Mes chers collègues, comme vous le savez, lors de sa réunion du 15 juin dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission a considéré qu'il semblait pertinent d'approfondir l'examen de la proposition de règlement COM (2022) 658 final relative à la numérisation de la procédure de visa.
Il me semble d'abord utile de vous rappeler les grandes lignes de la politique européenne des visas et vous présenter le contenu de ce texte.
La politique commune des visas est fondée sur les dispositions des articles 77, paragraphe 2, point a, et 79, paragraphe 2, point a, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoient que le Parlement européen et le Conseil adoptent des mesures portant sur « la politique commune des visas et d'autres titres de séjour de courte durée » et sur « les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée ».
Elle se caractérise par trois dispositifs.
Premièrement, le code communautaire des visas, prévu à l'heure actuelle par le règlement (CE) 810/2009 du 13 juillet 2009 et modifié en 2020, définit les modalités de demande, d'octroi et de refus des visas, et encadre les modalités de coopération entre États membres.
Deuxièmement, sur la base d'une évaluation au cas par cas, l'Union européenne a fixé la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, pour des séjours dont la durée n'excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours. À partir de 2023, ils seront soumis au système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS), qui est l'équivalent du système électronique d'autorisation de voyage (ESTA) américain.
Troisièmement, enfin, depuis 2011, un système d'information spécifique, le système d'information sur les visas (VIS), a été mis en place pour recueillir l'ensemble des informations relatives aux demandes de visas.
Quelle est, à l'heure actuelle, la procédure de demande de visa ?
Sauf exceptions limitées, une demande de visa est examinée par le consulat territorialement compétent de l'État membre sollicité par le demandeur.
Toutefois, dans la plupart des cas, les services consulaires font appel à un prestataire extérieur habilité pour accueillir les demandeurs et enregistrer leur demande de visa. Le demandeur doit alors prendre rendez-vous auprès de ce prestataire et se présenter en personne avec plusieurs documents, dont un document de voyage (passeport) d'une durée de validité d'au moins trois mois et délivré depuis moins de dix mois. Compte tenu de la capacité d'examen du poste consulaire compétent, ce nombre de rendez-vous quotidiens est limité, ce qui engendre de longs délais d'attente.
Lors du rendez-vous, le demandeur soumet un formulaire de demande, rempli à la main ou par voie électronique. Le prestataire perçoit le montant des droits de visa (dont le montant est aujourd'hui de 80 euros ou de 35 euros en cas de facilités accordées à certains pays tiers), collecte la photographie et les empreintes digitales du demandeur et conserve son passeport et ses justificatifs pour les transmettre au consulat.
Le consulat vérifie ensuite si le demandeur respecte les conditions d'entrée dans l'espace Schengen en consultant le VIS (par exemple, la fiabilité du document de voyage, la justification du séjour envisagé ou l'absence de menace à l'ordre public) et examine la demande de visa. Au terme de cet examen, si le demandeur ou ses documents ne répondent pas aux exigences requises, le visa est refusé. Si, en revanche, le visa est accordé, une vignette-visa est apposée sur le document de voyage du demandeur. En principe, ce consulat se prononce sur cette demande dans un délai de quinze jours.
Les justifications de la réforme envisagée par la Commission européenne sont les suivantes.
À l'heure actuelle, dans plusieurs États membres, le traitement des visas est partiellement numérisé. Ainsi, en France, le site internet France-Visas permet d'être informé de ses droits et des démarches à effectuer, et de compléter sa demande de visa en ligne.
Mais certaines démarches telles que la délivrance du visa sous forme d'une vignette-visa ou le paiement des droits de visa continuent de s'effectuer sur support papier.
Or, selon la Commission européenne, le « patchwork » actuel des 27 procédures nationales génère de longs délais et des coûts de gestion élevés.
Par ailleurs, la vignette-visa utilisée à l'heure actuelle est manifestement vulnérable à la contrefaçon et à la falsification. Elle peut aussi être volée. Il existe également des difficultés de stockage des documents papier qui sont transmis.
Enfin, la Commission européenne souhaite mettre en garde contre le risque de « visa shopping » des demandeurs : en effet, ces derniers « pourraient être tentés de demander un visa à un État membre dont la procédure de demande de visa est rapide plutôt qu'à l'État membre dans lequel ils souhaitent réellement se rendre ». Quoi qu'il en soit, après nos auditions, nous ne voyons pas trop comment les nouvelles dispositions permettraient de remédier à ce risque.
