Commission d'enquête Pollution des sols

Réunion du 2 juin 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Laurent Lafon

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de représentants de la direction générale de la santé du ministère des Solidarités et de la Santé, dont :

- Mme Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé ;

- Mme Delphine Caamano, son adjointe ;

- M. Michel Rouge et Mme Stéphanie Loyer, chargés de mission au sein du même bureau.

Nous comptons sur votre audition pour nous éclairer sur le rôle du ministère des Solidarités et de la Santé dans la prévention des risques sanitaires liés à une pollution des sols d'origine industrielle ou minière, et sur son articulation avec le ministère de l'Écologie.

Il serait ainsi intéressant que vous reveniez sur les mécanismes mis en place pour traiter les alertes sanitaires en lien avec la pollution des sols, que ces alertes soient transmises par des associations de riverains, des élus locaux, des bureaux d'études ou les Dreal. Quel est le rôle, en particulier, des agences régionales de santé (ARS) et des agences sanitaires pour évaluer le risque sanitaire associé à une pollution des sols d'origine industrielle ? Quelle est leur articulation avec les services déconcentrés de l'État pour définir et mettre en oeuvre des mesures de protection de la population ?

À cet égard, depuis une instruction du 27 avril 2017, des comités de coordination associant les Dreal et les ARS sont censés être mis en place par les préfets pour l'élaboration de mesures de gestion sanitaire : quel bilan faites-vous à ce stade de ces comités ? De la même manière quelle évaluation faites-vous des comités de suivi de site en termes de gestion du risque sanitaire ?

Enfin, est souvent revenue dans nos auditions la problématique des valeurs toxicologiques de référence pour évaluer la pollution des sols : trouvez-vous ce système satisfaisant à l'heure actuelle ? Quelles en sont les forces et les faiblesses en matière de prévention de l'impact sanitaire de la pollution des sols ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite chacun à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Caroline Paul et Delphine Caamano, M. Michel Rouge et Mme Stéphanie Loyer prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

L'occupation et l'exploitation des sols et sous-sols par l'homme depuis des millénaires ont généré une pollution dont nous n'avons pas toujours gardé la mémoire. Cette pollution devient problématique du fait de la croissance des populations qui tendent de plus en plus à s'installer et à vivre sur ces sols ou à proximité. Nous constatons donc des situations d'exposition de plus en plus fréquentes.

De ce fait, la gestion des sites et sols pollués et la protection de la santé des populations qui y vivent sont devenues une nécessité et une préoccupation croissante pour les acteurs en charge de la santé publique et de l'environnement, et même une question majeure de santé environnementale.

Parallèlement, l'augmentation des connaissances permet d'appréhender de mieux en mieux les effets, même si la part de questions non résolues reste majoritaire. Encore faut-il aussi passer de la connaissance à l'action publique, et le chemin n'est pas toujours simple.

Je vous propose de présenter les actions de la DGS dans ce domaine et la manière dont elle appréhende les expositions et leurs impacts sur la santé de la population afin de déterminer les mesures de protection et de prévention à mettre en oeuvre.

Notre bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » est chargé d'assurer la gestion et la coordination des situations de sites et sols pollués induisant des impacts sanitaires, et le cas échéant d'assurer un appui aux ARS dans le cadre de leur gestion des situations locales. Les actions du ministère de la santé qui concernent les aspects sanitaires interviennent toujours en complément de celles du ministère de la transition écologique et solidaire qui agira sur les aspects relatifs à la gestion des sols.

Notre bureau est composé de dix personnes réparties en trois pôles :

- pôle en charge des risques chimiques ;

- pôle en charge des risques physiques et émergents ;

- pôle en charge des risques liés aux activités humaines, qui gère la question des sites et sols pollués, ainsi que celles de la pollution de l'air extérieur, des déchets d'activité de soins...

Nous traitons une grande variété de sujets dont la plupart sont inscrits dans les plans nationaux Santé-Environnement (PNSE).

Le bureau travaille sur la question des sites et sols pollués en relation avec trois autres bureaux de la sous-direction : le bureau de l'eau, le bureau de l'alimentation et le bureau de l'environnement intérieur et de l'habitat. Les missions des trois pôles du bureau sont soutenues par de grandes actions transversales indispensables à la gestion de l'ensemble des dossiers, notamment celui des sites et sols pollués. Les principales actions sont celles de la biosurveillance et de la coordination de la toxicovigilance.

La mise en oeuvre du programme national de biosurveillance a été confiée à Santé publique France à la suite de la loi Grenelle de 2009. Plusieurs études ont été réalisées dans ce cadre, notamment l'étude Esteban et le volet périnatal de la cohorte Elfe gérée par l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces deux font suite notamment à une étude nationale Nutrition Santé de 2016 qui mesurait déjà l'imprégnation de la population française. Il s'agit donc de connaître les niveaux d'imprégnation moyens de la population française aux polluants les plus courants (métaux, pesticides, organochlorés), car les données ainsi obtenues permettent d'objectiver le cas échéant des sur-imprégnations notamment dans des situations de sites et sols pollués ou bien des situations accidentelles.

La coordination de la toxicovigilance assurée par les centres anti-poisons a été confiée à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), ce qui a été confirmé par la loi de modernisation de notre système de santé en 2016. L'objectif de la toxicovigilance est de développer une compétence en toxicologie médicale qui soit mobilisable notamment en situation de crise tant au niveau local que national, et qui puisse permettre une évaluation de l'exposition des populations et des travailleurs via l'utilisation de produits chimiques dans la vie courante et sur les sites industriels. Nous reviendrons sur ces deux points gérés par le pôle en charge des risques chimiques du bureau et qui sont d'une grande importance pour la gestion des impacts sanitaires des sites et sols pollués.

Un troisième axe de travail plus récent est celui du développement d'une compétence médicale en santé-environnement et d'outils pour les médecins traitants. L'idée est que ceux-ci sachent prendre en charge les personnes exposées à certains risques environnementaux et à certains polluants. La toxicologie était jusqu'à présent peu enseignée dans le cursus universitaire des médecins généralistes, qui peuvent se retrouver désarmés lorsqu'ils doivent prendre en charge une situation individuelle d'exposition, a fortiori d'imprégnation voire d'intoxication. Or ce sont les médecins qui sont au plus de la près de la population qui auront à répondre aux questions posées par les personnes exposées. L'arrêté du 31 juillet 2019 a inscrit l'enseignement en santé-environnement dans la formation continue des professionnels de santé. Il s'agit de développer des outils servant de support à ces formations.

Nous allons décliner l'orientation n° 6 de l'arrêté du 31 juillet 2019 « prévention et prise en compte des pathologies imputables à l'environnement ». En matière de santé-environnement, nous sommes régulièrement confrontés à des incertitudes scientifiques, il s'agit de favoriser ou de commanditer des études permettant de lever le doute, au moins partiellement ou bien de mettre en évidence un risque et de le quantifier. Il s'agit de mieux interpréter les risques et de mieux les situer sur des échelles de risques relatifs liés à l'environnement.

L'environnement est en évolution permanente : les changements technologiques sont de plus en plus rapides et les risques induits ne sont pas nécessairement toujours maîtrisés. Il s'agit également d'exercer une veille sur les risques émergents qui résultent de ces évolutions. Ces risques émergents peuvent par exemple être le changement climatique, qui va probablement modifier et atteindre de façon radicale l'environnement et avoir notamment une action sur les sols, voire jouer un rôle dans la répartition des polluants, comme en cas d'inondations. Il peut également s'agir de la prise en compte d'un nouveau polluant qui n'a pas été mesuré pour l'instant simplement par manque de connaissance sur sa présence ou ses impacts sanitaires potentiels. La non-observation d'un risque ne suffit donc pas pour conclure à la non-existence de ce risque. Dans ce champ-là, les travaux sont encore immenses à réaliser.

Enfin, selon les résultats des études, nous pourrons être amenés à faire évoluer les réglementations afin de réduire les expositions. Il est très clair que les textes réglementaires, notamment les instructions aux ARS pour ce qui concerne la direction générale de la santé, évoluent dès que possible, dès que les connaissances sont disponibles, en tenant compte du contexte européen et toujours en concertation interministérielle.

Nous travaillons essentiellement avec deux ministères sur cette question : celui de la transition écologique et solidaire et celui chargé de l'agriculture. Il convient de rappeler que la politique de gestion des sites et sols pollués est portée par le ministère de la transition écologie et solidaire. Ainsi, toute notre action s'inscrit dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, portée par la direction générale de la prévention des risques, ce qui implique un travail étroit avec les services du ministère de l'écologie, chef de file. Par ailleurs, le ministère de l'agriculture est très concerné, du fait de la contamination des denrées végétales et animales en cas de pollution des sols. La direction générale de la santé (DGS) travaille donc étroitement avec les services de concernés de ce ministère. Les expositions aux polluants sont à 80 % issues de l'alimentation et 20 % par d'autres voies - aériennes notamment.

La gestion des sites et sols pollués requiert une coordination permanente des échanges, un travail d'harmonisation des positions interservices, et des messages à porter. Il peut s'agit par exemple en interministériel d'une saisine commune d'agences sanitaires, de financer des études, d'élaborer une communication, de coordonner et réaliser des actions avec les différents acteurs concernés notamment les agences régionales de santé (ARS) et souvent sous pilotage du préfet. Cette communication se doit d'être transparente et proactive.

Un rôle important de la DGS est de travailler avec les agences sanitaires, qui constituent le deuxième grand groupe d'acteurs avec lesquels elles travaillent en permanence :

- l'ANSéS, chargée de l'évaluation des risques en France conformément à ses missions définies par l'article L. 1313-1 du code de la santé publique. Elle apporte son concours par la fixation pour l'examen critique de valeurs sanitaires de référence pour les substances chimiques, de valeurs toxicologiques de référence, de valeurs sanitaires de l'air intérieur, de valeurs d'imprégnation biologique... ;

- Santé Publique France, conformément à ses missions définies à l'article L. 1413-1 du code de la santé publique, apporte son expertise dans l'analyse d'un signal, tel que l'investigation des suspicions de clusters, notamment ceux pouvant être en lien avec une pollution des sols, la réalisation d'études visant à vérifier ou caractériser l'impact de l'environnement sur la santé des populations (étude d'imprégnation, de faisabilité, de pertinence de mise en oeuvre d'études épidémiologiques...) et d'études épidémiologiques, et enfin la définition d'indicateurs sanitaires pertinents à surveiller à proximité des sites et sols pollués ;

