Je vous remercie de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette catastrophe industrielle, qui, comme vous l'avez rappelé, a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà le 26 septembre dernier.
Dès les premières heures de cet incendie hors norme, l'ensemble des services de l'État a été pleinement mobilisé. L'intervention des sapeurs-pompiers a été exemplaire. Les 280 pompiers mobilisés ont fait preuve d'un immense courage. Je voudrais à nouveau les remercier. Grâce à eux, malgré la violence de l'incendie, on ne déplore aucun blessé, ni a fortiori, aucun mort.
Je voudrais aussi souligner l'implication des agents de la Dreal de Normandie. Depuis la fuite de mercaptan sur le site de Lubrizol en 2013, ce ne sont pas moins de 39 inspections qui ont été réalisées en 6 ans. Ces inspections ont permis de tester le plan d'opérations interne (POI) de Lubrizol ou de renforcer les dispositifs de prévention des incendies. La mise en oeuvre du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait également permis de réduire deux facteurs de risques importants avec la suppression d'une cuve de GPL et d'une cuve d'acide chlorhydrique, auparavant situées à proximité des bâtiments ayant brûlé. Cela a clairement permis d'éviter des conséquences encore plus dramatiques.
Le Gouvernement s'est engagé à faire face aux conséquences environnementales et sanitaires de cet accident dans la transparence la plus absolue. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques. Elles ont été présentées lors des réunions du comité de dialogue et de transparence qui a été mis en place. Le comité s'est réuni à six reprises. Ces données ont également été systématiquement mises en ligne sur le site de la préfecture de Seine-Maritime et sont donc accessibles à tous. Par ailleurs, nous avons imposé la mise en place d'une surveillance environnementale post-accidentelle avec deux arrêtés de mesures d'urgence, en date du 26 septembre pour Lubrizol et du 30 septembre pour Normandie Logistique, dans les jours qui ont suivi l'incendie.
Pour l'alimentation, ce sont plus de 500 prélèvements qui ont été réalisés. Les résultats se sont révélés inférieurs aux normes applicables. Les prélèvements vont se poursuivre dans la durée pour vérifier que tous les résultats restent bien conformes.
J'en viens aux retombées. Les résultats sont cohérents avec le bruit de fond, c'est-à-dire la qualité moyenne des sols avant l'incendie, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces de soufre, de zinc et de phosphore ont été mesurées. Ces éléments étaient bien présents dans les produits de Lubrizol. Leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières. Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. En raison d'une saturation des laboratoires d'analyses, seule une première série de résultats pour 23 communes autour de Rouen a été rendue disponible. Ces premiers résultats ne montrent pas d'anomalie particulière, hormis quelques traces de plomb, de mercure et de benzoapyrène, sans qu'il soit possible de les relier à l'incendie.
Par ailleurs, dès le 4 octobre, j'ai demandé la réalisation d'un protocole de suivi des eaux de surface et de la biodiversité à l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité (OFB), aux agences de l'eau de Seine-Normandie et d'Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre).
Les analyses réalisées sur les cours d'eau présentent de faibles concentrations en hydrocarbures dont le lien avec l'accident n'est pas établi, compte tenu de leur localisation géographique. Aucune mortalité piscicole n'a été relevée, en dehors de la darse, qui a accueilli une partie des eaux d'extinction de l'incendie. Le diagnostic complet de cet état des milieux est attendu pour le mois d'avril ; il permettra de mener une étude quantitative des risques sanitaires, dont les résultats seront ensuite expertisés par les agences sanitaires.
C'est la première fois que des analyses sont réalisées sur un spectre aussi large de polluants et sur des volumes aussi importants. Elles permettent d'apporter une information rigoureuse sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.
Pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise, nous en avons tiré des premières leçons.
Dès la survenue de l'accident, j'avais diligenté une mission d'inspection générale, en l'occurrence le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie (CGE). Les recommandations de cette mission ont été présentées lors de la réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 13 janvier dernier, et les membres de ce conseil m'ont eux-mêmes fait part de leurs réflexions et propositions.
Les problématiques relatives à la gestion de crise font l'objet d'une mission d'inspection générale qui rendra ses conclusions au printemps. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février sera ainsi complété dans les prochains mois sur l'alerte des populations et le développement de la culture du risque.
Le premier axe de ce plan d'action consiste à renforcer la transparence lorsqu'un accident industriel a lieu, en mettant à disposition l'ensemble des informations pertinentes. Lors de l'incendie, le 26 septembre, nous avons eu des difficultés à récupérer une liste précise et utilisable des produits qui avaient brûlé. Pour garantir une parfaite transparence, nous allons imposer que soient mises à disposition du public dès la survenue de l'accident et dans des termes intelligibles par les non-spécialistes la nature et la quantité des produits stockés.
En outre, les délais d'analyses sont encore trop longs. Seuls les résultats de 23 communes sont aujourd'hui connus. C'est pourquoi nous demanderons aux industriels d'identifier en amont les moyens de prélèvements et d'analyses associés.
