Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis un ingénieur spécialiste du secteur de l'agroalimentaire. J'exerce depuis treize ans le métier de consultant. Auparavant, j'avais travaillé deux ans dans le secteur de la grande distribution. J'ai conduit une mission sur la réforme des cotations des animaux de boucherie pour France Agrimer et une autre consacrée à la valorisation du cinquième quartier. J'ai été expert lors des états généraux d'Interbev. J'observe les filières viande avec un regard à la fois extérieur et critique et je vous exposerai les préconisations que j'en ai tiré. Les difficultés qui se posent aujourd'hui à elles sont à la fois sociales et sociétales, mais aussi et avant tout économiques, avec la question de leur compétitivité.
La France est un pays qui produit beaucoup de viande et en consomme beaucoup. Petit à petit, avec les grandes et moyennes surfaces, le monde de la viande a vu apparaître un nouveau modèle économique de la distribution, au détriment des boucheries traditionnelles. L'autre tendance forte est à la segmentation des produits, dans une logique d'assemblage désassemblage de la viande pour constituer des lots homogènes.
Au niveau des élevages, on observe une hausse des coûts de production depuis 20 ans qui s'est accentuée, depuis 2 ans, avec + 20 à 30 % de hausse des coûts d'achat à l'entrée dans l'abattoir. Cela est dû avant tout à l'augmentation des postes de charge des exploitations agricoles. En 2012, il y a eu des interrogations sur la rentabilité des exploitations de viande bovine. En outre, il existe une extrême variabilité entre les systèmes d'exploitation et les revenus dans la filière bovine. Mais globalement, la rentabilité est faible alors que la charge de travail de l'éleveur reste importante, creusant un fort différentiel avec les producteurs de céréales.
Il existe plusieurs leviers pour permettre aux éleveurs d'augmenter leurs revenus. Premièrement, obtenir davantage d'aides, qui représentent déjà 40 % de leurs revenus nets. Deuxièmement, favoriser l'écoulement de la production par des industriels qui peuvent faire face à l'éclatement de la demande et être sensibles aux signes du marché. Troisièmement, vendre des coproduits de l'exploitation qui sont encore trop peu valorisés, tels que les déchets ou la méthanisation.
Au niveau des charges, le premier poste de charge des exploitations est la mécanisation et il est sans doute possible de le réduire. Le deuxième poste de charge, l'alimentation, doit aussi être réduit. Il faudra diminuer l'alimentation en céréales nobles et augmenter la consommation d'herbe et de coproduits alimentaires. Le troisième poste de dépense est la main d'oeuvre, qui doit être rendue plus productive grâce à la formation et aux investissements. Nous disposons enfin d'outils permettant de comparer les systèmes de production entre eux : le modèle « coût-prod » développé par l'Institut de l'élevage permet de disposer de chiffres précis pour conduire des analyses dépassionnées. Mais quel que soit le maillon de la chaîne de production, à partir du moment où existe une destruction de valeur, il y a une réduction du nombre d'acteurs, à tous les échelons. Le mouvement de concentration va donc se poursuivre.
Existe-t-il trop d'abattoirs ? Votre rapport de 2010 montrait clairement que le réseau était en surcapacités. Avec une offre agricole qui baisse, cela signifiera nécessairement à terme des restructurations. Pour l'instant, cette restructuration s'effectue à petit feu et correspond à une mort lente mais personne ne veut prendre l'initiative de faire évoluer les choses. La grande question qui se pose actuellement est la suivante : comment procéder à cette restructuration ? En Irlande, aux Pays-Bas, il existe des fonds pour favoriser les restructurations et permettre de réinvestir dans les outils de production afin de les maintenir au niveau technique suffisant.