- le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui a pour mission de fournir aux pouvoirs publics l'expertise relative à la gestion des risques sanitaires. Ses missions relèvent de l'article L. 1411-4 du code de la santé publique. À ce titre, il peut proposer des valeurs repères d'aide à la gestion pour des polluants spécifiques, accompagnées de recommandations pour la définition et la mise en oeuvre de mesures de gestion ;

- la Haute Autorité de santé (HAS) élabore des recommandations de bonnes pratiques pour les professionnels de santé, en application de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, particulièrement pour la prise en charge des personnes exposées et sur-imprégnées à des polluants donnés. Elle travaillera le cas échéant avec la société française de toxicologie qui regroupe la plupart des centres anti-poisons français.

La mobilisation et la coordination de l'ensemble des agences sanitaires nationales sur la question des sites et sols pollués a été impulsée par la DGS, grâce à un comité d'animation du système d'agences (CASA) prévu par l'article L. 1411-5-1 du code de la santé publique. Il s'agit d'une instance de travail collectif au plus haut niveau entre la DGS et les principaux opérateurs nationaux des politiques de prévention et de sécurité sanitaire.

L'inscription du sujet « sites et sols pollués » au CASA thématique du 15 juin 2017 a permis d'initié les actions et d'élaborer une première feuille de route inter-agences validée par tous les acteurs. Il s'agissait notamment d'établir trois axes de travail :

- un premier axe sur l'élaboration des valeurs de référence ;

- un deuxième axe sur la prise en charge médicale des personnes exposées ;

- un troisième axe concernant les retours d'expérience de l'ensemble des situations de sites et sols pollués sur lesquelles les autorités sanitaires ont déjà eu à intervenir.

Les différents ministères concernés sont invités à y participer le cas échéant. La question des sites et sols pollués a déjà fait l'objet de deux CASA, la troisième est prochainement prévue à l'été 2020, mais risque d'être reportée compte tenu de l'impact de la gestion de la crise liée à la covid-19 qui a bousculé les calendriers.

Si nous évoquons à présent le travail que nous réalisons avec les ARS, celles-ci gèrent d'elles-mêmes les situations de sites et sols pollués, les situations sanitaires et environnementales locales et toutes ne remontent pas au niveau de la DGS. Pour préciser le cadre des missions sur les situations de sites et sols pollués, la DGS a élaboré plusieurs instructions, dont la dernière est en date du 13 juin 2019 et décrit le processus de gestion des situations de crise locales.

Les ARS interviennent à plusieurs étapes de la gestion, avec l'appui le cas échéant d'experts. Elles évaluent la situation sanitaire des populations riveraines, généralement avec l'appui de la cellule d'intervention en région (CIRe) de Santé publique France, elles participent aux comités de coordination pilotés par le préfet, elles définissent et mettent en oeuvre au regard des recommandations issues des différentes études une stratégie d'intervention qui passe souvent par l'émission de recommandations hygiéno-diététiques. Elles définissent également les modalités de prise en charge médicale individuelle le cas échéant. Enfin, elles assurent le suivi, la traçabilité et l'évaluation des mesures de gestion sanitaires mises en oeuvre.

D'une manière générale, la DGS apporte un appui aux ARS dans la gestion sanitaire des sites et sols pollués de la manière suivante :

- en définissant le cadre des actions dans ce domaine en santé-environnement ;

- par la mise à disposition d'outils d'aide à la gestion, notamment via le réseau professionnel d'échanges en santé-environnement ;

- par la saisine ponctuelle des agences nationales d'expertise si la situation le justifie ;

- et d'une façon générale par un accompagnement de la gestion en situation de crise notamment.

Les travaux de la DGS consistent donc à développer des outils pour la gestion de ces situations de sites et sols pollués à destination des ARS et des médecins confrontés aux inquiétudes de la population, de soutenir les études de surveillance afin de disposer de valeurs repères de l'imprégnation de la population générale, notamment de s'assurer de leur financement, et d'élaborer à partir de travaux d'expertise des outils destinés aux médecins pour assurer le suivi des patients exposés, selon les polluants rencontrés.

D'une façon plus générale, notre programme de travail consiste à développer les compétences des médecins en toxicologie, coordonner les agences sanitaires, organiser des séminaires ou des échanges d'expériences, demander des retours d'expérience à Santé publique France, développer des outils de communication vers le public, car ces sujets sont difficiles à exprimer de manière non anxiogène.

Par ailleurs, la DGS réalise un travail au niveau international avec l'organisation mondiale de la santé (OMS) et a poussé à inscrire la gestion des sites et sols pollués dans les sept grands axes de travail définis par la déclaration de l'OMS d'Ostrava de juin 2017 sur la santé environnementale. On constate dans ce cadre que le sujet des sites pollués est partagé par tous : chaque pays possède une expérience dans ce domaine. L'Europe a financé un programme de recherche COST sur les sites et sols pollués, qui a été finalisé l'année dernière et qui a réuni près de 150 acteurs et agences européennes. Nous avons tous souligné la complexité du sujet sur le plan scientifique, partagé nos compétences et échangé sur les résultats et méthodologies appliquées. Santé publique France a été impliquée sur ce programme et celui-ci devrait se poursuivre, à la demande quasi unanime des États participants aux travaux de l'OMS en santé-environnement.

