Intervention de Patrick Dibout

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 2 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Daniel Gutmann avocat associé au sein du cabinet cms bureau francis lefebvre et professeur à l'université paris i panthéon-sorbonne et patrick dibout avocat associé au sein de ernst et young et professeur à l'université paris ii panthéon-assas

Patrick Dibout, et professeur à l'université Paris II, Panthéon-Assas :

avocat associé au sein de Ernst et Young, société d'avocats, et professeur à l'université Paris II, Panthéon-Assas. - Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à participer aux travaux de cette commission dont l'objet est particulièrement important dans le contexte actuel.

Je prends la parole après mon éminent collègue Daniel Gutmann, qui vous a déjà apporté de nombreuses réponses. Je m'en voudrais d'y revenir de manière répétitive, et ce d'autant plus que je suis arrivé en retard en raison d'un problème de transport, ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.

S'agissant de l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et des incidences fiscales, on peut, me semble-t-il, formuler deux types d'observations : d'une part, des observations de caractère général liées au contexte dans lequel se pose cette question du point de vue français et, d'autre part, des observations liées à quelques aspects pratiques de ce sujet.

Concernant le contexte général, il est important de rappeler que la France - même si c'est une évidence - est un pays à économie ouverte dans lequel s'applique pleinement la libre circulation des capitaux garantie par le droit communautaire avec un effet erga omnes, c'est-à-dire qui ne se limite pas à l'espace européen, mais qui s'entend de l'ensemble du monde. Par conséquent, il en résulte une exposition de la France, de son économie, de ses institutions, de ses acteurs, à la concurrence fiscale internationale qui est particulièrement vive aujourd'hui, favorisée par l'émergence, la multiplication d'entités autonomes ou de territoires disposant d'une souveraineté fiscale et qui sont prêts à se livrer à une compétition fiscale importante, d'autant plus aisée qu'ils n'ont pas à supporter des poids de dépenses publiques structurelles lourdes comme celles des États importants et historiquement très organisés comme la France.

S'agissant du contexte de la position française, il est important de rappeler que, pour ce qui concerne les transferts d'actifs hors de France, notre pays, dans son système juridique, a la particularité de disposer d'un arsenal, d'un corps de règles anti-évasion fiscale particulièrement importantes et orientées vers l'évasion excessive hors de France. Je n'en rappellerai pas le détail puisque vous le connaissez.

Je soulignerai simplement que la tendance constatée dans les États émergents aujourd'hui est plutôt celle d'un contrôle et d'une répression de l'entrée des capitaux que de leur sortie. C'est un mouvement inverse et symétrique qui peut être illustré par les évolutions récentes, par exemple du Brésil et de la Chine.

Le système français est également complexe avec des règles spécifiques anti-abus et anti-évasion fiscale, mais aussi - cela a été évoqué précédemment par M. Gutmann - le renfort pour l'administration de textes liés au contrôle fiscal. Vous avez fait écho à cette affaire dite des fonds « turbo », qui est liée historiquement à un rapport de la Cour des comptes portant sur des entreprises publiques, notamment de transport. La Cour des comptes avait relevé qu'elles avaient utilisé - mais dans le contexte de l'époque de manière apparemment légale - un système d'aller-retour d'achat de titres. C'est sans doute la sphère dans laquelle cette affaire était initialement apparue qui avait expliqué le fait que, pendant un certain temps, elle y était restée cantonnée pour ensuite se voir étendue à d'autres acteurs du secteur privé de l'économie.

S'agissant de ces transferts d'actifs hors de France - et sans vouloir être redondant avec ce qu'a dit M. Gutmann -, ce qui peut également être souligné à propos de la France, c'est l'importance non seulement de ces règles de droit interne qui permettent de lutter contre ces phénomènes, mais aussi l'importance du réseau des conventions fiscales bilatérales.

La France dispose du premier réseau fiscal conventionnel au monde, qui comporte le plus souvent et systématiquement maintenant des clauses d'échanges d'informations permettant à l'administration française d'obtenir des renseignements sur les situations en relation avec l'étranger, notamment les sorties de personnes et d'actifs.

Je formulerai maintenant quelques observations à caractère pratique pour compléter ce propos, sous votre contrôle et sous réserve des questions que vous pourrez éventuellement me poser.

Ce qu'on l'observe à propos des émigrations d'actifs, de personnes ou d'entreprises, soulève plusieurs questions, notamment la motivation et les voies que peuvent prendre ces phénomènes de délocalisation.

La motivation du transfert d'actifs ou d'entreprises hors de France peut être économique ou financière. Par exemple, une entreprise ou un groupe d'entreprises peut très bien souhaiter établir une tête de pont dans un pays étranger parce que les conditions économiques et financières y sont plus intéressantes qu'en France, indépendamment de tout motif fiscal.

La motivation de la sortie du territoire peut aussi être fiscale mais éventuellement licite. Par exemple, aujourd'hui, un certain nombre de personnes physiques disposant d'un patrimoine important vont choisir des instruments de placement au Luxembourg, certains fonds communs de placement à compartiments complexes par exemple, sans que cela soit en quelque manière illicite et uniquement inspiré par des questions d'ordre fiscal.

La délocalisation des personnes et des patrimoines peut aussi prendre diverses formes pour l'entreprise. On pourra, par exemple, avoir une délocalisation par la création d'un établissement secondaire. La question du transfert de siège peut éventuellement se poser sachant que, à ma connaissance, c'est un phénomène plutôt rare du côté français, puisque le transfert de siège soulève en soi des questions juridiques complexes, indépendamment des questions fiscales, alors même que la jurisprudence européenne a apporté de l'eau au moulin des candidats à ce type de transposition.

Les motifs de délocalisation hors de France des entrepreneurs peuvent être liés au traitement fiscal proprement dit de l'entreprise, mais aussi à celui de l'entrepreneur ou du dirigeant d'entreprise, ce qui est évidemment une composante à prendre également en considération.

Pour les entrepreneurs et les dirigeants d'entreprise, il y a évidemment le traitement fiscal du revenu avec à la clé les questions de fractionnement du revenu, mais aussi la question du patrimoine. Daniel Gutmann l'a certainement déjà évoqué.

Dans ce cadre un peu général, peut-être serait-il plus efficient, le cas échéant, que j'essaie de compléter votre information au-delà de ce qu'a pu apporter Daniel Gutmann sur tel ou tel point de détail.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion