Mes chers collègues, nous achevons les auditions de notre commission d'enquête en entendant Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Madame la ministre, il y a cinq mois jour pour jour, un incendie de très grande ampleur s'est déclenché à Rouen. S'il a été rapidement maîtrisé, l'ampleur du panache et la persistance d'odeurs sur la ville pendant plusieurs semaines ont alimenté un sentiment de colère et d'incompréhension.
Dès le 2 octobre, vous avez fait parvenir aux préfets une instruction constituant une première réponse après l'incendie. Quel retour avez-vous eu par rapport à ces recommandations et à leur mise en oeuvre ? Lors d'un récent déplacement dans le Rhône, nous avons constaté avec étonnement que de nombreux sites Seveso n'avaient jamais mené d'exercices en dehors des heures ouvrées. Y a-t-il des évolutions à cet égard ?
Voilà deux semaines, vous avez dévoilé un plan d'actions pour éviter qu'un nouvel accident de même ampleur ne se reproduise. Vous avez notamment annoncé une augmentation de 50 % du nombre de contrôles. C'est un objectif ambitieux, et nous ne pouvons qu'y souscrire. Simplement, nous nous interrogeons sur la possibilité de l'atteindre avec des effectifs qui ne devraient a priori pas augmenter en proportion.
S'il est certainement important de renforcer les contrôles, il est, à notre sens, encore plus important de s'assurer que ceux-ci sont suivis d'effets. À cet égard, nous avons un sujet d'interrogation et même d'insatisfaction. Comme cela a été relevé dans l'arrêté de mise en demeure formulé par le préfet à l'égard de Lubrizol le 8 novembre dernier, un certain nombre de remarques avaient été émises par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) un an et demi plus tôt, plus précisément le 19 avril 2018, concernant notamment le plan de défense incendie pour une meilleure prise en compte des récipients mobiles. Il ne nous semble ni normal ni légitime que des remarques aussi importantes de la part des services de l'État puissent rester lettre morte.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Borne prête serment.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole, avant de passer aux questions des rapporteurs, puis des autres membres de notre commission d'enquête.
Je vous remercie de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette catastrophe industrielle, qui, comme vous l'avez rappelé, a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà le 26 septembre dernier.
Dès les premières heures de cet incendie hors norme, l'ensemble des services de l'État a été pleinement mobilisé. L'intervention des sapeurs-pompiers a été exemplaire. Les 280 pompiers mobilisés ont fait preuve d'un immense courage. Je voudrais à nouveau les remercier. Grâce à eux, malgré la violence de l'incendie, on ne déplore aucun blessé, ni a fortiori, aucun mort.
Je voudrais aussi souligner l'implication des agents de la Dreal de Normandie. Depuis la fuite de mercaptan sur le site de Lubrizol en 2013, ce ne sont pas moins de 39 inspections qui ont été réalisées en 6 ans. Ces inspections ont permis de tester le plan d'opérations interne (POI) de Lubrizol ou de renforcer les dispositifs de prévention des incendies. La mise en oeuvre du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait également permis de réduire deux facteurs de risques importants avec la suppression d'une cuve de GPL et d'une cuve d'acide chlorhydrique, auparavant situées à proximité des bâtiments ayant brûlé. Cela a clairement permis d'éviter des conséquences encore plus dramatiques.
Le Gouvernement s'est engagé à faire face aux conséquences environnementales et sanitaires de cet accident dans la transparence la plus absolue. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques. Elles ont été présentées lors des réunions du comité de dialogue et de transparence qui a été mis en place. Le comité s'est réuni à six reprises. Ces données ont également été systématiquement mises en ligne sur le site de la préfecture de Seine-Maritime et sont donc accessibles à tous. Par ailleurs, nous avons imposé la mise en place d'une surveillance environnementale post-accidentelle avec deux arrêtés de mesures d'urgence, en date du 26 septembre pour Lubrizol et du 30 septembre pour Normandie Logistique, dans les jours qui ont suivi l'incendie.
Pour l'alimentation, ce sont plus de 500 prélèvements qui ont été réalisés. Les résultats se sont révélés inférieurs aux normes applicables. Les prélèvements vont se poursuivre dans la durée pour vérifier que tous les résultats restent bien conformes.
J'en viens aux retombées. Les résultats sont cohérents avec le bruit de fond, c'est-à-dire la qualité moyenne des sols avant l'incendie, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces de soufre, de zinc et de phosphore ont été mesurées. Ces éléments étaient bien présents dans les produits de Lubrizol. Leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières. Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. En raison d'une saturation des laboratoires d'analyses, seule une première série de résultats pour 23 communes autour de Rouen a été rendue disponible. Ces premiers résultats ne montrent pas d'anomalie particulière, hormis quelques traces de plomb, de mercure et de benzoapyrène, sans qu'il soit possible de les relier à l'incendie.
Par ailleurs, dès le 4 octobre, j'ai demandé la réalisation d'un protocole de suivi des eaux de surface et de la biodiversité à l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité (OFB), aux agences de l'eau de Seine-Normandie et d'Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre).
Les analyses réalisées sur les cours d'eau présentent de faibles concentrations en hydrocarbures dont le lien avec l'accident n'est pas établi, compte tenu de leur localisation géographique. Aucune mortalité piscicole n'a été relevée, en dehors de la darse, qui a accueilli une partie des eaux d'extinction de l'incendie. Le diagnostic complet de cet état des milieux est attendu pour le mois d'avril ; il permettra de mener une étude quantitative des risques sanitaires, dont les résultats seront ensuite expertisés par les agences sanitaires.
C'est la première fois que des analyses sont réalisées sur un spectre aussi large de polluants et sur des volumes aussi importants. Elles permettent d'apporter une information rigoureuse sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.
Pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise, nous en avons tiré des premières leçons.
Dès la survenue de l'accident, j'avais diligenté une mission d'inspection générale, en l'occurrence le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie (CGE). Les recommandations de cette mission ont été présentées lors de la réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 13 janvier dernier, et les membres de ce conseil m'ont eux-mêmes fait part de leurs réflexions et propositions.
Les problématiques relatives à la gestion de crise font l'objet d'une mission d'inspection générale qui rendra ses conclusions au printemps. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février sera ainsi complété dans les prochains mois sur l'alerte des populations et le développement de la culture du risque.
Le premier axe de ce plan d'action consiste à renforcer la transparence lorsqu'un accident industriel a lieu, en mettant à disposition l'ensemble des informations pertinentes. Lors de l'incendie, le 26 septembre, nous avons eu des difficultés à récupérer une liste précise et utilisable des produits qui avaient brûlé. Pour garantir une parfaite transparence, nous allons imposer que soient mises à disposition du public dès la survenue de l'accident et dans des termes intelligibles par les non-spécialistes la nature et la quantité des produits stockés.
En outre, les délais d'analyses sont encore trop longs. Seuls les résultats de 23 communes sont aujourd'hui connus. C'est pourquoi nous demanderons aux industriels d'identifier en amont les moyens de prélèvements et d'analyses associés.
Des études viendront compléter les valeurs toxicologiques de référence et les valeurs de bruit de fond sur un éventail de polluants plus larges pour faciliter l'interprétation des valeurs mesurées. Nous n'avons aujourd'hui pas de valeur toxicologique de référence pour les mesures de dioxines dans l'environnement. Par ailleurs, nous n'avons évidemment pas la cartographie de l'ensemble des teneurs en bruit de fond sur ces différents polluants. Pouvoir disposer de l'ensemble de ces valeurs constitue donc un axe de travail très lourd.
Deuxième axe, nous devons évidemment éviter que des incendies d'une telle ampleur ne se déclenchent à nouveau. L'enquête judiciaire est toujours en cours. Nous n'avons donc pas d'éléments sur l'origine de l'incendie, mais nous savons que son développement rapide découle notamment de la présence d'une nappe enflammée qui a propagé l'incendie entre plusieurs stockages. Cela nous amène à envisager plusieurs axes d'amélioration pour limiter, précisément, la propagation de l'incendie au sein des différents stockages d'un même site. Nous allons donc revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages des produits et la conception des cuvettes de rétention.
Il nous faut aussi éviter la propagation d'incendies entre des sites voisins. Nous allons désormais inspecter systématiquement l'ensemble des installations classées dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso. Les moyens d'extinction sur le site Lubrizol se sont révélés insuffisants, ce qui a nécessité de mettre en place en urgence de bateaux-pompes sur la Seine. Des émulseurs, les produits que les pompiers mélangent à l'eau pour obtenir de la mousse, ont aussi dû être recherchés chez les industriels voisins de Lubrizol. Nous allons donc désormais demander aux industriels d'identifier en amont des capacités suffisantes d'eau d'extinction et d'émulseurs.
L'ensemble de nouvelles obligations seront testées lors d'exercices réguliers obligatoirement une fois par an pour les sites Seveso seuil haut, alors que la pratique est d'une fois tous les trois ans actuellement. Nous allons donc renforcer nos moyens de contrôle et d'enquête pour nous assurer que ces nouvelles réglementations sont bien appliquées.
J'ai en effet indiqué que nous nous fixons l'objectif d'augmenter de 50 % le nombre de contrôles d'ici à la fin du quinquennat. L'atteinte de cet objectif reposera sur une réduction des charges administratives des inspecteurs des installations classées, notamment en développant des outils numériques et en privilégiant des contrôles sur sites. Ces dernières années, les inspecteurs ont été de plus en plus chargés de l'instruction de dossiers. Il y avait une charge particulière liée, précisément, à la mise en place des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), qui sont quasiment tous élaborés aujourd'hui. Cela a représenté une charge administrative très importante pour nos inspecteurs. Les effectifs d'inspecteurs seront le cas échéant ajustés une fois ces différentes optimisations réalisées.