Au niveau européen, on peut signaler le programme de surveillance HBM4EU (« European Human Biomonitoring Initiative »), dans lequel la France est très impliquée. Les ministères de la santé, de la recherche et de l'environnement l'ont porté : plus de huit organismes français de recherche d'expertise y participent (centre nationale de recherche scientifique, Inserm, Santé publique France, ANSéS, commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles...) au sein d'un réseau national associé. Ce programme devrait nous permettre d'harmoniser nos pratiques de surveillance afin d'obtenir des résultats comparables entre pays, de permettre de mieux comprendre les sources et les différentes voies d'exposition aux polluants, les risques sanitaires qu'ils présentent, les pathologies associées et in fine de mieux les gérer.

En conclusion, le ministère de la santé porte quatre grands axes de travail :

- soutenir les travaux de recherche ;

- surveiller l'imprégnation de la population ;

- améliorer la formation des médecins en santé-environnement ;

- renforcer les communications auprès du public.

Une question complémentaire consiste à savoir comment renforcer la possibilité au niveau local de réaliser des études d'imprégnation en trouvant des modes de financement notamment dans les situations de sites orphelins. Selon nous, le coût doit logiquement être supporté par le pollueur selon le principe « pollueur/payeur ».

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Ma première question porte sur la surveillance épidémiologique des risques sanitaires liés à la pollution des sols. L'agence Santé publique France dispose justement de cellules d'intervention en région, les CIRe, qui se trouvent souvent dans les mêmes locaux que l'ARS. Ces cellules sont-elles mobilisées pour traiter les alertes sanitaires émises au niveau local, que ce soit par les élus ou les riverains, face à une pollution des sols ? Le positionnement de ces cellules auprès des ARS ne pourrait-il pas justement permettre de renforcer le lien entre l'analyse épidémiologique et la définition des mesures de correction sanitaire par l'ARS et la préfecture ?

D'une façon générale, quelles pourraient être les pistes d'amélioration pour renforcer, au niveau local le plus proche de la source de pollution, la réactivité du traitement des alertes sanitaires et la mise en oeuvre de mesures de gestion du risque sanitaire ? À cet égard, quelle évaluation faites-vous du rôle de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE) ? Cette commission est-elle saisie d'alertes sur des risques sanitaires liés à des pollutions des sols industrielles ou minières ? Si oui, comment ces alertes sont-elles traitées par la commission vers le ministère de la santé et les ARS ?

Je me permets également de revenir sur un enjeu de pollution chimique qui est revenu récemment sur le devant de la scène, notamment au travers d'un film sorti récemment et qui s'intitule « Dark Waters » : il s'agit de la pollution des eaux par les émissions industrielles de perfluorés, qu'on appelle aussi parfois les « PFAS » ou les « PFOS ». Il semble que l'ANSéS avait fait une première évaluation de l'incidence de cette pollution en 2011. Le ministère des solidarités et de la santé continue-t-il néanmoins de suivre la problématique de la contamination des populations par des perfluorés notamment issus de la pollution de sols et des eaux souterraines ? Des mesures sont-elles envisagées pour maîtriser le risque sanitaire associé à ce type de pollution ?

Enfin, quelle évaluation faites-vous de la prise en compte de la prévention et de la gestion du risque sanitaire dans les diagnostics des sols et eaux souterraines réalisés par les bureaux d'études certifiés sur les sites des ICPE ? Le risque sanitaire, au même titre que le risque écologique, est-il suffisamment bien pris en compte ? La méthodologie employée par ces bureaux ou l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) pour effectuer les prélèvements de sols est-elle, selon vous, pleinement satisfaisante pour évaluer les risques sanitaires ? Il nous a en effet été suggéré que ces prélèvements étaient parfois imparfaits, car ils ne couvraient pas suffisamment toute l'étendue de la pollution ou qu'ils se limitaient à identifier certains polluants prédéterminés et pas d'autres.

D'autre part, concernant les polluants récurrents, comment assurez-vous une mission d'ensemble des enjeux sanitaires liés aux sols pollués en France ? La pollution au plomb par exemple est récurrente sur le territoire français : existe-t-il un protocole national de gestion des pollutions au plomb qui intègre notamment la pollution sur les surfaces bétonnées ou les surfaces urbaines ?

Il est évident que l'échelon européen est une piste qui en matière de santé doit être exploitée dans toutes ses déclinaisons. Espérons que nous pourrons coordonner nos actions au plan européen, notamment en matière de pollution des sols et de pollutions environnementales et de suivi des sites industriels ou miniers.

