Intervention de Caroline Paul

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 2 juin 2020 : 1ère réunion
Audition de représentants de la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé en téléconférence

Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé :

L'occupation et l'exploitation des sols et sous-sols par l'homme depuis des millénaires ont généré une pollution dont nous n'avons pas toujours gardé la mémoire. Cette pollution devient problématique du fait de la croissance des populations qui tendent de plus en plus à s'installer et à vivre sur ces sols ou à proximité. Nous constatons donc des situations d'exposition de plus en plus fréquentes.

De ce fait, la gestion des sites et sols pollués et la protection de la santé des populations qui y vivent sont devenues une nécessité et une préoccupation croissante pour les acteurs en charge de la santé publique et de l'environnement, et même une question majeure de santé environnementale.

Parallèlement, l'augmentation des connaissances permet d'appréhender de mieux en mieux les effets, même si la part de questions non résolues reste majoritaire. Encore faut-il aussi passer de la connaissance à l'action publique, et le chemin n'est pas toujours simple.

Je vous propose de présenter les actions de la DGS dans ce domaine et la manière dont elle appréhende les expositions et leurs impacts sur la santé de la population afin de déterminer les mesures de protection et de prévention à mettre en oeuvre.

Notre bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » est chargé d'assurer la gestion et la coordination des situations de sites et sols pollués induisant des impacts sanitaires, et le cas échéant d'assurer un appui aux ARS dans le cadre de leur gestion des situations locales. Les actions du ministère de la santé qui concernent les aspects sanitaires interviennent toujours en complément de celles du ministère de la transition écologique et solidaire qui agira sur les aspects relatifs à la gestion des sols.

Notre bureau est composé de dix personnes réparties en trois pôles :

- pôle en charge des risques chimiques ;

- pôle en charge des risques physiques et émergents ;

- pôle en charge des risques liés aux activités humaines, qui gère la question des sites et sols pollués, ainsi que celles de la pollution de l'air extérieur, des déchets d'activité de soins...

Nous traitons une grande variété de sujets dont la plupart sont inscrits dans les plans nationaux Santé-Environnement (PNSE).

Le bureau travaille sur la question des sites et sols pollués en relation avec trois autres bureaux de la sous-direction : le bureau de l'eau, le bureau de l'alimentation et le bureau de l'environnement intérieur et de l'habitat. Les missions des trois pôles du bureau sont soutenues par de grandes actions transversales indispensables à la gestion de l'ensemble des dossiers, notamment celui des sites et sols pollués. Les principales actions sont celles de la biosurveillance et de la coordination de la toxicovigilance.

La mise en oeuvre du programme national de biosurveillance a été confiée à Santé publique France à la suite de la loi Grenelle de 2009. Plusieurs études ont été réalisées dans ce cadre, notamment l'étude Esteban et le volet périnatal de la cohorte Elfe gérée par l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces deux font suite notamment à une étude nationale Nutrition Santé de 2016 qui mesurait déjà l'imprégnation de la population française. Il s'agit donc de connaître les niveaux d'imprégnation moyens de la population française aux polluants les plus courants (métaux, pesticides, organochlorés), car les données ainsi obtenues permettent d'objectiver le cas échéant des sur-imprégnations notamment dans des situations de sites et sols pollués ou bien des situations accidentelles.

La coordination de la toxicovigilance assurée par les centres anti-poisons a été confiée à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), ce qui a été confirmé par la loi de modernisation de notre système de santé en 2016. L'objectif de la toxicovigilance est de développer une compétence en toxicologie médicale qui soit mobilisable notamment en situation de crise tant au niveau local que national, et qui puisse permettre une évaluation de l'exposition des populations et des travailleurs via l'utilisation de produits chimiques dans la vie courante et sur les sites industriels. Nous reviendrons sur ces deux points gérés par le pôle en charge des risques chimiques du bureau et qui sont d'une grande importance pour la gestion des impacts sanitaires des sites et sols pollués.

Un troisième axe de travail plus récent est celui du développement d'une compétence médicale en santé-environnement et d'outils pour les médecins traitants. L'idée est que ceux-ci sachent prendre en charge les personnes exposées à certains risques environnementaux et à certains polluants. La toxicologie était jusqu'à présent peu enseignée dans le cursus universitaire des médecins généralistes, qui peuvent se retrouver désarmés lorsqu'ils doivent prendre en charge une situation individuelle d'exposition, a fortiori d'imprégnation voire d'intoxication. Or ce sont les médecins qui sont au plus de la près de la population qui auront à répondre aux questions posées par les personnes exposées. L'arrêté du 31 juillet 2019 a inscrit l'enseignement en santé-environnement dans la formation continue des professionnels de santé. Il s'agit de développer des outils servant de support à ces formations.

Nous allons décliner l'orientation n° 6 de l'arrêté du 31 juillet 2019 « prévention et prise en compte des pathologies imputables à l'environnement ». En matière de santé-environnement, nous sommes régulièrement confrontés à des incertitudes scientifiques, il s'agit de favoriser ou de commanditer des études permettant de lever le doute, au moins partiellement ou bien de mettre en évidence un risque et de le quantifier. Il s'agit de mieux interpréter les risques et de mieux les situer sur des échelles de risques relatifs liés à l'environnement.

