Intervention de Sébastien Boueihl

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 31 janvier 2019 à 11h00
Audition de l'association « colosse aux pieds d'argile » : M. Sébastien Boueilh directeur-fondateur et Mme Claire Lailheugue chargée de communication

Sébastien Boueihl :

Je vous rejoins pleinement, madame la présidente : le milieu sportif n'est pas épargné par le fléau des violences sexuelles à l'égard des mineurs et je remercie votre mission de donner à notre association l'occasion d'apporter son éclairage sur la question.

Cette association est née de mon histoire personnelle. J'ai été violé de douze à seize ans, par mon entraineur, alors que je pratiquais le rugby. Je n'ai trouvé le courage d'en parler que dix-huit ans après les faits, grâce à un ami d'enfance qui a lui aussi été victime du même prédateur. Cet ami d'enfance jouait également au rugby, et nous étions membres d'un même groupe de musique. Il se trouve qu'il menait une vie sexuelle particulièrement dissolue dont il a cherché à comprendre l'origine en pratiquant une séance d'hypnose partielle, à partir de laquelle tous ses souvenirs sont remontés à la surface. Il s'est alors remémoré les viols subis tous les mercredis. Il m'en a parlé, ce qui a libéré ma parole. J'ai alors osé en parler à un autre ami d'enfance, nous étions très souvent ensemble tous les trois, lequel m'a révélé avoir subi les mêmes agissements, toujours de la part du même auteur.

On peut qualifier ce prédateur d'hébéphile, c'est-à-dire qu'il est attiré par la tranche d'âge de douze à seize ans, ce qui correspondait aux pré-adolescents que nous étions à l'époque.

À partir de là, j'ai décidé de porter plainte. La procédure a duré quatre ans avant que se tienne le procès d'assises au cours duquel j'ai cherché la manière dont je pourrais utiliser ce qui m'était arrivé pour protéger de nouvelles victimes potentielles. C'est là qu'a germé l'idée d'une association.

En tant qu'ancien joueur de l'équipe de France amateur de rugby, tout au long de ma carrière dans le milieu sportif, j'ai pu constater des comportements inappropriés. Il n'est pas rare, par exemple, que des éducateurs sportifs se douchent avec les enfants, à l'issue des activités, ce qui est parfois plus qu'ambigu. J'ai aussi vu des gestes déplacés lorsque j'allais voir mes cousines, qui pratiquent la gymnastique, en compétition. Ces comportements m'alertaient déjà, mais j'étais encore plongé dans le silence.

Mon agresseur a été condamné le 29 mai 2013. L'association est née le dimanche suivant et a aujourd'hui cinq ans. Sur cette période, nous avons sensibilisé 165 000 enfants grâce au petit « guide des colosses » et nous avons reçu 3 000 témoignages, dont un quart en milieu sportif. Sans surprise, la plupart des témoignages concernent des faits commis au sein de la cellule familiale, et dans une moindre mesure proviennent du cadre religieux et du milieu éducatif. Cela n'empêche pas un nombre important de victimes dans le milieu sportif. À la suite d'un reportage sur notre association diffusé dans le cadre de l'émission « Envoyé spécial » en juin 2018, nous avons reçu plus de trois cents témoignages, provenant du monde entier. Parmi ces trois cents témoignages figurent ceux de victimes de vingt disciplines sportives différentes. Ces chiffres ne correspondent qu'à l'activité de l'association, et pas à une enquête nationale, mais ils illustrent le fait que le milieu sportif n'est pas épargné par les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

Comme vous l'avez rappelé, l'association mène une politique de prévention et de sensibilisation aux risques de pédocriminalité et de bizutage en milieu sportif et cherche à aider les victimes. Je souhaite ajouter que notre action vise aussi à aider les éducateurs à se prémunir de tout comportement inapproprié en leur expliquant comment ne pas se mettre dans des situations qui pourraient être mal interprétées. Notre objectif est de protéger le mouvement sportif dans son ensemble, c'est-à-dire d'abord les victimes, mais aussi les encadrants qui seraient victimes de fausses allégations. Il ne faut pas remettre en cause la parole de l'enfant, mais il a pu arriver que certains d'entre eux, non retenus dans le cadre d'un centre de formation par exemple, profèrent des allégations simplement pour se venger de leur entraineur. Il existe des cas de suicide d'entraineurs sportifs, victimes de fausses accusations. Nous cherchons aussi à éviter cela, en diffusant les bonnes pratiques, celles qui lèvent toute ambiguïté.

J'ai créé l'association avec un conseil d'administration d'une vingtaine de personnes. En tant qu'ancien commercial dans le secteur industriel, je n'ai aucune formation dans la protection de l'enfance. Je ne suis pas non plus juriste. Mais mon passé fait que je sais malheureusement comment fonctionne un prédateur et comment fonctionne une victime mais il faut aussi des profils de professionnels pour que l'association fonctionne. Chaque commission de l'association comprend au moins un professionnel du secteur, dédié à la commission, qui agit bénévolement pour l'association. La commission juridique, par exemple, est chapeautée par Maître Frédéric Lonné, mon avocat, qui est par ailleurs bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Dax. La commission psychologique repose sur Marie-Claude Darrigade, psychologue, victimologue et criminologue avec qui nous avons créé un réseau national de psychologues-victimologues. En cinq ans d'activités de sensibilisation, des victimes se sont manifestées à l'issue de chacun de mes témoignages. Ces victimes sont systématiquement orientées vers notre réseau de psychologues-victimologues.

