Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs

Réunion du 29 janvier 2019 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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Sommaire

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui plusieurs représentants du ministère de l'éducation nationale :

- pour la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), M. Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements, et Mme Françoise Pétreault, sous-directrice de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives ;

- pour la direction générale des ressources humaines (DGRH), M. Édouard Geffray, directeur général ;

- pour la direction des affaires financières (DAF), M. Sébastien Colliat, sous-directeur de l'enseignement privé.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation pour cette audition qui revêt une grande importance pour notre mission.

Nous nous intéressons à la lutte contre les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions. L'Éducation nationale, mais aussi l'enseignement privé, font naturellement partie de notre champ d'investigation. Plus de douze millions d'élèves fréquentent les écoles, collèges et lycées et la protection de ces enfants et adolescents contre le risque d'agressions sexuelles est une préoccupation légitime de nos concitoyens.

Nos rapporteures, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, vous ont adressé, il y a deux mois, un questionnaire auquel je vous remercie de bien vouloir nous faire parvenir des réponses écrites, ce qui nous permettra de nous concentrer aujourd'hui sur les points essentiels.

Nous aimerions notamment savoir quelles précautions sont prises au moment du recrutement, puis tout au long de la carrière, pour s'assurer que les professionnels placés au contact des mineurs ne sont pas des prédateurs sexuels. Nous aimerions également que vous nous indiquiez quelles procédures sont appliquées par votre ministère lorsqu'un professionnel est mis en cause. Notre objectif est d'identifier s'il existe encore des failles dans le dispositif, des lacunes auxquelles il conviendrait de remédier.

Un autre sujet important est celui du repérage des enfants victimes de violences sexuelles : les enseignants sont-ils formés à la détection des signes qui peuvent laisser penser qu'un enfant est victime d'agressions sexuelles ? Et savent-ils à qui s'adresser lorsqu'ils ont des doutes concernant un de leurs élèves ?

Un autre thème incontournable est celui de la prévention : quels messages sont adressés aux élèves, par exemple dans le cadre des cours d'éducation sexuelle, s'agissant du respect de leur corps et des limites qui ne doivent pas être franchies par les adultes ? Les élèves ont-ils connaissance du numéro d'appel 119 grâce auquel ils peuvent effectuer des signalements ?

Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Merci beaucoup de nous auditionner sur ce sujet qui occupe effectivement nos différents services. La direction générale des ressources humaines assure la gestion des cas pour lesquels il existe une suspicion ou un constat d'infraction à caractère sexuel sur mineur.

A la suite d'affaires intervenues au printemps 2015, l'ensemble du processus de contrôle des personnels de l'Éducation nationale a été refondu autour de trois dispositifs :

- d'une part, un nouveau cadre légal d'informations réciproques entre l'autorité judiciaire et l'administration ;

- d'autre part, la mise en place de référents au sein des parquets et des rectorats afin d'assurer la bonne communication entre les deux ministères ;

- enfin, le contrôle non plus seulement à l'entrée, mais aussi en cours de carrière, des antécédents judiciaires des agents en contact avec les mineurs.

Nous avons entamé, dès la fin de l'année 2015, l'interrogation de deux fichiers, le fichier B2 du casier judiciaire et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) pour l'ensemble des personnels relevant de l'autorité du ministère de l'éducation nationale, soit un million cent mille personnes. Ceci nous a permis de vérifier si des agents étaient passés entre les « mailles du filet » du contrôle initial, qui ne portait que sur le B2. Ces opérations ont abouti à l'identification de 122 cas d'inscriptions sur ces fichiers, dont trente-huit relevaient d'infractions sexuelles sur mineurs. Par construction, il ne s'agissait que d'infractions commises en dehors du service puisque nous n'en avions pas eu connaissance. Sur ces trente-huit cas, dix ont donné lieu à une révocation ou à l'interruption du contrat, huit personnes ne sont, de fait, plus en contact avec des mineurs, parce que leur contrat avait atteint son terme, parce qu'elles avaient atteint l'âge de la retraite ou qu'elles ont été affectées à des fonctions administratives. Vingt situations sont encore en cours de traitement, l'un des enjeux étant d'obtenir la copie des jugements puisque nous nous prononçons sur la base d'infractions pénales constatées par un jugement devenu définitif.

Dans ce cas de figure, la procédure est toujours la même. Dès qu'une infraction est détectée dans le fichier, la copie du jugement est systématiquement demandée, et à la lumière du jugement définitif, une procédure administrative est engagée. En pratique, le membre du personnel est suspendu ou affecté dans des fonctions ou des missions qui ne le mettent plus en contact avec des mineurs et une procédure disciplinaire est engagée pendant cette période de suspension. Ensuite, la procédure disciplinaire suit son cours. A l'issue de cette procédure contradictoire, occasionnant un passage en commission administrative paritaire (CAP), le membre du personnel se voit affliger une sanction disciplinaire.

S'agissant de la connaissance de nouvelles infractions criminelles, notre dispositif repose d'une part sur une grande vigilance, en interne, pour les actes qui seraient commis dans le cadre du service, et sur un échange d'informations très étroit avec l'autorité judiciaire pour ceux qui interviendraient en dehors du service.

Cela fonctionne très bien. L'information circule de manière fluide, ce qui nous permet d'agir vite et de suspendre sans délai les intéressés. Nous n'envisageons pas de refaire passer à brève échéance l'intégralité de notre million d'agents à l'interrogation des fichiers. C'est un processus lourd, et accessoirement assez coûteux en temps et en personnels ; il comporte en outre des risques d'erreurs liées aux homonymies.

Pour le reste, l'existence de référents en académie, d'une part, dans les parquets, d'autre part, permet une information de bonne qualité et suffisante pour que nous agissions avec efficacité.

L'autre élément, ce sont bien sûr les évènements qui pourraient intervenir dans le cadre du service. Selon l'âge du mineur, ce peut être les parents de l'enfant ou l'enfant lui-même qui font état de potentielles infractions auprès du chef d'établissement ou de l'inspecteur. Sur les quatre dernières années, les faits relevés vont du geste déplacé jusqu'à des agressions sexuelles caractérisées. Dès lors que les soupçons sont suffisants, l'agent est suspendu sans délai, une enquête administrative est diligentée, et l'autorité judiciaire est systématiquement informée quand l'enquête administrative confirme l'existence d'un fort soupçon ou établit un comportement pénalement répréhensible. À la clé, des sanctions disciplinaires sont systématiquement prises. En 2018, nous avons prononcé dix-neuf sanctions pour des infractions commises dans l'exercice des fonctions, dont dix évictions définitives du service pour des faits relatifs à la pédopornographie ou des agressions sexuelles. Nous avons aussi prononcé neuf exclusions temporaires du service pour sanctionner des comportements qui, au regard de la jurisprudence actuelle, ne pouvaient donner lieu à une sanction plus sévère. Il pouvait s'agir d'échanges de SMS connotés, généralement avec des mineurs.

De la même façon, nous avons sanctionné des comportements pour des infractions qui avaient été commises dans la sphère privée et dont nous avions eu connaissance grâce à l'autorité judiciaire. Nous avons ainsi prononcé douze évictions définitives, c'est-à-dire des révocations de fonctionnaires ou des licenciements de contractuels. Voilà ce qu'il en est du dispositif actuel.

De façon générale, la vitesse de réaction peut être regardée comme satisfaisante. En revanche, si un fait n'a pas été dénoncé, ni à l'autorité judiciaire ni à l'autorité administrative, nous ne sommes, par construction, pas en mesure d'agir. Dans les autres cas, notre réponse est systématique. Je suis catégorique puisque j'engage moi-même ma signature lorsque ces sanctions sont prises.

Outre les sanctions, notre action comprend aussi un volet préventif. Nous avons mis en place un dispositif de formation des enseignants et, plus généralement, des personnels de l'Éducation nationale, que mes collègues de la Dgesco vont vous présenter.

Photo de Dominique Vérien

Vous dites qu'il est compliqué de croiser les fichiers, ce que je peux comprendre s'agissant d'un million cent mille personnes. Mais de même que l'on demande à un locataire de produire régulièrement une attestation d'assurance, vos employés ne pourraient-ils pas fournir eux-mêmes régulièrement un extrait de leur casier judiciaire ?

Dans les cas où vous avez trouvé quelque chose en croisant les fichiers, avez-vous recherché d'autres faits dénoncés sans être nécessairement poursuivis ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Sur le premier point, nous n'avons pas forcément besoin de demander régulièrement un extrait de casier B2 à nos personnels parce que, dans le cadre de notre coopération avec l'autorité judiciaire, nous avons systématiquement connaissance de toutes les procédures engagées, y compris d'ailleurs celles qui ne donnent pas lieu à une inscription au casier B2. Cela m'est arrivé récemment et j'ai été amené à faire au rectorat une préconisation de sanction pour une personne qui avait un comportement déplacé, mais que l'autorité judiciaire avait considéré comme non-pénalement répréhensible. Il n'y avait pas eu d'inscription au casier judiciaire mais, au plan administratif, nous avons prononcé une sanction disciplinaire symbolique pour marquer un coup d'arrêt. C'est un comportement dont nous n'aurions jamais eu connaissance par la simple production du B2.

