Intervention de David Romieux

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 19 novembre 2019 à 16h30
Audition de Mm. Patrice Liogier secrétaire général et julien jacquet-francillon secrétaire général adjoint syndicat national des ingénieurs inspecteurs des mines julien boeldieu et Mme Valérie Labatut syndicat national des inspecteurs du travail de l'emploi et de la formation professionnelle sntefp-cgt et M. David Romieux fédération nationale de l'équipement et de l'environnement représentant la cgt dreal normandie

David Romieux, fédération nationale de l'équipement et de l'environnement, représentant la CGT Dreal Normandie :

Je représente la fédération nationale Equipement et Environnement CGT, qui est le syndicat majoritaire au sein du ministère de la transition écologique et solidaire. Je suis par ailleurs inspecteur à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Normandie et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la Dreal Normandie.

Le nombre d'agents des installations classées est de 1 607, si mes chiffres sont exacts, ce qui inclut 300 agents présents en direction départementale de la protection des populations (DDPP), affectés à la protection et la surveillance de la santé animale. Nous avons ainsi environ 1 300 inspecteurs des installations classées, ce qui inclut les agents de support travaillant au sein des services « Risques ». Cet effectif est à peu près constant depuis quelques années. Il n'a pas diminué. Le programme budgétaire 181 dédié à la prévention des risques a tout de même connu une baisse de 50 équivalents temps plein (ETP), cette diminution ayant touché les entités chargées des risques naturels et non les inspecteurs des installations classées.

L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) a joué un rôle majeur lors de l'accident, pour la modélisation de celui-ci. Il a perdu 70 ETP sur 500 en treize ans. En outre, on ne peut pas ne pas mentionner les 15 000 ETP supprimés ces dix dernières années au sein du ministère de la transition écologique, sans qu'il n'y ait de transfert d'effectifs vers les agents des unités départementales (UD).

Dans le même temps, le nombre de visites est passé de 30 000 en 2006 à environ 18 000 en 2018, ce qui représente une baisse de près de 40 % des visites des inspecteurs.

La France compte 1 300 établissements Seveso, dont 700 établissements « seuil haut » et 600 établissements Seveso « seuil bas », pour 25 000 établissements autorisés et 17 000 établissements enregistrés. Je n'ai mentionné ici que les ETP et non les postes vacants. Nous aimerions connaître le nombre exact de postes vacants. Il existe en tout cas, au vu de ces chiffres, un manque d'effectifs d'inspecteurs des installations classées. Le directeur général de la prévention des risques (DGPR) reconnaît lui-même, en « off », qu'il faudrait davantage d'effectifs. Nous demandons, à la CGT, un recrutement massif pour atteindre au moins le nombre de 2 000 inspecteurs des installations classées, ce qui impliquerait un recrutement de 190 à 200 agents par an au cours des quatre ans à venir. Il faut rappeler qu'en cas de défaillance, les agents effectuent des mises en demeure et assurent leur suivi, sachant qu'elles donnent rarement lieu à une sanction pénale en raison du manque d'agents. Ils répondent aussi aux nombreuses sollicitations dont peuvent être à l'origine les installations classées (cessations d'activité, notaires, etc.).

Je voudrais évoquer le système de l'enregistrement. Normandie Logistique aurait dû être enregistrée, mais ne l'était pas. C'est une des failles que vous connaissez dans ce dossier. L'enregistrement est né il y a dix ans pour pallier le manque d'inspecteurs au regard du nombre de visites à effectuer. Une entreprise enregistrée n'a pas à réaliser d'études d'impact ni d'études de dangers. Aucune enquête publique préalable à l'autorisation n'est requise. L'avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) n'est pas non plus requis.

Les seuils du régime d'enregistrement augmentent sans arrêt. Dans le cas de Normandie Logistique, l'entrepôt et le stockage étaient ouverts. Le seuil au-delà duquel le régime d'autorisation s'applique était fixé, en 2010, à 30 000 mètres cubes de stockage. Il a été relevé à 300 000 mètres cubes. Dix jours avant l'accident, le Premier ministre a annoncé le relèvement du seuil à 900 000 mètres cubes. La CGT demande la remise en place du système d'enregistrement et un bilan du système d'autorisation, afin de déterminer s'il était judicieux de faire passer toutes ces entreprises sous le régime d'enregistrement, ce qui signifie également une fréquence plus faible de visites.

Les entreprises qui sont simplement déclarées relèvent d'un régime d'autocontrôle, dont les suites ne sont transmises aux inspecteurs des installations classées qu'en cas de non-conformité grave des installations.

Nous souhaiterions savoir quelles suites sont données en cas de non-conformité grave. Un bilan a-t-il été tiré de ce point de vue en ce qui concerne Normandie Logistique ? Des non-conformités graves avaient-elles été relevées ? Si oui, quelles suites leur ont-elles été données ?

