure de mettre en oeuvre ;
· Faciliter la mise en place des mesures de vigilance
- Guider l'évaluation des incidences négatives potentielle ou réelles
Considérant que l'article 6 prévoit que l'entreprise doit recenser les incidences négatives réelles ou potentielles pour identifier et hiérarchiser les risques attachés à ses activités afin de prioriser la prévention et le traitement des incidences négatives ;
Considérant qu'il est indiqué que cet exercice doit être réalisé sur la base d'informations quantitatives et qualitatives, y compris de rapports indépendants établis par des professionnels habilités à cet effet, comme en matière de reporting extra-financier ;
Préconise, pour faciliter l'évaluation des incidences négatives et leur suivi, que soit prévue la publication de lignes directrices indicatives et sectorielles, comportant des indicateurs ;
- Veiller à l'équilibre du cadre contractuel de prévention
Considérant qu'il est indiqué à l'article 7 que les entreprises doivent élaborer un plan d'action de prévention « si nécessaire », assorti de calendriers d'action et d'indicateurs de mesure des résultats, et prendre des mesures, « selon les besoins » ;
Estime que des critères indicatifs devraient faciliter l'évaluation par l'entreprise de la nécessité d'élaborer un plan d'action et de prendre des mesures ;
Considérant que figurent au nombre de ces mesures des garanties contractuelles apportées par les partenaires commerciaux en matière de respect du code de conduite de l'entreprise concernée et que la Commission a prévu d'adopter des « orientations sur les clauses contractuelles types volontaires » ;
Estime que ces codes de conduite devraient être centrés sur les éléments clés en matière de protection des droits de l'Homme et de l'environnement ;
Souligne que les garanties contractuelles doivent être négociées dans un cadre équilibré, afin de ne pas faire supporter par des petites entreprises des charges disproportionnées, imposées par l'entreprise concernée, y compris en cas de non-respect des clauses si celui-ci n'a pas généré d'effets négatifs ;
Considérant qu'il est prévu qu'en cas d'incidence négative potentielle ou effective considérée comme grave, les relations commerciales peuvent, voire doivent, être suspendues ou même rompues ;
Considérant que le droit applicable audites relations peut interdire de telles mesures qu'il ne considérerait pas comme justifiées par un intérêt légitime, ou encore emporter des coûts directs ou indirects très élevés, voire empêcher l'entreprise concernée ou son partenaire commercial de poursuivre leurs activités ;
Estime qu'il doit être précisé qu'en pareils cas, l'entreprise concernée a l'obligation de documenter précisément les raisons pour lesquelles elle n'a pas pu prendre ces mesures, en particulier les conséquences qui en auraient résulté pour elle ou son partenaire commercial ;
· Renforcer et différencier le rôle des parties prenantes
Considérant que les parties prenantes doivent accompagner et surveiller la mise en oeuvre des obligations de vigilance des entreprises en raison des conséquences pour elles, y compris potentielles, des activités de l'entreprise concernée et de sa chaîne de valeur ;
Considérant que l'article 2, n), ne définit comme parties prenantes au titre de l'application du devoir de vigilance que « les salariés de l'entreprise et de ses filiales ainsi que d'autres individus, groupes, communautés ou entités dont les droits ou intérêts sont ou pourraient être affectés par les produits, activités ou services de l'entreprise, de ses filiales ou de ses relations commerciales » ;
Estime qu'il convient d'y ajouter les représentants des salariés et les syndicats ainsi que les organisations de la société civile actives dans la défense des droits de l'Homme et de l'environnement, car ils sont susceptibles d'éclairer les entreprises sur les risques d'incidences négatives de leurs activités et de faciliter la mise en oeuvre des plans de vigilance ;
Préconise de distinguer les parties prenantes internes et les parties prenantes tierces afin de les associer de manière différenciée et pertinente à la mise en oeuvre du devoir de vigilance ;
Demande qu'il soit prévu que les parties prenantes internes soient systématiquement associées au recensement des incidences négatives réelles et potentielles (article 6), à l'élaboration et au suivi du plan d'action en matière de prévention des incidences négatives, y compris des codes de conduite (article 7), au suivi de la suppression des incidences négatives réelles (article 8), leur participation effective permettant de surcroît de renforcer l'efficacité de la mise en oeuvre des mesures de réduction et de suppression de ces incidences ;
Estime qu'outre les individus, groupes, communautés ou entités dont les droits ou intérêts sont ou pourraient être affectés, mentionnées par la proposition de directive, doivent également être consultées les organisations de la société civile locales ou internationales actives dans la défense des droits de l'Homme et de l'environnement, dans la mesure où elles ont une connaissance du contexte environnemental, social et humain de production ou de distribution de tout ou partie de la chaîne de valeur concernée ;
Considère qu'il est important que les parties prenantes soient également consultées sur la procédure de recueil et de traitement des plaintes qui doit être mise en place par l'entreprise concernée, afin que cette procédure soit facilement accessible et adaptée aux différents types de plaignants ;
Estime que le plaignant doit non seulement pouvoir demander un suivi de sa plainte mais également être informé par l'entreprise des suites données à celle-ci ;
· Élargir les missions des autorités de contrôle nationales à un rôle de conseil et de médiation
Considérant que des autorités de contrôle nationales, dotées de pouvoirs en matière d'enquête et d'inspection, ayant la faculté de demander à l'entreprise concernée de prendre des mesures correctrices, de lui adresser des injonctions et d'adopter des mesures provisoires et d'imposer des sanctions pécuniaires, seraient chargées de surveiller le respect de leurs obligations par les entreprises ;
Estime qu'il devrait être précisé qu'il reste possible, lorsque la législation nationale le prévoit, de saisir le juge dans le cadre d'un référé préventif en cas de trouble manifestement illicite ;