J'ai aussi souhaité que l'on puisse disposer d'un bureau d'enquêtes accidents en matière de risques industriels et technologiques. Un tel outil existe, par exemple, pour les transports aériens, terrestres et maritimes. Il est très précieux de pouvoir mobiliser une telle expertise, non pas pour doublonner l'enquête judiciaire, mais pour tirer le plus rapidement possible toutes les conséquences d'un accident majeur.
Le Gouvernement s'est engagé à présenter les faits tels qu'ils sont en toute transparence et à tirer le retour d'expérience de cet accident. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février visait à prendre au plus vite les dispositions pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise.
J'ai effectivement saisi les préfets pour demander que les Dreal prennent l'attache des responsables de l'ensemble des sites Seveso, afin de vérifier le dimensionnement et le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques. En particulier, car c'est ce qui permet de prévenir des incendies, des exercices de préparation, indispensables pour vérifier l'effectivité des mesures de protection, doivent être réalisés la nuit. Il s'agit aussi de faire en sorte que les exploitants disposent en temps réel d'une connaissance de la nature et des quantités de produits. La réglementation sera ajustée en conséquence. Par ailleurs, 98 % des exploitants ont fait un retour aux préfets, notamment sur leur capacité à produire les éléments demandés. Nous nous assurerons aussi que l'on pourra organiser des exercices en période nocturne au cours des prochains mois. Théoriquement, ce devrait être le cas.
Les préconisations, recommandations ou injonctions de la Dreal, notamment celles qui visaient à améliorer la défense incendie de Lubrizol, avaient fait l'objet d'une mise en demeure en 2017. Celle-ci a été levée en 2018, l'exploitant s'étant mis en conformité. À mon sens, toutes ces recommandations ont aussi contribué à améliorer le POI de l'entreprise, ce qui a certainement aussi facilité la gestion de cet incendie.
Aujourd'hui, les prescriptions qui sont émises aboutissent le cas échéant à des mises en demeure faisant l'objet de sanctions importantes. En l'absence de régularisation, il peut y avoir des astreintes administratives, voire des suspensions d'autorisation d'exploiter.
Le projet de loi présenté par Nicole Belloubet relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée - examiné par le Sénat cette semaine - prévoit de nouveaux outils de répression des atteintes graves à l'environnement permettant d'obtenir la réparation de préjudices et d'appliquer des sanctions dissuasives, sans aller jusqu'à la suspension d'exploitation, mesure effectivement difficile à prononcer par les représentants de l'État.
Notre commission d'enquête travaille depuis plusieurs mois sur les suites de l'incendie de Lubrizol. Madame la ministre, vous avez formulé un certain nombre de recommandations, dont l'augmentation du nombre des contrôles des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
Parallèlement, le Gouvernement a présenté le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), qui est en cours d'examen par une commission spéciale. Or l'article 24 de ce texte rend facultative la consultation par le préfet du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) pour l'installation d'une ICPE.
À l'article 25 ce projet de loi, il est prescrit de recourir à une simple consultation publique au lieu d'une véritable enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale. Enfin, l'article 26 tend à autoriser le début des travaux avant que l'autorité environnementale n'ait donné son autorisation, ou encore à alléger les contrôles environnementaux.
Je considère, pour ma part, que ces articles sont contradictoires avec vos recommandations et préconisations mais également avec la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2020, qui a consacré l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement face à la liberté d'entreprendre.
Si je comprends bien, la logique qui sous-tend ce projet de loi est davantage une logique provenant de Bercy, donc économique. Je pense qu'elle va à l'encontre des problématiques environnementales, ce qui est très regrettable. Quelle est votre position, madame la ministre ?
En résumé, madame la ministre, pensez-vous qu'il soit opportun d'alléger les contraintes environnementales après ce qui s'est passé à Rouen ?
Je ne partage pas du tout votre lecture du projet de loi. Je sais qu'un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) environnementales ont soulevé ces questions, mais j'aurai l'occasion de leur apporter des réponses.
S'agissant par exemple de la consultation du Coderst, vous savez que l'on est dans une situation assez paradoxale, puisque la saisine de ce conseil est facultative dans le cadre d'autorisations et obligatoire pour les installations de moindre importance soumises à enregistrement. On le voit bien, à force de modifier les textes, on arrive à des situations défiant toute logique.
Pour ma part, je pense que l'on peut s'appuyer sur les préfets pour prendre des décisions de bon sens. J'imagine mal un préfet se passer de l'avis du Coderst sur une décision concernant un projet sensible, même si c'est possible, je le répète, en cas d'autorisation d'un établissement présentant des risques.
Avec ce projet de loi, il s'agit simplement de rendre possible, pour des dossiers soumis à enregistrement et ne présentant pas une sensibilité particulière, ce qui l'est aujourd'hui sur des dossiers plus importants soumis à autorisation. En aucun cas, cela ne peut s'analyser comme de moindres précautions sur des autorisations ICPE.
De la même façon, nous introduisons la possibilité de mener une consultation électronique du public, à la place de l'enquête publique classique. Je rappelle que c'est impossible aujourd'hui pour des projets soumis à évaluation environnementale. À mon sens, cette simplification est salutaire, même s'il faut sans doute poursuivre les échanges sur les garanties de transparence offertes pour la prise en compte de tous les avis.
Quant à la possibilité d'engager des travaux sur une partie d'un permis de construire sans attendre la décision d'autorisation environnementale, elle est strictement encadrée. Ce n'est valable que pour une construction sans enjeu d'artificialisation ou de défrichement, donc qui ne pose pas problème au regard de la loi sur l'eau ou de la protection d'espèces protégées.
En conclusion, je le répète, il ne s'agit pas de baisser la garde sur les exigences préalables à une autorisation d'installation classée pour la protection de l'environnement.
Permettez-moi d'apporter quelques précisions.
Tout d'abord, les PPRT n'ont pas encore été tous élaborés.
Ensuite, vous prétendez que toutes les prescriptions sont globalement mises en oeuvre dès lors qu'elles sont formulées. Pourtant, j'ai ici la lettre que m'a adressée le préfet de la région Normandie le 17 décembre 2019, dont j'ai déjà lu certains extraits aux hauts responsables de Lubrizol ici même, qui montre très clairement qu'un certain nombre de remarques formulées par le préfet de région en 2018 n'étaient toujours pas prises en compte au moment du sinistre. Cela montre la nécessité de davantage contrôler les entreprises.
Pour revenir sur les PPRT, on en dénombre 385 sur les 390 qui sont prescrits. Il en manque donc 5, plus complexes, qui sont toujours en cours d'élaboration. Une fois que ces PPRT existent, cela ne veut pas dire qu'ils sont tous mis en oeuvre. Il y a deux types de prescriptions.
Tout d'abord, il y a les mesures sur les biens, qui peuvent faire l'objet d'expropriation ou d'un droit de délaissement. S'agissant de ce dernier droit, il est compliqué de savoir où l'on en est dans la mesure où il suppose une initiative du propriétaire. Globalement, on estime à 18 % le taux d'avancement.
Ensuite, il faut considérer tout ce qui concerne les prescriptions de travaux ; 16 000 logements environ sont concernés. Il est important d'accompagner les propriétaires dans cette phase. Aujourd'hui, 9 000 de ces logements ont fait l'objet d'un accompagnement de l'État, notamment grâce à une amélioration de la prise en charge du reste à charge et une simplification de l'accès aux prêts.
Enfin, les exploitants s'abstenant de mettre en oeuvre des prescriptions qui leur ont été faites peuvent se voir infliger une amende ou une astreinte administrative jusqu'à la régularisation. Cela peut aller jusqu'à la réalisation d'office des travaux ou la suspension de l'autorisation.
En 2019 ont été prononcées 86 amendes administratives - le chiffre le plus élevé depuis que cet outil existe -, et 139 astreintes administratives, là encore un chiffre record. 12 travaux d'office ont été effectués, ce qui est conforme à la moyenne des dernières années, et 43 suspensions d'activité ont été décidées.
Madame la ministre, vous avez parlé d'une augmentation du nombre d'inspections de 50 % d'ici à 2022. Peut-on envisager une telle performance sans augmentation des effectifs d'inspecteurs ? Nous les avons auditionnés et ils se plaignent de leurs conditions de travail. Ne devrait-on pas envisager la création d'une véritable police des sites industriels, dont les inspecteurs pourraient notamment demander aux assureurs les documents qu'eux-mêmes exigent ?
Enfin, madame la ministre, au XXIe siècle, comment se fait-il qu'il n'existe pas de registre informatique crypté qui nous renseigne en temps réel sur la composition des stocks de produits sur tous les sites et les risques en cas de combustion ?
J'ai demandé que cela soit mis en place, madame le sénateur. À tout moment, l'industriel doit tenir à jour la liste et le volume des produits sur le site pour tenir immédiatement les secours informés en cas de sinistre.
Il importe que les pompiers et la Dreal soient au courant au moment où ils se rendent sur un sinistre.
Effectivement, et c'est ce que j'ai demandé. On doit connaître la composition du « cocktail » immédiatement, et non pas des semaines plus tard. Pour éviter toute perte des données, les exploitants devront faire en sorte que ces informations soient stockées sur un serveur sécurisé.
Sur la police des sites industriels, je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question. Pour moi, telle est bien la mission des inspecteurs des installations classées. Ils ont des pouvoirs de police administrative et peuvent transmettre des procès-verbaux d'infraction au Parquet. Là encore, les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions, sur lesquelles nous avons travaillé avec Nicole Belloubet, devraient permettre d'avoir un taux de poursuite plus important.
Je le répète, madame le rapporteur, l'objectif est d'augmenter de 50 % le nombre des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Le cas échéant, nous renforcerons les effectifs pour y arriver.
Permettez-moi de douter du réalisme de cet objectif à effectifs constants...