Des études viendront compléter les valeurs toxicologiques de référence et les valeurs de bruit de fond sur un éventail de polluants plus larges pour faciliter l'interprétation des valeurs mesurées. Nous n'avons aujourd'hui pas de valeur toxicologique de référence pour les mesures de dioxines dans l'environnement. Par ailleurs, nous n'avons évidemment pas la cartographie de l'ensemble des teneurs en bruit de fond sur ces différents polluants. Pouvoir disposer de l'ensemble de ces valeurs constitue donc un axe de travail très lourd.
Deuxième axe, nous devons évidemment éviter que des incendies d'une telle ampleur ne se déclenchent à nouveau. L'enquête judiciaire est toujours en cours. Nous n'avons donc pas d'éléments sur l'origine de l'incendie, mais nous savons que son développement rapide découle notamment de la présence d'une nappe enflammée qui a propagé l'incendie entre plusieurs stockages. Cela nous amène à envisager plusieurs axes d'amélioration pour limiter, précisément, la propagation de l'incendie au sein des différents stockages d'un même site. Nous allons donc revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages des produits et la conception des cuvettes de rétention.
Il nous faut aussi éviter la propagation d'incendies entre des sites voisins. Nous allons désormais inspecter systématiquement l'ensemble des installations classées dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso. Les moyens d'extinction sur le site Lubrizol se sont révélés insuffisants, ce qui a nécessité de mettre en place en urgence de bateaux-pompes sur la Seine. Des émulseurs, les produits que les pompiers mélangent à l'eau pour obtenir de la mousse, ont aussi dû être recherchés chez les industriels voisins de Lubrizol. Nous allons donc désormais demander aux industriels d'identifier en amont des capacités suffisantes d'eau d'extinction et d'émulseurs.
L'ensemble de nouvelles obligations seront testées lors d'exercices réguliers obligatoirement une fois par an pour les sites Seveso seuil haut, alors que la pratique est d'une fois tous les trois ans actuellement. Nous allons donc renforcer nos moyens de contrôle et d'enquête pour nous assurer que ces nouvelles réglementations sont bien appliquées.
J'ai en effet indiqué que nous nous fixons l'objectif d'augmenter de 50 % le nombre de contrôles d'ici à la fin du quinquennat. L'atteinte de cet objectif reposera sur une réduction des charges administratives des inspecteurs des installations classées, notamment en développant des outils numériques et en privilégiant des contrôles sur sites. Ces dernières années, les inspecteurs ont été de plus en plus chargés de l'instruction de dossiers. Il y avait une charge particulière liée, précisément, à la mise en place des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), qui sont quasiment tous élaborés aujourd'hui. Cela a représenté une charge administrative très importante pour nos inspecteurs. Les effectifs d'inspecteurs seront le cas échéant ajustés une fois ces différentes optimisations réalisées.
J'ai aussi souhaité que l'on puisse disposer d'un bureau d'enquêtes accidents en matière de risques industriels et technologiques. Un tel outil existe, par exemple, pour les transports aériens, terrestres et maritimes. Il est très précieux de pouvoir mobiliser une telle expertise, non pas pour doublonner l'enquête judiciaire, mais pour tirer le plus rapidement possible toutes les conséquences d'un accident majeur.
Le Gouvernement s'est engagé à présenter les faits tels qu'ils sont en toute transparence et à tirer le retour d'expérience de cet accident. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février visait à prendre au plus vite les dispositions pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise.
J'ai effectivement saisi les préfets pour demander que les Dreal prennent l'attache des responsables de l'ensemble des sites Seveso, afin de vérifier le dimensionnement et le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques. En particulier, car c'est ce qui permet de prévenir des incendies, des exercices de préparation, indispensables pour vérifier l'effectivité des mesures de protection, doivent être réalisés la nuit. Il s'agit aussi de faire en sorte que les exploitants disposent en temps réel d'une connaissance de la nature et des quantités de produits. La réglementation sera ajustée en conséquence. Par ailleurs, 98 % des exploitants ont fait un retour aux préfets, notamment sur leur capacité à produire les éléments demandés. Nous nous assurerons aussi que l'on pourra organiser des exercices en période nocturne au cours des prochains mois. Théoriquement, ce devrait être le cas.
Les préconisations, recommandations ou injonctions de la Dreal, notamment celles qui visaient à améliorer la défense incendie de Lubrizol, avaient fait l'objet d'une mise en demeure en 2017. Celle-ci a été levée en 2018, l'exploitant s'étant mis en conformité. À mon sens, toutes ces recommandations ont aussi contribué à améliorer le POI de l'entreprise, ce qui a certainement aussi facilité la gestion de cet incendie.
Aujourd'hui, les prescriptions qui sont émises aboutissent le cas échéant à des mises en demeure faisant l'objet de sanctions importantes. En l'absence de régularisation, il peut y avoir des astreintes administratives, voire des suspensions d'autorisation d'exploiter.
Le projet de loi présenté par Nicole Belloubet relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée - examiné par le Sénat cette semaine - prévoit de nouveaux outils de répression des atteintes graves à l'environnement permettant d'obtenir la réparation de préjudices et d'appliquer des sanctions dissuasives, sans aller jusqu'à la suspension d'exploitation, mesure effectivement difficile à prononcer par les représentants de l'État.