C'est l'un des sujets dont il faudrait parler dans l'accord international que j'appelle de mes voeux sur la gouvernance de l'Internet.
La neutralité est aujourd'hui définie comme la faculté offerte aux hébergeurs, aux opérateurs, aux fournisseurs d'accès, aux intermédiaires techniques, etc., d'exercer leur libre choix à propos de la manière dont fonctionne le système. Pour certains, la neutralité signifie la possibilité d'intervenir, comme les opérateurs téléphoniques qui veulent réguler les débits ; c'est la conception de Mme Kroes. Pour d'autres, la neutralité est synonyme de totale liberté. C'est le point de vue des activistes de l'Internet.
Ce concept est un concept fourre-tout, qui devrait faire l'objet d'une définition. Ma définition comporte la capacité d'intervenir, et pas seulement parce qu'il faut faire barrage aux contenus pédopornographiques, criminels ou autres. Je pense qu'un accord doit tenir compte du fait que ce système technique ne peut fonctionner comme s'il ne comportait pas un certain nombre de contraintes. Toute la question est de savoir qui détient la capacité de mettre en oeuvre ou d'aménager ces contraintes.
La question de la neutralité est celle du pouvoir. Les activistes de l'Internet ou certaines compagnies comme Google sont partisans d'une totale liberté, celle-ci les arrangeant ; en revanche, d'autres intermédiaires techniques, ou des opérateurs, qui gèrent le trafic, sont favorables au fait de conserver une possibilité d'intervention. Toute la question est de savoir quel accord international le prévoit, et qui « a la main sur le robinet », si je puis utiliser cette image...
Aujourd'hui, la neutralité du Net, ce sont les jeux olympiques de l'hypocrisie ! Aucune notion n'est aujourd'hui plus manipulée en fonction des intérêts de chacun ! Pour sortir de cette ambiguïté, néfaste pour tout le monde, et d'abord pour les internautes, il faut que l'on s'entende sur une définition. Lors de l'e-G8 de 2011, à Deauville, la question avait commencé à être évoquée. Les Américains l'avaient écartée, mais je ne suis pas sûr que, six ans après, le sujet n'ait pas suffisamment mûri pour être à nouveau évoqué.
Il ne faut pas non plus, si l'on veut définir une certaine neutralité et prendre des mesures, donner le sentiment qu'on légifère uniquement en fonction de certains intérêts. C'est probablement la raison pour laquelle les propositions de Nelly Kroes sont aujourd'hui controversées et apparaissent trop unilatérales, d'où la nécessité de se mettre d'accord sur un cadre négocié.
Nous sommes cependant dans un système où les accords diplomatiques sont totalement dépassés, les puissances en cause n'étant pas des États, ni des organisations internationales, mais de grands groupes. Il faut arriver à réunir autour de la table un ensemble de pouvoirs publics, étatiques, privés, et économiques, pour essayer de faire avancer une telle réglementation.
C'est extrêmement difficile ; les groupes privés qui détiennent le pouvoir bénéficient de la situation actuelle. Qui pourrait les obliger à venir à la table des négociations ? En 2011, lors des réunions précédant le G8, qui avaient eu lieu à Paris, aux Tuileries, les propos que M. Schmidt avait tenus au nom de Google étaient clairs : le bien de l'humanité impliquait qu'il n'y ait rigoureusement aucune entorse à la neutralité, ni aucun frein à la puissance de l'entreprise qu'il dirige !
En tout état de cause, il est très important que ceci figure au débat européen -mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas.
La réunion est levée à 18 heures 25.