L'environnement est en évolution permanente : les changements technologiques sont de plus en plus rapides et les risques induits ne sont pas nécessairement toujours maîtrisés. Il s'agit également d'exercer une veille sur les risques émergents qui résultent de ces évolutions. Ces risques émergents peuvent par exemple être le changement climatique, qui va probablement modifier et atteindre de façon radicale l'environnement et avoir notamment une action sur les sols, voire jouer un rôle dans la répartition des polluants, comme en cas d'inondations. Il peut également s'agir de la prise en compte d'un nouveau polluant qui n'a pas été mesuré pour l'instant simplement par manque de connaissance sur sa présence ou ses impacts sanitaires potentiels. La non-observation d'un risque ne suffit donc pas pour conclure à la non-existence de ce risque. Dans ce champ-là, les travaux sont encore immenses à réaliser.

Enfin, selon les résultats des études, nous pourrons être amenés à faire évoluer les réglementations afin de réduire les expositions. Il est très clair que les textes réglementaires, notamment les instructions aux ARS pour ce qui concerne la direction générale de la santé, évoluent dès que possible, dès que les connaissances sont disponibles, en tenant compte du contexte européen et toujours en concertation interministérielle.

Nous travaillons essentiellement avec deux ministères sur cette question : celui de la transition écologique et solidaire et celui chargé de l'agriculture. Il convient de rappeler que la politique de gestion des sites et sols pollués est portée par le ministère de la transition écologie et solidaire. Ainsi, toute notre action s'inscrit dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, portée par la direction générale de la prévention des risques, ce qui implique un travail étroit avec les services du ministère de l'écologie, chef de file. Par ailleurs, le ministère de l'agriculture est très concerné, du fait de la contamination des denrées végétales et animales en cas de pollution des sols. La direction générale de la santé (DGS) travaille donc étroitement avec les services de concernés de ce ministère. Les expositions aux polluants sont à 80 % issues de l'alimentation et 20 % par d'autres voies - aériennes notamment.

La gestion des sites et sols pollués requiert une coordination permanente des échanges, un travail d'harmonisation des positions interservices, et des messages à porter. Il peut s'agit par exemple en interministériel d'une saisine commune d'agences sanitaires, de financer des études, d'élaborer une communication, de coordonner et réaliser des actions avec les différents acteurs concernés notamment les agences régionales de santé (ARS) et souvent sous pilotage du préfet. Cette communication se doit d'être transparente et proactive.

Un rôle important de la DGS est de travailler avec les agences sanitaires, qui constituent le deuxième grand groupe d'acteurs avec lesquels elles travaillent en permanence :

- l'ANSéS, chargée de l'évaluation des risques en France conformément à ses missions définies par l'article L. 1313-1 du code de la santé publique. Elle apporte son concours par la fixation pour l'examen critique de valeurs sanitaires de référence pour les substances chimiques, de valeurs toxicologiques de référence, de valeurs sanitaires de l'air intérieur, de valeurs d'imprégnation biologique... ;

- Santé Publique France, conformément à ses missions définies à l'article L. 1413-1 du code de la santé publique, apporte son expertise dans l'analyse d'un signal, tel que l'investigation des suspicions de clusters, notamment ceux pouvant être en lien avec une pollution des sols, la réalisation d'études visant à vérifier ou caractériser l'impact de l'environnement sur la santé des populations (étude d'imprégnation, de faisabilité, de pertinence de mise en oeuvre d'études épidémiologiques...) et d'études épidémiologiques, et enfin la définition d'indicateurs sanitaires pertinents à surveiller à proximité des sites et sols pollués ;

- le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui a pour mission de fournir aux pouvoirs publics l'expertise relative à la gestion des risques sanitaires. Ses missions relèvent de l'article L. 1411-4 du code de la santé publique. À ce titre, il peut proposer des valeurs repères d'aide à la gestion pour des polluants spécifiques, accompagnées de recommandations pour la définition et la mise en oeuvre de mesures de gestion ;

- la Haute Autorité de santé (HAS) élabore des recommandations de bonnes pratiques pour les professionnels de santé, en application de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, particulièrement pour la prise en charge des personnes exposées et sur-imprégnées à des polluants donnés. Elle travaillera le cas échéant avec la société française de toxicologie qui regroupe la plupart des centres anti-poisons français.

La mobilisation et la coordination de l'ensemble des agences sanitaires nationales sur la question des sites et sols pollués a été impulsée par la DGS, grâce à un comité d'animation du système d'agences (CASA) prévu par l'article L. 1411-5-1 du code de la santé publique. Il s'agit d'une instance de travail collectif au plus haut niveau entre la DGS et les principaux opérateurs nationaux des politiques de prévention et de sécurité sanitaire.

L'inscription du sujet « sites et sols pollués » au CASA thématique du 15 juin 2017 a permis d'initié les actions et d'élaborer une première feuille de route inter-agences validée par tous les acteurs. Il s'agissait notamment d'établir trois axes de travail :

- un premier axe sur l'élaboration des valeurs de référence ;

- un deuxième axe sur la prise en charge médicale des personnes exposées ;

- un troisième axe concernant les retours d'expérience de l'ensemble des situations de sites et sols pollués sur lesquelles les autorités sanitaires ont déjà eu à intervenir.

