Intervention de Gérald Le Corre

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 19 novembre 2019 à 16h30
Audition de représentants des syndicats des personnels de l'industrie chimique

Gérald Le Corre, délégué syndical CGT :

Je rappelle d'abord que nous avons une longue expérience des accidents industriels et surtout qu'on ne peut pas aborder la question du risque industriel sans d'abord évoquer le risque pour la santé des travailleurs de ces établissements.

Nous disposons d'un code du travail extrêmement complet sur ce point qui comporte des principes généraux de prévention visant à supprimer les risques à la source et à les évaluer mais je précise également, et cela est moins connu, que notre législation du travail prévoit toutes les règles nécessaires sur la prévention des incendies, le stockage des produits dangereux, l'organisation des secours, le risque d'explosion, le risque chimique, la solidité des bâtiments, le risque d'explosion, la sous-traitance et la formation. Il y a eu tout un débat sur le fait de savoir si Normandie Logistique aurait dû être classée ou non mais, à la limite, peu importe : à partir du moment où une entreprise a ne serait-ce qu'un seul salarié et un litre de produit chimique toutes les règles sur le stockage et l'incendie auraient dû être appliquées.

Si le code du travail était totalement appliqué, le code de l'environnement, dans ses dispositifs sur les entreprises Seveso ou classées, jouerait un rôle de « deuxième ceinture de sécurité » pour éviter la contagion des risques aux entreprises à proximité et aux riverains.

Cette remarque est importante car on constate, en Seine-Maritime, une extension de la sous-traitance sans que soient organisées des inspections préalables communes, sans disposer d'analyses de risques complètes sur les risques d'explosion. En outre, la formation des travailleurs extérieurs au site Seveso - prévue par la loi dite Bachelot - est remplacée par une simple information et la certification Mase (en référence au manuel d'amélioration sécurité des entreprises), n'est pas respectée. Je précise que tous les sous-traitants sont certifiés Mase, comme l'a indiqué le président de Lubrizol, dans une interview, mais il s'agit là d'une certification qui ne remplace en aucun cas les obligations réglementaires de formation au risque incendie, au risque d'explosion et à la connaissance des plans de prévention. On constate aussi une sous déclaration des accidents et des incidents et le non déclenchement de plans d'opération internes (POI), en particulier dans des entreprises du secteur de la pétrochimie. Surtout, les procédures de sécurité existent mais sont incompatibles avec les normes de productivité. Je confirme donc les propos de Mme Corinne Lepage : les salariés cochent les cases des documents pour attester que des vérifications de sécurités ont été faites alors qu'ils n'ont pas pu les mener à bien faute de temps.

Du côté du patronat, les constats sont édifiants : selon un article de presse, les salariés ne sont pas suffisamment formés et 88 % des donneurs d'ordres constatent que la situation est insatisfaisante.

Nous avons adressé des courriers aux diverses autorités ministérielles et administrative. Seule la Direccte nous a répondu en indiquant que notre constat pouvait être partagé mais que l'administration ne dispose pas de moyens suffisants pour multiplier les contrôles.

On a évité des catastrophes, en 2015 et 2016, et, dans certains cas il y a eu des morts : on peut démontrer qu'ils sont liés à des défauts dans les plans de prévention. Les incidents se multiplient avec deux morts en 2018 et trois en 2019 pour la seule Seine-Maritime. Le rapport de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) confirme l'augmentation de 35 % du nombre d'incidents, avec la répétition d'accidents déjà survenus au sein d'une même entreprise.

En matière de droit pénal, je ne pense pas que la bonne question soit celle de la création d'un parquet spécialisé. La bonne solution est de relever les infractions au code du travail et au code de l'environnement avant l'accident. Les amendes de quelques milliers d'euros infligées à Lubrizol ou pour un accident mortel au Groupe Bolloré ne sont pas assez dissuasives. Il faut une tolérance zéro pour la délinquance patronale, comme cela est mis en place pour les accidents de la route.

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