Je viens du département de l'Aude, à une encablure de la vallée de l'Orbiel et je suis par conséquent extrêmement sensible à la question du suivi des sites en post-exploitation industrielle ou minière, car mêmes plusieurs années plus tard, au regard des risques climatiques auxquels nous sommes confrontés, les pollutions se déplacent et peuvent revenir sur le devant de la scène. Cela a une incidence particulière pour nos concitoyens qui sont très sensibles aux questions environnementales et de santé. Des familles s'installent sur de nouveaux sites, dont elles ne connaissent pas toujours l'historique. L'accompagnement des populations et des élus dans ce cheminement est majeur.

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Concernant la surveillance épidémiologique, les CIRe et les ARS sont systématiquement mobilisées pour traiter les situations. Pour réaliser une étude épidémiologique, il est nécessaire de disposer d'un échantillon suffisamment important afin de pouvoir en tirer des conclusions exploitables. C'est rarement le cas dans cas des situations de sites et sols pollués, souvent locales. Nous avons demandé à Santé publique France de réaliser des études multicentriques permettant de prendre en compte l'ensemble des données existant sur les différents sites pollués afin d'en sortir les données d'impact sanitaire de ces expositions, que l'on connaît assez mal.

On peut constater des situations de sols fortement pollués, avec des concentrations très importantes, pour lesquels on ne constatera pas d'imprégnation de la population. Il existe également des situations dans lesquelles nous en constaterons. Nous n'avons pas encore suffisamment d'éléments pour comprendre ce qui a généré l'imprégnation ou pas (la biodisponibilité du métal, le type de sol...). Nous attendons beaucoup de ce retour d'expérience demandé à Santé publique France pour améliorer la prise en charge locale dans des situations sur la base de ces données.

La question des perfluorés est un des sujets de préoccupation de la DGS. L'Italie est très en avance sur le sujet, car elle a été impactée par une pollution aux perfluorés et elle a déjà engagé un important travail à cet égard. Ces polluants font partie de ceux qui sont suivis dans les études de biosurveillance nationale et pour lesquels nous disposons de données d'imprégnation que l'on peut comparer avec celles qui existent dans les autres pays et potentiellement dans une situation de pollution plus marquée au niveau local.

Concernant les polluants récurrents, et notamment le plomb, à la suite à l'incendie de Notre-Dame, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de compléter les protocoles existants par un protocole de mesure sur les dalles et les sols les plus courants en ville (macadam des rues). Ce travail est en cours et devrait encore améliorer la méthodologie existante.

Debut de section - Permalien
Delphine Caamano, adjointe à la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

La méthodologie employée pour réaliser les études, les évaluations de risque et l'interprétation de l'état des milieux (IEM) a été récemment définie dans une instruction de la direction générale de la prévention des risques en 2017, qui actualise cette méthodologie initialement publiée en 2007. Le document est robuste et a bénéficié d'un retour d'expérience depuis 2007. Dans certaines situations, l'étude d'évaluation de risques a justifié des allers-retours et les ARS ont pu émettre des recommandations pour par exemple en étendre le périmètre, étendre la palette des polluants considérés... Nous avons tenu compte de ces éléments lorsque nous avons rédigé la récente instruction du 13 juin 2019. L'instance de concertation auprès du préfet recommandée dans ce cadre permet aux ARS d'apporter par anticipation toutes leurs connaissances des sites pollués afin que dès le démarrage de l'IEM, l'ensemble des éléments portés à la connaissance du bureau d'études puisse être pris en compte. Je souligne l'intérêt d'une concertation en amont impliquant notamment les ARS et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui peut également se faire en aval, une fois l'IEM restituée. Dans ce cas, l'ARS peut également être amenée à faire des observations sur ces documents.

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

S'agissant de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE), nous n'avons pas du tout été associés à cette commission. Nous n'avons pas d'information à ce stade sur l'inscription des sites et sols pollués à son programme de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

J'entends vos réponses et je suis très respectueuse des études et des concertations. J'ai abordé dans mon questionnement la procédure d'alerte. Lorsque l'on se trouve devant un risque sanitaire majeur, qui se rappelle aux populations à l'occasion d'épisodes dramatiques - onze morts dus aux inondations chez nous -, tout un chacun avait totalement oublié l'exploitation des mines, car la région est devenue un pôle touristique avec ses châteaux cathares. Nous pensions que la pollution était contenue. Je comprends que vous deviez vous concerter aux plans national et européen, qu'il soit nécessaire de veiller au rendu, mais ne pensez-vous pas que l'enjeu de la réactivité soit important ? Lorsque je compare le degré de réactivité lié à l'incendie de Notre-Dame de Paris et celui constaté dans d'autres domaines, malgré les différentes commissions mises en place comme les commissions locales d'information (CLI), je m'interroge... Comment s'articulent les CLI et autres commissions en préfecture avec l'ensemble des organismes que vous avez cités ? Chacun décline son discours, dans des termes souvent inaudibles pour les personnes autour de la table et notamment les élus locaux. Lorsque l'exploitant est présent, la situation est plus facile à gérer. Mais lorsque l'activité industrielle ou minière a totalement cessé, qu'il n'y a plus d'exploitant, nous n'arrivons pas à avoir de réponse. On nous explique longuement qu'il n'y a pas de ratio suffisant et l'on comprend que rien ne se passe. Il est regrettable que la réactivité de la puissance publique se fasse sous la pression des parents qui décident de faire réaliser des analyses à leurs enfants atteints par l'arsenic chez nous.