Demande qu'il soit prévu que ces autorités de contrôle nationales puissent éclairer les entreprises sur leurs obligations de vigilance en matière de durabilité et répondre à leurs questions sur des modalités concrètes de mise en oeuvre de celles-ci, sans toutefois que la réalisation d'une analyse de conformité puisse empêcher l'ouverture ultérieure d'une procédure d'enquête ;
Préconise la mise en place d'une procédure de médiation facultative sous l'égide de l'autorité de contrôle compétente, lorsque cette procédure est susceptible de permettre à l'entreprise de définir des mesures de prévention ou de traitement des incidences en concertation avec les plaignants et les parties prenantes ;
Considérant qu'il est prévu de mettre en place un réseau européen réunissant ces autorités de contrôle afin de faciliter leur coopération, y compris les échanges d'informations, ainsi que la coordination et l'alignement des pratiques de contrôle et la répartition des compétences entre elles ;
Recommande que ce réseau centralise et publie également des informations permettant de nourrir la cartographie des risques d'incidences négatives ;
Préconise, lorsque plusieurs autorités de contrôle nationales sont susceptibles d'être compétentes, de mettre en place un mécanisme de désignation de l'autorité compétente ou, lorsque cela est préférable, d'une autorité chef de file ;
· Faciliter l'accès des victimes à la justice
Considérant que la responsabilité civile de l'entreprise n'est susceptible d'être engagée que si le dommage résulte de la méconnaissance de ses obligations de prévention des incidences négatives potentielles ou de la non suppression des incidences négatives réelles définies par le texte, et qu'il en est résulté une incidence négative qui aurait dû être recensée, évitée, atténuée, supprimée ou réduite au minimum ;
Considérant toutefois qu'il est prévu que l'entreprise ne peut être tenue responsable des dommages causés par un partenaire indirect avec lequel elle entretient une relation commerciale, sauf s'il est établi qu'elle n'aurait pas pu raisonnablement s'attendre à ce que les mesures effectivement prises par ce partenaire fussent suffisantes pour prévenir, atténuer, supprimer ou réduire au minimum l'incidence négative ;
Considérant que les victimes de tels dommages ne sont souvent pas en mesure d'accéder aux informations utiles ou de les exploiter pour saisir utilement le juge compétent ;
Rappelle les dispositions de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en matière de droit à un recours effectif ;
Estime indispensable que les victimes puissent être représentées au contentieux par un syndicat, une association ou une organisation de la société civile, sous réserve que la représentativité de celle-ci, son objet et son caractère non lucratif et d'intérêt public soient vérifiés par le juge ;
Demande qu'il soit précisé que les communautés touchées puissent recevoir une compensation financière lorsque le dommage a une portée globale ;
· Tenir compte de l'organisation de la gouvernance de l'entreprise
Considérant que le devoir de vigilance doit être intégré dans les politiques des entreprises, selon les modalités définies à l'article 5, et qu'il est de ce fait un élément clé de leur stratégie;
Estime que la définition des obligations des différents acteurs de la gouvernance doit tenir compte de leur rôle respectif dans celle-ci, en distinguant notamment les dirigeants exécutifs, qui sont chargés de la déclinaison et de la mise en oeuvre du devoir de vigilance de l'entreprise, et les structures collectives qui définissent les grandes orientations stratégiques de l'entreprise en la matière ;
S'interroge sur la portée de l'article 25, qui semble s'immiscer, sans base légale apparente, dans le fonctionnement interne des entreprises ;
· Introduire un mécanisme incitatif dans la commande publique
Considérant que les entités publiques ne sont pas dans le champ d'application du devoir de vigilance défini par la proposition, alors qu'il est nécessaire que les financements publics soient prioritairement dirigés vers des acteurs économiques efficaces en matière de durabilité ;
Préconise que, comme en matière de clauses sociales et environnementales, les donneurs d'ordres aient la possibilité d'introduire dans la commande publique des clauses relatives à l'existence d'un plan de vigilance ;
· Prévoir une application rapprochée mais progressive
Considérant que la mise en oeuvre du devoir de vigilance est un processus complexe, qui exige du temps et des moyens, notamment pour ce qui est de l'identification des partenaires dans les chaînes de valeur, qui peuvent notamment comprendre, dans certains groupes, un très grand nombre de fournisseurs et de sous-traitants à travers le monde, ainsi qu'un très grand nombre de distributeurs ;
Préconise d'autoriser l'entreprise à mettre en oeuvre par étapes l'évaluation des effets négatifs, potentiels ou réels de ses activités, dans la chaîne de valeur, et les mesures qu'ils appellent, en prévoyant a minima une application immédiate aux fournisseurs et clients directs ou aisément identifiables puis, progressivement, aux rangs suivants, si l'entreprise n'est pas en capacité d'y procéder immédiatement ;
· Veiller à l'articulation et à la cohérence avec d'autres législations
Considérant que le devoir de vigilance présente un caractère transversal et doit être articulé avec d'autres législations européennes ;
Considérant que la proposition de directive sur la publication des informations des entreprises en matière non-financière (CSRD) intègre la déclaration annuelle en matière de vigilance dans la déclaration de performance extra-financière (DPEF) ;
Attire l'attention sur le fait qu'il ne faudrait pas qu'il en résulte une approche du devoir de vigilance prioritairement tournée vers les actionnaires alors qu'il concerne au premier chef la protection des parties prenantes internes et tierces, et doit être construit dans cette perspective ;
Considérant que certaines entreprises sont soumises à des législations sectorielles en matière de durabilité, en particulier dans les secteurs à risques ;
