Intervention de Henri Brichart

Mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Henri Brichard vice-président de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles fnsea

Henri Brichart :

La filière viande est en proie à un mal-être généralisé, et pas seulement pour des raisons économiques. Un ras-le-bol s'exprime face à des normes et des contraintes parfois contradictoires. La Commission européenne, dans le cadre de la PAC, veut soumettre l'agriculture, plus qu'autrefois, à la loi du marché. Dans le même temps, elle impose aux éleveurs de conserver l'herbe sur les exploitations quand ceux-ci ont économiquement intérêt à basculer vers une alimentation des bovins à base de maïs... La contrainte de la quantité de travail est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, surtout dans les régions où l'élevage côtoie les grandes cultures, un secteur qui fonctionne bien mieux.

Alors, comment sauver ce secteur ? La FNSEA a toujours soutenu que l'élevage, important en soi, apporte une valeur ajoutée supplémentaire à l'agriculture. Il constitue, entre autres, un débouché pour les céréales qui servent à l'alimentation des bêtes.

Les charges des éleveurs, en particulier les charges alimentaires, augmentent rapidement, parfois de 20 à 30 % en quelques mois, tandis que les prix de vente se tassent. D'où un effet de ciseau qui pèse exclusivement sur l'amont. Pour répartir équitablement cette hausse des charges tout au long de la chaîne, jusqu'au consommateur final, nous avons conclu, le 3 mai 2011, un accord entre producteurs, transformateurs et distributeurs afin d'ajuster, à la hausse comme à la baisse, les prix de vente en fonction des variations de charges. Après tout, quand le prix de l'énergie augmente, celui des billets d'avion aussi... La FNSEA espère qu'on y reviendra dans la future loi d'avenir de l'agriculture. Il faudra probablement passer aussi par une modification de la loi de modernisation de l'économie (LME) pour en arriver à des pratiques plus convenables. Les producteurs, parce qu'ils sont éclatés, font figure de maillon faible face à la grande distribution.

Le coût de la main-d'oeuvre pèse plutôt sur les abattoirs et les transformateurs. Le marché européen est unique, mais les règles sociales et fiscales, elles, sont différentes entre Etats membres de l'Union européenne. Ce qui conduit à des aberrations : un bovin français, abattu en Allemagne, plus compétitive sur ce segment, peut revenir sous forme de produits transformés dans nos supermarchés.

Il existe des écarts de plus en plus grands entre exploitations au niveau des poids des charges. Les plans de modernisation des bâtiments d'élevage ont fait leur effet dans le secteur bovin, les éleveurs doivent cependant continuer de faire des efforts pour produire plus et travailler mieux.

Les normes, surtout environnementales, ne sont pas à condamner en soi. Mais les producteurs ont du mal à les accepter lorsqu'elles ne sont pas adaptées à leur région, leur climat et leur sol. Prenons un exemple simple : une seule période d'épandage est fixée au niveau national en dépit de réalités agronomiques très différentes. Adapter les dates d'épandage aux territoires nous épargnerait d'augmenter nos capacités de stockage d'effluents, un effort financier supplémentaire demandé aux éleveurs alors qu'ils viennent juste d'amortir leurs investissements. Nous y économiserions aussi un peu de béton...

Les contraintes administratives jouent surtout pour le porc et la volaille. La complexité des dossiers à constituer et la longueur des délais pour voir aboutir les projets découragent l'investissement. Trois ans d'attente, c'est insupportable ; entre-temps, l'intérêt du projet peut avoir diminué.

La volatilité des cours des matières premières, qui est désormais structurelle appelle une autre réponse que celle des instruments de la PAC, trop légers. Le Parlement européen défend des filets de sécurité plus adaptés en volume et en prix, plus flexibles ; nous espérons qu'il aura gain de cause car un prix plancher de la viande de 1,50 euros quand le cours est de 2,50 euros pour les plus basses catégories ne suffit pas.

Nous avons avancé sur le dossier d'avenir de la gestion des risques lors de la dernière loi de finances avec la réforme de la déduction pour investissement (DPI), et de la déduction pour aléas (DPA). Grâce à ces outils fiscaux, nous irons vers une gestion pluriannuelle, ce qui est indispensable pour passer les mauvaises années. Il existe également des fonds de mutualisation dans la PAC ; nous avions beaucoup insisté sur ce point en 2008, en mettant en oeuvre l'article 68 du bilan de santé de la PAC. Réfléchissons à une assurance fourrage en prenant exemple sur l'Espagne et l'Italie : ces deux pays ont créé des pôles assurantiels regroupant compagnies privées et pouvoirs publics et cela fonctionne bien. Les pouvoirs publics devront intervenir, en dernier instance, pour la réassurance.

Beaucoup de progrès restent à faire dans l'organisation des producteurs : les producteurs bovins sont peu affiliés à des coopératives, ce qui est moins vrai pour les éleveurs porcins. Le taux de regroupement est de 40 %. Certains expliquent cette situation par la culture des agriculteurs ; cela dépend beaucoup des régions, en fait. Le problème est surtout celui du droit de la concurrence. Nous défendons l'extension des mesures du « paquet lait » aux autres secteurs. Cela sera difficile mais il faudra faire évoluer les agriculteurs, ils ont leur part de responsabilité lorsqu'ils arrivent en ordre dispersé face à une entreprise de transformation qui occupe 40 à 50 % du marché.

À chaque crise de l'ESB, nous avons observé un pic de sensibilité aux modes de production. Les consommateurs, en réalité, connaissent très mal notre métier : ils s'imaginent des exploitations de centaines de bovins quand la moyenne est, en France, de cinquante vaches. La charte des bonnes pratiques d'élevage vise à mieux les informer.

Les logos d'origine sont mal acceptés par l'Europe et les transformateurs ; nous les avons obtenus pour le porc et la volaille cette année à Bruxelles. Avec pour ligne de conduite, la transparence et le choix pour le consommateur, nous ne pouvons qu'être favorables aux logos d'origine sur les produits transformés. Il restera à vaincre les réticences de la Commission européenne et des pays du Nord qui ont davantage une culture de commerçants que de producteurs. En tout cas, nous défendons ce dossier au sein du Copa-Cogeca. Le signe d'identification de l'origine, en soi, n'induit pas de coûts supplémentaires, si ce n'est que, pour être valable, il suppose une certification. Or au-delà des périodes de crise, le consommateur se détermine surtout en fonction du prix des produits. Comment valoriser la transparence ? Nous voulons promouvoir l'origine France, mais la réussite de cette stratégie n'est pas garantie. Nous aussi, il nous arrive d'acheter des téléviseurs fabriqués n'importe où parce qu'ils sont les moins chers dans les rayons des supermarchés...

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