Ne pensez-vous pas qu'à l'heure actuelle, au-delà de l'implication de tous les organismes que vous avez cités et de la bonne volonté de personnes qui ont envie de faire évoluer les choses sur le plan environnemental et de la gestion des friches, qu'il manque, comme c'est le cas dans les plans communaux de sauvegarde, un système permettant d'aller plus vite et de s'inscrire dans le principe de précaution ? Les populations sont amenées à se poser des questions : les bureaux qui interviennent sont qualifiés et certifiés, mais c'est le résultat qui compte. Lorsque la saisine se fait non pas à la lecture du compte rendu, mais sous la pression élective ou des populations, cela pose question.

Vous qui êtes au coeur de ces problématiques de santé, ne pensez-vous pas qu'un correctif ou une amélioration des cadres législatifs soient nécessaires ? Vous avez parlé de méthodologie, mais elle n'a pas valeur de circulaire ou réglementaire. Comment pouvons-nous perfectionner le système ? Nous sommes là pour essayer de clarifier ce système, qui est une véritable jungle. Les bureaux d'études, les organismes de santé... : chacun se renvoie la balle et l'on ne sait plus au final comment déterminer les responsabilités et comment déclencher l'action.

Debut de section - Permalien
Delphine Caamano, adjointe à la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Vous avez demandé en introduction de votre intervention comment se traitent les alertes. Au sein des ARS, un dispositif spécifique existe via les cellules régionales de veille, d'alerte et de gestion sanitaire (CRVAGS). Ce dispositif se décline en cellules départementales. Une organisation opérationnelle est bien prévue au sein des ARS pour traiter les alertes. Cette organisation a une mémoire au sein de la DGS, la sous-direction veille et sécurité sanitaire, chargée de recevoir et de traiter les signaux. Une organisation robuste existe donc tant au sein de la DGS que des ARS.

Vous avez cité différents exemples, comme l'incendie de Notre-Dame de Paris ou des situations de pollution de sols par des contaminants de type arsenic ou plomb. Il faut distinguer les deux natures de situation.

La première, comme celle de Notre-Dame, expose accidentellement les populations à des polluants non habituellement présents dans l'environnement (plomb, mélanges complexes issus des fumées d'incendie...). L'exposition est dans ce cas aiguë, immédiate et limitée dans le temps. Les manifestations sanitaires attendues sont liées à des effets aigus et sont sous la surveillance de Santé publique France qui a déployé des systèmes de surveillance syndromique. Ces systèmes consistent à examiner, au travers un certain nombre d'indicateurs régulièrement monitorés, si un infléchissement apparaît. Ces situations de crise sont traitées par les CRVAGS.

L'autre nature de situation concerne l'exposition à des contaminants chimiques au travers des sites et sols pollués. Dans ces situations, les populations sont exposées de manière chronique à des polluants également présents dans l'environnement, à des ordres de grandeur peu éloignés de ceux des polluants environnementaux. Cette pollution peut être remobilisée à l'occasion de crues, mais nous sommes confrontés à des effets sanitaires plus complexes à mettre en évidence, notamment parce que les personnes sont exposées par différentes voies d'exposition, que le temps de latence entre l'apparition des effets et l'exposition est long... Le cadre de gestion est donc différent : la prise en compte et les cadres de référence ne sont pas identiques entre ces deux types de situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je comprends que les problématiques soient différentes, mais il est nécessaire de définir un process pour les populations. Nous devons connaître le process et savoir qui saisir en cas de problème. Vous parlez des CRVAGS déclinées au niveau départemental : si j'avais su qu'une telle cellule existait, je l'aurais immédiatement saisie. Il est nécessaire d'établir un protocole permettant de faire des saisines.

Je reste sur l'idée que pour bien évoluer ensemble, il est nécessaire de clarifier les rôles de chacun et les modalités de saisine de chacun. Ce n'est pas en empilant les études ni en superposant les organismes et les commissions ad hoc que nous sortirons les populations des situations qu'elles vivent et dont elles n'ont pas les clés, notamment les élus.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous éprouvons des difficultés à nous faire un avis tranché sur les valeurs toxicologiques de référence (VTR), qui ont le mérite d'exister. Elles sont certainement utiles d'un point de vue scientifique pour établir une « jauge », mais elles n'apportent pas toujours une clarté en termes d'éléments pédagogiques pour les populations. Quel est votre point de vue sur ces VTR ? D'autres éléments doivent-ils être pris en compte ? Vous avez également la préoccupation de la communication et de la pédagogie via cette notion de pollution, comme ceci transparaît dans l'instruction de 2017. Les populations n'ont pas toujours la formation scientifique leur permettant d'apprécier à sa juste valeur la signification de ces chiffres.

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Les VTR sont indispensables pour réaliser des évaluations de risque sanitaires. Ces références permettent de comprendre les situations et d'évaluer un risque. Cette notion de risque relatif est très complexe à exprimer notamment lorsqu'il s'agit d'un risque chronique, sur le long terme. Il est souvent théorique et je conviens qu'il n'est pas très concret pour les personnes exposées et qui souhaiteraient disposer de davantage d'éléments. À cet égard, un travail de pédagogie global est nécessaire : cela demande un minimum de connaissances scientifiques pour comprendre cette notion de risque, qui est complexe.