La sous-traitance, que vous avez évoquée, constitue en effet un problème à Normandie Logistique, sans parler des agents, qui sont moins formés et ne savent même pas toujours ce qu'est une fiche de données de sécurité (FDS) en ce qui concerne les produits chimiques. Je suppose que mes collègues y reviendront.

J'irai un peu à l'encontre de ce qu'ont dit mes collègues du Snim. Un processus de préfectoralisation est en cours dans le cadre des réformes « Cap 2022 », donnant davantage de pouvoirs au préfet de département sur les UD, en termes de notation, de nomination et de regroupements en préfecture. La fusion des UD, sous l'égide de la Dreal Normandie, s'effectue à marche forcée. Les agents de la Dreal Normandie ont été fortement touchés par l'accident et se posent tous des questions quant à leur métier et la crédibilité de leur action. Un bureau d'études constitué de psychologues du travail a été mandaté, compte tenu de l'état des agents après l'accident. Les agents ont signé une pétition contre la fusion des UD - synonyme d'une nouvelle réorganisation - qui avance à marche forcée dans la perspective du 1er janvier.

J'ai sondé les agents inspecteurs, qui plaident pour davantage d'indépendance et d'autonomie. Un procès-verbal a été délivré à Normandie Logistique le 22 octobre. Ce procès-verbal aurait dû arriver directement chez le procureur. Il a été filtré par le préfet de département, ce qui se pratique souvent. Est-il normal que les décisions d'agents assermentés passent par un filtre ? Les inspecteurs des installations classées ont besoin d'une indépendance pour ne pas toujours être soumis au « chantage à l'emploi » et à la mise en balance fréquente qui est faite entre emploi et sécurité. Leur rôle est de détecter les infractions et de les faire connaître au procureur, de façon immédiate, sans filtre.

Cette indépendance doit englober les inspecteurs du travail. Nous estimons qu'il serait très utile qu'il y ait des visites inopinées de binômes comprenant un inspecteur du travail et un inspecteur des installations classées, de manière indépendante et autonome, sans information préalable des préfets.

Je vais évoquer la gestion de crise par la Dreal Normandie, qui a été émaillée de très nombreuses défaillances et par une forte improvisation. Je ne reviendrai pas sur ces improvisations, qui ont touché par exemple les écoles et les facteurs, auxquels on a demandé de rester chez eux le matin. Les bus sont partis et ont été rappelés en milieu de journée, obligeant les salariés à rentrer à pied le soir. Vous connaissez tout cela.

La Dreal a été informée, à huit heures du matin, du fait qu'il n'y avait aucun risque toxique et que tous les salariés pouvaient aller travailler, alors que Lubrizol brûlait encore. La modélisation a pourtant montré qu'il y avait un risque létal à cent mètres de hauteur et qu'il existait un risque de conséquences irréversibles à vingt mètres de hauteur. Il semblerait que les vents aient soufflé dans le bon sens. Le facteur « chance » est entré en ligne de compte.

Dans le travail d'une Dreal, il n'y a pas de protocole. Les inspecteurs soulignent, comme les pompiers, que chaque entreprise et chaque situation d'accident est différente. Cela fait partie de leur culture d'improviser face au risque - ce qui est normal - mais un protocole minimal eut été nécessaire. Des agents sont intervenus sans équipement de protection, ou avec un équipement se limitant à des masques en papier, pour les agents de la Dreal. Ils ont gardé leur masque en papier durant quinze jours, alors qu'il était nécessairement contaminé. Des agents sont venus avec leur véhicule personnel sur site et ces véhicules n'ont jamais été décontaminés, alors que les véhicules de fonction l'ont été. Il n'y a plus de médecin de prévention au sein des Dreal. Les agents n'ont donc pas eu de suivi médical. Vous savez qu'il faut réaliser une prise de sang au bout de 21 jours pour savoir si l'on a été intoxiqué. Un médecin du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) a établi une ordonnance au 21ème jour, ce qui a permis aux agents d'avoir cette prise de sang.

Je termine par des propositions. Il faudrait augmenter l'information du public. La population a été prévenue quelques heures après le début de l'incendie par les sirènes, en application du PPI. Elle n'a pas été informée immédiatement. Les agents demandent davantage d'exercices avec les entreprises adjacentes. Cela aurait pu éviter ce problème avec Normandie Logistique, qui aurait dû être prise en compte dans l'étude de dangers. Ils demandent aussi davantage d'exercices avec la population, laquelle doit être informée en amont. Cela aurait peut-être évité la paranoïa qui s'est manifestée lors de cet accident. Je résumerai mon propos en demandant plus de moyens, plus d'effectifs, plus d'indépendance pour les inspecteurs.

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