Les différents ministères concernés sont invités à y participer le cas échéant. La question des sites et sols pollués a déjà fait l'objet de deux CASA, la troisième est prochainement prévue à l'été 2020, mais risque d'être reportée compte tenu de l'impact de la gestion de la crise liée à la covid-19 qui a bousculé les calendriers.

Si nous évoquons à présent le travail que nous réalisons avec les ARS, celles-ci gèrent d'elles-mêmes les situations de sites et sols pollués, les situations sanitaires et environnementales locales et toutes ne remontent pas au niveau de la DGS. Pour préciser le cadre des missions sur les situations de sites et sols pollués, la DGS a élaboré plusieurs instructions, dont la dernière est en date du 13 juin 2019 et décrit le processus de gestion des situations de crise locales.

Les ARS interviennent à plusieurs étapes de la gestion, avec l'appui le cas échéant d'experts. Elles évaluent la situation sanitaire des populations riveraines, généralement avec l'appui de la cellule d'intervention en région (CIRe) de Santé publique France, elles participent aux comités de coordination pilotés par le préfet, elles définissent et mettent en oeuvre au regard des recommandations issues des différentes études une stratégie d'intervention qui passe souvent par l'émission de recommandations hygiéno-diététiques. Elles définissent également les modalités de prise en charge médicale individuelle le cas échéant. Enfin, elles assurent le suivi, la traçabilité et l'évaluation des mesures de gestion sanitaires mises en oeuvre.

D'une manière générale, la DGS apporte un appui aux ARS dans la gestion sanitaire des sites et sols pollués de la manière suivante :

- en définissant le cadre des actions dans ce domaine en santé-environnement ;

- par la mise à disposition d'outils d'aide à la gestion, notamment via le réseau professionnel d'échanges en santé-environnement ;

- par la saisine ponctuelle des agences nationales d'expertise si la situation le justifie ;

- et d'une façon générale par un accompagnement de la gestion en situation de crise notamment.

Les travaux de la DGS consistent donc à développer des outils pour la gestion de ces situations de sites et sols pollués à destination des ARS et des médecins confrontés aux inquiétudes de la population, de soutenir les études de surveillance afin de disposer de valeurs repères de l'imprégnation de la population générale, notamment de s'assurer de leur financement, et d'élaborer à partir de travaux d'expertise des outils destinés aux médecins pour assurer le suivi des patients exposés, selon les polluants rencontrés.

D'une façon plus générale, notre programme de travail consiste à développer les compétences des médecins en toxicologie, coordonner les agences sanitaires, organiser des séminaires ou des échanges d'expériences, demander des retours d'expérience à Santé publique France, développer des outils de communication vers le public, car ces sujets sont difficiles à exprimer de manière non anxiogène.

Par ailleurs, la DGS réalise un travail au niveau international avec l'organisation mondiale de la santé (OMS) et a poussé à inscrire la gestion des sites et sols pollués dans les sept grands axes de travail définis par la déclaration de l'OMS d'Ostrava de juin 2017 sur la santé environnementale. On constate dans ce cadre que le sujet des sites pollués est partagé par tous : chaque pays possède une expérience dans ce domaine. L'Europe a financé un programme de recherche COST sur les sites et sols pollués, qui a été finalisé l'année dernière et qui a réuni près de 150 acteurs et agences européennes. Nous avons tous souligné la complexité du sujet sur le plan scientifique, partagé nos compétences et échangé sur les résultats et méthodologies appliquées. Santé publique France a été impliquée sur ce programme et celui-ci devrait se poursuivre, à la demande quasi unanime des États participants aux travaux de l'OMS en santé-environnement.

Au niveau européen, on peut signaler le programme de surveillance HBM4EU (« European Human Biomonitoring Initiative »), dans lequel la France est très impliquée. Les ministères de la santé, de la recherche et de l'environnement l'ont porté : plus de huit organismes français de recherche d'expertise y participent (centre nationale de recherche scientifique, Inserm, Santé publique France, ANSéS, commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles...) au sein d'un réseau national associé. Ce programme devrait nous permettre d'harmoniser nos pratiques de surveillance afin d'obtenir des résultats comparables entre pays, de permettre de mieux comprendre les sources et les différentes voies d'exposition aux polluants, les risques sanitaires qu'ils présentent, les pathologies associées et in fine de mieux les gérer.

En conclusion, le ministère de la santé porte quatre grands axes de travail :

- soutenir les travaux de recherche ;

- surveiller l'imprégnation de la population ;

- améliorer la formation des médecins en santé-environnement ;

- renforcer les communications auprès du public.

Une question complémentaire consiste à savoir comment renforcer la possibilité au niveau local de réaliser des études d'imprégnation en trouvant des modes de financement notamment dans les situations de sites orphelins. Selon nous, le coût doit logiquement être supporté par le pollueur selon le principe « pollueur/payeur ».

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