Sur votre deuxième question, nous avons évidemment eu toutes sortes de remontées puisque l'inscription dans un fichier correspond à des hypothèses extrêmement différentes qui vont de la violence conjugale à la violence sur mineur, y compris et parfois quand les intéressés étaient mineurs eux-mêmes ou tout juste majeurs. Par exemple, dans le cas d'une violence entre bandes, lorsqu'un jeune de dix-neuf ans frappe un jeune de quatorze ou quinze ans, il y a violence sur mineur. Rien à voir avec une infraction sexuelle. Les trente cas que j'évoquais tout à l'heure correspondent à des situations très variables. C'est la raison pour laquelle, nous demandons systématiquement la production du jugement définitif, qui permet de connaitre la réalité des faits et de voir aussi comment le juge pénal les a qualifiés. Une sanction disciplinaire n'est jamais prononcée sans qu'on ait le jugement ; cela nous permet d'apprécier tous les faits avant d'engager une procédure contradictoire. Il faut assurer l'équilibre entre le respect des lois et la nécessité pour l'autorité administrative de protéger les mineurs dont elle a la charge. Quant aux mesures conservatoires, il s'agit de mesures de suspension ou d'affectation dans des fonctions ne permettant pas de contact avec des mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La remontée de l'information vous vient de l'établissement, de l'enseignant lui-même ou du rectorat ? Y a-t-il une procédure type ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Le rectorat est le point central. L'information circule entre le référent placé auprès du parquet et celui placé auprès du rectorat. En cas de soupçon dans l'établissement, dans les hypothèses que j'ai été amené à connaitre, c'est le chef d'établissement ou l'inspecteur de l'Éducation nationale (IEN) qui fait remonter l'information au rectorat. Ce dernier va diligenter une enquête administrative et généralement, il entame la procédure. Des consignes très claires, régulièrement rappelées, ont été données aux recteurs dans une circulaire de 2016. Elle prévoit que dans les affaires d'infractions sexuelles sur mineurs, c'est le recteur lui-même qui pilote la procédure disciplinaire et notamment qui préside la CAP disciplinaire. Cette implication du plus haut niveau hiérarchique garantit la réactivité de la structure.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Quand vous parlez des agents de l'Éducation nationale, de qui s'agit-il exactement ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Il s'agit des professeurs du premier degré et du second degré, des personnels de direction, des inspecteurs, des personnels médicaux (infirmiers scolaires et médecins scolaires), des assistantes sociales et de l'ensemble des personnels contractuels qui travaillent au sein de l'Éducation nationale, que ce soit des contractuels de type assistants d'éducation (AED) ou accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). En revanche les personnels qui relèvent dans leur gestion des collectivités territoriales - comme les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) - ne sont pas soumis aux mêmes règles puisqu'ils ne relèvent pas de notre autorité. Nous ne sommes donc pas en mesure d'assurer le contrôle de ces personnels-là au fichier.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Depuis l'affaire dite de Villefontaine et la loi de 2016, avez-vous noté une augmentation des signalements effectués par le parquet ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Nous avions dénombré douze infractions sexuelles commises sur des mineurs par des enseignants du second degré dans le cadre de leurs fonctions en 2015, puis treize en 2016, dix-sept en 2017 et enfin dix-neuf en 2018. La nouveauté concerne les cas signalés par l'autorité judiciaire pour des faits intervenus en dehors de la sphère administrative. En 2017, l'année de mise en place du dispositif, il y a eu huit sanctions pour des faits commis dans la sphère privée et seize en 2018. Ces chiffres prouvent que le système de référents mis en place avec le parquet fonctionne.

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Les personnels du ministère de l'éducation nationale sont des acteurs très importants du repérage. Je n'ai pas de statistiques globales concernant le pourcentage des signalements ou d'informations préoccupantes qui émanent d'agents du ministère, mais c'est substantiel. Ce n'est pas étonnant puisque ces agents sont au quotidien en contact avec tous les enfants au moins pendant la période de la scolarité obligatoire de six à seize ans, et bientôt dès trois ans. Les relations de confiance qui sont tissées avec nos personnels enseignants, infirmiers et médecins facilitent le dialogue et le signalement. Je rappelle aussi que nous sommes tenus de faire réaliser des visites médicales obligatoires, dans la sixième année de l'enfant, par les médecins de l'Éducation nationale et à la douzième année de l'enfant par nos infirmiers. Ce passage obligé pour tous les jeunes permet de détecter de possibles infractions sexuelles. Je rappelle aussi que nos cadres et nos personnels de direction sont très bien formés à l'utilisation de l'article 40 du code de procédure pénale. De même, en cas d'informations préoccupantes, les signalements au président du conseil départemental nous sont imposés par le code de l'action sociale et des familles ; cela concerne essentiellement les assistantes sociales. En outre, l'article L.542-1 du code de l'éducation prévoit une formation obligatoire de nos personnels. Certes, le code nous impose des formations sur les thèmes les plus divers mais sur ce sujet, les formations sont mises en place de façon très régulière, à la fois en formation initiale et continue.

Debut de section - Permalien
Françoise Petreault, sous-directrice de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Ces questions sont abordées systématiquement dans la formation initiale des chefs d'établissements et, pour les directeurs d'école dans le premier degré, elles sont abordées dans la formation de trois semaines qui précède leur prise de poste. Par ailleurs, chaque année au niveau des directions académiques et des circonscriptions, une information est dispensée sur le processus de signalement dans le cadre des conventions et des protocoles avec les conseils départementaux.

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Pour l'éducation à la sexualité, le code de l'éducation nous fixe aussi des objectifs clairs et précis. En septembre dernier, le ministre a insisté sur la nécessité d'adapter les actions à l'âge des enfants, ainsi que sur l'importance du premier degré et de l'école élémentaire, où nos marges de progrès sont les plus importantes. La circulaire du 13 septembre 2018 rappelle les objectifs en termes de prévention et de sensibilisation aux violences sexuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

On est un peu sans voix ! Vous nous dîtes en sommes « circulez, il n'y a rien à voir ; tout va bien ». Mais nous connaissons aussi les problèmes de l'Éducation nationale, notamment s'agissant des moyens. Quand vous parlez d'infirmières scolaires, nous savons qu'il y en a parfois une pour deux collèges. Vous nous parlez de repérage et de détection ; mais tout ça ne reste-t-il pas de l'ordre de l'intention ?

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Il est vrai qu'un tiers des postes de médecins scolaires sont vacants. En revanche, il y a bien une infirmière ou un infirmier par établissement. Outre les professionnels de santé et les travailleurs sociaux, c'est aussi l'ensemble de la communauté éducative et des enseignants, qui sont susceptibles de repérer d'éventuels problèmes de ce type car ils sont en contact quotidien avec les élèves.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

On voit bien que l'intention est là mais quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien ? Quels sont les domaines où vous souhaiteriez pouvoir disposer de moyens supplémentaires, sous quelle forme et dans quelles conditions ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray

Le sujet que nous traitons présente en fait deux dimensions, l'une interne et l'autre externe.

La dimension interne est la capacité à détecter, parmi les personnels de l'Éducation nationale, les auteurs de faits pénalement répréhensibles incompatibles avec un travail auprès des mineurs. En étant très objectif, je dirai que, sur ce point, l'outillage actuel est suffisant. Ce que j'ai observé depuis dix-huit mois comme DGRH, c'est que chaque fois qu'un cas se présente, on sait suspendre le professionnel concerné, quasiment d'heure à heure, et l'on sait quoi faire pour obtenir un jugement. Parfois les délais sont un peu longs pour obtenir le jugement mais on sait alors « neutraliser le risque », soit par la suspension, soit par un changement d'affectation. Nous prenons les mesures qui s'imposent. Et nous sommes confirmés par le juge dans 90 % ou 95 % des cas. Donc, l'arsenal juridique existe et l'organisation administrative reposant sur des référents de chaque côté fonctionne.

Un autre aspect concerne la détection de violences dont les enfants pourraient être victimes dans le cercle familial ou autre. Nous avons un devoir de les détecter et de les signaler. C'est là que se pose notamment la question du nombre de médecins scolaires. Pas plus tard qu'hier, j'avais deux heures de réunion sur la façon dont on pouvait essayer d'améliorer l'attractivité du métier. Comment faire venir des gens qui, objectivement, ne sont plus aussi attirés par cette carrière qu'ils l'étaient auparavant ?

Debut de section - Permalien
Françoise Petreault

S'agissant du repérage d'enfants en danger, je rappelle l'existence de services partagés d'infirmières entre le premier et le second degré dans les secteurs REP+. Toutefois, et c'est heureux, un enfant passe beaucoup plus de temps avec un enseignant qu'avec l'infirmière. Le rôle principal revient donc aux professeurs. Nous avons énormément de signalements à l'école maternelle : à l'occasion d'activités diverses, les enfants traduisent par des gestes des situations qu'ils ont pu vivre dans leur milieu familial. La difficulté consiste peut-être à convaincre nos personnels qu'il n'y a pas à se poser de questions. La loi leur impose, qu'ils soient enseignants ou chefs d'établissement, de signaler les situations de mises en danger.

Il n'est pas toujours facile pour nous de justifier auprès de nos personnels l'intérêt du signalement. Très souvent les cellules de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) ne nous informent pas des suites données aux signalements. Or le signalement présente des risques pour l'enseignant, notamment dans le premier degré où il est directement confronté aux parents. Ces derniers rentrent dans l'école et peuvent s'étonner, voire devenir violents, lorsqu'un enseignant a fait un signalement. Avoir des retours systématiques des CRIP est une vraie demande de notre part au sein du conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), où nous siégeons. Nous n'avons pas besoin de savoir dans le détail quelles conduites ont été tenues, à chacun son métier et ses compétences, mais nous avons besoin de savoir que la situation a été prise en compte. L'enseignant qui a l'impression de lancer une « bouteille à la mer », sans retour, pourra hésiter ensuite à faire un signalement sur une autre situation.

Debut de section - Permalien
Sébastien Colliat, sous-directeur de l'enseignement privé de la direction des affaires financières (DAF)

Pour l'enseignement privé, il convient de distinguer l'enseignement privé sous contrat avec l'État et l'enseignement privé hors contrat.

Dans l'enseignement privé sous contrat, les procédures mises en oeuvre sont comparables à celle de l'enseignement public en ce qui concerne le recrutement des enseignants et les procédures de contrôles. Nous avons recensé cette année dix-neuf cas, avec des signalements d'origines diverses, qui ont conduit à deux résiliations de contrats d'enseignants, à une exclusion temporaire et, pour le reste, à des procédures toujours en cours, les enseignants ayant été suspendus. Nous avons connu ces cas grâce à la consultation du FIJAISV, grâce à des signalements du parquet et aussi à cause des plaintes des parents. Sans en être le miroir complet, ce dispositif est calé sur celui de l'enseignement public avec les mêmes outils et la même vigilance des services académiques, compétents pour l'enseignement privé sous contrat qui emploie 140 000 enseignants.

Dans l'enseignement privé sous contrat, les personnels non-enseignants et les personnels de direction du second degré ne sont en revanche pas sous la responsabilité du ministère. Ils ne sont pas recrutés ni rémunérés par nous, mais cela ne veut pas dire que nous ne regardons pas ce qui se passe dans les établissements. Pour ce faire, nous disposons de plusieurs points de contacts. Nous discutons régulièrement de ces questions avec les responsables des principaux réseaux d'enseignement, à commencer par l'enseignement catholique. Ils sont au moins aussi vigilants que nous sur ces questions pour les raisons que l'on connait et que l'actualité vient parfois malheureusement rappeler. Ils ont leur propre politique de communication, de contrôle et de formation, notamment s'agissant de la formation de leurs enseignants. En ce qui concerne l'éducation à la sexualité, les trois séances de formation à la sexualité prévues pour l'enseignement public ne leur sont pas directement applicables. Mais nous avons pris contact avec eux et, dans le respect de leur caractère propre, ils déclinent un message de prévention absolument comparable au nôtre.

S'agissant de l'enseignement privé hors-contrat, aucun membre du personnel n'est sous notre responsabilité. Personne n'est recruté, ni nommé par nous. Néanmoins, la récente loi du 13 avril 2018, dite loi Gatel, nous a permis de renforcer considérablement les dispositifs de contrôle au moment du recrutement. Le directeur ou l'exploitant de l'établissement doit se déclarer et, à cette occasion, la circulaire du 21 août 2018 prévoit un contrôle de leur situation, notamment au regard du FIJAISV et du casier judiciaire B2. C'est la même chose pour les enseignants. Certes, nous n'avons pas la liste des enseignants a priori mais la loi Gatel a renforcé l'obligation de transmission annuelle de la liste des enseignants par les chefs d'établissement et la circulaire du 21 août 2018 a précisé que les enseignants figurant sur cette liste feraient l'objet d'une interrogation du B2 et du FIJAISV. Le maillage est donc assez serré, et cela fonctionne. Cette année, nous avons reçu 180 dossiers d'ouverture ayant donné lieu à vingt-sept oppositions, certes pour d'autres motifs que les infractions sexuelles.

À ceci s'ajoute notre politique de contrôle annuel des établissements lors de la première année de fonctionnement ; 375 inspections sont programmées cette année. La récente affaire de Riaumont révèle qu'y compris dans le hors-contrat, il peut y avoir des signalements, des plaintes des parents et des canaux d'alertes auxquels nous demeurons extrêmement vigilants. L'établissement avait été inspecté une première fois en 2016 et vient de l'être de nouveau par l'académie de Lille. En l'espèce, les faits de violences sur mineurs - sans caractère sexuel - ont été détectés après une plainte, mais il n'est pas inconcevable qu'à l'occasion d'une inspection, les personnels d'inspection interrogent les enfants et les enseignants et qu'ils détectent eux-mêmes certains signaux. Par exemple, nous nous assurons systématiquement de l'affichage du numéro 119 « Allo enfance en danger » dans tous les établissements scolaires. C'est le premier point de contrôle des corps d'inspection dans les écoles hors-contrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Pouvez-vous revenir sur les 180 dossiers que vous évoquiez ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Colliat, sous-directeur de l'enseignement privé de la direction des affaires financières (DAF)

Nous interrogeons les personnes qui se déclarent comme directeurs de l'établissement et s'ils sont inscrits au FIJAISV, on examine tout ce qui figure dans le fichier les concernant. Les faits inscrits au FIJAISV ou au B2 peuvent constituer un motif conduisant à écarter la personne qui veut diriger ou exploiter un établissement. Ce cas ne s'est pas encore présenté mais la possibilité existe.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Conconne

Messieurs, vous avez dit tout à l'heure que les ATSEM ou les personnels des associations qui viennent sur les temps de garderie ne relèvent pas de votre autorité, et c'est normal. Mais l'école est un lieu sanctuarisé et un enfant ne fait pas la différence entre son enseignante ou sa « tatie ». L'école, c'est un tout ! L'enfant est censé y être protégé. Y a-t-il une procédure mise en place pour ce qui concerne les personnels qui interviennent à l'école sans être sous votre responsabilité ? Quelle est la relation établie avec la collectivité de tutelle?

En début d'année, une grande réunion est organisée dans les écoles pour rappeler les règles. Ne serait-ce pas le moment pour expliquer aux enfants, en particulier aux plus petits, que les adultes ne doivent pas avoir des gestes déplacés envers eux : pas de bisous trop près, d'attouchements, de câlins, de petits mots qu'ils pourraient glisser sur leurs portables ? On sait en effet que les enfants sont souvent des victimes candides. Ils ne prennent pas les choses très mal au début, jusqu'au moment où cela dégénère et devient plus préoccupant.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Micouleau

Peut-on quantifier le nombre de contrôles annuels sur les établissements hors-contrat ? À Toulouse par exemple, on voit fleurir ces établissements hors-contrat...

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Oui, les écoles hors-contrat fleurissent et il y a besoin de contrôles...

Lorsque j'entends M. Geffray, j'ai l'impression que l'on ne vit pas tout à fait dans le même monde même si tout ce que vous avez dit est vrai en théorie, notamment sur les médecins scolaires. S'agissant des visites obligatoires avant six ans, j'ai été enseignante et directrice d'école maternelle et je peux vous dire que la visite des six ans est toujours obligatoire...sur le papier. Sur la question de la formation initiale et continue des futurs enseignants, je suis sceptique et je ne pense pas être la seule. L'autre jour, on nous a bien expliqué qu'il y avait une formation mais qu'elle ne touchait pas tout le monde. Quant aux écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espe), on leur demande tellement de choses... Il faut être vigilant : bien distinguer ce qui est dans les textes et ce qui est appliqué réellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je vous remercie d'avoir fait référence au travail du Sénat au travers de la proposition de loi Gatel. Plus de cent écoles privées hors-contrat ont ouvert en 2017, essentiellement pour le primaire. Avec l'école rendue obligatoire entre trois et six ans, il y aura donc encore plus d'élèves à contrôler. Est-ce que l'État se prépare à cette nouvelle vague d'arrivées ?

Nous avions identifié plus de 76 000 élèves dans ces écoles privées hors-contrat en 2017. Qu'en est-il des visites médicales obligatoires dans ces établissements hors-contrat ?

Vous avez rappelé la règle des deux visites obligatoires mais nos différentes auditions révèlent un manque de moyen évident. Est-ce que ces deux visites sont suffisantes ? C'est quand même relativement peu lorsqu'on sait la difficulté à recueillir la parole des enfants. Vous avez parlé de formations et d'information des personnels mais existe-t-il aussi des espaces propres à recueillir la parole des enfants ? Le bon cadre n'est pas forcément celui de la visite du médecin scolaire.

Vous nous avez dit que globalement la formation et l'information étaient là, qu'il y avait la médecine scolaire, un circuit du signalement et des réponses judiciaires et administratives. La réglementation existe, mais est-elle correctement appliquée ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray

S'agissant des personnels tels que les ATSEM dans le primaire et la maternelle ou les personnels techniques dans le second degré, le mécanisme d'interrogation systématique des agents déjà en poste n'existe pas. En revanche, comme tout agent public, ils sont tenus de produire le bulletin B2 du casier judiciaire pour leur recrutement. De plus, si un comportement délictuel ou criminel potentiel est détecté, les mêmes procédures que celles de l'Éducation nationale peuvent être engagées par leur employeur. Concrètement, le directeur d'école saisit le maire, le directeur du collège saisit le conseil départemental, en lien avec le rectorat. Il revient ensuite à ce maire ou à ce président de conseil départemental de décider d'une éventuelle suspension et de diligenter une procédure disciplinaire. S'impose aussi le code de procédure pénale qui dispose qu'un fonctionnaire doit dénoncer auprès du parquet les actes dont il a connaissance et ce, indépendamment de la procédure disciplinaire engagée par la commune ou le département.

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Certes, nous n'avons que 10 000 médecins scolaires mais nous avons aussi un million de professionnels en contact quotidien avec les enfants et nous comptons bien sur l'ensemble de nos agents pour lutter contre les infractions sexuelles. Il est vrai que l'on ne réalise pas 100 % des visites médicales de la sixième année. Une première action avait été engagée suite à la loi de refondation de l'école de 2013 ; nous étions passés de cinq à deux visites obligatoires pour qu'elles soient davantage effectives. Je voudrais rappeler qu'il y a aussi vingt visites obligatoires entre zéro et six ans prévues par le code de la santé publique. Avant le début de la scolarisation, ce sont autant d'occasions où des professionnels de santé - médecins, puéricultrices, etc. - sont en contact avec les enfants.

Notre défi aujourd'hui est que tous ces personnels travaillent mieux ensemble pour construire un véritable parcours de santé des enfants de zéro à six ans. Les ministres de la santé et de l'éducation nationale ont missionné des personnalités qualifiées pour faire des propositions concrètes en ce sens. Ceci passe par des échanges d'informations, par des interventions croisées des PMI et des médecins de l'Éducation nationale. L'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à trois ans n'aura pas forcément d'incidences notables car le taux de scolarisation à cet âge est déjà de près de 98 %. On s'attend à avoir 20 à 25 000 enfants supplémentaires accueillis dans les établissements, publics ou privés. En revanche, il est possible que parmi eux, une proportion plus élevée ait besoin d'être suivie.

Debut de section - Permalien
Françoise Petreault, sous-directrice de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Je reviens sur la formation des enseignants en matière d'éducation à la sexualité. Dans le second degré, nous souhaitons que cette éducation à la sexualité soit partagée par différentes personnes : les enseignants, les professionnels de santé ou les conseillers principaux d'éducation. Il ne faut en effet pas se limiter aux seuls champs de la biologie et de la physiologie, abordés en cours de sciences de la vie et de la terre (SVT). Les dimensions psychosociales ou juridiques doivent aussi être abordées. Vous faisiez allusion aux difficultés que nous pouvons avoir avec le tout-numérique. C'est une question qui est abordée à la fois dans le cadre de l'éducation à la sexualité et dans l'éducation aux médias et à l'information. Il s'agit d'avertir les enfants de l'intérêt des outils numériques mais aussi du besoin d'en faire une utilisation responsable et raisonnée. De plus, il faut aussi apprendre aux jeunes à savoir dire non, à savoir résister. Cela fait partie des compétences psychosociales définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En matière d'éducation à la sexualité, la difficulté est de vouloir procéder à cette éducation sur le temps global d'enseignement sans qu'il finisse par être trop dilué. Nous souhaitons donc que les enseignants se sentent accompagnés et la circulaire de 2018 indique que cette éducation est aussi l'un des objectifs du premier degré. C'est une responsabilité des enseignants qui doit être rappelée parce que nous avons pu entendre, ici ou là, des critiques sur la manière dont les enseignants s'emparaient de ce thème par rapport à la responsabilité qui incombe à la famille. Bien sûr, à l'école maternelle et élémentaire, nous devons adapter le discours. Il nous a été demandé d'étayer les ressources pédagogiques qui existent déjà sur notre portail internet et de concevoir un vadémécum qui sera diffusé à l'ensemble des enseignants.

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Le premier degré est en effet le niveau où nous disposons des marges de progrès les plus importantes en matière d'éducation à la sexualité. Outre les actions indiquées par Françoise Petreault, se tient pour la première fois cette année un séminaire national de formation des inspecteurs du premier degré sur l'éducation à la sexualité. Nous avons du chemin à parcourir car la question est plus délicate que dans le second degré. Vous nous aviez interrogés sur le 119, je crois ....

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Vous avez déjà un peu répondu sur les obligations des écoles hors-contrat...

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Oui, et je rappelle que pour les établissements publics également, le directeur général de l'enseignement scolaire signe tous les ans une circulaire spécifique de rappel de cette obligation d'affichage du 119. On ne le fait pas sur tant de sujets que cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Dix-neuf cas traités sur 140 000 enseignants dans l'école privée sous contrat, dix-neuf cas pour 1 100 000 dans l'Éducation nationale. Je dois avouer que ça m'oblige à réfléchir au hashtag « pas de vague »... Comment est-ce que vous traitez cela ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray

Je crois vous avoir dit que nous avions recensé trente-huit personnes inscrites au FIJAISV et entre quinze et dix-neuf cas par an d'actes commis par des personnels de l'Éducation nationale sur des mineurs dans le cadre du service. Cela va de l'agression sexuelle jusqu'à l'échange de SMS déplacés entre le professeur de vingt-quatre ans et l'élève de seize ou dix-sept ans. Ces comportements qui se produisent sur les réseaux sociaux ou via les téléphones sont comptabilisés dans ces chiffres globaux. Il peut notamment s'agir de jeunes professeurs tout frais émoulus, qui ne savent pas faire la différence entre leur métier et leur vie privée. On parle d'infractions commises par des enseignants, répréhensibles et réprimées soit à titre disciplinaire soit à titre pénal. C'est autre chose que le hashtag « pas de vague », qui visait des comportements délictuels ou problématiques commis par des élèves contre des membres du personnel. À mon avis, cela relève d'un autre débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Certains enseignants peuvent être témoins du comportement répréhensible de certains de leurs collègues sans oser le dénoncer. On leur conseille aussi parfois de ne pas le voir. Cela fait partie des témoignages que nous avons recueillis...

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray

Je ne suis pas capable de juger le passé mais dans la mesure où c'est moi qui signe les révocations des professeurs du second degré par délégation du ministre, je lis systématiquement les dossiers. L'impression que j'ai acquise en dix-huit mois, c'est que dans les suites de « Me too », l'ensemble des comportements à dimension sexuelle - y compris entre adultes - font l'objet d'une plus grande sensibilité et que l'on assiste à davantage de signalements.

Le rappel de ce contexte est-il suffisant pour analyser les chiffres ? Difficile à dire, surtout que l'on rencontre tous les cas de figures. Lorsque vous signez, vous le faites aussi un peu en conscience. Il y a des cas très clairs où la révocation est prononcée avec la force de l'évidence mais il y a aussi des cas de figure qui sont éminemment plus compliquées. J'ai été confronté il y a quelques semaines à l'hypothèse d'une relation entre un professeur qui devait avoir vingt-sept ou vingt-huit ans et une mineure de seize ans, les deux qualifiant leur relation de relation amoureuse. La jeune fille avait menacé ses parents de s'enfuir de la maison si jamais ils révélaient cette relation. Évidemment, à la fin, la sanction est prise mais vous vous posez quand même des questions...Ce cas a été signalé par des professeurs au chef d'établissement. Il y a des hypothèses où les collègues, le chef d'établissement et l'ensemble de la chaîne peuvent être plus hésitants. Nous veillons au respect d'un équilibre, sous le contrôle du juge, mais notre ligne est celle de la fermeté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Comment s'exerce la surveillance de ceux qui vont sur des sites pédopornographiques ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

Pour vous répondre, je vais faire appel à mon expérience passée à la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL). Le fait de consulter ou de télécharger des contenus pédopornographiques est évidemment répréhensible et les enquêtes pénales permettent de remonter jusqu'aux adresses IP. Il est évident que l'Éducation nationale n'a pas les moyens de placer des traceurs sur les ordinateurs de ses personnels et encore moins d'identifier les adresses IP. En revanche, lorsque dans le cadre d'une enquête judiciaire la détention ou la consultation d'images pédopornographiques est découverte chez un membre du personnel de l'Éducation nationale, l'information du rectorat et la révocation sont systématiques. Il me semble que deux cas nous ont été signalés l'année dernière par l'autorité judiciaire. La sanction a été immédiate.

Le juge pénal nous saisit lorsqu'il dispose de suffisamment d'éléments tangibles ; la procédure disciplinaire, contradictoire, permet également, y compris sans décision définitive du juge, de mener une enquête. Lorsque l'intéressé reconnait lui-même les faits, la décision s'impose évidemment.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Notre mission a notamment pour objectif de proposer d'autres outils pour lutter contre la pédocriminalité dans les institutions. Dans tout ce que vous avez dit, voyez-vous des choses à améliorer ? Nous vous avons entendu faire preuve de beaucoup de satisfaction, nous indiquant que tous les éléments étaient là pour protéger les enfants dans l'Éducation nationale. Est-ce exact ? Est-ce qu'il y aurait encore des marges de progrès ?

Debut de section - Permalien
Édouard Geffray, directeur général des ressources humaines

En qualité de DGRH, je ne peux répondre que sur la partie relative au contrôle du personnel. Objectivement, pour cette partie-là je crois que l'arsenal juridique et sa mise en oeuvre pratique sont satisfaisants.

Debut de section - Permalien
Alexandre Grosse, chef de service du budget, de la performance et des établissements de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Notre principale marge d'amélioration concerne la fluidité des échanges d'informations entre les différents acteurs et notamment les départements.

Debut de section - Permalien
Françoise Petreault, sous-directrice de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco)

Je voudrais insister effectivement sur cette question des enfants qui peuvent être victimes de mauvais traitement et qui changent de département. Nous avons eu connaissance d'un évènement tragique : un enfant est décédé alors que trois directeurs d'écoles, dans trois départements différents, avaient fait un signalement. Il y a un vrai problème de fluidité dans les transmissions d'informations avant qu'on ait le temps de retracer collectivement le parcours et l'histoire d'un enfant.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

En recevant le directeur général de la cohésion sociale, nous avions effectivement noté que certains départements jouaient le jeu de la remontée d'informations et du croisement des fichiers et que d'autres ne le jouaient pas. Ce n'est pas entendable ! Les « trous dans la raquette » sont énormes : des familles maltraitantes ou des familles d'accueil qui se sont vues retirer un agrément vont parfois dans le département voisin sans que l'information suive.

Monsieur Colliat dans les écoles hors-contrat, sait-on quel est le taux de scolarisation des enfants de trois à six ans ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Colliat, sous-directeur de l'enseignement privé de la direction des affaires financières (DAF)

Le taux de scolarisation globale avoisine les 99 %. Il reste plus ou moins une trentaine de milliers d'enfants à scolariser. Pour cette population, on ne sait pas forcément quelle va être la répartition entre public, privé sous contrat, privé hors-contrat et instruction à domicile. Actuellement, 12 % des enfants de trois à six ans sont scolarisés dans le privé sous contrat et une part assez faible est scolarisée dans le hors-contrat. Pour notre part, nous nous préparons à contrôler ces élèves et ces établissements de la même façon qu'aujourd'hui. En réalité, lorsque des écoles hors-contrat sont inspectées il n'est pas rare qu'elles comportent des classes de maternelle. Mais comme cette tranche d'âge ne relève pas encore de l'obligation scolaire, le contrôle pédagogique des inspecteurs ne s'y applique pas. Les inspecteurs s'intéressent en revanche à tout ce qui est lié au bien-être, à la salubrité de ces écoles ou à ce qui pourrait compromettre l'accueil des enfants. Là encore, j'évoquerai la circulaire du 21 août : à la suite de la loi de 2018, nous avons essayé de sensibiliser les services à la nécessité pour nos inspecteurs d'être les yeux et les oreilles des autres services de l'État dans ces établissements hors-contrat. Même s'ils ne sont pas compétents en première intention pour régler les problèmes de maltraitance, de malnutrition, d'insalubrité ou de sécurité, ils ont pour consigne de mentionner tout cela très clairement dans leurs rapports et de saisir sans délai les services compétents, qui dépendent pour la plupart du préfet. Cette année, 375 inspections sont programmées ou ont déjà été réalisées. Je rappelle que si l'inspection est obligatoire la première année, cela ne nous interdit pas de retourner dans l'établissement aussi souvent que nécessaire, par exemple sur signalement, sur plainte ou parce qu'il existe une suspicion. Pour ces établissements, un mouvement de regroupement des différents services de l'État s'est organisé autour du préfet dans le cadre du plan de prévention de la radicalisation. Nous profitons de l'existence de ce cadre pour échanger.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie de nous avoir fourni toutes ces informations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous poursuivons maintenant notre cycle d'auditions consacrées aux associations de victimes en recevant M. Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée », accompagné de Maîtres Edmond-Claude et Antoinette Fréty, avocats.

Votre association regroupe des victimes du prêtre Pierre de Castelet, qui a été condamné, en novembre dernier, à deux ans de prison ferme pour agressions sexuelles sur mineurs. Ce procès a également abouti à la condamnation de l'ancien évêque d'Orléans, Mgr André Fort, pour non dénonciation d'agressions sexuelles. En l'absence d'appel, ces deux condamnations sont maintenant définitives.

Ce procès a permis de mettre en lumière certaines des questions que nous nous posons concernant la manière dont l'Église gère ces affaires de pédophilie.

Nous souhaitons entendre votre témoignage afin de mieux comprendre quelles défaillances ont pu conduire à ce qu'un prêtre, dont les agissements avaient pourtant été dénoncés, demeure pendant si longtemps en activité auprès d'enfants et d'adolescents.

Nous souhaiterions également savoir comment vous avez vécu la période de l'enquête judiciaire et celle du procès afin d'apprécier si des améliorations peuvent y être apportées. Nous aimerions enfin savoir quel regard vous portez sur les initiatives prises par l'Église ces dernières années : constituent-elles de réelles avancées et convient-il, à votre avis, d'aller plus loin ?

D'autres auditions seront consacrées à la question des infractions sexuelles intervenues dans un contexte religieux : nous avons élargi nos travaux aux violences faites aux mineurs par des adultes dans le cadre d'institutions, que ce soit l'Église, l'Éducation nationale, le sport, la culture, les foyers d'accueil... Nous sommes donc hors du champ familial. Nous recevrons le 12 février la Conférence des évêques de France.

Je rappelle que cette audition est enregistrée et que la vidéo est consultable en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

L'association « Notre parole aussi libérée » a été mise en place après la création de « La parole libérée », constituée fin 2015 à Lyon. Le combat a démarré à partir de septembre 2010, lorsque je suis allé voir Mgr André Fort, évêque d'Orléans, pour lui rapporter des faits d'agressions sexuelles me concernant, commis dix-sept ans auparavant, en 1993. Je voulais que Mgr Fort prête attention à cette affaire car d'autres camarades, une dizaine, étaient également touchés.

Mgr Fort s'est montré très rassurant lorsqu'il m'a reçu, mais j'ai découvert un an plus tard que l'abbé de Castelet était toujours en fonction auprès d'enfants, notamment auprès de Scouts d'Europe, et qu'il avait été nommé expert sur les questions de pédophilie en droit canon !

J'ai donc écrit à l'évêque d'Orléans, qui entre-temps avait changé, il s'agissait alors de Jacques Blaquart, pour lui signifier que soit il se chargeait de cette question en dénonçant au procureur le prêtre dont il avait la charge, soit je saisissais directement la justice. L'évêque a choisi de transmettre ma lettre au procureur et une enquête préliminaire a été ouverte dans les jours qui ont suivi. L'instruction qui a suivi a été particulièrement longue, puisqu'elle a duré sept ans. Nous nous sommes demandé pourquoi il avait fallu autant de temps, alors qu'il s'agissait de faits qui avaient duré quinze jours dans les Pyrénées. Certes, les faits étaient anciens, mais nous avons soupçonné que cette lenteur était également due au fait que l'évêque, les magistrats et les politiques se côtoyaient.

Entre 2012 et 2016, l'enquête a été quasiment au point mort et les victimes n'ont pas été entendues. Entre 2007 et 2010, je m'étais livré à des recherches sur internet pour retrouver la dizaine de victimes et j'en ai contacté six ou sept. Les enquêteurs se sont servis de mes données mais ils n'ont pas poussé les recherches. Il a fallu d'autres demandes d'actes pour aboutir à l'audition des victimes. Je me suis senti très isolé. En 2016, « La parole libérée » donne une conférence de presse à Lyon : le dossier apparaît alors au grand jour et Mgr Blaquart, deux mois après, déclare qu'un prêtre de son diocèse est également concerné par une enquête. Il a alors suspendu ce prêtre de ses fonctions auprès de la paroisse. Préalablement, en 2011, ce prêtre avait été interdit de côtoyer des jeunes.

Philippe Cottin, également partie civile, et moi avons décidé de nous structurer en association afin de bénéficier de la personnalité morale, de recueillir d'éventuels témoignages d'autres victimes et de créer un espace d'échange et de soutien pour les victimes de l'abbé de Castelet.

Notre association a lancé des appels à témoin et elle a mis en lumière d'autres zones d'ombre : Pierre de Castelet avait agi dans un camp en 1993, mais qu'en était-il d'autres colonies de vacances, sachant que cet abbé était resté au contact de jeunes entre 1990 et 2011 ? De plus, il avait officié pendant dix-huit ans chez les Scouts d'Europe du Loiret. Une troisième personne s'est constituée partie civile, Paul-Benoit Wendling. Une animatrice de la colonie de vacances de 1993, Anne Geiger, avait surpris le prêtre en flagrant délit avec un mineur et elle m'a accompagné depuis 2009. Elle est désormais bénévole dans notre association en qualité de psychologue, puisque tel est son métier à Lausanne.

Suite à la médiatisation de l'affaire, nous avons accueilli la parole de victimes de ce camp, mais aussi celle concernant d'autres affaires dans le Loiret. Le documentaire de Richard Puech qui a été diffusé le 21 mars 2018 sur France 3 a eu un grand impact. Une heure après, une victime de l'abbé Olivier de Scitivaux, un autre prêtre du Loiret qui connaissait bien l'abbé de Castelet, me contactait sur ma page Facebook. Dès 2010, un ancien chef de troupe des Scouts d'Europe m'a donné plusieurs noms de victimes, notamment de ces deux abbés.

Notre ténacité a porté ses fruits et nous nous sommes rendu compte de la collusion de plusieurs prêtres pédophiles agresseurs : l'abbé de Castelet avait été prêtre de Meung-sur-Loire de 1988 à 1992. L'abbé de Scitivaux avait exercé dans la même localité jusqu'en 1988. L'abbé Loïc Barjou qui a été condamné en 2006 pour au moins quinze agressions sexuelles qualifiées de viols sur mineurs était, quant à lui, dans la paroisse de 1992 à 1996. Donc, en une quinzaine d'années, trois prêtres pédo-criminels ont exercé dans la même paroisse et ils avaient tous trois fait partie du mouvement Scouts d'Europe.

Depuis ne cessent d'affluer des témoignages de l'Orléanais. La médiatisation de notre procès et ma présence à Lourdes devant les évêques pour demander à l'Église ce qu'elle comptait faire pour prévenir de tels actes et comment elle entendait prendre en charge les victimes ont entraîné un afflux de témoignages, qui ont concerné aussi l'Occitanie, puisque je réside à Rodez.

J'ai enregistré beaucoup de témoignages de personnes âgées de plus de soixante ans : les faits sont prescrits et la plupart des agresseurs sont décédés. Mais ces victimes se libèrent après des dizaines d'années de silence, et elles ne veulent s'adresser qu'à nous. Elles ne souhaitent pas s'adresser à d'autres associations ni à leur diocèse. Mais comment accueillir la parole de ces victimes, comment les accompagner et les orienter ? Notre association va donc élargir son action à l'accueil de la parole des victimes de l'Occitanie. Nous n'avons pas la prétention de travailler au niveau national, d'autant que nous avons chacun nos activités professionnelles.

En milieu rural, les victimes, touchées par le phénomène des taiseux, ont souvent du mal à se libérer de ces traumatismes.

Nous plaçons beaucoup d'espoir dans la commission Sauvé pour les victimes non prescrites mais aussi pour celles dont les faits sont prescrits. Ces personnes veulent être reconnues comme victimes. La justice ne pourra rien faire mais quid de l'Église ? C'est la question que nous avons posée aux évêques en raison de leur devoir moral de chrétiens.

Les évêques ne sont pas tout à fait avertis de ce que peut être un traumatisme. Certains nous ont dit qu'ils n'avaient jamais rencontré de victimes avant nous. Or, ils sont les seuls dans l'Église à pouvoir faire quelque chose, car ils sont les seigneurs dans leur diocèse. Nous attendons donc de leur part une action, en parallèle de l'action publique, à l'égard des victimes.

Me Edmond-Claude Fréty. - Nous avons été le conseil des parties civiles dans le procès d'Orléans. Grâce à cette affaire, nous avons pu lever quelque peu le poids du secret sur les faits de nature sexuelle dans l'Église catholique.

L'instruction a duré presque sept ans et nous avons senti au départ que le secret perdurait. À la fin, les faits se sont révélés d'une telle ampleur qu'ils ont éclaté au grand jour, que ce soit en France ou à l'étranger.

En tant qu'avocat qui a prêté serment il y a dix-huit ans, je pense que l'instruction a été lente et compliquée car elle mettait en cause la hiérarchie du prêtre.

L'enquête préliminaire permettait de mettre en cause le prêtre et de le renvoyer devant une juridiction correctionnelle du fait d'agressions sexuelles sur mineurs. Mais il y avait aussi de sérieuses raisons d'envisager un supplétif pour renvoyer l'évêque du chef de non dénonciation d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Les freins judicaires, sociologiques, culturels font qu'il apparaît difficile de demander à un évêque de rendre compte de son inaction.

Je l'ai dit à l'audience et je le redis devant vous : le changement de chef de parquet et de magistrat instructeur a modifié la donne dans ce dossier. En outre, le fait que d'autres parties civiles aient rejoint M. Savignac a permis de ne plus le faire passer pour un « Torquemada » de l'Église catholique : il est une victime parmi d'autres victimes. Les enfants devenus adultes veulent que l'infraction qu'ils ont connue en août 1993 soit jugée. Je n'avais jamais vu des refus de demandes d'acte comme ceux auxquels j'ai assisté. Pour la première fois, il a fallu que je demande un entretien au parquet pour indiquer que le dossier comportait des faits de non dénonciation, ce qu'évoquaient d'ailleurs les procès-verbaux de la gendarmerie. Il a fallu que j'aille voir le juge d'instruction un mois plus tard pour une audition, à l'occasion de laquelle j'ai constaté que des réquisitions supplétives ne figuraient toujours pas dans le dossier. Il a fallu que j'écrive une nouvelle fois au parquet pour le mettre face à ses responsabilités. Ces réquisitions ont finalement été versées au dossier, mais le parquet a demandé la prescription de ses propres réquisitions ! Grâce au changement de procureur de la République, le parquet s'est montré plus volontariste. Lors du procès, le réquisitoire a été remarquable : tout a été dit et qualifié. Même si l'audience n'a duré qu'une grande demi-journée, elle a permis de faire le tour de la question. Chacun a pu s'exprimer et les responsabilités ont été abordées. Si l'on met de côté le fait que ces faits se sont déroulés dans un milieu et dans une ville catholiques, cette lenteur n'est pas compréhensible alors que les faits sont assez simples a investiguer et à caractériser. Lorsque les faits sont de nature délictuelle et qu'ils sont anciens, les parquets et les magistrats instructeurs estiment qu'ils ont d'autres affaires à instruire.

La culture du secret dans l'Église est tellement forte qu'il faut du temps et la victime doit faire le travail de dénonciation, si la hiérarchie ne respecte pas son obligation légale de dénonciation.

Je suis heureux du jugement d'Orléans, qui est très bien motivé. L'audience avait de la tenue, mais il faut aller vers une investigation complète de ces faits. Il ne faut pas non plus dramatiser : ce n'est pas le procès de l'Église mais il faut laisser la justice faire son travail sur des faits de nature sexuelle et faire en sorte que l'obligation de dénonciation soit respectée.

Me Antoinette Fréty. - Ne conviendrait-il pas de dépayser hors du diocèse et de l'archevêché ce type de dossier, afin que la chaîne pénale ait alors un regard extérieur, détaché des acteurs des faits reprochés ? Cela serait facile à mettre en place et se pratique, pour d'autres infractions... Nous parlons ici de crimes commis dans le cadre de l'Église, mais cela vaut pour d'autres institutions.

Il serait bon que les avocats, les procureurs, les juges d'instruction et les officiers de police judiciaire soient formés à la manière d'aborder la parole de l'enfant. Depuis les procès d'Outreau, il me semble qu'elle est trop facilement remise en question ou négligée.

À Orléans, nous avons eu un premier jugement. Il y aura d'autres dossiers, car la parole se libère. Pourquoi ne pas créer un parquet national spécialisé (pas forcément permanent) pour la criminalité sexuelle sur enfants, avec des magistrats et des juges d'instruction formés à entendre la parole de l'enfant ? Un parquet spécialisé existe bien pour les infractions financières.

Je veux aussi aborder la question de la mixité dans l'Église, sujet délicat bien sûr : les premières révélations émanent toujours de laïcs, de sexe féminin. Ne faudrait-il pas, dans les camps et plus largement les structures qui reçoivent des enfants, prévoir un encadrement mixte ? Je ne dis pas que les femmes sont exemptes de perversités...

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Statistiquement, les auteurs d'abus ou de crimes sexuels sont des hommes !

Me Antoinette Fréty. - La mixité des encadrants a un sens. Dans notre dossier, ce sont des femmes qui ont donné l'alerte.

Comme témoins ?

Me Antoinette Fréty. - Oui : en l'occurrence, elles se sont interrogées sur le fait qu'un homme s'enferme avec un enfant, qu'il procède à des vérifications médicales sans avoir la qualité de médecin.

Autre point que je veux mentionner, le secret de la confession. On nous l'oppose trop souvent. Il n'est pas reconnu par la loi, mais il l'est dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : il est possible de ne pas poursuivre pour non dénonciation de faits révélés dans la confession. Je regrette que l'on se cache derrière ce secret, trop étendu : on admet que le récipiendaire de la confession s'abstienne de révéler des infractions sexuelles sur mineurs de quinze ans. Cela me gêne intellectuellement. Le législateur pourrait revoir la définition et le périmètre du secret de la confession, qui ne saurait être aussi large que le secret professionnel confié par la loi aux avocats.

La Cour de cassation a-t-elle admis une exonération de l'obligation de dénonciation ou a-t-elle reconnu une atteinte au secret de la confession en cas de révélation ?

Me Antoinette Fréty. - Le confesseur qui entend un prêtre auteur de crime sexuel, ou la victime d'un crime à caractère sexuel, peut révéler les faits sans être poursuivi pour non-respect du secret de la confession. Mais il n'en a pas l'obligation. C'est toute l'ambiguïté ! Le législateur devrait travailler sur ce point car on ne peut l'admettre sur les infractions graves.

Me Edmond-Claude Fréty. - Il n'y a pas de loi, seulement une jurisprudence, et une circulaire de la chancellerie sur l'option de conscience. Mais ce n'est pas le sens de l'article concernant la non-dénonciation de crimes ou d'atteintes sexuelles. Et si l'option de conscience s'applique dans le cadre de l'Église, où existe un secret de la confession, alors les prêtres agresseurs qui sentent planer une menace pénale se confesseront à leur évêque et on en restera là ! C'est aussi pourquoi le jugement d'Orléans opère un retour intéressant à l'esprit de la loi qui avait instauré l'infraction de non-dénonciation d'infractions sexuelles sur mineurs de quinze ans. Elle visait à débarrasser les victimes du poids considérable de la dénonciation des faits. Olivier, profondément croyant, a dû franchir la porte du diocèse, lieu sacré ; il est allé, accompagné par son ancienne monitrice du camp, voir l'évêque et lui exposer les faits, autrement dit dénoncer un prêtre confesseur, aumônier du camp, une autorité morale, qui représentait la voix du Seigneur, et qui était pour ces jeunes un guide spirituel. Mettre en cause de telles personnes devant leur hiérarchie est très éprouvant pour un catholique pratiquant. Aller au bout de la démarche l'est encore plus lorsque les victimes se heurtent à un mur du silence.

Dans le cas présent, cette forme d'hypocrisie, de mistigri par lequel chaque évêque transmet, via ses archives, le signalement à son successeur, jusqu'à ce que la prescription éteigne l'affaire, n'a pas fonctionné, et c'est tant mieux, car ce n'était pas le sens de la loi. Il importe de faire de l'infraction de non-dénonciation un absolu : ce n'est pas aux récipiendaires du signalement d'apprécier si les faits sont réels ou non, s'ils sont ou non prescrits, ils doivent transmettre le dossier aux professionnels habilités à mener une enquête judiciaire. Si chacun compte sur le voisin pour dénoncer, c'est à nouveau la victime qui porte le fardeau de devoir dénoncer.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Avez-vous des liens ou des relations avec d'autres associations de victimes d'abus sexuels commis au sein de l'Église ? La monitrice de votre camp n'a-t-elle rien dit ?

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

Non, car l'aumônier national du mouvement eucharistique des jeunes est descendu de Paris pour gérer la crise. Elle avait fait sa part. Tous les hommes du camp, en revanche, ont mis en cause notre parole, sauf un animateur... victime lui aussi. Sans Anne Geiger et une autre animatrice, qui ont fait leur travail, tout aurait continué. Dix enfants sur vingt-deux étaient passés dans le bureau de l'aumônier pour la visite médicale. Les hommes, eux, n'ont rien dit. L'évêque n'a fait aucun signalement à la direction Jeunesse et sport, alors que l'association était agréée en 1993. Encore aujourd'hui, il importe de faire un signalement aux autorités publiques compétentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Merci de la force de votre témoignage, votre volonté farouche, votre constance. Vous n'avez jamais baissé les bras. Entre le moment du traumatisme en 1993 et la dénonciation des faits, ceux-ci sont-ils demeurés dans votre esprit ou les aviez-vous rejetés dans l'oubli ? Avez-vous informé votre famille ? Votre mère ?

Vous attendiez d'être reconnu comme victime, d'être cru. Qu'est-ce qui pourrait désormais orienter votre action ?

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

J'ai gardé ce secret pendant douze ans. En 1993, si les adultes avaient fait leur travail, nous n'aurions pas eu en 2018 à faire face à notre agresseur au tribunal. Les adultes, à la fin du camp, nous ont simplement dit : « Si c'est trop dur pour vous, parlez à vos parents. » Les familles n'ont reçu aucune lettre de l'association pour les informer. Le prêtre, lui, a été envoyé dans un autre camp. Une messe, obligatoire, a été organisée pour lui dire adieu : nous étions placés au coeur même de l'eucharistie ! Le Christ fragile et vulnérable était convoqué pour purifier les pêchés de cet homme. Notre fardeau est aussi là : nous avions entre onze et treize ans, nous avons été agressés non seulement dans notre corps et notre âme, mais également dans notre foi. C'est une triple peine qui déchiquette. Il est difficile de s'en relever. J'avais treize ans, la foi avait un rôle important pour moi, mais tout s'est désagrégé. On se retrouve distordu, dissocié, face au mur de loyauté énorme érigé devant nous. Dénoncer, c'est trahir notre famille spirituelle, c'est trahir notre famille, qui a confiance en l'Église - c'est la loyauté invisible. J'ai gardé, honteux, coupable, ce secret. J'ai dû, à l'église, faire face à cet homme qui avait une emprise sur nous, qui était à la fois le directeur administratif et spirituel et s'attribuait des compétences d'infirmier. Pour nous, il était un modèle... J'ai donc tout enfoui, et j'ai eu une adolescence très difficile, avec des pensées suicidaires - à seize ans, je me posais bien des questions sur mon existence sur terre. C'est la musique qui m'a sauvé. Mais les suicides sont nombreux après de tels traumatismes.

Je n'ai pas parlé à mes parents, pour ne pas les culpabiliser, ni à mon accompagnateur spirituel. Je suis resté dans la foi, me suis enfermé dans la conviction que le Christ allait m'aider. Cela m'a gardé en vie. Entre 1998 et 2004, j'ai retrouvé une certaine paix intérieure, accompagné par un prêtre. Je voulais entrer dans les ordres comme religieux, d'autant que la distorsion que j'avais vécue à treize ans me faisait fuir la sexualité : elle me semblait sale. Je souhaitais devenir frère et missionnaire en Amérique latine, mais le supérieur d'une communauté m'en a dissuadé, me conseillant plutôt de faire des études.

Puis j'ai été animateur dans un internat de Rodez, où officiait aussi mon accompagnateur spirituel, devenu directeur du foyer. Durant la première année où j'y travaillais, des jeunes sont venus me trouver, me disant qu'ils avaient été agressés par le père Bruno... Mon accompagnateur spirituel ! J'ai parlé à plusieurs personnes de l'équipe, au vicaire épiscopal, qui a transféré l'information à l'évêque de Rodez. Je me suis trouvé face à un nouveau mur, les gens ne voulaient pas entendre. Ils me culpabilisaient et affirmaient que cela ne me concernait pas. À ce moment-là, tout est remonté à la surface. Par le biais d'une assistante sociale à qui j'avais présenté les jeunes, j'ai moi-même pris conscience de la nécessité de faire un travail sur moi, de prendre en mains mon histoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Vous n'avez pas eu de doute sur les déclarations de ces jeunes ?

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

Non. Je me suis reconnu dans leur regard. Un jeune exprimait des pensées suicidaires, j'ai compris qu'il fallait intervenir. Mais j'ai eu contre moi toute l'équipe d'animation et le diocèse. J'en ai référé à la psychologue de l'enseignement catholique, lui disant qu'il fallait suivre ces trois jeunes. Mais je me suis heurté à un mur, et même au harcèlement de l'association diocésaine de Rodez, qui voulait me pousser à la démission. Il y a eu une enquête préliminaire, une mise en examen pour agressions sexuelles, ce qui a déclenché contre moi les foudres de tout le diocèse. À cause de la pression, et parce que j'ai menacé de tout dire à la presse, on m'a finalement proposé une rupture de contrat de travail à l'amiable : cela m'a permis de m'extraire de ce milieu. La presse avait pris le parti du prêtre, car à Rodez comme à Orléans, il y avait des collusions, ce prêtre était porté au pinacle, admiré des politiques, il appartenait à de nombreuses associations et il paraissait destiné à devenir évêque. Personne ne voulait s'intéresser à ces jeunes.

Il a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et à une obligation de soins ; il a fait appel et a été condamné à nouveau par le tribunal de Montpellier, obligé de quitter le diocèse. Mais moi aussi j'ai quitté le diocèse, car j'avais perdu ma famille du diocèse, et mes amis, à qui l'on avait monté la tête.

Après cette double peine, j'ai commencé à mener moi-même l'enquête sur mon histoire ; j'ai retrouvé mon agresseur sur internet, paradant au milieu de jeunes, et j'ai compris alors que j'étais à la croisée des chemins : soit abandonner et me noyer, soit me saisir de la question. La foi en le Christ m'a beaucoup aidé pour aller au-delà de ces murs et cesser d'avoir peur.

J'ai découvert que ce prêtre avait été protégé par un, par deux, par trois évêques. Le troisième, Mgr Fort, plutôt compatissant, m'a dit qu'il y aurait examen psychiatrique, que l'intéressé ne nuirait plus. Or je retrouve celui-ci en photo neuf mois plus tard, encore entouré de jeunes, dans un camp des Scouts d'Europe, et nommé expert sur les questions de pédophilie : il y a de quoi devenir paranoïaque ! Néanmoins j'ai toujours conservé ma foi ; mais j'étais révolté contre cette Église des hommes qui a enterré la parole de dizaines, voire de centaines de milliers de personnes, que j'entends tous les jours... Je m'estime chanceux qu'après vingt-cinq ans on me reconnaisse comme victime, que le procureur nous remercie. J'ai été heureux que la justice française nous ait enfin écoutés, ait manifesté de l'empathie, ait avec objectivité fait le procès non de l'Église mais du silence et de la complicité de crime de la part de tous ceux, religieux ou laïcs, qui sont restés silencieux.

Nous lançons un vaste appel à témoins pour dépasser cette loyauté invisible qui meurtrit des dizaines, des centaines, des milliers de victimes - qui ont notre âge, voire plus et vivent encore avec ça. La semaine dernière encore, une femme de soixante-neuf ans, épouse d'un élu, m'a confié que tout remontait à présent et qu'elle vivait avec ce poids depuis soixante ans.

Que peut faire la justice ? Que peut faire le législateur ? Et que peut faire l'Église ? Nous sommes à l'heure de vérité, et il ne faut plus laisser des enfants en danger, ni des adultes sans réponse. Le traumatisme d'une victime, on peut en disserter pendant des heures, mais lorsqu'on ne l'a pas vécu, il est difficile de le comprendre. La rencontre de victimes avec le public aide à se rendre compte de ce qu'est le traumatisme. Certains évêques, comme Mgr Blaquart, ont assumé, mais ils sont sous le poids de la solitude. À Rodez, j'ai prévenu Mgr Fonlupt. Pourtant, à la journée qu'il organise le 27 mars prochain, il n'accueillera pas de victimes !

La majorité des cellules d'écoute sont inutiles et dangereuses, car l'objectivation des faits est effectuée par l'évêque lui-même. De quel droit ? Je mets à part la cellule d'écoute de Paris et peut-être celle de Montpellier, qui fait un travail remarquable avec le CHU, des médecins, des psychologues et des psychiatres. Les autres objectivent des situations, ce qui me pose un cas de conscience.

Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les paroles se libèrent ? Vont-elles rester enterrées à tout jamais à cause de pareilles institutions ? Je me sens assez démuni face à un combat si lourd, qui est le combat d'une vie. Ce n'est pas facile pour ma famille, pour mes proches, pour mes amis prêtres qui se voient traités de sales pédophiles - car il y a aussi des victimes collatérales dans l'Église.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Vous êtes allé à Lourdes, à la conférence des évêques. Quelles suites attendez-vous ? La commission épiscopale doit donner en février ses premiers résultats. Les professionnels de la justice - notamment ceux qui vous accompagnent - ont fait des propositions, par exemple sur le dépaysement. En tant que victime, quelles recommandations ou propositions pouvez-vous nous faire ? D'aller vers plus de prévention ? Qu'est-ce qui vous a surtout manqué en 1993 ?

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

Ce qui m'a surtout manqué c'est que l'Église, qui se veut au-dessus de tout, accepte de se soumettre à la loi pénale, qui était la même en 1993 et aujourd'hui.

Il faudrait donc insister, dans la formation du clergé, sur le fait que le devoir d'un citoyen est de se conformer à la loi du pays avant de se référer à un droit canon du reste très ancien : certains articles remontent au seizième siècle...

La commission Sauvé représente un formidable espoir, mais il ne faut pas se leurrer, car les archives des diocèses ne sont pas toujours complètes : certains dossiers gênants ont purement et simplement disparu, par exemple après la condamnation de Mgr Pican en 2000.

Pour que l'enquête soit exhaustive, il faut s'appuyer plus largement sur le témoignage oral. Sans témoignages oraux, sans appels à témoins majeurs sur tout le territoire national, sans espaces de parole, tels que des soirées-débats dans les paroisses, les doyennés et les diocèses, on ne pourra pas capter toutes ces paroles : la plupart des victimes ne feront jamais le pas d'aller déposer sur un site internet. La plupart viendront tout au plus à une réunion d'information de la paroisse.

Des expériences pionnières ont été menées entre mars et mai 2018 à Orléans, dans certaines paroisses, par Mgr Blaquart, suite à l'inculpation, notamment, du père de Scitivaux. Le triptyque professionnel - prêtre - victime a libéré la parole, grâce aussi à l'espace informel que constituait un simple pot, à la fin de la réunion.

La réussite de l'enquête, ai-je dit à M. Sauvé, dépendra de sa capacité à recueillir des témoignages, des années cinquante à nos jours. Les personnes concernées veulent au moins pouvoir parler. L'une me disait récemment qu'aucune psychothérapie ne pourrait la guérir, puisqu'elle s'était construite sur le fait d'avoir été victime et que, si on lui enlevait cela, elle ne saurait plus qui elle est.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Sur quelles peines le procès d'Orléans a-t-il débouché ?

Le fait d'être abusé par un prêtre, pour l'enfant qui a été violé, diffère de celui d'être abusé par un enseignant, car il y a en plus du viol un abus spirituel aboutissant à une perte de repères spirituels qui détruit encore un peu plus l'enfant et sa personnalité.

L'omerta observée au sein de l'Église n'est-elle pas due au fait que, si l'enseignant pédocriminel franchit une barrière, le prêtre en franchit deux, puisqu'il n'est pas censé avoir de sexualité du tout ? C'est donc une double infraction, en quelque sorte, par rapport à un pédocriminel laïc. Quelles sont les sanctions prévues par le droit canon pour un prêtre qui revient sur ses voeux, et notamment sur celui de chasteté ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Sénateur du Loiret et ancien maire de la ville d'Orléans, je vous ai écouté avec attention. Mgr Jacques Blaquart a fait preuve, en effet, d'un grand courage - comme d'autres évêques, d'ailleurs.

Votre témoignage est essentiel, car il est au coeur du sujet. Nous avons été quelques-uns à proposer une commission d'enquête centrée sur l'Église. Votre témoignage montre bien qu'il y a vraiment quelque chose qui ne peut pas être comparé aux autres situations - tout aussi dramatiques et criminelles soient-elles.

Dans son dernier livre, Christine Pedotti écrit une lettre très claire aux évêques. Elle évoque d'abord la conception que l'Église se fait de la sexualité : vaste sujet, sur lequel le législateur n'a certes pas de leçons à donner, mais qu'il peut analyser. Elle parle ensuite du fait que certains évêques ont largement privilégié la défense de l'institution. Elle aborde enfin la question la plus difficile : la confession dans le système ecclésial. Si quelqu'un vient se confesser, c'est qu'il a confiance en la personne à qui il s'adresse : il sait que celle-ci ne révélera rien. Sinon, il ne parlerait pas. Dans ce contexte, si quelqu'un apprend un crime, c'est la tempête sous un crâne, comme disait Victor Hugo. Il faut donc dire et expliquer qu'il y a une loi de la République et que la Justice de la République est au-dessus - non pas au sens métaphysique mais au sens civique.

Notre mission, à mon avis, ne peut pas ne pas s'attaquer à ce coeur-là du sujet. Il faut être clair et affirmer que si quelqu'un apprend un crime, même dans des circonstances particulières, il doit dire à son interlocuteur qu'il est dans l'obligation de le dénoncer à la Justice pour respecter la loi de la République française. Il y a peut-être des lois métaphysiques, des lois spirituelles, mais il y a une loi de la République française, qui s'impose a priori. Cela n'est pas évident, d'où la gêne, le malaise et les ambiguïtés.

En tous cas, ce que fait votre association est très précieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je suis d'accord : la dichotomie entre l'autorité de Rome et nos lois, et ce que vivent les victimes, tout cela est au coeur de notre sujet. La volonté de protéger l'institution existe aussi, à un degré moindre, à l'Éducation nationale ou dans le milieu sportif. Mais le secret de la confession est un problème spécifique.

Notre objectif premier est évidemment la protection des victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Évoquant l'autoprotection des institutions catholiques et la passivité de l'institution judiciaire pendant toute une période, vous disiez que les magistrats ne s'imaginaient pas convoquer un évêque.

Me Antoinette Fréty. - C'est clair.

Nous avions initialement demandé une commission d'enquête sur la pédocriminalité dans l'Église catholique. Cela aurait imposé des témoignages sous serment par des personnes ne pouvant se soustraire à nos convocations. Or nous sommes une simple mission d'information, portant sur toutes les institutions qui sont en contact avec des enfants. Vous voyez que la justice n'est pas la seule à être réticente à convoquer des évêques : il y a aussi la majorité sénatoriale !

Pour autant, nous souhaitons que cette mission d'information formule des recommandations utiles à la fois pour que justice soit rendue aux victimes, mais aussi pour prévenir la réitération de tels faits ou la survenue de nouveaux auteurs.

Je pense que l'absence de mixité est un problème, notamment lorsqu'il n'y a que des hommes : quand il n'y a que des femmes, on entend peu parler d'affaires de violences sexuelles contre les enfants... Les auteurs sont le plus fréquemment des hommes. Pourquoi, dès lors, ne pas imposer la mixité dans les structures en contact avec les enfants ?

M. Sueur a parlé du secret de la confession, lorsque c'est l'auteur qui se confesse. Mais quand c'est la victime ? Doit-on traiter le secret de la confession de la même façon ? L'auteur vient parler parce qu'il sait qu'il va pouvoir laver sa conscience à bas prix. La victime qui vient parler demande-t-elle vraiment le secret de la confession ? Ne voudrait-elle pas, plutôt, qu'on lui tende la main ?

Vous vous êtes lancés dans un travail associatif et judiciaire de recueil des témoignages. Comment expliquez-vous cette pesanteur quasi institutionnalisée qu'on observe dans l'Église catholique ? L'Éducation nationale a aussi déplacé des enseignants, mais à un degré moindre. Peut-être, là encore, l'absence de mixité joue-t-elle un rôle ? Pourquoi une telle prévalence des violences sexuelles sur les mineurs par des hommes d'Église ? On a l'impression qu'il y a plus de garçons que de filles parmi les victimes. Est-ce parce que les garçons parlent plus, qu'ils ont davantage conscience d'avoir été victimes ? Est-ce un effet d'optique ou une réalité ?

Les jeunes prêtres ont-ils une perception de ses sujets différente de celle de leurs prédécesseurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce qui ne va pas dans la confession c'est qu'à la fin, si quelqu'un vient de révéler qu'il a commis un crime, la formule rituelle est « ne recommence plus et va en paix ». À aucun moment il n'est question de la victime ! On ne s'en occupe pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous évoquerons la question avec les membres du clergé que nous recevrons - car nous en recevrons, même si nous sommes une simple mission d'information. Nous n'avons pas mis un couvercle sur l'Église catholique...

Me Antoinette Fréty. - Et nous n'aurions pas dit autre chose sous serment !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Que pensez-vous de la séparation de l'Église et de l'État, sur cette question de la confession ?

Me Antoinette Fréty. - Le secret de la confession est un vrai sujet, car c'est l'argument constamment opposé en défense par les autorités qui étaient informées des faits. D'un point de vue juridique, le secret de la confession bénéficie de la même protection que le secret professionnel des médecins ou des avocats, de par la jurisprudence de la Cour de cassation - qui pourrait être renversée par une loi. L'Australie, par exemple, a limité par la voie législative les effets du secret de la confession - pour tous les cultes.

Un autre problème est la place du droit canon, sur lequel les accusés sont souvent bien mieux informés que sur la législation française. Pourtant, la position de l'Église en matière de pédophilie est claire, notamment depuis Jean-Paul II et encore plus depuis Benoît XVI. Les prêtres, les évêques accusés citaient sans problème de nombreux articles du droit canon, mais peu se référaient à l'article 40 du code de procédure pénale, que tout le monde connaît, et qui oblige toute personne qui aurait connaissance d'un crime ou d'un délit à le dénoncer.

Parmi vos recommandations, la formation doit donc avoir toute sa place, et notamment celle du clergé sur ses propres obligations. Un rappel sur ce qu'est un signalement en application de l'article 40 et sur les obligations que contient le code pénal à l'égard de n'importe quel citoyen, qu'il soit laïc ou religieux, serait bienvenu.

Debut de section - Permalien
Olivier Savignac, co-fondateur de l'association « Notre parole aussi libérée »

Concernant le droit canon, voici ce que dit l'article 52 de la Constitution apostolique : « La congrégation pour la doctrine de la foi connaît des délits contre la foi et des délits les plus graves commis contre les moeurs ou dans la célébration des sacrements. Si nécessaire, elle déclare ou inflige des sanctions canoniques d'après le droit commun ou propre ». Des modifications ont été introduites en 2010, notamment en ce qui concerne la détention d'images pornographiques et les délits à l'encontre des moins de dix-huit ans. Le pape Benoit XVI a été un des premiers papes à prôner la tolérance zéro. Tous les évêques sont censés connaître le droit canon.

Dans l'affaire d'Orléans, je constate que le droit canon n'est pas appliqué, puisque l'abbé de Castelet est toujours abbé ! Il n'a pas été renvoyé de l'état clérical. L'Église n'a donc pas appliqué son propre droit disciplinaire. À Saint-Étienne, le prêtre a été renvoyé de son état clérical avant le procès pénal car l'évêque en place ne voulait certainement pas payer d'indemnités... Pour le cas qui me concerne, la suite logique devrait être le renvoi de l'état clérical.

Me Edmond-Claude Fréty. - Vous m'avez interrogé sur la peine qui a été prononcée lors du jugement : le prêtre a été condamné, pour attentat à la pudeur commis avec violence ou surprise sur mineur de quinze ans, à trois ans d'emprisonnement délictuel avec un sursis partiel d'un an, assorti d'une mise à l'épreuve d'une durée de deux ans. Cette mise à l'épreuve comportait des obligations de se soumettre à des mesures d'examen, de contrôle, de traitement ou de soins médicaux. Sous le régime de l'hospitalisation, il devait suivre des soins psychologiques ou psychiatriques. Le jugement a aussi prévu l'indemnisation des victimes. Le prêtre ne devait plus exercer d'activité professionnelle ou fonctionnelle ayant servi à ces infractions, en l'espèce celle de prêtre, ce qui rejoint le droit canon avec un retour à l'état laïc. Enfin, il devait s'abstenir d'entrer en relation avec des mineurs : il était temps !

Mgr Fort a été condamné, quand à lui, pour les faits de non-dénonciation de mauvais traitements et d'atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans. Il a donc été condamné à un emprisonnement délictuel de huit mois, assorti d'un sursis total.

Dans le dossier d'Orléans, j'ai noté une particularité, à savoir la dispute entre l'archevêque et l'évêque. L'archevêque avait reçu un courrier de Philippe Cottin, autre victime, et il s'était étonné de voir l'abbé de Castelet à un grand rassemblement de scouts qui avaient entre huit et onze ans. Il avait demandé à Mgr Fort s'il était normal que ce prêtre soit encadrant et Mgr Fort lui avait répondu que cela n'était pas ses affaires. D'un point de vue canonique, il semblerait que l'archevêque soit le supérieur de l'évêque mais, en réalité, l'évêque étant seigneur en son royaume, il n'a pas d'ordre à recevoir de son archevêque... Pendant ce temps, l'autorité judiciaire n'a absolument pas été tenue informée des risques encourus par les enfants. Le dépaysement permettrait d'éviter ce sentiment de gêne qui empêche parfois d'aller au bout de la démarche.

Grâce au procureur Nicolas Bessone et aux juges d'instruction, le dossier a été conduit à son terme.

L'affaire de Scitivaux est en cours d'instruction et la présomption d'innocence s'applique. Nous avons signalé l'affaire au procureur de la République et avons transmis au diocèse les éléments en notre possession. Nous nous sommes rendu compte que, dans un espace géographique limité, plusieurs prêtres ont effectivement eu des problèmes, notamment Loïc Barjou qui a été condamné définitivement. Au cours du procès, le procureur a mentionné sa condamnation, prononcée à Toulon, qui portait sur des faits commis à la fois dans le Loiret et à Toulon sur une quinzaine d'enfants, et qui lui ont valu une peine d'emprisonnement de sept ou huit ans. Le procureur a également interrogé le fichier Cassiopée, qui a révélé un jugement rendu à Nanterre : ce monsieur avait été condamné pour détention de fichiers pédopornographiques. Après sa condamnation, il était devenu l'archiviste d'un ancien évêque d'Orléans qui l'avait emmené avec lui à Nanterre, Mgr Decour lui-même apparaît dans le dossier de Castelet comme ayant disposé d'informations.

La traçabilité des dossiers est essentielle : en quinze ans, on peut oublier des faits. Ainsi, les procureurs pourraient alerter les évêques sur tel ou tel dossier. La lettre effroyable que nous avons reçue sur l'affaire de Scitivaux porte sur des faits hélas prescrits... On ne peut jamais prévoir quand la parole des victimes se libèrera.

Quelques mots de l'accès aux archives. Nous avons fait une demande au juge d'instruction pour obtenir la transmission des archives et l'interception des correspondances de la cellule d'écoute d'Orléans. On nous a répondu qu'il s'agissait d'une atteinte au secret de la correspondance et on nous a refusé la transmission. L'une des leçons de cette affaire est qu'il faut externaliser ces jugements : l'Église ne peut pas gérer ces affaires seule ; elle n'a pas la capacité à juger dans l'entre soi. Les évêques qui soulèvent le voile passent aux yeux de certains pour des traîtres. Il faut donc sortir du pur périmètre ecclésiastique. Voyez ce qui s'est passé à Orléans : le psychiatre qui a expertisé l'abbé de Castelet appartenait à une frange très conservatrice ; il a délivré un faux certificat qu'il a remis à l'agresseur lui-même, à charge pour lui d'en faire ce qu'il voulait. L'évêque a ainsi désigné le psychiatre qui lui convenait, sans passer par un expert désigné par l'autorité judiciaire.

Certains juristes confondent l'institution et la foi. Or l'institution de l'Église est distincte de la foi catholique. Remettre en cause des autorités ecclésiastiques, ce n'est pas renier l'Église. Le fait de ne rien faire crée de la défiance plus que la clarté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Ce sera le mot de la fin. Merci pour votre témoignage très riche et captivant.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19h40.