Pour ce qui est de la création de juridictions spécialisées, Mme Belloubet, pas plus tard qu'hier dans notre assemblée, a clairement rappelé qu'elle ne changerait rien pour des accidents de type Lubrizol, qui resteraient de la compétence des juridictions interrégionales de Marseille et Paris.
Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt de votre annonce sur l'augmentation de 50 % des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Il vaut mieux raisonner en fonction du nombre de sites et du personnel dont vous disposez.
Il faut être attentif à ne pas trop légiférer et réglementer. Les règles imposées dans les contrats par les professionnels de l'assurance vont bien au-delà de la loi. Si les prescriptions ne sont pas respectées, c'est la prime d'assurance qui augmente. À mon sens, il est préférable de poser un cadre légal et de laisser ensuite les parties à un contrat trouver leur propre solution. Si aucune solution ne peut être trouvée, alors l'État doit intervenir.
Par ailleurs, madame la ministre, je trouve que vous passez trop sous silence le rôle primordial joué par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). N'oubliez pas de les intégrer ! L'État dispose d'outils et de personnel compétent, mobilisé et mobilisable, et vous donnez le sentiment de ne pas en tenir compte.
Enfin, vous parlez du dépôt de suies sur Rouen. La mise en place de nouvelles normes plus draconiennes supposera des aménagements des règles de construction, qui devront être connues des différents acteurs. La loi et les règles d'assurance n'étant pas toujours les mêmes, l'acteur économique peut se trouver pris entre deux feux, entre l'architecte et l'assureur.
C'est votre liberté que de considérer une augmentation de 50 % comme un effet d'annonce. Celle-ci est parfaitement cohérente avec la nécessité d'inspecter systématiquement les installations classées dans un périmètre de 100 mètres autour des sites Seveso. Je souhaite par ailleurs la réalisation d'exercices de jour comme de nuit. Cela suppose que nous renforcions les contrôles sur site et la présence des inspecteurs, ce qui nous conduit à évaluer le besoin d'augmentation à + 50%.
Je ne peux pas non plus me satisfaire que le nombre de contrôles soit passé de 30 000 en 2006 à 19 725 en 2019, alors même que le nombre d'inspecteurs a augmenté significativement, passant de 848 en 2001 à 1 256 en 2011, et quasiment 1 300 en 2019. Il y a plus d'inspecteurs et moins de contrôles ! Il est de ma responsabilité de les décharger de tâches qui peuvent être effectuées par d'autres pour qu'ils soient présents sur le terrain.
Je suis favorable à la préconisation de la mission d'information de l'Assemblée nationale d'une transmission des recommandations de l'assurance aux inspecteurs. C'est un regard croisé. En revanche, ne mélangeons pas les rôles : le regard des assureurs est différent de celui des inspecteurs. Ce dernier se porte prioritairement sur les risques létaux. Dans l'usine Lubrizol, on a supprimé une cuve GPL présentant un risque important pour les vies humaines. L'assureur peut avoir un regard différent sur les charges qui peuvent incomber à l'exploitant. Les deux sont complémentaires. Néanmoins, il est légitime à vouloir poser des prescriptions plus opérantes sur les conditions de stockage de certaines matières. C'est ce que nous réaliserons par des modifications réglementaires.
Les Aasqa sont au coeur du dispositif mais elles n'effectuent pas toutes des astreintes. Dans ce cas, nous devons trouver d'autres acteurs pouvant intervenir à toute heure du jour ou de la nuit. Je rappelle qu'elles sont non pas sous autorité, mais agréées par l'État. J'ai toute confiance en ce qu'elles produisent. Il y a eu un début de polémique à Rouen quand l'Aasqa a choisi d'arrêter la publication de ses indices, compte tenu du décalage entre des mesures de polluants qui montraient une concentration normale et le ressenti de la population, laquelle pouvait difficilement admettre que la qualité de l'air était satisfaisante alors qu'il y avait des odeurs.
Les assurances paraissent parfois plus exigeantes que les services de l'État. Il y a deux heures, l'assureur de Lubrizol nous a dit avoir pointé des défaillances, lesquelles sont malheureusement avérées. Or l'entreprise Lubrizol a répondu qu'elle était en conformité avec la réglementation.
Je n'oppose pas la règlementation aux prescriptions. Je dis que la logique n'est pas la même. Les recommandations de l'assureur étaient certainement pertinentes. On aurait tort de se priver de l'expertise des assureurs. Je l'ai dit, je souscris à la proposition de la mission d'information de l'Assemblée nationale de transmission des prescriptions aux Dreal.
Les défaillances soulevées par l'assureur avaient été pointées du doigt dès 2008.
Pour recevoir leur indemnisation à la suite de l'incendie, les agriculteurs doivent signer une quittance subrogative et une cession de droits, aux termes desquelles ils reconnaissent que le règlement versé l'est à titre définitif et qu'ils ne pourront intenter aucun recours ultérieur. Or les professionnels de santé soulignent la nécessité d'études au long cours. Je n'accepte pas que Lubrizol fasse signer de tels documents alors qu'on ne connaît pas les conséquences ultérieures !
Quels recours existe-t-il pour des producteurs qui considèrent que le préjudice subi n'a pas été reconnu en totalité ? Cela concernerait la convention entre Lubrizol, Exetech et le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Des agriculteurs ont témoigné qu'Exetech avait opposé une fin de non-recevoir sans aucune justification à leurs demandes d'indemnisation. La puissance publique ne doit pas laisser l'ensemble de ces victimes seules face à Lubrizol ou à son prestataire.
Le projet de loi ASAP nous semble tirer peu d'enseignements de la situation de Lubrizol. Madame la ministre, devant la commission du développement durable, vous aviez vous-même déclaré que cet accident était d'un type nouveau, sans victime immédiate mais avec des conséquences potentielles à plus long terme, qui nécessiterait très certainement une évolution de la réglementation ou de la législation. Le projet de loi pourrait au moins ne pas revenir en arrière en matière de droit de l'environnement. L'un des enseignements à tirer de l'incendie de Lubrizol, c'est la défiance à l'égard de la parole publique. Avoir transcrit dans le projet de loi les seuls éléments de simplification du rapport Kasbarian, et aucun élément sur la culture du risque, la sécurité ou les enquêtes publiques, c'est ne tirer aucune leçon de l'accident !
Les agriculteurs peuvent tout à fait obtenir une réparation au civil. Une procédure transactionnelle a été prévue pour accélérer le processus, mais elle n'est pas satisfaisante : il faut revoir les modalités de l'indemnisation avec Lubrizol. Le ministre de l'agriculture serait le mieux à même de vous répondre.
Le projet de loi ASAP n'est pas la conséquence de l'accident de Lubrizol. Il est issu de réflexions antérieures. Les dispositions qui ont été décidées après l'accident sont, pour l'essentiel, de nature réglementaire. La création d'un bureau enquêtes accidents indépendant facilitant les relations avec l'autorité judiciaire nécessitera une disposition législative.
Je suis sensible au fait qu'une simplification puisse être lue comme une régression. Nous échangerons avec les associations de protection de l'environnement.
Nous mettons en cohérence les règles relatives à la saisine du Coderst, car il est paradoxal que sa consultation soit facultative pour les sites les plus à risque et systématique pour les sites moins à risque. Je continue à penser que les préfets feront preuve de bon sens et ne se dispenseront pas de l'avis de ce conseil sur des projets sensibles.
J'ai également évoqué la possibilité pour des sites sans enjeu concernant l'eau ou les espèces protégées, d'ores et déjà artificialisés, sans besoin d'autorisation de défrichement, de démarrer des travaux, au risque de ne pas obtenir l'autorisation environnementale. Nous ne sommes en aucun cas en train d'assouplir la réglementation des sites ICPE.
Vous faites le pari que les préfets auront à coeur, de leur propre initiative, de consulter sur les dimensions environnementales.
Si les préfets n'ont pas une bonne appréciation des dossiers sensibles, alors que l'on a un enjeu d'accessibilité, il y a un problème et il faudra le leur rappeler.
L'article 24 du projet de loi ASAP supprime la consultation systématique du Coderst, au sein duquel les riverains, les associations environnementales, les consommateurs et le monde médical peuvent s'exprimer.
Certes, ce projet de loi n'est pas né de l'accident de Lubrizol, mais considérez que sur le terrain, l'émotion et l'inquiétude sont toujours très vives quant à ses conséquences sanitaires ! Le Gouvernement n'aurait-il pas pu aligner la législation vers le haut en rendant obligatoire la consultation du Coderst et de la CDNPS ? Qui peut le plus peut le moins. Cela va dans le sens de la démocratie environnementale à laquelle nos concitoyens sont attachés.
Je reviens aussi sur l'axe 4 des retours d'expérience : le renforcement des contrôles. On note qu'une réflexion sera menée pour maintenir les compétences rares et l'attractivité des postes d'inspecteur d'installations classées. Si les personnes affectées à des tâches administratives vont sur le terrain, nous devrons nous assurer qu'elles disposent de ces compétences rares.
Pour constituer dans les cinq ans ce corps d'inspecteurs qui devront contrôler ces installations classées et assurer des contrôles ciblés des sites Seveso, il faut un personnel nombreux. Quels crédits seront affectés à la formation de ces personnels ? A-t-on estimé leur effectif ?
Une installation soumise à déclaration ou enregistrement peut être un site de tri de déchets non dangereux ou un entrepôt de cartons en zone artificialisée. Je pense qu'il n'est pas inutile de consacrer les débats du Coderst aux dossiers les plus sensibles, à l'appréciation du préfet. Si l'on part de l'idée que les préfets vont mal utiliser ce pouvoir d'appréciation, il y a effectivement un problème... Faisons leur confiance !