Vis-à-vis de la population, ces explications relèveraient d'études menées par des sociologues ou des spécialistes susceptibles d'appréhender les données scientifiques et de traduire les études de manière compréhensible pour la population. Dernièrement, la notion de « cluster », très utilisée pendant la crise de la covid-19, a déclenché des réactions de forte incompréhension dans la population. Les gens se sentent perdus face à ces terminologies de plus en plus diffusées via le rendu de ces études et qui sont difficiles à comprendre. Un des objectifs du PNSE 4 qui est en préparation est de donner des outils d'appréhension pour tout un chacun de ce qu'est le risque sanitaire lié à l'environnement.

Les VTR sont utilisées partout dans le monde (États-Unis, Allemagne...). La France, grâce à l'ANSéS, s'est mise à niveau. La réglementation REACH (« Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of CHemicals ») évalue à 30 000 substances chimiques sur le marché, pour lesquelles nous n'avons pas de VTR. 2 000 sont déjà disponibles. Les VTR sont des outils d'experts : il est nécessaire de travailler la traduction du résultat de ces expertises afin de les rendre plus compréhensibles. Les VTR sont élaborées dans le cadre d'une expertise collective indépendante par les agences. Elles ont une valeur scientifique intrinsèque et ne doivent pas être influencées par d'autres éléments industriels.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Le ministère de l'environnement avait engagé voici quelques années une démarche concernant les établissements accueillant des enfants (crèches, écoles) construits sur des sites pollués. Un travail d'inventaire et de recensement avait commencé, mais avait été interrompu. Quel intérêt portez-vous à ce genre d'étude sur le plan sanitaire ? Y-a-t-il matière à aller plus loin sur certains établissements pour lesquels les taux étaient élevés ? Y-a-t-il intérêt à poursuivre sur l'ensemble des établissements cet inventaire qui n'a pas été achevé ? Les premiers résultats connus ne devraient-ils pas inciter à aller jusqu'au bout de la démarche d'un point de vue sanitaire ?

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Cette étude menée sur les établissements sensibles a été très intéressante, car elle a mis en évidence que l'on pouvait avoir quelques expositions dans certaines situations d'établissements construits sur d'anciens sites pollués. Tant le ministère de l'environnement que le ministère de la santé auraient souhaité pouvoir la poursuivre sur l'ensemble des établissements au niveau national. Ces études représentaient toutefois un énorme coût et la question budgétaire s'est posée et l'étude n'a pas pu se poursuivre sous sa forme précédente. Il serait intéressant de la poursuivre, mais en réfléchissant à une manière de la soutenir impliquant une participation des collectivités concernées. Nous y avons réfléchi avec le ministère de l'environnement et des pistes peuvent être explorées.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Une réflexion est donc en cours entre les deux ministères pour examiner son éventuelle relance.

Les secteurs d'information sur les sols (SIS) sont une identification relativement nouvelle. Quel est votre regard sur la question des risques sanitaires liés à la pollution des sols à travers ces SIS ? Donner l'information brute sans y associer la pédagogie nécessaire n'ajoute-t-il pas de la confusion sur cette appréhension du risque, déjà complexe à maîtriser ?

Debut de section - Permalien
Delphine Caamano, adjointe à la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Les SIS sont un dispositif récent et il est difficile d'en dresser le bilan ou de prendre du recul sur sa mise en oeuvre. Il s'agit d'une mesure de prévention, car c'est souvent la perte de la mémoire qui est mise en avant sur la question des sites et sols pollués. Ces pollutions sont parfois historiques et les SIS conservent la mémoire des pollutions, les portent à connaissance et garantissent qu'en cas de changement d'usage, un bureau d'études certifié réalise les diagnostics et prescrit les mesures permettant une compatibilité entre l'usage et le milieu. Cette mesure va dans le bon sens et allie à la fois l'aspect mémoriel et les éventuelles prescriptions données aux futurs aménageurs. L'adéquation de l'information avec la compréhension des personnes qui la reçoivent est une piste à explorer. Il paraît pertinent de s'entourer de compétences issues du domaine des sciences sociales pour transmettre ces messages de manière adéquate.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Bigot

Je suis décontenancé par cette audition. Je suis un élu amené à gérer des communes, des terrains pollués... J'entends vos propos et ne doute pas que nous avons affaire à des personnes très au fait des problèmes de santé. J'attendais toutefois des choses audibles et, à défaut d'être opérationnelles, qui nous permettent de construire une pensée et de faire des propositions. J'ai l'impression d'assister à une conférence universitaire, or nous sommes dans une audition sénatoriale composée d'élus.

Quelle est votre évaluation des normes actuelles : sont-elles suffisantes, sont-elles à la hauteur des enjeux de contamination de la terre, de l'eau et de l'air ? Quelle information peut-on distiller aux citoyens et aux élus locaux ? Il a été fait référence aux plans communaux de sauvegarde qui organisent une certaine opérationnalité. Nous avons besoin à l'issue de cette audition d'avoir à notre disposition un certain nombre d'éléments que nous pourrions intégrer dans une réflexion permettant de répondre à la difficulté liée à la pollution des sols. Nous sommes confrontés à des enjeux transversaux de population, de consommation de terres agricoles, de dispersion potentielle des polluants renforcée par les accidents climatiques... Quelles actions prévisionnelles pourrions-nous mettre en place ? Pourriez-vous nous proposer des pistes de réflexion à intégrer de manière pragmatique ?

