Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 juin 2022 à 16h00
Marché intérieur économie finance fiscalité — Proposition de directive du parlement européen et du conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité com2022 71 final - examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

J'ai avec moi un document émanant d'une centaine de grandes entreprises, dont Danone, qui indique très clairement que toutes les entreprises établies dans l'Union européenne et/ou actives sur le marché intérieur devraient être couvertes par la législation. De nombreuses PME européennes reconnaissent que la responsabilité en matière de droits de l'Homme et de droit de l'environnement n'est pas une question de taille d'entreprise et que leur inclusion dans le champ d'application de la législation européenne leur donnerait plus de sécurité juridique. L'une des motivations des entreprises est d'avoir un cadre couvrant le plus largement possible la vigilance. Dès lors qu'une entreprise mettra son plan de vigilance en place - et celui-ci devra être proportionné à sa taille et à ses moyens ; on ne demandera pas la même chose à un grand groupe et à une PME -, elle sera protégée.

J'en viens maintenant à la question du périmètre de vigilance.

À la différence de la loi française, qui a une portée générale, la proposition de directive liste en annexe des obligations et interdictions précises, issues de conventions et accords internationaux, qui concernent, d'une part, les droits de l'Homme - Déclaration universelle des droits de l'Homme, pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou encore pacte international relatif aux droits civils et politiques... - et, d'autre part, l'environnement, avec la convention de Minamata sur le mercure, celle de Stockholm sur les polluants organiques persistants, celle de Bâle sur les déchets dangereux...

Une telle approche, inspirée de la loi allemande, a le mérite de conférer une portée contraignante à ces obligations et interdictions relevant du droit international, qui ne sont en principe applicables qu'aux seuls États ayant ratifié les conventions internationales. Il s'agit de passer du droit souple au droit dur, comme l'ont souligné plusieurs de nos interlocuteurs. Cette démarche peut être acceptée dans son principe, car elle clarifie les choses pour les entreprises. Il nous a toutefois semblé que son caractère très limitatif et l'absence de mention d'actualisations ultérieures méritaient à tout le moins de demander que soient visés des textes fondamentaux, comme la Convention européenne des droits de l'Homme ou la charte sociale européenne, sans oublier des textes clés en matière de protection de l'environnement.

Je signale toutefois que nous ne demandons pas d'inclure ici les accords de Paris sur la lutte contre le changement climatique. En effet, l'article 15 de la proposition de directive prévoit que les entreprises concernées devront établir un plan visant à garantir que le modèle d'entreprise et la stratégie d'entreprise sont compatibles avec la transition climatique, en particulier la limitation du réchauffement à 1,5 degré. Je ne vous le cache pas, j'aurais préféré que le texte aille plus loin. Mais, comme nous l'ont dit les services de la Commission, il faut s'en tenir à un « équilibre » si nous voulons pouvoir avancer. D'ailleurs, d'autres directives ou règlements visent l'accord de Paris.

Au-delà, il nous semble nécessaire qu'un mécanisme de mise à jour de l'annexe soit prévu pour permettre la prise en compte de nouvelles conventions. Je pense en particulier aux principes et droits fondamentaux au travail que vient d'adopter la conférence internationale du travail dans le cadre de l'OIT. Ceci me conduit d'ailleurs à demander l'inclusion de la dimension santé-sécurité au travail, comme le prévoient les lois françaises et allemandes.

La proposition de directive décrit par ailleurs les mesures de vigilance que doivent prendre les entreprises. À nos yeux, il faudrait également faciliter la mise en place de ces mesures, en particulier en guidant l'évaluation des incidences négatives potentielles ou réelles, grâce à la publication de lignes directrices sectorielles, comprenant des indicateurs précis ; en veillant à l'équilibre du cadre contractuel de prévention, sous forme de clauses et de codes de conduite, que prévoit le texte, en particulier pour qu'il ne conduise pas à reporter les responsabilités sur les partenaires commerciaux, qui peuvent être des PME ; enfin, en adaptant à leurs capacités les diligences « appropriées » que les PME partenaires devront mettre en oeuvre.

Venons-en maintenant au rôle des parties prenantes : il doit être renforcé et différencié, selon qu'il s'agit de parties prenantes internes ou externes, dans la mesure où ces parties prenantes doivent accompagner la construction et la mise en oeuvre du dispositif de vigilance.

À cet égard, la proposition de la Commission nous paraît lacunaire, motif pour lequel nous suggérons l'inclusion dans les parties prenantes des représentants des salariés et des syndicats, ainsi que des organisations de la société civile actives en matière de défense des droits humains ou de l'environnement.

Nous proposons également de mieux intégrer les parties prenantes aux différentes étapes du processus.

Concernant le processus de recueil de plaintes que les entreprises doivent mettre en place, nous recommandons que le plaignant soit informé des suites de sa plainte.

La proposition de directive propose que le contrôle du respect des obligations des entreprises en matière de vigilance soit confié à des autorités nationales réunies au sein d'un réseau européen pour faciliter les échanges d'information et harmoniser les pratiques.

Cette approche, dont il nous a été indiqué qu'elle ne conduirait pas à créer de nouvelles structures mais prendrait appui sur des autorités existantes, permettra d'assurer un contrôle effectif sur le respect de leurs obligations par les entreprises concernées. Il nous semble également indispensable que ces autorités accompagnent les entreprises dans la mise en oeuvre et soient pour elles des interlocuteurs. Une capacité de médiation nous paraît également devoir être prévue.

J'en viens maintenant à la responsabilité civile des entreprises qui est susceptible d'être recherchée par les victimes de dommages résultant d'incidences négatives qu'une entreprise aurait dû identifier, supprimer ou réduire. La proposition de directive ne prévoit pas une responsabilité civile du droit commun, mais la subordonne à un ensemble de conditions et de limites.

Pour autant, il nous semble que les victimes doivent pouvoir être accompagnées, et en particulier être représentées en cas de contentieux par un syndicat, une association ou une organisation de la société civile, sous certaines réserves, afin de prévenir les détournements orchestrés, par exemple, par un concurrent.

Par ailleurs, dans la mesure où la victime risque de ne pas être en mesure de démontrer que l'entreprise n'a pas mis en oeuvre les mesures de vigilance lui incombant, je propose, dans un amendement portant le n° 2, de compléter l'alinéa 126 pour préconiser une inversion partielle de la charge de la preuve. Dès lors que la victime a démontré l'existence d'un dommage pouvant résulter de l'une des atteintes figurant dans l'annexe, il reviendrait à l'entreprise de démontrer qu'elle a mis en oeuvre les mesures de vigilance qui lui incombaient. Cette approche n'est toutefois pas partagée par notre collègue Christine Lavarde.

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