Il ne s'agit pas d'affecter à l'inspection des agents compétents qui se consacrent aujourd'hui à des tâches administratives. Je fais le constat que, malgré la hausse sensible des effectifs d'inspecteurs, le nombre de contrôles a diminué. Je l'explique par le fait qu'ils réalisent des tâches administratives dont on peut les décharger. On pourra ainsi recentrer les inspecteurs sur leur coeur de métier.
Nous arrivons au terme de nos auditions. Le contrôle a été longuement évoqué. On voit bien qu'il y a le champ de la loi et celui du règlement. Le droit commun, c'est le principe de responsabilité. Il a évolué au cours des événements, après Seveso, AZF, Erika et Lubrizol. Jusqu'à récemment, le principe était celui de l'article 1382 du code civil hérité de Napoléon. Le principe pollueur-payeur a été instauré après le naufrage de l'Erika. Plus récemment, la loi du 8 août 2016 a créé le préjudice écologique. Le principe de responsabilité s'est affiné.
Il y a eu des propositions d'indemnisation des victimes de Lubrizol. On se demande si l'industriel ne fait pas un geste de psychologie commerciale pour montrer sa bonne foi, tout en essayant de passer des conventions pour solde de tout compte.
Au regard de l'affaire Lubrizol, peut-on considérer que le cadre législatif est satisfaisant ?
La presse a beaucoup évoqué l'indemnisation, mais nous savons peu comment les choses ont été mises en oeuvre. Il faut des versements rapides tout en évitant de priver les agriculteurs de leurs droits.
Aujourd'hui, l'arsenal juridique est important. Il affirme très clairement la responsabilité de l'exploitant.
Les procédures et les jugements peuvent intervenir tardivement, d'où l'idée que l'industriel assume l'indemnisation sans attendre de décision au civil. Je n'ai connaissance ni des conditions qu'impose Lubrizol ni de la façon dont les préjudices ont été évalués.
Les procédures de réparation des préjudices par l'industriel en cause fonctionnent bien. Vous avez sans doute débattu de la convention judiciaire écologique : elle nous semble une voie intéressante à creuser, par analogie avec ce qui existe en matière de fraude. C'est ce qui a conduit récemment Airbus à payer 3,6 milliards d'euros de pénalités. On voit que ces outils sont très puissants pour obtenir des réparations larges des préjudices. Je pense qu'il est important de se doter d'outils complémentaires.
Il y a peut-être des trous dans la raquette pour ce qui concerne les sanctions des atteintes à l'environnement, qui justifieraient de créer un délit d'atteinte générale à l'environnement sur le modèle du délit de mise en danger de la vie d'autrui. Dans un certain nombre de cas, les sanctions encourues pour non-respect de prescriptions sont insuffisantes au regard de l'ampleur du préjudice.
Il ne s'agit pas non plus de créer une instabilité juridique pour les industriels qui se sont conformés en toute bonne foi aux prescriptions. J'ai en tête le cas d'un industriel, dans le centre de la France, dont les stockages ont brûlé pendant trois mois d'affilée. Il est aujourd'hui passible d'une sanction au titre du non-respect des capacités de stockage de son site. Ce n'est pas à la hauteur du préjudice.
Vous souhaitez apporter des améliorations aux politiques de prévention et de prévision. Ce sont deux choses totalement différentes. En matière de prévention, je souscris à l'obligation d'éviter l'effet domino, c'est-à-dire la propagation d'un incendie d'un établissement à un autre. Imposer des compartimentages plus importants m'agrée complètement. En matière de prévention, les exercices me tiennent à coeur. Les établissements recevant du public organisent régulièrement des exercices, notamment les établissements scolaires, en association avec le maire, au titre des pouvoirs de police administrative générale dont il dispose. Pour les établissements classés, les pouvoirs relèvent du préfet.
En Seine-Maritime, département qui accueille le plus grand nombre de sites Seveso, le développement de la culture du risque est très différent dans la métropole rouennaise, d'un côté, et Port-Jérôme-sur-Seine et Le Havre, de l'autre, où des exercices sont régulièrement organisés. Ils sont indispensables pour que les populations, notamment les plus jeunes, intègrent cette culture. Dans la métropole rouennaise, les habitants des communes concernées n'avaient pas totalement réalisé ce que l'implantation de sites Seveso impliquait. Il faut en permanence rappeler aux habitants et aux entreprises la conduite à tenir, en association avec le maire, puisque l'un des premiers réflexes est de se tourner vers lui. Je souhaite que ces exercices soient réguliers.
Pour éteindre les feux d'hydrocarbures, on utilise des émulseurs. Mais aucun service départemental d'incendie ou de secours (SDIS) ni aucune entreprise n'a aujourd'hui, seul, les capacités en émulseurs pour éteindre un sinistre comme celui de Lubrizol. Bien entendu, il existe des conventions de solidarité.
Je voudrais que l'ensemble des coûts de ces exercices, supportés par la puissance publique ou les entreprises, soient intégralement financés par les exploitants des sites Seveso. En effet, un émulseur coûte très cher ; or l'on connaît la situation financière tendue des SDIS.
Pour limiter l'effet domino, nous avons prévu la révision de la réglementation sur les stockages dans les entrepôts - des concertations sont engagées avec les fédérations professionnelles - ainsi que l'inspection de la zone de 100 mètres autour des sites Seveso seuil haut.
Nous attendons les retours d'une mission d'inspection sur la gestion de crise et la culture du risque. En outre, je rappelle le passage à des exercices obligatoires tous les ans sur les sites Seveso seuil haut, et non tous les trois ans comme aujourd'hui.
Je suis frappée par ce que vous dites sur la différence de culture du risque selon le bassin industriel. Les maires ont vraiment pris à bras le corps la question des risques naturels dans le cadre des plans communaux de sauvegarde. Si le nombre de victimes des inondations de l'automne dernier est resté relativement limité, c'est parce que les maires se sont saisis de cette culture. C'est nettement moins le cas pour les risques industriels. On doit certainement réfléchir à la façon de renforcer la culture du risque industriel. Les instances de concertation existantes, les commissions de suivi de sites, ne me semblent pas répondre à la question de la diffusion des informations aux riverains.
Pour moi, ce sont les industriels qui financent les émulseurs et non les SDIS.
L'assureur de Lubrizol que nous avons entendu m'a confirmé qu'une fois l'état des lieux fait et les améliorations apportées, la prime d'assurance serait moins élevée. Quel intérêt a-t-il à encourager les modifications ?
Dans cette même salle, M. Castaner a confirmé que l'eau stockée dans la darse, qui avait servi à éteindre l'incendie, était polluée. Qu'est devenue cette eau ?
La réglementation nationale fixe des règles à tous les industriels. Les préfets peuvent les renforcer. La lecture des assureurs est différente, puisqu'ils sont intéressés par la réduction du risque économique. Leurs recommandations peuvent toutefois être précieuses. Recevoir moins de primes mais ne pas avoir à gérer un sinistre reste, certainement, très utile financièrement.
Les opérations de dépollution sont terminées. L'eau a été confinée. Des protections ont été mises en place grâce, notamment, aux services du port. La destruction de la faune était liée à une sous-oxygénation de l'eau. La situation est revenue à la normale. Compte tenu de l'évacuation des eaux de destruction de l'incendie, un travail important de dépollution et de nettoyage des quais a été mené.
L'eau polluée a-t-elle été rejetée à la Seine ? C'est une question fondamentale.
Je vais vérifier mais je ne pense pas que l'eau polluée ait été rejetée ainsi à la Seine.
L'eau d'extinction aurait dû être stockée dans des bassins de rétention. Cela n'a pas été le cas. Pour moi, l'eau collectée a été envoyée dans des sites de dépollution de la région. Je vais vérifier.
Compte tenu des volumes, il paraît compliqué que l'on ait pu tout stocker et transférer.
On a évoqué la non-culture du risque dès le début des auditions. J'ai effectué des visites en Gironde, où sont implantés un certain nombre de sites Seveso seuil haut. La prise en compte de la culture du risque et de l'information aux populations est très différente selon les communes. L'information est bonne quand l'usine est en coeur de cité. Lorsqu'elle se trouve dans la campagne, à côté d'un village, ce n'est pas le cas. Il est nécessaire d'accompagner fortement les maires qui ont peur d'inquiéter de façon abusive ou de stigmatiser leur commune. Les habitants doivent pouvoir s'approprier la culture du risque en toute quiétude.
Quelle procédure est-elle prévue quant à la remise en marche de l'usine ? Qu'en est-il des phases suivantes ? Avec quel accompagnement ? Qui prendrait les décisions ?
Je partage les doutes de mes collègues concernant le projet de loi ASAP : c'est un mauvais signal. Ne laissons pas croire que nous baissons la garde. Il est bien de faire confiance aux préfets mais ensuite, c'est parfois compliqué.
Le Parlement est souverain pour le vote de la loi. Je vous ai exposé un point de vue strictement technique. Je ne pense pas que nous baissions la garde. Il y a aussi des symboles et je l'entends.
J'entends vos propos sur la culture du risque. C'est l'objet de la deuxième mission inter-inspections en cours. Il existe des structures de concertation, les commissions de suivi de site, les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels. Je ne pense pas que cela favorise l'appropriation de ces enjeux par la population, comme on pourrait le souhaiter. Il faut certainement progresser dans ce domaine. Le Japon organise des journées sur le risque. Nous y avons réfléchi dans les outre-mer pour les risques naturels.
L'industriel a demandé un redémarrage de l'installation, sur une partie strictement limitée. À ce stade, nous n'avons, à ma connaissance, pas reçu d'autre demande d'autorisation de sa part. Par ailleurs, l'enquête judiciaire est toujours en cours.
Merci, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.
Il me reste à vous remercier. Vous avez adressé des réponses au questionnaire écrit qui vous a été envoyé. Nous en ferons le meilleur usage pour notre rapport.