Estime que l'instauration d'un devoir de vigilance général ne doit pas conduire à superposer les procédures et alourdir inutilement les charges desdites entreprises, par exemple en matière de traitement du bois ou d'extraction de minerais de conflit ou encore de biens à double usage ;
Préconise en conséquence un examen approfondi de l'articulation du devoir de vigilance général avec ces autres normes sectorielles pour s'assurer de leur cohérence, et l'introduction, le cas échéant, des modifications nécessaires dans ces normes afin de dispenser ces entreprises d'appliquer le régime général ;
Considérant que la Commission européenne a indiqué que certains aspects importants du devoir de vigilance seraient traités dans des textes spécifiques, en particulier en matière de corruption, alors même qu'on peut constater des liens directs entre ces pratiques et le non- respect du devoir de vigilance ;
Demande qu'il soit rapidement procédé à une mise à jour des textes concernés ;
Considérant que l'article 15 impose aux entreprises dont les activités ont un fort impact sur les droits de l'Homme et l'environnement d'adopter un plan visant à garantir que leur modèle et leur stratégie sont compatibles avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique, conformément à l'accord de Paris ;
Considérant que le §2 de cet article évoque l'inclusion d'objectifs dans ce plan et prévoit leur intégration dans le périmètre du devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ;
Considérant que la lutte contre le changement climatique ne figure pourtant pas dans l'annexe et ne relève donc pas du périmètre du devoir de vigilance, alors que certaines activités ont incontestablement des effets négatifs en matière climatique ;
Souhaite qu'un lien plus précis soit établi entre le devoir de vigilance et la lutte contre le changement climatique ;
· Promouvoir le devoir de vigilance dans le cadre des négociations commerciales
Considérant que la durabilité est un enjeu mondial et que l'Union européenne doit veiller à ne pas importer de produits ne respectant pas les exigences qu'elle impose à ses entreprises ;
Demande que le respect du devoir de vigilance en matière de durabilité soit systématiquement inclus dans les accords commerciaux en cours de négociation ;
Préconise que la question soit également portée au niveau de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
- Présidence de M. Alain Cadec, vice-président -
Nous examinons à présent un autre sujet relatif à la subsidiarité qui avait retenu l'attention de notre groupe de travail subsidiarité et sur lequel notre commission avait demandé aux rapporteurs André Reichardt et Jean-Yves Leconte de se pencher : la proposition de règlement COM(2022) 658, qui tend notamment à numériser la procédure d'octroi de visa. Leur travail a permis de lever nos inquiétudes.
Mes chers collègues, comme vous le savez, lors de sa réunion du 15 juin dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission a considéré qu'il semblait pertinent d'approfondir l'examen de la proposition de règlement COM (2022) 658 final relative à la numérisation de la procédure de visa.
Il me semble d'abord utile de vous rappeler les grandes lignes de la politique européenne des visas et vous présenter le contenu de ce texte.
La politique commune des visas est fondée sur les dispositions des articles 77, paragraphe 2, point a, et 79, paragraphe 2, point a, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoient que le Parlement européen et le Conseil adoptent des mesures portant sur « la politique commune des visas et d'autres titres de séjour de courte durée » et sur « les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée ».
Elle se caractérise par trois dispositifs.
Premièrement, le code communautaire des visas, prévu à l'heure actuelle par le règlement (CE) 810/2009 du 13 juillet 2009 et modifié en 2020, définit les modalités de demande, d'octroi et de refus des visas, et encadre les modalités de coopération entre États membres.
Deuxièmement, sur la base d'une évaluation au cas par cas, l'Union européenne a fixé la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, pour des séjours dont la durée n'excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours. À partir de 2023, ils seront soumis au système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS), qui est l'équivalent du système électronique d'autorisation de voyage (ESTA) américain.
Troisièmement, enfin, depuis 2011, un système d'information spécifique, le système d'information sur les visas (VIS), a été mis en place pour recueillir l'ensemble des informations relatives aux demandes de visas.
Quelle est, à l'heure actuelle, la procédure de demande de visa ?
Sauf exceptions limitées, une demande de visa est examinée par le consulat territorialement compétent de l'État membre sollicité par le demandeur.
Toutefois, dans la plupart des cas, les services consulaires font appel à un prestataire extérieur habilité pour accueillir les demandeurs et enregistrer leur demande de visa. Le demandeur doit alors prendre rendez-vous auprès de ce prestataire et se présenter en personne avec plusieurs documents, dont un document de voyage (passeport) d'une durée de validité d'au moins trois mois et délivré depuis moins de dix mois. Compte tenu de la capacité d'examen du poste consulaire compétent, ce nombre de rendez-vous quotidiens est limité, ce qui engendre de longs délais d'attente.
Lors du rendez-vous, le demandeur soumet un formulaire de demande, rempli à la main ou par voie électronique. Le prestataire perçoit le montant des droits de visa (dont le montant est aujourd'hui de 80 euros ou de 35 euros en cas de facilités accordées à certains pays tiers), collecte la photographie et les empreintes digitales du demandeur et conserve son passeport et ses justificatifs pour les transmettre au consulat.
Le consulat vérifie ensuite si le demandeur respecte les conditions d'entrée dans l'espace Schengen en consultant le VIS (par exemple, la fiabilité du document de voyage, la justification du séjour envisagé ou l'absence de menace à l'ordre public) et examine la demande de visa. Au terme de cet examen, si le demandeur ou ses documents ne répondent pas aux exigences requises, le visa est refusé. Si, en revanche, le visa est accordé, une vignette-visa est apposée sur le document de voyage du demandeur. En principe, ce consulat se prononce sur cette demande dans un délai de quinze jours.