Mais voilà pourquoi les institutions européennes, depuis 2017, ont débattu de la mise en place d'une solution commune afin de permettre l'introduction en ligne des demandes de visa Schengen. En outre, cette évolution prolongerait la révision du code des visas intervenue en 2020, qui a déjà autorisé la possibilité de formuler des demandes par visa électronique et d'utiliser la signature électronique.
La proposition de règlement, qui répond à cet objectif, a été soumise à notre examen. Elle tend à modifier plusieurs textes européens, au premier rang desquels le code communautaire des visas pour instituer une numérisation plus complète de la procédure de visa.
Tout d'abord, contre la fraude, un visa numérique serait institué pour les courts séjours comme pour les longs séjours, ce qui rendrait inutile la vignette-visa physique utilisée aujourd'hui.
Par ailleurs, la proposition numériserait l'ensemble des démarches du demandeur de visa à l'exception du recueil des données biométriques, sauf dans des situations limitativement énumérées - par exemple, une délivrance de visas pour raisons humanitaires ou aux personnalités officielles pour leurs déplacements.
Pour ce faire, les demandeurs de visas utiliseraient une plateforme informatique dédiée dont le développement serait assuré par l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA). Dans les faits, cette plateforme pourrait être utilisée pour les communications sécurisées avec le consulat, pour la gestion des prises de rendez-vous, pour l'établissement des demandes de visa, pour la vérification automatisée de la recevabilité, pour le paiement des droits de visa et pour la notification de la décision prise.
De plus, la plateforme serait interopérable avec le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) et avec le système entrée/sortie de l'espace Schengen (EES).
Le directeur de l'immigration du ministère de l'intérieur, que nous avons auditionné, nous a dressé un tableau très sombre de la situation, en nous vantant les mérites du programme France-Visas. Il a en effet expliqué, sans vraiment le justifier, que la plateforme européenne risquait de remettre en cause les choix effectués par la France et de compliquer le projet d'interfaçage des systèmes de gestion des visas et des applications pertinentes pour le droit au séjour.
Il a aussi indiqué qu'il pourrait y avoir impossibilité de faire appel à des prestataires dans le traitement des demandes des visas. Mais sur ce point, il a été contredit par le représentant de la direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne. Il est certain, en revanche, qu'avec la plateforme, les États membres auraient sans doute plus de difficultés à réguler les demandes qui leur sont faites. En effet, ces demandes seraient enregistrées sur la plateforme, puis immédiatement soumises par elle au consulat concerné. Elles feraient ensuite l'objet d'alertes automatisées ainsi que d'un suivi en direct par le demandeur sans que les consulats puissent réguler les demandes qui leur arrivent.
Toutefois, le ministère fait sans doute « monter la pression » dans la perspective de ses négociations avec la Commission européenne.
En réalité, cette réforme va plutôt dans le bon sens. Elle doit en effet être une source d'économies d'échelle et d'homogénéisation européenne des pratiques. Elle doit mettre en place un système interconnecté à ETIAS.
De surcroît, elle contraindra certainement le Gouvernement à ne pas rester nonchalant face à nos difficultés « franco-françaises ». Ainsi, au cours des derniers mois, j'ai pu constater de graves dysfonctionnements dans la délivrance des visas par nos postes consulaires. En particulier, un allongement anormal des délais de délivrance dans nos consulats et des prises d'empreintes digitales défectueuses dans près de 40 % des cas, qui obligent alors les demandeurs à se présenter de nouveau pour un second relevé.
Le ministère a confirmé que dans les postes, les effectifs en charge de l'instruction des visas ont été réduits depuis 2019 de 852 à 808,5 équivalents temps plein (ETP). Pour le 1er septembre 2022, ce nombre devait en principe remonter à 819, mais en pratique les ETP manquants demeurent non dotés. J'ajoute que de nombreux étudiants reviennent dans leur pays d'origine faute d'avoir pu avoir un rendez-vous en préfecture pour obtenir leur titre de séjour, ce qui multiplie les difficultés des consulats.
On déplore également une tendance de nos postes diplomatiques et consulaires à refuser des visas sans apporter d'explication probante, sans doute pour éviter les observations de leurs autorités de tutelle, ce qui engendre de nombreux contentieux. Enfin, dans nos postes consulaires du Maghreb, les annonces gouvernementales qui ont fixé pour objectif de diminuer de moitié le nombre de visas de court séjour délivrés sont incompatibles avec le code communautaire des visas, qui exige un examen individuel et objectif de chaque demande.
Cette situation est préoccupante. Elle nécessite notre suivi vigilant. Je viens d'ailleurs d'écrire à ce sujet à Mme la Première ministre.