La réunion est close à 17 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Mes chers collègues, nous achevons les auditions de notre commission d'enquête en entendant Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Madame la ministre, il y a cinq mois jour pour jour, un incendie de très grande ampleur s'est déclenché à Rouen. S'il a été rapidement maîtrisé, l'ampleur du panache et la persistance d'odeurs sur la ville pendant plusieurs semaines ont alimenté un sentiment de colère et d'incompréhension.
Dès le 2 octobre, vous avez fait parvenir aux préfets une instruction constituant une première réponse après l'incendie. Quel retour avez-vous eu par rapport à ces recommandations et à leur mise en oeuvre ? Lors d'un récent déplacement dans le Rhône, nous avons constaté avec étonnement que de nombreux sites Seveso n'avaient jamais mené d'exercices en dehors des heures ouvrées. Y a-t-il des évolutions à cet égard ?
Voilà deux semaines, vous avez dévoilé un plan d'actions pour éviter qu'un nouvel accident de même ampleur ne se reproduise. Vous avez notamment annoncé une augmentation de 50 % du nombre de contrôles. C'est un objectif ambitieux, et nous ne pouvons qu'y souscrire. Simplement, nous nous interrogeons sur la possibilité de l'atteindre avec des effectifs qui ne devraient a priori pas augmenter en proportion.
S'il est certainement important de renforcer les contrôles, il est, à notre sens, encore plus important de s'assurer que ceux-ci sont suivis d'effets. À cet égard, nous avons un sujet d'interrogation et même d'insatisfaction. Comme cela a été relevé dans l'arrêté de mise en demeure formulé par le préfet à l'égard de Lubrizol le 8 novembre dernier, un certain nombre de remarques avaient été émises par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) un an et demi plus tôt, plus précisément le 19 avril 2018, concernant notamment le plan de défense incendie pour une meilleure prise en compte des récipients mobiles. Il ne nous semble ni normal ni légitime que des remarques aussi importantes de la part des services de l'État puissent rester lettre morte.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Borne prête serment.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole, avant de passer aux questions des rapporteurs, puis des autres membres de notre commission d'enquête.
Je vous remercie de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette catastrophe industrielle, qui, comme vous l'avez rappelé, a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà le 26 septembre dernier.
Dès les premières heures de cet incendie hors norme, l'ensemble des services de l'État a été pleinement mobilisé. L'intervention des sapeurs-pompiers a été exemplaire. Les 280 pompiers mobilisés ont fait preuve d'un immense courage. Je voudrais à nouveau les remercier. Grâce à eux, malgré la violence de l'incendie, on ne déplore aucun blessé, ni a fortiori, aucun mort.
Je voudrais aussi souligner l'implication des agents de la Dreal de Normandie. Depuis la fuite de mercaptan sur le site de Lubrizol en 2013, ce ne sont pas moins de 39 inspections qui ont été réalisées en 6 ans. Ces inspections ont permis de tester le plan d'opérations interne (POI) de Lubrizol ou de renforcer les dispositifs de prévention des incendies. La mise en oeuvre du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait également permis de réduire deux facteurs de risques importants avec la suppression d'une cuve de GPL et d'une cuve d'acide chlorhydrique, auparavant situées à proximité des bâtiments ayant brûlé. Cela a clairement permis d'éviter des conséquences encore plus dramatiques.
Le Gouvernement s'est engagé à faire face aux conséquences environnementales et sanitaires de cet accident dans la transparence la plus absolue. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques. Elles ont été présentées lors des réunions du comité de dialogue et de transparence qui a été mis en place. Le comité s'est réuni à six reprises. Ces données ont également été systématiquement mises en ligne sur le site de la préfecture de Seine-Maritime et sont donc accessibles à tous. Par ailleurs, nous avons imposé la mise en place d'une surveillance environnementale post-accidentelle avec deux arrêtés de mesures d'urgence, en date du 26 septembre pour Lubrizol et du 30 septembre pour Normandie Logistique, dans les jours qui ont suivi l'incendie.
Pour l'alimentation, ce sont plus de 500 prélèvements qui ont été réalisés. Les résultats se sont révélés inférieurs aux normes applicables. Les prélèvements vont se poursuivre dans la durée pour vérifier que tous les résultats restent bien conformes.
J'en viens aux retombées. Les résultats sont cohérents avec le bruit de fond, c'est-à-dire la qualité moyenne des sols avant l'incendie, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces de soufre, de zinc et de phosphore ont été mesurées. Ces éléments étaient bien présents dans les produits de Lubrizol. Leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières. Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. En raison d'une saturation des laboratoires d'analyses, seule une première série de résultats pour 23 communes autour de Rouen a été rendue disponible. Ces premiers résultats ne montrent pas d'anomalie particulière, hormis quelques traces de plomb, de mercure et de benzoapyrène, sans qu'il soit possible de les relier à l'incendie.
Par ailleurs, dès le 4 octobre, j'ai demandé la réalisation d'un protocole de suivi des eaux de surface et de la biodiversité à l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité (OFB), aux agences de l'eau de Seine-Normandie et d'Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre).
Les analyses réalisées sur les cours d'eau présentent de faibles concentrations en hydrocarbures dont le lien avec l'accident n'est pas établi, compte tenu de leur localisation géographique. Aucune mortalité piscicole n'a été relevée, en dehors de la darse, qui a accueilli une partie des eaux d'extinction de l'incendie. Le diagnostic complet de cet état des milieux est attendu pour le mois d'avril ; il permettra de mener une étude quantitative des risques sanitaires, dont les résultats seront ensuite expertisés par les agences sanitaires.
C'est la première fois que des analyses sont réalisées sur un spectre aussi large de polluants et sur des volumes aussi importants. Elles permettent d'apporter une information rigoureuse sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.
Pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise, nous en avons tiré des premières leçons.
Dès la survenue de l'accident, j'avais diligenté une mission d'inspection générale, en l'occurrence le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie (CGE). Les recommandations de cette mission ont été présentées lors de la réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 13 janvier dernier, et les membres de ce conseil m'ont eux-mêmes fait part de leurs réflexions et propositions.
Les problématiques relatives à la gestion de crise font l'objet d'une mission d'inspection générale qui rendra ses conclusions au printemps. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février sera ainsi complété dans les prochains mois sur l'alerte des populations et le développement de la culture du risque.
Le premier axe de ce plan d'action consiste à renforcer la transparence lorsqu'un accident industriel a lieu, en mettant à disposition l'ensemble des informations pertinentes. Lors de l'incendie, le 26 septembre, nous avons eu des difficultés à récupérer une liste précise et utilisable des produits qui avaient brûlé. Pour garantir une parfaite transparence, nous allons imposer que soient mises à disposition du public dès la survenue de l'accident et dans des termes intelligibles par les non-spécialistes la nature et la quantité des produits stockés.
En outre, les délais d'analyses sont encore trop longs. Seuls les résultats de 23 communes sont aujourd'hui connus. C'est pourquoi nous demanderons aux industriels d'identifier en amont les moyens de prélèvements et d'analyses associés.
Des études viendront compléter les valeurs toxicologiques de référence et les valeurs de bruit de fond sur un éventail de polluants plus larges pour faciliter l'interprétation des valeurs mesurées. Nous n'avons aujourd'hui pas de valeur toxicologique de référence pour les mesures de dioxines dans l'environnement. Par ailleurs, nous n'avons évidemment pas la cartographie de l'ensemble des teneurs en bruit de fond sur ces différents polluants. Pouvoir disposer de l'ensemble de ces valeurs constitue donc un axe de travail très lourd.
Deuxième axe, nous devons évidemment éviter que des incendies d'une telle ampleur ne se déclenchent à nouveau. L'enquête judiciaire est toujours en cours. Nous n'avons donc pas d'éléments sur l'origine de l'incendie, mais nous savons que son développement rapide découle notamment de la présence d'une nappe enflammée qui a propagé l'incendie entre plusieurs stockages. Cela nous amène à envisager plusieurs axes d'amélioration pour limiter, précisément, la propagation de l'incendie au sein des différents stockages d'un même site. Nous allons donc revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages des produits et la conception des cuvettes de rétention.
Il nous faut aussi éviter la propagation d'incendies entre des sites voisins. Nous allons désormais inspecter systématiquement l'ensemble des installations classées dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso. Les moyens d'extinction sur le site Lubrizol se sont révélés insuffisants, ce qui a nécessité de mettre en place en urgence de bateaux-pompes sur la Seine. Des émulseurs, les produits que les pompiers mélangent à l'eau pour obtenir de la mousse, ont aussi dû être recherchés chez les industriels voisins de Lubrizol. Nous allons donc désormais demander aux industriels d'identifier en amont des capacités suffisantes d'eau d'extinction et d'émulseurs.
L'ensemble de nouvelles obligations seront testées lors d'exercices réguliers obligatoirement une fois par an pour les sites Seveso seuil haut, alors que la pratique est d'une fois tous les trois ans actuellement. Nous allons donc renforcer nos moyens de contrôle et d'enquête pour nous assurer que ces nouvelles réglementations sont bien appliquées.
J'ai en effet indiqué que nous nous fixons l'objectif d'augmenter de 50 % le nombre de contrôles d'ici à la fin du quinquennat. L'atteinte de cet objectif reposera sur une réduction des charges administratives des inspecteurs des installations classées, notamment en développant des outils numériques et en privilégiant des contrôles sur sites. Ces dernières années, les inspecteurs ont été de plus en plus chargés de l'instruction de dossiers. Il y avait une charge particulière liée, précisément, à la mise en place des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), qui sont quasiment tous élaborés aujourd'hui. Cela a représenté une charge administrative très importante pour nos inspecteurs. Les effectifs d'inspecteurs seront le cas échéant ajustés une fois ces différentes optimisations réalisées.