Les justifications de la réforme envisagée par la Commission européenne sont les suivantes.
À l'heure actuelle, dans plusieurs États membres, le traitement des visas est partiellement numérisé. Ainsi, en France, le site internet France-Visas permet d'être informé de ses droits et des démarches à effectuer, et de compléter sa demande de visa en ligne.
Mais certaines démarches telles que la délivrance du visa sous forme d'une vignette-visa ou le paiement des droits de visa continuent de s'effectuer sur support papier.
Or, selon la Commission européenne, le « patchwork » actuel des 27 procédures nationales génère de longs délais et des coûts de gestion élevés.
Par ailleurs, la vignette-visa utilisée à l'heure actuelle est manifestement vulnérable à la contrefaçon et à la falsification. Elle peut aussi être volée. Il existe également des difficultés de stockage des documents papier qui sont transmis.
Enfin, la Commission européenne souhaite mettre en garde contre le risque de « visa shopping » des demandeurs : en effet, ces derniers « pourraient être tentés de demander un visa à un État membre dont la procédure de demande de visa est rapide plutôt qu'à l'État membre dans lequel ils souhaitent réellement se rendre ». Quoi qu'il en soit, après nos auditions, nous ne voyons pas trop comment les nouvelles dispositions permettraient de remédier à ce risque.
Mais voilà pourquoi les institutions européennes, depuis 2017, ont débattu de la mise en place d'une solution commune afin de permettre l'introduction en ligne des demandes de visa Schengen. En outre, cette évolution prolongerait la révision du code des visas intervenue en 2020, qui a déjà autorisé la possibilité de formuler des demandes par visa électronique et d'utiliser la signature électronique.
La proposition de règlement, qui répond à cet objectif, a été soumise à notre examen. Elle tend à modifier plusieurs textes européens, au premier rang desquels le code communautaire des visas pour instituer une numérisation plus complète de la procédure de visa.
Tout d'abord, contre la fraude, un visa numérique serait institué pour les courts séjours comme pour les longs séjours, ce qui rendrait inutile la vignette-visa physique utilisée aujourd'hui.
Par ailleurs, la proposition numériserait l'ensemble des démarches du demandeur de visa à l'exception du recueil des données biométriques, sauf dans des situations limitativement énumérées - par exemple, une délivrance de visas pour raisons humanitaires ou aux personnalités officielles pour leurs déplacements.
Pour ce faire, les demandeurs de visas utiliseraient une plateforme informatique dédiée dont le développement serait assuré par l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA). Dans les faits, cette plateforme pourrait être utilisée pour les communications sécurisées avec le consulat, pour la gestion des prises de rendez-vous, pour l'établissement des demandes de visa, pour la vérification automatisée de la recevabilité, pour le paiement des droits de visa et pour la notification de la décision prise.
De plus, la plateforme serait interopérable avec le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) et avec le système entrée/sortie de l'espace Schengen (EES).
Le directeur de l'immigration du ministère de l'intérieur, que nous avons auditionné, nous a dressé un tableau très sombre de la situation, en nous vantant les mérites du programme France-Visas. Il a en effet expliqué, sans vraiment le justifier, que la plateforme européenne risquait de remettre en cause les choix effectués par la France et de compliquer le projet d'interfaçage des systèmes de gestion des visas et des applications pertinentes pour le droit au séjour.
Il a aussi indiqué qu'il pourrait y avoir impossibilité de faire appel à des prestataires dans le traitement des demandes des visas. Mais sur ce point, il a été contredit par le représentant de la direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne. Il est certain, en revanche, qu'avec la plateforme, les États membres auraient sans doute plus de difficultés à réguler les demandes qui leur sont faites. En effet, ces demandes seraient enregistrées sur la plateforme, puis immédiatement soumises par elle au consulat concerné. Elles feraient ensuite l'objet d'alertes automatisées ainsi que d'un suivi en direct par le demandeur sans que les consulats puissent réguler les demandes qui leur arrivent.
Toutefois, le ministère fait sans doute « monter la pression » dans la perspective de ses négociations avec la Commission européenne.
En réalité, cette réforme va plutôt dans le bon sens. Elle doit en effet être une source d'économies d'échelle et d'homogénéisation européenne des pratiques. Elle doit mettre en place un système interconnecté à ETIAS.
De surcroît, elle contraindra certainement le Gouvernement à ne pas rester nonchalant face à nos difficultés « franco-françaises ». Ainsi, au cours des derniers mois, j'ai pu constater de graves dysfonctionnements dans la délivrance des visas par nos postes consulaires. En particulier, un allongement anormal des délais de délivrance dans nos consulats et des prises d'empreintes digitales défectueuses dans près de 40 % des cas, qui obligent alors les demandeurs à se présenter de nouveau pour un second relevé.
Le ministère a confirmé que dans les postes, les effectifs en charge de l'instruction des visas ont été réduits depuis 2019 de 852 à 808,5 équivalents temps plein (ETP). Pour le 1er septembre 2022, ce nombre devait en principe remonter à 819, mais en pratique les ETP manquants demeurent non dotés. J'ajoute que de nombreux étudiants reviennent dans leur pays d'origine faute d'avoir pu avoir un rendez-vous en préfecture pour obtenir leur titre de séjour, ce qui multiplie les difficultés des consulats.