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous sommes encore dans l'amont de la procédure relative à l'évaluation, l'apport de données scientifiques, l'apport d'outils pour ceux qui vont intervenir sur site pour évaluer le risque pour la population. Les risques ne sont pas forcément d'origine industrielle, certains ont une pollution intrinsèque. Il faut savoir dans quel milieu on vit et comment on vit avec son environnement.

Nous examinons avec les ARS quelles recommandations hygiéno-diététiques faire aux populations pour qu'elles s'adaptent à leur environnement extérieur et aux expositions. Nous avons saisi le HCSP à cet égard et devrions recevoir prochainement un rapport permettant d'obtenir des conseils pratiques et pragmatiques pour les populations. Il existe des moyens simples, pratiques pour éviter les expositions aux poussières, les problématiques de pollution de l'air...

Nous sommes bien conscients du fait que les élus ont besoin d'outil. Nous avons l'intention d'inscrire cette thématique au programme des villes « Santé et Territoire » de l'OMS (70 villes et collectivités), avec lesquelles nous avons travaillé sur les questions de mobilité activité, de pollution de l'air, de santé climatique... Ce programme produit des outils de formation, d'évaluation de situation, de gestion locale...Nous croyons beaucoup en cette approche, qui se déroule bien. Un certain nombre de choses se font via le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), nous produisons et transmettons des informations. Des formations permettent de gérer ces questions de santé environnementale. Il faut avoir en tête que les sites et sols pollués ne sont qu'une source d'exposition, à rapprocher de l'ensemble des expositions environnementales (air, eau...). Les élus doivent pouvoir avoir conscience de ce que sont les déterminants de santé (mobilité, alimentation...). Nous allons développer avec le HCSP des recommandations hygiéno-diététiques qui seront un bon support d'information et d'éducation.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la question du financement des études au niveau local, lorsqu'une pollution est identifiée et lorsque le pollueur n'est plus solvable ou n'existe plus. Je suppose que le problème se pose maintenant et n'existait pas auparavant. Cela est-il lié à des diminutions de crédit au niveau des agences et des ministères ?

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Les ARS sont confrontées à un besoin d'évaluer au mieux l'exposition de la population et doivent pour cela réaliser des études d'imprégnation au niveau local. Il faut également que la population accepte d'y participer. C'est le cas dans un certain nombre de situations, mais pas dans toutes : nous menons un travail pour rendre les mesures d'imprégnation, les prélèvements et les analyses remboursables ou pris en charge par la sécurité sociale. C'est le cas de l'imprégnation au plomb et devrait l'être pour l'arsenic et le cadmium. L'indemnisation de ces études a un coût important. Elles sont pour le moment financées au cas par cas par le fonds d'intervention régional (FIR) des ARS. Pourquoi ces études seraient financées par le FIR et non par le pollueur qui est à l'origine de l'exposition ? Lorsque les pollueurs sont identifiés, il semble naturel qu'ils soient sollicités pour financer ces études d'imprégnation, qui participent à la gestion de la situation sanitaire. Nous rédigeons des projets dans ce sens, cela n'est pas simple et demande un travail législatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Quel est l'ordre de grandeur du volume de dossiers relatifs aux sites pollués qui arrivent à la DGS ?

Debut de section - Permalien
Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé

Il est très variable selon les années : il s'agit de quelques dossiers par an, sachant que les ARS en gèrent également elles-mêmes. Nous avons pour cette raison demandé à Santé publique France, qui voit passer quasiment tous les dossiers car les CIRe sont systématiquement impliquées dans la gestion de ces situations, de réaliser un retour d'expérience sur l'ensemble des situations de sites et sols pollués prises en charge par les ARS.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

J'espère que la cellule de coordination « CASA » dresse des pistes d'avenir concrètes pour faire évoluer les dossiers. Concernant les VTR, chaque chose a son contre-exemple. Lorsqu'il y a eu une quasi-unanimité pour dire que les VTR n'étaient pas assez connues dans le cas d'enfants touchés par la pollution à l'arsenic en masse et que rien ne devait être fait, la HAS a considéré qu'il fallait néanmoins faire un dépistage de ces enfants après que des familles l'ont fait. Lorsque le rendu scientifique ne peut pas être corroboré, la décision a tranché en faveur de la précaution. Parfois, le principe de précaution et le bon sens pallient le fait de ne pas avoir le nombre voulu de cas pour baser l'étude sur un échantillon ayant une valeur scientifique. Quand on est dans l'urgence, le bon sens doit accompagner au mieux les missions qui nous sont confiées. Nous sommes tous là pour veiller à la bonne santé de nos concitoyens. Toute certitude se voit infliger une autre analyse que celle portée par les spécialistes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

En l'absence d'autres questions, je vous propose de mettre fin à l'audition et vous souhaite bonne soirée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 18 h 05.