J'ai aussi souhaité que l'on puisse disposer d'un bureau d'enquêtes accidents en matière de risques industriels et technologiques. Un tel outil existe, par exemple, pour les transports aériens, terrestres et maritimes. Il est très précieux de pouvoir mobiliser une telle expertise, non pas pour doublonner l'enquête judiciaire, mais pour tirer le plus rapidement possible toutes les conséquences d'un accident majeur.
Le Gouvernement s'est engagé à présenter les faits tels qu'ils sont en toute transparence et à tirer le retour d'expérience de cet accident. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février visait à prendre au plus vite les dispositions pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise.
J'ai effectivement saisi les préfets pour demander que les Dreal prennent l'attache des responsables de l'ensemble des sites Seveso, afin de vérifier le dimensionnement et le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques. En particulier, car c'est ce qui permet de prévenir des incendies, des exercices de préparation, indispensables pour vérifier l'effectivité des mesures de protection, doivent être réalisés la nuit. Il s'agit aussi de faire en sorte que les exploitants disposent en temps réel d'une connaissance de la nature et des quantités de produits. La réglementation sera ajustée en conséquence. Par ailleurs, 98 % des exploitants ont fait un retour aux préfets, notamment sur leur capacité à produire les éléments demandés. Nous nous assurerons aussi que l'on pourra organiser des exercices en période nocturne au cours des prochains mois. Théoriquement, ce devrait être le cas.
Les préconisations, recommandations ou injonctions de la Dreal, notamment celles qui visaient à améliorer la défense incendie de Lubrizol, avaient fait l'objet d'une mise en demeure en 2017. Celle-ci a été levée en 2018, l'exploitant s'étant mis en conformité. À mon sens, toutes ces recommandations ont aussi contribué à améliorer le POI de l'entreprise, ce qui a certainement aussi facilité la gestion de cet incendie.
Aujourd'hui, les prescriptions qui sont émises aboutissent le cas échéant à des mises en demeure faisant l'objet de sanctions importantes. En l'absence de régularisation, il peut y avoir des astreintes administratives, voire des suspensions d'autorisation d'exploiter.
Le projet de loi présenté par Nicole Belloubet relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée - examiné par le Sénat cette semaine - prévoit de nouveaux outils de répression des atteintes graves à l'environnement permettant d'obtenir la réparation de préjudices et d'appliquer des sanctions dissuasives, sans aller jusqu'à la suspension d'exploitation, mesure effectivement difficile à prononcer par les représentants de l'État.
Notre commission d'enquête travaille depuis plusieurs mois sur les suites de l'incendie de Lubrizol. Madame la ministre, vous avez formulé un certain nombre de recommandations, dont l'augmentation du nombre des contrôles des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
Parallèlement, le Gouvernement a présenté le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), qui est en cours d'examen par une commission spéciale. Or l'article 24 de ce texte rend facultative la consultation par le préfet du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) pour l'installation d'une ICPE.
À l'article 25 ce projet de loi, il est prescrit de recourir à une simple consultation publique au lieu d'une véritable enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale. Enfin, l'article 26 tend à autoriser le début des travaux avant que l'autorité environnementale n'ait donné son autorisation, ou encore à alléger les contrôles environnementaux.
Je considère, pour ma part, que ces articles sont contradictoires avec vos recommandations et préconisations mais également avec la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2020, qui a consacré l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement face à la liberté d'entreprendre.
Si je comprends bien, la logique qui sous-tend ce projet de loi est davantage une logique provenant de Bercy, donc économique. Je pense qu'elle va à l'encontre des problématiques environnementales, ce qui est très regrettable. Quelle est votre position, madame la ministre ?
En résumé, madame la ministre, pensez-vous qu'il soit opportun d'alléger les contraintes environnementales après ce qui s'est passé à Rouen ?
Je ne partage pas du tout votre lecture du projet de loi. Je sais qu'un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) environnementales ont soulevé ces questions, mais j'aurai l'occasion de leur apporter des réponses.
S'agissant par exemple de la consultation du Coderst, vous savez que l'on est dans une situation assez paradoxale, puisque la saisine de ce conseil est facultative dans le cadre d'autorisations et obligatoire pour les installations de moindre importance soumises à enregistrement. On le voit bien, à force de modifier les textes, on arrive à des situations défiant toute logique.
Pour ma part, je pense que l'on peut s'appuyer sur les préfets pour prendre des décisions de bon sens. J'imagine mal un préfet se passer de l'avis du Coderst sur une décision concernant un projet sensible, même si c'est possible, je le répète, en cas d'autorisation d'un établissement présentant des risques.
Avec ce projet de loi, il s'agit simplement de rendre possible, pour des dossiers soumis à enregistrement et ne présentant pas une sensibilité particulière, ce qui l'est aujourd'hui sur des dossiers plus importants soumis à autorisation. En aucun cas, cela ne peut s'analyser comme de moindres précautions sur des autorisations ICPE.
De la même façon, nous introduisons la possibilité de mener une consultation électronique du public, à la place de l'enquête publique classique. Je rappelle que c'est impossible aujourd'hui pour des projets soumis à évaluation environnementale. À mon sens, cette simplification est salutaire, même s'il faut sans doute poursuivre les échanges sur les garanties de transparence offertes pour la prise en compte de tous les avis.
Quant à la possibilité d'engager des travaux sur une partie d'un permis de construire sans attendre la décision d'autorisation environnementale, elle est strictement encadrée. Ce n'est valable que pour une construction sans enjeu d'artificialisation ou de défrichement, donc qui ne pose pas problème au regard de la loi sur l'eau ou de la protection d'espèces protégées.
En conclusion, je le répète, il ne s'agit pas de baisser la garde sur les exigences préalables à une autorisation d'installation classée pour la protection de l'environnement.
Permettez-moi d'apporter quelques précisions.
Tout d'abord, les PPRT n'ont pas encore été tous élaborés.
Ensuite, vous prétendez que toutes les prescriptions sont globalement mises en oeuvre dès lors qu'elles sont formulées. Pourtant, j'ai ici la lettre que m'a adressée le préfet de la région Normandie le 17 décembre 2019, dont j'ai déjà lu certains extraits aux hauts responsables de Lubrizol ici même, qui montre très clairement qu'un certain nombre de remarques formulées par le préfet de région en 2018 n'étaient toujours pas prises en compte au moment du sinistre. Cela montre la nécessité de davantage contrôler les entreprises.
Pour revenir sur les PPRT, on en dénombre 385 sur les 390 qui sont prescrits. Il en manque donc 5, plus complexes, qui sont toujours en cours d'élaboration. Une fois que ces PPRT existent, cela ne veut pas dire qu'ils sont tous mis en oeuvre. Il y a deux types de prescriptions.
Tout d'abord, il y a les mesures sur les biens, qui peuvent faire l'objet d'expropriation ou d'un droit de délaissement. S'agissant de ce dernier droit, il est compliqué de savoir où l'on en est dans la mesure où il suppose une initiative du propriétaire. Globalement, on estime à 18 % le taux d'avancement.
Ensuite, il faut considérer tout ce qui concerne les prescriptions de travaux ; 16 000 logements environ sont concernés. Il est important d'accompagner les propriétaires dans cette phase. Aujourd'hui, 9 000 de ces logements ont fait l'objet d'un accompagnement de l'État, notamment grâce à une amélioration de la prise en charge du reste à charge et une simplification de l'accès aux prêts.
Enfin, les exploitants s'abstenant de mettre en oeuvre des prescriptions qui leur ont été faites peuvent se voir infliger une amende ou une astreinte administrative jusqu'à la régularisation. Cela peut aller jusqu'à la réalisation d'office des travaux ou la suspension de l'autorisation.
En 2019 ont été prononcées 86 amendes administratives - le chiffre le plus élevé depuis que cet outil existe -, et 139 astreintes administratives, là encore un chiffre record. 12 travaux d'office ont été effectués, ce qui est conforme à la moyenne des dernières années, et 43 suspensions d'activité ont été décidées.
Madame la ministre, vous avez parlé d'une augmentation du nombre d'inspections de 50 % d'ici à 2022. Peut-on envisager une telle performance sans augmentation des effectifs d'inspecteurs ? Nous les avons auditionnés et ils se plaignent de leurs conditions de travail. Ne devrait-on pas envisager la création d'une véritable police des sites industriels, dont les inspecteurs pourraient notamment demander aux assureurs les documents qu'eux-mêmes exigent ?
Enfin, madame la ministre, au XXIe siècle, comment se fait-il qu'il n'existe pas de registre informatique crypté qui nous renseigne en temps réel sur la composition des stocks de produits sur tous les sites et les risques en cas de combustion ?
J'ai demandé que cela soit mis en place, madame le sénateur. À tout moment, l'industriel doit tenir à jour la liste et le volume des produits sur le site pour tenir immédiatement les secours informés en cas de sinistre.
Il importe que les pompiers et la Dreal soient au courant au moment où ils se rendent sur un sinistre.
Effectivement, et c'est ce que j'ai demandé. On doit connaître la composition du « cocktail » immédiatement, et non pas des semaines plus tard. Pour éviter toute perte des données, les exploitants devront faire en sorte que ces informations soient stockées sur un serveur sécurisé.
Sur la police des sites industriels, je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question. Pour moi, telle est bien la mission des inspecteurs des installations classées. Ils ont des pouvoirs de police administrative et peuvent transmettre des procès-verbaux d'infraction au Parquet. Là encore, les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions, sur lesquelles nous avons travaillé avec Nicole Belloubet, devraient permettre d'avoir un taux de poursuite plus important.
Je le répète, madame le rapporteur, l'objectif est d'augmenter de 50 % le nombre des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Le cas échéant, nous renforcerons les effectifs pour y arriver.