On déplore également une tendance de nos postes diplomatiques et consulaires à refuser des visas sans apporter d'explication probante, sans doute pour éviter les observations de leurs autorités de tutelle, ce qui engendre de nombreux contentieux. Enfin, dans nos postes consulaires du Maghreb, les annonces gouvernementales qui ont fixé pour objectif de diminuer de moitié le nombre de visas de court séjour délivrés sont incompatibles avec le code communautaire des visas, qui exige un examen individuel et objectif de chaque demande.
Cette situation est préoccupante. Elle nécessite notre suivi vigilant. Je viens d'ailleurs d'écrire à ce sujet à Mme la Première ministre.
Avant de formuler quelques remarques sur la proposition et de vous indiquer pourquoi nous ne vous proposerons finalement pas d'avis motivé au titre du contrôle de subsidiarité, je voudrais remercier, au nom de Jean-Yves Leconte et de moi-même, Claire Aldigé, responsable de France-Visas, ainsi que Simon Fetet, directeur de l'immigration au ministère de l'intérieur, et Antoine Savary de la direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne, dont les auditions nous ont été très utiles.
Je voudrais formuler maintenant quelques observations sur le fond.
Première observation : dans son principe, la proposition de règlement présentée comporte des éléments intéressants.
Ainsi, l'interopérabilité de la nouvelle plateforme européenne avec le système ETIAS et le système entrée/sortie va dans le bon sens. Cela va permettre une information plus fiable sur les passages aux frontières et le statut des voyageurs dans l'espace Schengen. Tout ceci au profit de la libre circulation.
Par ailleurs, en matière de sécurité, la Commission européenne a exclu toute base centrale européenne qui recueillerait durablement l'ensemble des données personnelles enregistrées à l'occasion des demandes de visas. En effet, les données personnelles d'un demandeur de visa, après une conservation provisoire dans le système central, seraient transférées dans les bases de données de l'État membre ayant pris en charge l'instruction de la demande. Ce système décentralisé permet de limiter les pertes de données en cas de cyberattaque.
Deuxième observation : la France a été pionnière dans la numérisation de la procédure de visa avec la plateforme France-Visas, et il faut s'en féliciter.
En effet, à l'heure actuelle, avec France-Visas, les personnes demandant un visa pour séjourner dans notre pays peuvent s'informer sur leurs droits et déposer leur demande en ligne. Pour les étudiants, la procédure est quasiment intégralement numérisée même si, Jean-Yves Leconte l'a noté, il existe des problèmes de délai.
Pour rappel, France-Visas existe depuis 2018. Le programme est intégralement déployé auprès des prestataires et doit l'être dans 93 % des postes consulaires d'ici à la fin de l'année. La France a donc pris les devants.
Mais pour notre pays, le principal enjeu de fond est désormais de s'assurer que la réforme européenne et France-Visas sont compatibles. C'est ma troisième observation.
À cet égard, tout comme Jean-Yves Leconte le soulignait, j'ai été frappé par les multiples interrogations exprimées sur le projet par le ministère de l'intérieur lors de nos auditions.
Il existe manifestement des points d'achoppement réels sur ce dossier, que le ministère, parce qu'il a été « bridé » par la présidence française de l'Union européenne (PFUE), n'a pas encore voulu évoquer publiquement. Mais ils vont faire l'objet de négociations serrées avec la Commission européenne à compter du 1er juillet prochain.
Concernant l'architecture globale, on peut le dire, le ministère de l'intérieur a longtemps espéré que la plateforme européenne de demande de visas en ligne resterait facultative, ce qui lui aurait permis de continuer à développer France-Visas « à sa main ».
Mais dès lors que la Commission européenne a fait le choix d'une plateforme européenne obligatoire, nous risquons d'avoir « deux applications » pour le suivi des demandes de visas au lieu d'une.
Certes, pour la Commission européenne, il faut lever tout malentendu : les équipements et investissements déjà déployés avec France-Visas ne seront pas mis de côté. Les deux systèmes pourront être aisément interconnectés.
Mais, comme le souligne le ministère, la nouvelle plateforme européenne serait utilisée pour le dépôt et le suivi des demandes de visas de court séjour alors que France-Visas resterait en service pour l'instruction de ces visas, ainsi que pour les visas de long séjour et les visas Outre-mer, en raison de leurs spécificités. De plus, en l'état du dossier, il n'y aurait pas de « guichet unique » pour les demandes, ce qui risque d'égarer les demandeurs de visas.
Cela fait beaucoup de points d'interrogation. Il faut vite rectifier le tir, car nous voyons à ce stade émerger un risque de « doublon » administratif.
Par ailleurs, concernant les estimations de la Commission européenne sur le coût du projet pour la France et sur les enveloppes budgétaires nécessaires, « le compte n'y est pas ». Ainsi, les montants prévus, à savoir 300 000 euros pour l'adaptation des systèmes existants, 500 000 euros pour la maintenance et 3 millions d'euros pour le stockage des données sont nettement sous-évalués selon le ministère de l'intérieur.
Là encore, la France et la Commission européenne vont devoir clarifier la répartition de la prise en charge de l'effort.
C'est pourquoi il faut constater que la souplesse du calendrier prévu pour la mise en oeuvre du projet est bienvenue : elle devrait permettre les négociations et les arbitrages pour savoir « qui fait quoi » et surtout « qui paie quoi ». C'est ma quatrième observation.
Dans cette perspective, le développement de la plateforme européenne interviendrait sur la période 2024-2025. Sa mise en oeuvre débuterait en 2026 et le raccordement général des systèmes des États membres aurait lieu à échéance 2031.
En conclusion, comme vous le voyez, il reste beaucoup de travail à faire et nous resterons attentifs à l'évolution de ce dossier. On peut simplement déplorer qu'il n'y ait pas eu plus de dialogue en amont entre les différents acteurs du dossier et pas plus de vigilance sur l'état d'avancement des projets dans les États membres.
J'en viens maintenant au contrôle de subsidiarité.
Dans son ensemble, et sous réserve des quelques interrogations de fond que nous venons d'exprimer, le texte semble constituer une amélioration du droit en vigueur.
En outre, la proposition de règlement est fondée sur des bases juridiques pertinentes, plus particulièrement les articles 77 et 79 du TFUE déjà évoqués par Jean-Yves Leconte dans son intervention.
En revanche, une disposition suscitait une interrogation de principe au sujet de leur conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il s'agit de l'article premier de la proposition qui complète les articles 11 et 32 du code communautaire des visas pour permettre à la Commission européenne de modifier les modèles de formulaires de demande de visa et de notification de refus de visa, prévus aux annexes I et VI du code, par la voie d'actes délégués.
Aux termes de l'article 290 du TFUE, les actes délégués sont « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ».
À l'heure actuelle, la Commission européenne dispose d'une simple compétence d'exécution pour modifier les formulaires de visas qui semble suffisante. La nécessité de la délégation de compétences envisagée n'apparaît donc pas évidente.
Toutefois, après un examen approfondi du dispositif, on peut conclure que ces formulaires de visas ne constituent pas un élément essentiel du code. Le ministère de l'intérieur partage cette analyse : en effet, ces formulaires ne sont que le reflet des dispositions du code qui, elles, sont soumises à un examen par le Conseil, par le Parlement européen et par les parlements nationaux.
Dans les faits, si la Commission européenne voulait modifier ces documents par un acte délégué, elle solliciterait l'accord préalable des États membres, car ce sont leurs consulats qui utilisent tous les jours ces documents et ils ne laisseraient pas passer des modifications qui les rendraient incohérents ou juridiquement fragiles.
Dans ces conditions, nous ne vous proposons donc pas d'adopter d'avis motivé.
Merci, chers collègues, pour cette communication et cet éclairage sur la numérisation de la procédure de visa.
J'ai une question spécifique sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse, que je connais bien et où je me suis rendue encore récemment. Cet aéroport international, qui est situé en territoire français mais qui dispose d'un statut particulier franco-suisse, accueille des vols qui viennent de tous les pays du monde. Or, selon mes informations, il y aurait été constaté que des passagers disposant de visas valides étaient recherchés pour meurtre. Si cela est vrai, comment une telle situation est-elle possible ? Tous les jours, l'aéroport doit être en mesure de refouler des personnes. Je vais sans doute examiner plus précisément cette question.
À l'heure actuelle, un certain nombre de fichiers nationaux ne sont pas partagés dans le « fichier visa » par les États membres. C'est pourquoi les consulats n'ont pas accès à certaines informations, contrairement à la police aux frontières (PAF). Il nous faut donc travailler à l'interconnexion d'un plus grand nombre de fichiers.
Dans cette perspective, à partir de l'année prochaine, le système ETIAS entrera en vigueur, soit l'équivalent de l'ESTA lorsque l'on va aux États-Unis. Toutes les personnes qui ne sont pas soumises à visa devront subir un certain nombre de vérifications.
À l'avenir, la Commission européenne aura ainsi une certaine visibilité sur la manière dont chaque État membre traite les demandes de visa qui lui sont faites, alors qu'aujourd'hui la compétence est uniquement nationale. Elle aura donc la capacité de superviser la procédure et de vérifier les délais.
Nous allons entendre notre collègue Alain Milon, premier vice-président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). En présence de nos collègues membres de cette délégation, qui ont été invités à notre réunion, il va nous rendre compte, à chaud, de la troisième partie de session de l'APCE qui s'est tenue la semaine dernière, dans le contexte de la guerre en Ukraine qui dure depuis déjà quatre mois.
Monsieur le président, mes chers collègues, avec sept de nos collègues, je me suis rendu à Strasbourg la semaine dernière pour participer à la troisième partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il s'agissait de la première partie de session à se tenir exclusivement « en présentiel » depuis le début de la pandémie de covid-19.
La participation sénatoriale a donc été très forte en cette semaine particulière, puisqu'elle se tenait immédiatement après le second tour des élections législatives. Sur les vingt-quatre députés membres de la délégation sortante, huit ont été réélus ; douze ont été battus, dont la présidente de la délégation, Nicole Trisse ; quatre ne se sont pas représentés. Le renouvellement de la délégation, qui interviendra d'ici à la prochaine partie de session en octobre, sera donc très important.
Cette mobilisation sénatoriale s'est traduite par une forte implication dans les débats de l'Assemblée. Je veux, en particulier, souligner que Bernard Fournier a présenté en séance plénière un rapport sur le respect par Malte des obligations découlant de son adhésion au Conseil de l'Europe. De son côté, Claude Kern a présenté en commission des questions politiques et de la démocratie une communication sur la situation politique en Tunisie.
Deux députés ont également présenté des rapports en séance publique : Jacques Maire, sur l'examen du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement de la République kirghize, et Frédéric Reiss, sur « le contrôle de la communication en ligne : une menace pour le pluralisme des médias, la liberté d'information et la dignité humaine ».
Enfin, une députée, Jennifer de Temmerman, a présenté un rapport sur la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement en produits médicaux devant la commission des questions sociales.
Cette session d'été a évidemment été marquée par les suites de l'agression russe contre l'Ukraine. Je voudrais, à cet égard, relever quelques points.
