Certes, mais nous nous sommes étonnés de mesures législatives intervenues depuis, qui prennent le contrepied de vos recommandations : la loi de programmation militaire, ainsi, a autorisé l'accès à des données personnelles sans aucune intervention d'un juge ; la loi sur la géolocalisation, ensuite, ne définit pas précisément son champ d'application, c'est-à-dire ce qu'on entend par « objets connectés »... Ces gestes politiques ont beaucoup d'importance, il faut les garder à l'esprit lorsqu'on porte l'anathème sur la NSA...
Par mes responsabilités à Dailymotion, je sais qu'il faut être cohérent sur ces sujets. Je suis en lien constant avec le gouvernement turc, Dailymotion est encore en ligne en Turquie et nous avons tenu fermement notre position, consistant à refuser tout transfert de données personnelles au gouvernement et à le dire très clairement : c'est par le dialogue, sur des bases fermes, que nous avons décrispé le sujet.
L'Europe manque de vision politique sur le numérique, c'est vrai; cependant, nous remercions chaque jour l'Union européenne d'avoir adopté en 2000 sa directive sur le commerce électronique, qui a défini des règles et sorti Internet de l'hégémonie totale des États-Unis : c'est grâce à ces règles européennes que des acteurs comme Dailymotion ont pu voir le jour.
Cependant, notre activité est constamment placée sous la sellette par le gouvernement : avec le rapport Lescure, c'est une dizaine de mission qui ont été consacrées aux acteurs économiques en ligne - et toutes ont cherché à nous taxer davantage, à réguler notre action, à la niveler par le bas, au lieu de la considérer comme un atout. Ce faisant, ces missions passent à côté du principal : sur Internet, l'accès à la ressource est total, contrairement à la télévision ou aux autres télécommunications, où la rareté de la ressource justifie des règles strictes; et comme cet accès est total, les règles encadrant la liberté d'entreprendre doivent être plus légères - il faut laisser sa place à l'autorégulation.
Dans ces conditions, la question à se poser n'est pas de savoir comment un opérateur européen peut devenir un géant mondial de l'Internet, mais comment accompagner - plutôt que menacer - les entreprises de taille intermédiaire. Dailymotion, par exemple, compte 200 salariés, mais c'est le site européen le plus visité au monde - et nous manquons de moyens pour poursuivre notre développement, faute de préférence européenne, alors qu'en Inde ou en Chine, le colbertisme est bien vivace.
Nous ne perdons pas espoir, cependant, et nous espérons que les travaux du Sénat, une fois encore, iront dans notre sens !