Concernant le droit canon, voici ce que dit l'article 52 de la Constitution apostolique : « La congrégation pour la doctrine de la foi connaît des délits contre la foi et des délits les plus graves commis contre les moeurs ou dans la célébration des sacrements. Si nécessaire, elle déclare ou inflige des sanctions canoniques d'après le droit commun ou propre ». Des modifications ont été introduites en 2010, notamment en ce qui concerne la détention d'images pornographiques et les délits à l'encontre des moins de dix-huit ans. Le pape Benoit XVI a été un des premiers papes à prôner la tolérance zéro. Tous les évêques sont censés connaître le droit canon.
Dans l'affaire d'Orléans, je constate que le droit canon n'est pas appliqué, puisque l'abbé de Castelet est toujours abbé ! Il n'a pas été renvoyé de l'état clérical. L'Église n'a donc pas appliqué son propre droit disciplinaire. À Saint-Étienne, le prêtre a été renvoyé de son état clérical avant le procès pénal car l'évêque en place ne voulait certainement pas payer d'indemnités... Pour le cas qui me concerne, la suite logique devrait être le renvoi de l'état clérical.
Me Edmond-Claude Fréty. - Vous m'avez interrogé sur la peine qui a été prononcée lors du jugement : le prêtre a été condamné, pour attentat à la pudeur commis avec violence ou surprise sur mineur de quinze ans, à trois ans d'emprisonnement délictuel avec un sursis partiel d'un an, assorti d'une mise à l'épreuve d'une durée de deux ans. Cette mise à l'épreuve comportait des obligations de se soumettre à des mesures d'examen, de contrôle, de traitement ou de soins médicaux. Sous le régime de l'hospitalisation, il devait suivre des soins psychologiques ou psychiatriques. Le jugement a aussi prévu l'indemnisation des victimes. Le prêtre ne devait plus exercer d'activité professionnelle ou fonctionnelle ayant servi à ces infractions, en l'espèce celle de prêtre, ce qui rejoint le droit canon avec un retour à l'état laïc. Enfin, il devait s'abstenir d'entrer en relation avec des mineurs : il était temps !
Mgr Fort a été condamné, quand à lui, pour les faits de non-dénonciation de mauvais traitements et d'atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans. Il a donc été condamné à un emprisonnement délictuel de huit mois, assorti d'un sursis total.
Dans le dossier d'Orléans, j'ai noté une particularité, à savoir la dispute entre l'archevêque et l'évêque. L'archevêque avait reçu un courrier de Philippe Cottin, autre victime, et il s'était étonné de voir l'abbé de Castelet à un grand rassemblement de scouts qui avaient entre huit et onze ans. Il avait demandé à Mgr Fort s'il était normal que ce prêtre soit encadrant et Mgr Fort lui avait répondu que cela n'était pas ses affaires. D'un point de vue canonique, il semblerait que l'archevêque soit le supérieur de l'évêque mais, en réalité, l'évêque étant seigneur en son royaume, il n'a pas d'ordre à recevoir de son archevêque... Pendant ce temps, l'autorité judiciaire n'a absolument pas été tenue informée des risques encourus par les enfants. Le dépaysement permettrait d'éviter ce sentiment de gêne qui empêche parfois d'aller au bout de la démarche.
Grâce au procureur Nicolas Bessone et aux juges d'instruction, le dossier a été conduit à son terme.
L'affaire de Scitivaux est en cours d'instruction et la présomption d'innocence s'applique. Nous avons signalé l'affaire au procureur de la République et avons transmis au diocèse les éléments en notre possession. Nous nous sommes rendu compte que, dans un espace géographique limité, plusieurs prêtres ont effectivement eu des problèmes, notamment Loïc Barjou qui a été condamné définitivement. Au cours du procès, le procureur a mentionné sa condamnation, prononcée à Toulon, qui portait sur des faits commis à la fois dans le Loiret et à Toulon sur une quinzaine d'enfants, et qui lui ont valu une peine d'emprisonnement de sept ou huit ans. Le procureur a également interrogé le fichier Cassiopée, qui a révélé un jugement rendu à Nanterre : ce monsieur avait été condamné pour détention de fichiers pédopornographiques. Après sa condamnation, il était devenu l'archiviste d'un ancien évêque d'Orléans qui l'avait emmené avec lui à Nanterre, Mgr Decour lui-même apparaît dans le dossier de Castelet comme ayant disposé d'informations.
La traçabilité des dossiers est essentielle : en quinze ans, on peut oublier des faits. Ainsi, les procureurs pourraient alerter les évêques sur tel ou tel dossier. La lettre effroyable que nous avons reçue sur l'affaire de Scitivaux porte sur des faits hélas prescrits... On ne peut jamais prévoir quand la parole des victimes se libèrera.
Quelques mots de l'accès aux archives. Nous avons fait une demande au juge d'instruction pour obtenir la transmission des archives et l'interception des correspondances de la cellule d'écoute d'Orléans. On nous a répondu qu'il s'agissait d'une atteinte au secret de la correspondance et on nous a refusé la transmission. L'une des leçons de cette affaire est qu'il faut externaliser ces jugements : l'Église ne peut pas gérer ces affaires seule ; elle n'a pas la capacité à juger dans l'entre soi. Les évêques qui soulèvent le voile passent aux yeux de certains pour des traîtres. Il faut donc sortir du pur périmètre ecclésiastique. Voyez ce qui s'est passé à Orléans : le psychiatre qui a expertisé l'abbé de Castelet appartenait à une frange très conservatrice ; il a délivré un faux certificat qu'il a remis à l'agresseur lui-même, à charge pour lui d'en faire ce qu'il voulait. L'évêque a ainsi désigné le psychiatre qui lui convenait, sans passer par un expert désigné par l'autorité judiciaire.
Certains juristes confondent l'institution et la foi. Or l'institution de l'Église est distincte de la foi catholique. Remettre en cause des autorités ecclésiastiques, ce n'est pas renier l'Église. Le fait de ne rien faire crée de la défiance plus que la clarté.