Permettez-moi de douter du réalisme de cet objectif à effectifs constants...
Pour ce qui est de la création de juridictions spécialisées, Mme Belloubet, pas plus tard qu'hier dans notre assemblée, a clairement rappelé qu'elle ne changerait rien pour des accidents de type Lubrizol, qui resteraient de la compétence des juridictions interrégionales de Marseille et Paris.
Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt de votre annonce sur l'augmentation de 50 % des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Il vaut mieux raisonner en fonction du nombre de sites et du personnel dont vous disposez.
Il faut être attentif à ne pas trop légiférer et réglementer. Les règles imposées dans les contrats par les professionnels de l'assurance vont bien au-delà de la loi. Si les prescriptions ne sont pas respectées, c'est la prime d'assurance qui augmente. À mon sens, il est préférable de poser un cadre légal et de laisser ensuite les parties à un contrat trouver leur propre solution. Si aucune solution ne peut être trouvée, alors l'État doit intervenir.
Par ailleurs, madame la ministre, je trouve que vous passez trop sous silence le rôle primordial joué par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). N'oubliez pas de les intégrer ! L'État dispose d'outils et de personnel compétent, mobilisé et mobilisable, et vous donnez le sentiment de ne pas en tenir compte.
Enfin, vous parlez du dépôt de suies sur Rouen. La mise en place de nouvelles normes plus draconiennes supposera des aménagements des règles de construction, qui devront être connues des différents acteurs. La loi et les règles d'assurance n'étant pas toujours les mêmes, l'acteur économique peut se trouver pris entre deux feux, entre l'architecte et l'assureur.
C'est votre liberté que de considérer une augmentation de 50 % comme un effet d'annonce. Celle-ci est parfaitement cohérente avec la nécessité d'inspecter systématiquement les installations classées dans un périmètre de 100 mètres autour des sites Seveso. Je souhaite par ailleurs la réalisation d'exercices de jour comme de nuit. Cela suppose que nous renforcions les contrôles sur site et la présence des inspecteurs, ce qui nous conduit à évaluer le besoin d'augmentation à + 50%.
Je ne peux pas non plus me satisfaire que le nombre de contrôles soit passé de 30 000 en 2006 à 19 725 en 2019, alors même que le nombre d'inspecteurs a augmenté significativement, passant de 848 en 2001 à 1 256 en 2011, et quasiment 1 300 en 2019. Il y a plus d'inspecteurs et moins de contrôles ! Il est de ma responsabilité de les décharger de tâches qui peuvent être effectuées par d'autres pour qu'ils soient présents sur le terrain.
Je suis favorable à la préconisation de la mission d'information de l'Assemblée nationale d'une transmission des recommandations de l'assurance aux inspecteurs. C'est un regard croisé. En revanche, ne mélangeons pas les rôles : le regard des assureurs est différent de celui des inspecteurs. Ce dernier se porte prioritairement sur les risques létaux. Dans l'usine Lubrizol, on a supprimé une cuve GPL présentant un risque important pour les vies humaines. L'assureur peut avoir un regard différent sur les charges qui peuvent incomber à l'exploitant. Les deux sont complémentaires. Néanmoins, il est légitime à vouloir poser des prescriptions plus opérantes sur les conditions de stockage de certaines matières. C'est ce que nous réaliserons par des modifications réglementaires.
Les Aasqa sont au coeur du dispositif mais elles n'effectuent pas toutes des astreintes. Dans ce cas, nous devons trouver d'autres acteurs pouvant intervenir à toute heure du jour ou de la nuit. Je rappelle qu'elles sont non pas sous autorité, mais agréées par l'État. J'ai toute confiance en ce qu'elles produisent. Il y a eu un début de polémique à Rouen quand l'Aasqa a choisi d'arrêter la publication de ses indices, compte tenu du décalage entre des mesures de polluants qui montraient une concentration normale et le ressenti de la population, laquelle pouvait difficilement admettre que la qualité de l'air était satisfaisante alors qu'il y avait des odeurs.
Les assurances paraissent parfois plus exigeantes que les services de l'État. Il y a deux heures, l'assureur de Lubrizol nous a dit avoir pointé des défaillances, lesquelles sont malheureusement avérées. Or l'entreprise Lubrizol a répondu qu'elle était en conformité avec la réglementation.
Je n'oppose pas la règlementation aux prescriptions. Je dis que la logique n'est pas la même. Les recommandations de l'assureur étaient certainement pertinentes. On aurait tort de se priver de l'expertise des assureurs. Je l'ai dit, je souscris à la proposition de la mission d'information de l'Assemblée nationale de transmission des prescriptions aux Dreal.
Les défaillances soulevées par l'assureur avaient été pointées du doigt dès 2008.
Pour recevoir leur indemnisation à la suite de l'incendie, les agriculteurs doivent signer une quittance subrogative et une cession de droits, aux termes desquelles ils reconnaissent que le règlement versé l'est à titre définitif et qu'ils ne pourront intenter aucun recours ultérieur. Or les professionnels de santé soulignent la nécessité d'études au long cours. Je n'accepte pas que Lubrizol fasse signer de tels documents alors qu'on ne connaît pas les conséquences ultérieures !
Quels recours existe-t-il pour des producteurs qui considèrent que le préjudice subi n'a pas été reconnu en totalité ? Cela concernerait la convention entre Lubrizol, Exetech et le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Des agriculteurs ont témoigné qu'Exetech avait opposé une fin de non-recevoir sans aucune justification à leurs demandes d'indemnisation. La puissance publique ne doit pas laisser l'ensemble de ces victimes seules face à Lubrizol ou à son prestataire.
Le projet de loi ASAP nous semble tirer peu d'enseignements de la situation de Lubrizol. Madame la ministre, devant la commission du développement durable, vous aviez vous-même déclaré que cet accident était d'un type nouveau, sans victime immédiate mais avec des conséquences potentielles à plus long terme, qui nécessiterait très certainement une évolution de la réglementation ou de la législation. Le projet de loi pourrait au moins ne pas revenir en arrière en matière de droit de l'environnement. L'un des enseignements à tirer de l'incendie de Lubrizol, c'est la défiance à l'égard de la parole publique. Avoir transcrit dans le projet de loi les seuls éléments de simplification du rapport Kasbarian, et aucun élément sur la culture du risque, la sécurité ou les enquêtes publiques, c'est ne tirer aucune leçon de l'accident !
Les agriculteurs peuvent tout à fait obtenir une réparation au civil. Une procédure transactionnelle a été prévue pour accélérer le processus, mais elle n'est pas satisfaisante : il faut revoir les modalités de l'indemnisation avec Lubrizol. Le ministre de l'agriculture serait le mieux à même de vous répondre.
Le projet de loi ASAP n'est pas la conséquence de l'accident de Lubrizol. Il est issu de réflexions antérieures. Les dispositions qui ont été décidées après l'accident sont, pour l'essentiel, de nature réglementaire. La création d'un bureau enquêtes accidents indépendant facilitant les relations avec l'autorité judiciaire nécessitera une disposition législative.
Je suis sensible au fait qu'une simplification puisse être lue comme une régression. Nous échangerons avec les associations de protection de l'environnement.
Nous mettons en cohérence les règles relatives à la saisine du Coderst, car il est paradoxal que sa consultation soit facultative pour les sites les plus à risque et systématique pour les sites moins à risque. Je continue à penser que les préfets feront preuve de bon sens et ne se dispenseront pas de l'avis de ce conseil sur des projets sensibles.
J'ai également évoqué la possibilité pour des sites sans enjeu concernant l'eau ou les espèces protégées, d'ores et déjà artificialisés, sans besoin d'autorisation de défrichement, de démarrer des travaux, au risque de ne pas obtenir l'autorisation environnementale. Nous ne sommes en aucun cas en train d'assouplir la réglementation des sites ICPE.
Vous faites le pari que les préfets auront à coeur, de leur propre initiative, de consulter sur les dimensions environnementales.
Si les préfets n'ont pas une bonne appréciation des dossiers sensibles, alors que l'on a un enjeu d'accessibilité, il y a un problème et il faudra le leur rappeler.
L'article 24 du projet de loi ASAP supprime la consultation systématique du Coderst, au sein duquel les riverains, les associations environnementales, les consommateurs et le monde médical peuvent s'exprimer.
Certes, ce projet de loi n'est pas né de l'accident de Lubrizol, mais considérez que sur le terrain, l'émotion et l'inquiétude sont toujours très vives quant à ses conséquences sanitaires ! Le Gouvernement n'aurait-il pas pu aligner la législation vers le haut en rendant obligatoire la consultation du Coderst et de la CDNPS ? Qui peut le plus peut le moins. Cela va dans le sens de la démocratie environnementale à laquelle nos concitoyens sont attachés.
Je reviens aussi sur l'axe 4 des retours d'expérience : le renforcement des contrôles. On note qu'une réflexion sera menée pour maintenir les compétences rares et l'attractivité des postes d'inspecteur d'installations classées. Si les personnes affectées à des tâches administratives vont sur le terrain, nous devrons nous assurer qu'elles disposent de ces compétences rares.
Pour constituer dans les cinq ans ce corps d'inspecteurs qui devront contrôler ces installations classées et assurer des contrôles ciblés des sites Seveso, il faut un personnel nombreux. Quels crédits seront affectés à la formation de ces personnels ? A-t-on estimé leur effectif ?
Une installation soumise à déclaration ou enregistrement peut être un site de tri de déchets non dangereux ou un entrepôt de cartons en zone artificialisée. Je pense qu'il n'est pas inutile de consacrer les débats du Coderst aux dossiers les plus sensibles, à l'appréciation du préfet. Si l'on part de l'idée que les préfets vont mal utiliser ce pouvoir d'appréciation, il y a effectivement un problème... Faisons leur confiance !