Premièrement, nous avons débattu de la notion de la sécurité en Europe et du rôle du Conseil de l'Europe dans ce contexte, sur le rapport de Bogdan Klich, le président de la commission des affaires européennes du Sénat polonais.
L'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe amène à repenser l'organisation pour faire face aux nouveaux enjeux. Elle doit, en outre, faire face à une équation budgétaire qui n'est pas évidente à résoudre à ce stade, même si les États membres ont accepté de compenser pour cette année le montant de la contribution russe au budget.
Un quatrième sommet des chefs d'État ou de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe est désormais sur les rails : il apparaît nécessaire pour tenir compte du nouveau contexte géopolitique, mais aussi pour réaffirmer les engagements communs.
Cela apparaît d'autant plus nécessaire qu'on assiste à une offensive de plusieurs États membres contre l'État de droit et les droits de l'Homme, ainsi qu'à une remise en cause du rôle de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). La dernière en date étant celle du Royaume-Uni, j'y reviendrai.
Le Conseil de l'Europe tâtonne également pour trouver la bonne formule afin de soutenir la société civile indépendante en Russie et en Biélorussie, qui ne font pas ou ne font plus partie de l'organisation. J'ai moi-même interrogé la cheffe de file de l'opposition en Biélorussie, Mme Tikhanovskaia, sur ce point.
La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe a mis en place un groupe de sept sages dans la perspective de ce sommet des chefs d'État ou de gouvernement. L'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve en fait partie et notre délégation essaiera de l'auditionner d'ici à la fin du mois de juillet. Une commission ad hoc a également été constituée au sein de l'Assemblée parlementaire afin de faire entendre sa voix en vue du sommet.
Parmi les autres débats que nous avons eus en lien avec la guerre en Ukraine, je signale deux rapports, l'un sur les droits de l'Homme dans le Caucase du Nord et l'autre sur les cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie, qui témoignent de l'ampleur de la répression qui s'y abat. Des parlementaires ukrainiens nous ont rapporté que des déportations par train étaient organisés par les Russes en Ukraine. Nul ne sait ce qu'il advient des prisonniers...
Nous avons également tenu un débat sur les conséquences humanitaires et les migrations liées à l'agression russe contre l'Ukraine, sur la protection et la prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés, ainsi que sur la justice et la sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation.
Enfin, un débat spécifique a eu lieu sur l'attentat contre le vol MH17, abattu par un missile d'origine russe alors qu'il survolait l'est de l'Ukraine. Ce débat a pris un relief particulier puisque la conclusion s'est tenue en présence du Roi des Pays-Bas, pays dont 198 ressortissants sont décédés lors de la destruction de cet avion.
Deux débats d'actualité ont été inscrits à l'ordre du jour, l'un sur les conséquences du blocus de la mer Noire, l'autre sur « l'accord du Royaume-Uni sur les demandeurs d'asile et la réaction critique du gouvernement concernant la décision de la CEDH » qui a eu pour conséquence de bloquer l'expulsion vers le Rwanda de demandeurs d'asile entrés illégalement au Royaume-Uni.
Bernard Fournier a pris part à ces deux débats et je voudrais évoquer plus particulièrement le second, qui a donné lieu à de très vives critiques de la position du gouvernement britannique. De nombreux parlementaires britanniques, pour l'essentiel travaillistes, sont intervenus, notamment l'ancien leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn.
Le gouvernement britannique a signé un accord avec le gouvernement du Rwanda pour permettre le transfert des demandeurs d'asile arrivés illégalement sur le territoire du Royaume-Uni vers le Rwanda. C'est là que leurs demandes d'asile seront désormais examinées. Financé par Londres à hauteur de 141 millions d'euros, il vise à dissuader les traversées clandestines de la Manche.
À son annonce, l'accord a suscité de nombreuses critiques et la Cour européenne des droits de l'Homme, qui avait été saisie, a suspendu à titre provisoire une décision du gouvernement britannique concernant un ressortissant irakien qui avait demandé l'asile à son arrivée au Royaume-Uni et risquait d'être refoulé vers le Rwanda dans la soirée du 14 juin 2022. Le Royaume-Uni a respecté cette décision et l'avion dans lequel il se trouvait avec plusieurs autres réfugiés n'a donc pas décollé.
Mais le gouvernement britannique a vivement critiqué la décision de la Cour et a immédiatement présenté un projet de loi pour remplacer le Human rights act de 1998. Ce projet de loi, ironiquement intitulé Bill of rights, vient directement remettre en cause la primauté des décisions et arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme dans un certain nombre de cas. Le gouvernement britannique indique que le Royaume-Uni restera partie à la Convention, mais il suit un chemin de contestation de la Cour européenne des droits de l'Homme qui sera sans nul doute exploité par d'autres États et instrumentalisé par la Fédération de Russie.
C'est un sujet de préoccupation important, qui renvoie aux travaux de la mission d'information dont notre collègue Philippe Bonnecarrère a été le rapporteur. Je ne doute pas qu'il animera nos débats lors des prochaines sessions.
Pour ne pas être trop long, je souhaite évoquer deux sujets sur lesquels les sénateurs de la délégation ont été très mobilisés.
Le premier concernait le rôle des partis politiques dans la promotion de la diversité et de l'inclusion. Le rapporteur suédois ayant une approche diamétralement opposée aux conceptions républicaines françaises, nous avons rappelé certains fondamentaux de notre philosophie républicaine, sans le convaincre - il faut bien le dire. Nous aurons encore l'occasion de ferrailler avec lui à cet égard lorsqu'il présentera un rapport sur la lutte contre l'islamophobie. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, il avait rencontré nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien. Il est clair qu'au Conseil de l'Europe nous jouons largement en défense sur ces thèmes.
