Avant de formuler quelques remarques sur la proposition et de vous indiquer pourquoi nous ne vous proposerons finalement pas d'avis motivé au titre du contrôle de subsidiarité, je voudrais remercier, au nom de Jean-Yves Leconte et de moi-même, Claire Aldigé, responsable de France-Visas, ainsi que Simon Fetet, directeur de l'immigration au ministère de l'intérieur, et Antoine Savary de la direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne, dont les auditions nous ont été très utiles.
Je voudrais formuler maintenant quelques observations sur le fond.
Première observation : dans son principe, la proposition de règlement présentée comporte des éléments intéressants.
Ainsi, l'interopérabilité de la nouvelle plateforme européenne avec le système ETIAS et le système entrée/sortie va dans le bon sens. Cela va permettre une information plus fiable sur les passages aux frontières et le statut des voyageurs dans l'espace Schengen. Tout ceci au profit de la libre circulation.
Par ailleurs, en matière de sécurité, la Commission européenne a exclu toute base centrale européenne qui recueillerait durablement l'ensemble des données personnelles enregistrées à l'occasion des demandes de visas. En effet, les données personnelles d'un demandeur de visa, après une conservation provisoire dans le système central, seraient transférées dans les bases de données de l'État membre ayant pris en charge l'instruction de la demande. Ce système décentralisé permet de limiter les pertes de données en cas de cyberattaque.
Deuxième observation : la France a été pionnière dans la numérisation de la procédure de visa avec la plateforme France-Visas, et il faut s'en féliciter.
En effet, à l'heure actuelle, avec France-Visas, les personnes demandant un visa pour séjourner dans notre pays peuvent s'informer sur leurs droits et déposer leur demande en ligne. Pour les étudiants, la procédure est quasiment intégralement numérisée même si, Jean-Yves Leconte l'a noté, il existe des problèmes de délai.
Pour rappel, France-Visas existe depuis 2018. Le programme est intégralement déployé auprès des prestataires et doit l'être dans 93 % des postes consulaires d'ici à la fin de l'année. La France a donc pris les devants.
Mais pour notre pays, le principal enjeu de fond est désormais de s'assurer que la réforme européenne et France-Visas sont compatibles. C'est ma troisième observation.
À cet égard, tout comme Jean-Yves Leconte le soulignait, j'ai été frappé par les multiples interrogations exprimées sur le projet par le ministère de l'intérieur lors de nos auditions.
Il existe manifestement des points d'achoppement réels sur ce dossier, que le ministère, parce qu'il a été « bridé » par la présidence française de l'Union européenne (PFUE), n'a pas encore voulu évoquer publiquement. Mais ils vont faire l'objet de négociations serrées avec la Commission européenne à compter du 1er juillet prochain.
Concernant l'architecture globale, on peut le dire, le ministère de l'intérieur a longtemps espéré que la plateforme européenne de demande de visas en ligne resterait facultative, ce qui lui aurait permis de continuer à développer France-Visas « à sa main ».
Mais dès lors que la Commission européenne a fait le choix d'une plateforme européenne obligatoire, nous risquons d'avoir « deux applications » pour le suivi des demandes de visas au lieu d'une.
Certes, pour la Commission européenne, il faut lever tout malentendu : les équipements et investissements déjà déployés avec France-Visas ne seront pas mis de côté. Les deux systèmes pourront être aisément interconnectés.
Mais, comme le souligne le ministère, la nouvelle plateforme européenne serait utilisée pour le dépôt et le suivi des demandes de visas de court séjour alors que France-Visas resterait en service pour l'instruction de ces visas, ainsi que pour les visas de long séjour et les visas Outre-mer, en raison de leurs spécificités. De plus, en l'état du dossier, il n'y aurait pas de « guichet unique » pour les demandes, ce qui risque d'égarer les demandeurs de visas.
Cela fait beaucoup de points d'interrogation. Il faut vite rectifier le tir, car nous voyons à ce stade émerger un risque de « doublon » administratif.
Par ailleurs, concernant les estimations de la Commission européenne sur le coût du projet pour la France et sur les enveloppes budgétaires nécessaires, « le compte n'y est pas ». Ainsi, les montants prévus, à savoir 300 000 euros pour l'adaptation des systèmes existants, 500 000 euros pour la maintenance et 3 millions d'euros pour le stockage des données sont nettement sous-évalués selon le ministère de l'intérieur.
Là encore, la France et la Commission européenne vont devoir clarifier la répartition de la prise en charge de l'effort.
C'est pourquoi il faut constater que la souplesse du calendrier prévu pour la mise en oeuvre du projet est bienvenue : elle devrait permettre les négociations et les arbitrages pour savoir « qui fait quoi » et surtout « qui paie quoi ». C'est ma quatrième observation.
Dans cette perspective, le développement de la plateforme européenne interviendrait sur la période 2024-2025. Sa mise en oeuvre débuterait en 2026 et le raccordement général des systèmes des États membres aurait lieu à échéance 2031.
En conclusion, comme vous le voyez, il reste beaucoup de travail à faire et nous resterons attentifs à l'évolution de ce dossier. On peut simplement déplorer qu'il n'y ait pas eu plus de dialogue en amont entre les différents acteurs du dossier et pas plus de vigilance sur l'état d'avancement des projets dans les États membres.
J'en viens maintenant au contrôle de subsidiarité.
Dans son ensemble, et sous réserve des quelques interrogations de fond que nous venons d'exprimer, le texte semble constituer une amélioration du droit en vigueur.
En outre, la proposition de règlement est fondée sur des bases juridiques pertinentes, plus particulièrement les articles 77 et 79 du TFUE déjà évoqués par Jean-Yves Leconte dans son intervention.
En revanche, une disposition suscitait une interrogation de principe au sujet de leur conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il s'agit de l'article premier de la proposition qui complète les articles 11 et 32 du code communautaire des visas pour permettre à la Commission européenne de modifier les modèles de formulaires de demande de visa et de notification de refus de visa, prévus aux annexes I et VI du code, par la voie d'actes délégués.
Aux termes de l'article 290 du TFUE, les actes délégués sont « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ».
À l'heure actuelle, la Commission européenne dispose d'une simple compétence d'exécution pour modifier les formulaires de visas qui semble suffisante. La nécessité de la délégation de compétences envisagée n'apparaît donc pas évidente.
Toutefois, après un examen approfondi du dispositif, on peut conclure que ces formulaires de visas ne constituent pas un élément essentiel du code. Le ministère de l'intérieur partage cette analyse : en effet, ces formulaires ne sont que le reflet des dispositions du code qui, elles, sont soumises à un examen par le Conseil, par le Parlement européen et par les parlements nationaux.
Dans les faits, si la Commission européenne voulait modifier ces documents par un acte délégué, elle solliciterait l'accord préalable des États membres, car ce sont leurs consulats qui utilisent tous les jours ces documents et ils ne laisseraient pas passer des modifications qui les rendraient incohérents ou juridiquement fragiles.
Dans ces conditions, nous ne vous proposons donc pas d'adopter d'avis motivé.