Il ne s'agit pas d'affecter à l'inspection des agents compétents qui se consacrent aujourd'hui à des tâches administratives. Je fais le constat que, malgré la hausse sensible des effectifs d'inspecteurs, le nombre de contrôles a diminué. Je l'explique par le fait qu'ils réalisent des tâches administratives dont on peut les décharger. On pourra ainsi recentrer les inspecteurs sur leur coeur de métier.
Nous arrivons au terme de nos auditions. Le contrôle a été longuement évoqué. On voit bien qu'il y a le champ de la loi et celui du règlement. Le droit commun, c'est le principe de responsabilité. Il a évolué au cours des événements, après Seveso, AZF, Erika et Lubrizol. Jusqu'à récemment, le principe était celui de l'article 1382 du code civil hérité de Napoléon. Le principe pollueur-payeur a été instauré après le naufrage de l'Erika. Plus récemment, la loi du 8 août 2016 a créé le préjudice écologique. Le principe de responsabilité s'est affiné.
Il y a eu des propositions d'indemnisation des victimes de Lubrizol. On se demande si l'industriel ne fait pas un geste de psychologie commerciale pour montrer sa bonne foi, tout en essayant de passer des conventions pour solde de tout compte.
Au regard de l'affaire Lubrizol, peut-on considérer que le cadre législatif est satisfaisant ?
La presse a beaucoup évoqué l'indemnisation, mais nous savons peu comment les choses ont été mises en oeuvre. Il faut des versements rapides tout en évitant de priver les agriculteurs de leurs droits.
Aujourd'hui, l'arsenal juridique est important. Il affirme très clairement la responsabilité de l'exploitant.
Les procédures et les jugements peuvent intervenir tardivement, d'où l'idée que l'industriel assume l'indemnisation sans attendre de décision au civil. Je n'ai connaissance ni des conditions qu'impose Lubrizol ni de la façon dont les préjudices ont été évalués.
Les procédures de réparation des préjudices par l'industriel en cause fonctionnent bien. Vous avez sans doute débattu de la convention judiciaire écologique : elle nous semble une voie intéressante à creuser, par analogie avec ce qui existe en matière de fraude. C'est ce qui a conduit récemment Airbus à payer 3,6 milliards d'euros de pénalités. On voit que ces outils sont très puissants pour obtenir des réparations larges des préjudices. Je pense qu'il est important de se doter d'outils complémentaires.
Il y a peut-être des trous dans la raquette pour ce qui concerne les sanctions des atteintes à l'environnement, qui justifieraient de créer un délit d'atteinte générale à l'environnement sur le modèle du délit de mise en danger de la vie d'autrui. Dans un certain nombre de cas, les sanctions encourues pour non-respect de prescriptions sont insuffisantes au regard de l'ampleur du préjudice.
Il ne s'agit pas non plus de créer une instabilité juridique pour les industriels qui se sont conformés en toute bonne foi aux prescriptions. J'ai en tête le cas d'un industriel, dans le centre de la France, dont les stockages ont brûlé pendant trois mois d'affilée. Il est aujourd'hui passible d'une sanction au titre du non-respect des capacités de stockage de son site. Ce n'est pas à la hauteur du préjudice.
Vous souhaitez apporter des améliorations aux politiques de prévention et de prévision. Ce sont deux choses totalement différentes. En matière de prévention, je souscris à l'obligation d'éviter l'effet domino, c'est-à-dire la propagation d'un incendie d'un établissement à un autre. Imposer des compartimentages plus importants m'agrée complètement. En matière de prévention, les exercices me tiennent à coeur. Les établissements recevant du public organisent régulièrement des exercices, notamment les établissements scolaires, en association avec le maire, au titre des pouvoirs de police administrative générale dont il dispose. Pour les établissements classés, les pouvoirs relèvent du préfet.
En Seine-Maritime, département qui accueille le plus grand nombre de sites Seveso, le développement de la culture du risque est très différent dans la métropole rouennaise, d'un côté, et Port-Jérôme-sur-Seine et Le Havre, de l'autre, où des exercices sont régulièrement organisés. Ils sont indispensables pour que les populations, notamment les plus jeunes, intègrent cette culture. Dans la métropole rouennaise, les habitants des communes concernées n'avaient pas totalement réalisé ce que l'implantation de sites Seveso impliquait. Il faut en permanence rappeler aux habitants et aux entreprises la conduite à tenir, en association avec le maire, puisque l'un des premiers réflexes est de se tourner vers lui. Je souhaite que ces exercices soient réguliers.
Pour éteindre les feux d'hydrocarbures, on utilise des émulseurs. Mais aucun service départemental d'incendie ou de secours (SDIS) ni aucune entreprise n'a aujourd'hui, seul, les capacités en émulseurs pour éteindre un sinistre comme celui de Lubrizol. Bien entendu, il existe des conventions de solidarité.
Je voudrais que l'ensemble des coûts de ces exercices, supportés par la puissance publique ou les entreprises, soient intégralement financés par les exploitants des sites Seveso. En effet, un émulseur coûte très cher ; or l'on connaît la situation financière tendue des SDIS.
Pour limiter l'effet domino, nous avons prévu la révision de la réglementation sur les stockages dans les entrepôts - des concertations sont engagées avec les fédérations professionnelles - ainsi que l'inspection de la zone de 100 mètres autour des sites Seveso seuil haut.
Nous attendons les retours d'une mission d'inspection sur la gestion de crise et la culture du risque. En outre, je rappelle le passage à des exercices obligatoires tous les ans sur les sites Seveso seuil haut, et non tous les trois ans comme aujourd'hui.
Je suis frappée par ce que vous dites sur la différence de culture du risque selon le bassin industriel. Les maires ont vraiment pris à bras le corps la question des risques naturels dans le cadre des plans communaux de sauvegarde. Si le nombre de victimes des inondations de l'automne dernier est resté relativement limité, c'est parce que les maires se sont saisis de cette culture. C'est nettement moins le cas pour les risques industriels. On doit certainement réfléchir à la façon de renforcer la culture du risque industriel. Les instances de concertation existantes, les commissions de suivi de sites, ne me semblent pas répondre à la question de la diffusion des informations aux riverains.
Pour moi, ce sont les industriels qui financent les émulseurs et non les SDIS.
L'assureur de Lubrizol que nous avons entendu m'a confirmé qu'une fois l'état des lieux fait et les améliorations apportées, la prime d'assurance serait moins élevée. Quel intérêt a-t-il à encourager les modifications ?
Dans cette même salle, M. Castaner a confirmé que l'eau stockée dans la darse, qui avait servi à éteindre l'incendie, était polluée. Qu'est devenue cette eau ?
La réglementation nationale fixe des règles à tous les industriels. Les préfets peuvent les renforcer. La lecture des assureurs est différente, puisqu'ils sont intéressés par la réduction du risque économique. Leurs recommandations peuvent toutefois être précieuses. Recevoir moins de primes mais ne pas avoir à gérer un sinistre reste, certainement, très utile financièrement.
Les opérations de dépollution sont terminées. L'eau a été confinée. Des protections ont été mises en place grâce, notamment, aux services du port. La destruction de la faune était liée à une sous-oxygénation de l'eau. La situation est revenue à la normale. Compte tenu de l'évacuation des eaux de destruction de l'incendie, un travail important de dépollution et de nettoyage des quais a été mené.
L'eau polluée a-t-elle été rejetée à la Seine ? C'est une question fondamentale.
Je vais vérifier mais je ne pense pas que l'eau polluée ait été rejetée ainsi à la Seine.
L'eau d'extinction aurait dû être stockée dans des bassins de rétention. Cela n'a pas été le cas. Pour moi, l'eau collectée a été envoyée dans des sites de dépollution de la région. Je vais vérifier.
Compte tenu des volumes, il paraît compliqué que l'on ait pu tout stocker et transférer.
On a évoqué la non-culture du risque dès le début des auditions. J'ai effectué des visites en Gironde, où sont implantés un certain nombre de sites Seveso seuil haut. La prise en compte de la culture du risque et de l'information aux populations est très différente selon les communes. L'information est bonne quand l'usine est en coeur de cité. Lorsqu'elle se trouve dans la campagne, à côté d'un village, ce n'est pas le cas. Il est nécessaire d'accompagner fortement les maires qui ont peur d'inquiéter de façon abusive ou de stigmatiser leur commune. Les habitants doivent pouvoir s'approprier la culture du risque en toute quiétude.
Quelle procédure est-elle prévue quant à la remise en marche de l'usine ? Qu'en est-il des phases suivantes ? Avec quel accompagnement ? Qui prendrait les décisions ?
Je partage les doutes de mes collègues concernant le projet de loi ASAP : c'est un mauvais signal. Ne laissons pas croire que nous baissons la garde. Il est bien de faire confiance aux préfets mais ensuite, c'est parfois compliqué.
Le Parlement est souverain pour le vote de la loi. Je vous ai exposé un point de vue strictement technique. Je ne pense pas que nous baissions la garde. Il y a aussi des symboles et je l'entends.
J'entends vos propos sur la culture du risque. C'est l'objet de la deuxième mission inter-inspections en cours. Il existe des structures de concertation, les commissions de suivi de site, les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels. Je ne pense pas que cela favorise l'appropriation de ces enjeux par la population, comme on pourrait le souhaiter. Il faut certainement progresser dans ce domaine. Le Japon organise des journées sur le risque. Nous y avons réfléchi dans les outre-mer pour les risques naturels.
L'industriel a demandé un redémarrage de l'installation, sur une partie strictement limitée. À ce stade, nous n'avons, à ma connaissance, pas reçu d'autre demande d'autorisation de sa part. Par ailleurs, l'enquête judiciaire est toujours en cours.
Merci, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.