Le deuxième sujet concerne la prévention et la lutte contre l'antisémitisme. La présidente de la délégation française avait parrainé un événement organisé par le rabbin de Strasbourg, et le débat que nous avons eu, tenu en présence de la grande rabbine de Stockholm, a un écho significatif.
Je vous renvoie à mon prochain rapport pour une vision détaillée de nos échanges et de cette session. Bien entendu, mes collègues membres de la délégation pourront compléter cette présentation s'ils le souhaitent.
Je veux, pour terminer, signaler qu'au moment où le statut de candidat à l'Union européenne a été accordé à l'Ukraine et à la Moldavie, le Parlement ukrainien a accompli un pas symbolique important en ratifiant la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. J'ai pu saluer cette démarche auprès de la présidente de la délégation ukrainienne, lors d'une cérémonie organisée par la représentation française rassemblant les experts du Grevio, le groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur l'action contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
Voilà, Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire sur cette session, qui a été fort intéressante et surtout instructive sur les tensions entre certains États. Les Serbes, notamment, ont été particulièrement agressifs vis-à-vis des Kosovars. Par ailleurs, lors d'une précédente réunion, les Azéris et les Arméniens en étaient presque venus aux mains...
C'est l'entente cordiale ! Merci beaucoup pour cette communication. De nombreux points sont intéressants, notamment l'exclusion de la Russie et l'affaire « rwandaise ». L'attitude des Britanniques me fait penser à un certain groupe politique, en France, qui parlait de « désobéissance » par rapport aux règles de l'Union européenne. C'est un peu ce qui se passe, en l'occurrence...
Effectivement, ce qui se produit entre le Rwanda et le Royaume-Uni est particulièrement préoccupant. Le Royaume-Uni a peut-être quelques défauts, mais il a une tradition juridique assez claire : lorsqu'il s'engage sur un certain nombre de traités internationaux, il les respecte. Le fait qu'il envisage une révolution dans la hiérarchie des normes est inquiétant à plus d'un titre, notamment pour l'exemple qu'il donnerait aux autres pays sur le plan juridique, mais aussi moral.
La position du Royaume-Uni est certes préoccupante, mais elle fait suite à plusieurs décisions du gouvernement britannique tout aussi alarmantes. Je pense aux interrogations relatives à la primauté de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur le droit britannique ainsi qu'à la remise en cause de l'accord de sortie de l'Union européenne et du protocole nord-irlandais. Aujourd'hui, le gouvernement britannique a tendance à vouloir remettre en cause sa signature et son engagement sur un certain nombre de sujets. C'est une difficulté en soi, mais c'est aussi une énorme difficulté par capillarité. Si un pays comme le Royaume-Uni ne tient pas ses engagements internationaux, qu'en sera-t-il des autres ? C'est très grave, surtout dans un contexte de grandes tensions : entre la Serbie et le Kosovo, entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord, entre la Turquie et la Grèce... On voit bien que le monde s'est beaucoup crispé en quelques années.
Nous sommes dans une période plus que troublée. Cela se ressent au niveau du Conseil de l'Europe, qui est l'Europe géographique élargie à la Turquie, à l'Azerbaïdjan, à l'Arménie, etc. Plus les Balkans. Or l'attitude de la Serbie, candidate à l'adhésion à l'Union européenne, n'est pas nouvelle. C'est un pays proche idéologiquement de la Russie et très nationaliste. Ce dernier point est antinomique avec le désir d'entrer dans l'Union européenne.
Quant à l'attitude des Britanniques, elle est effectivement surprenante. Mais, dans la ligne du Brexit, on peut lire le désir du gouvernement de Boris Johnson de prendre ses distances avec l'Europe, y compris en matière d'immigration.
En fin de semaine se tiendra la première réunion plénière de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) après la pandémie de covid-19. Votre compte rendu sera précieux. On perçoit déjà que les débats seront tendus. Les Britanniques n'ont pas accordé de visa à la délégation russe. Or il faudrait que l'on puisse l'entendre. Je m'interroge sur les conséquences d'une telle situation. Avez-vous rencontré le même problème ?
Non, nous n'avons pas eu cette difficulté à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Je rappelle néanmoins qu'à l'APCE, l'exclusion de la Russie a été votée à l'unanimité.
J'ai eu l'occasion d'intervenir sur trois sujets. Tout d'abord, la situation des migrants ou réfugiés du fait des conflits, notamment les personnes fragiles, en particulier les enfants. Sur ce point, il est nécessaire de renforcer les ressources matérielles allouées par la banque de développement du Conseil de l'Europe pour venir en aides aux déplacés. Je suis également intervenu dans le cadre du débat sur l'attentat contre le vol MH17. Le Roi des Pays-Bas était présent, les familles des victimes étaient là, c'était assez émouvant. La Russie, bien sûr, nie toute implication... Enfin, la situation à Malte a également été évoquée, qu'il s'agisse de la corruption ou de la liberté de la presse. Le Conseil de l'Europe traite de questions très diverses.
À Malte, c'est compliqué depuis longtemps sur le plan des droits de l'Homme et de la liberté d'expression.
En tout état de cause, l'atmosphère était pesante en raison du conflit en Ukraine.
On note le geste des Ukrainiens, qui ont fait un effort en matière de droits des femmes, mais c'était la moindre des choses. Ils ont encore bien des progrès à accomplir dans d'autres domaines pour pouvoir remplir tous les critères d'adhésion à l'Union européenne...
On peut en tout cas observer que la participation des femmes ukrainiennes aux travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe était importante.
La réunion est close à 18 h 15.