Intervention de Daniel Gutmann

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 2 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Daniel Gutmann avocat associé au sein du cabinet cms bureau francis lefebvre et professeur à l'université paris i panthéon-sorbonne et patrick dibout avocat associé au sein de ernst et young et professeur à l'université paris ii panthéon-assas

Daniel Gutmann, avocat associé au sein du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et professeur à l'université Paris I, Panthéon-Sorbonne :

Première question : le fait de lutter tout seul ne risque-t-il pas de renforcer l'exil ? Si, c'est évidemment un risque. Il y a en effet des exemples simples dans la pratique récente.

La règle que j'ai mentionnée tout à l'heure comme illustrant à mon avis un cas de législation déficiente dans son principe, c'est-à-dire la règle qui limite la déduction des charges financières au seul motif qu'on est détenu par un actionnaire étranger, qui prend les décisions, est à l'évidence de nature à dissuader la constitution de holdings en France.

Vous allez me dire que ce n'est pas forcément très grave, puisque ce ne sont pas les holdings pures qui créent de l'emploi. Mais il se trouve qu'il y a parfois autre chose sous les holdings pures. Et même dans certaines entreprises dont les activités sont purement financières, il y a de l'emploi.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que ce genre de règle qui ne fait pas du bien à la France.

Ensuite, les motivations qui conduisent une société à transférer son siège à l'étranger sont, me semble-t-il, extrêmement complexes. Il y a, certes, la crainte d'être soumis à une fiscalité de plus en plus lourde. Il y aussi - je pense que tous les représentants d'entreprise vous le diront, mais vous devez connaître cette antienne par coeur - l'insécurité fiscale. Si les entreprises partent, c'est parce que l'État ne respecte pas la parole qu'il donne aux acteurs économiques. Ce n'est pas notre sujet du jour, mais le fait est que c'est absolument fondamental pour comprendre l'exil, aussi bien des personnes physiques que des personnes morales.

La deuxième question est de savoir si c'est le paramètre fiscal qui peut expliquer que des entreprises se créent ailleurs qu'en France, notamment s'agissant de jeunes entreprises.

Là, je vous avoue que je suis un peu embarrassé pour répondre. Je ne sais pas trop. Mon sentiment - mais c'est plutôt un sentiment personnel, intuitif - est que lorsqu'on crée une société ailleurs qu'en France, c'est parce qu'on considère l'environnement en général, c'est-à-dire l'environnement de marché, l'environnement administratif, pas seulement fiscal. Est-il facile ou non d'y créer une société ? Y a-t-il beaucoup de charges sociales ? Va-t-on trouver rapidement des clients ? J'ai l'impression que c'est l'environnement « business » qui est à l'origine de la création de sociétés et que la fiscalité n'est que l'un des paramètres parmi tant d'autres.

Et pour répondre à votre troisième question, je crois qu'il y a tout de même des problèmes avec le ruling en France.

Si vous voulez voir le verre à moitié plein, disons que, voilà vingt ans, il était extrêmement rare pour une entreprise de pouvoir se tourner vers l'administration fiscale pour savoir comment elle entendrait traiter telle situation au regard de telle règle de droit. Par exemple, vous voulez bénéficier du crédit d'impôt recherche, et vous vous demandez si vos dépenses sont vraiment des dépenses de recherche. Il y a vingt ans, vous n'aviez pas de texte qui vous offrait la possibilité d'aller voir l'administration pour lui demander ce qu'elle en pensait. Aujourd'hui, ces textes existent. Et dans une série de domaines, il est aujourd'hui possible pour des entreprises françaises de saisir l'administration pour savoir si leurs opérations sont éligibles à tel ou tel avantage fiscal prévu par la loi, si elles ont un établissement stable en France et donc si elles doivent se déclarer pour les besoins de l'impôt en France.

L'évolution historique va par conséquent dans le bon sens et le dialogue entre administration et entreprises s'est considérablement développé. Toutefois, ce qui me paraît encore très nettement insatisfaisant, c'est que, hormis les cas dans lesquels un texte prévoit expressément la possibilité pour un contribuable de se tourner vers l'administration, la pratique demeure extrêmement fluctuante. Si vous n'êtes pas dans le cadre d'un texte pour lequel le ruling est organisé, vous envoyez une bouteille à la mer. Soit vous disposez d'un accès à un responsable de l'administration qui va faciliter l'obtention d'une réponse de l'administration fiscale, soit vous êtes un contribuable lambda ne présentant pas d'enjeu particulier, et l'administration vous répondra si elle a le temps ou si elle le juge utile ; et parfois, sa réponse vous semblera fort obscure.

Par ailleurs, il y a des cas où le ruling échoue, tout simplement parce qu'on n'ose pas aller voir l'administration. Il existe certes un rescrit « abus de droit », ce qui est louable en soi, mais je n'ai encore jamais vu un contribuable aller voir l'administration pour lui demander : « Pensez-vous que ce que je suis en train de faire ou que je m'apprête à faire, c'est de l'abus de droit ? » Parce que personne ne veut attirer l'attention de l'administration sur ce type d'opération.

Il y a donc des progrès à faire. Je crois que ces progrès sont de nature presque sociologique. Cela tient à la confiance qui peut unir l'administration au contribuable. Et puis, encore une fois, cela suppose de sortir d'une culture de la sanction.

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