Nous pourrions couvrir l'ensemble du territoire en recourant au bénévolat mais nous estimons que le bénévolat a ses limites. Les antennes que nous montons reposent uniquement sur des professionnels que nous salarions. Il existe une antenne en Occitanie qui gère les dossiers de treize départements et une antenne dans la région Centre-val-de-Loire compétente sur six départements. Nous avons deux salariés que nous avons formés au recueil de la parole des victimes. C'est un choix de ne pas confier un rôle aussi important à des bénévoles, qui malgré leur bonne volonté, ne pourraient pas être, par définition, des professionnels de la protection de l'enfance. Il faut être solide et formé pour écouter une victime d'infractions sexuelles, mineure de surcroit. Sans formation, vous pouvez créer des dommages irréversibles en lui prodiguant des conseils inappropriés. Nous avons également ouvert une antenne en Argentine, Coloso Con Pies de Barro, et nous avons des contacts avec le Canada et la Tunisie. J'ai effectué quelques interventions en Argentine et en Espagne et je peux dire que, comparativement, l'accompagnement des victimes est meilleur en France, même s'il est loin d'être toujours satisfaisant.

Nos actions touchent tant le sport de haut niveau, via des sensibilisations dans les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) que le monde amateur à travers les organes déconcentrés des fédérations sportives qui se sont engagées avec nous. Nous intervenons dans le milieu scolaire, à tous les niveaux : écoles, collèges et lycées. Nous ne sommes pas agréés pour l'instant, ni reconnus d'utilité publique, mais nous sommes systématiquement accompagnés, lorsque nous intervenons dans un établissement, par un infirmier, un psychologue ou une assistante sociale. L'ADN de notre association, c'est le milieu sportif, mais les enfants peuvent pratiquer une activité sportive dans des cadres très variés. Par exemple, depuis, peu, notre association intervient aussi auprès des jeunes sapeurs-pompiers bénévoles, avec un constat identique : partout où nous intervenons, des victimes se dévoilent. Nous sommes également de plus en plus en contact avec des mairies, des conseils départementaux, des directions départementales, des conseils régionaux, des directions régionales qui font appel à nous pour des actions de formation de leurs professionnels ayant des contacts avec de jeunes publics.

À ce jour, six fédérations sportives se sont engagées à nos côtés : il s'agit des fédérations françaises de rugby, de basketball, de gymnastique, de pelote basque, de baseball et softball et l'union française des oeuvres laïques d'éducation physique (UFOLEP). Des échanges sont en cours de finalisation avec d'autres fédérations ou unions, comme la fédération française de roller, l'union nationale des sports scolaires (UNSS), l'union sportive de l'enseignement du premier degré (USEP) ou encore l'Unicef. Nous travaillons également sur une convention avec le comité national olympique et sportif français (CNOSF). Contrairement à Mme Laura Flessel, qui niait l'existence d'une omerta sur le sujet dans le sport, l'actuelle ministre des sports, Mme Roxana Maracineanu, s'attaque frontalement au sujet. Elle nous a reçus dernièrement et nous avons le sentiment qu'elle cherche à lutter contre cette omerta. Plusieurs communes s'engagent également sur le sujet : c'est le cas de Pau, Montpellier, Bordeaux ou Paris, pour ne citer que quelques exemples.

Le constat, particulièrement triste, que je fais est le même partout : la parole se libérant, j'ai la certitude que le nombre de victimes qui s'expriment va exploser. Le témoignage que je leur apporte a un pouvoir libérateur. Je pense que mon témoignage leur parle car j'ai été agressé sexuellement, mais aussi harcelé et harceleur. Les sévices sexuels que j'ai subis expliquent sans doute que j'ai cherché à extérioriser mon mal être en faisant subir du harcèlement, des coups de coude ou des coups de poings par exemple, à un autre jeune.

Les chiffres que nous constatons à l'issue de nos différentes opérations de témoignage sont particulièrement inquiétants, tant sur les infractions sexuelles que pour le bizutage. Lors de l'ouverture de notre antenne en Argentine en août 2018, nous sommes restés douze jours, et avons sensibilisé 1 300 personnes, avec l'aide de l'ambassade de France. Nous sommes impliqués là-bas sur l'écriture d'un texte de loi. Cette antenne fonctionne exactement sur le même modèle d'organisation qu'en France, c'est-à-dire avec un réseau de professionnels (psychologues, avocats, etc.) et un fonctionnement par commissions. Les constats dressés nous montrent que la situation est pire encore qu'en France. Le bizutage consiste là-bas en des comportements qui relèvent de la barbarie. Le constat en France n'est toutefois pas beaucoup plus reluisant. Depuis la reprise de la saison sportive en septembre, nous avons effectué des actions de sensibilisation dans cinq CREPS. Nous y avons constaté des actes qui ne relèvent pas du bizutage mais bien d'infractions sexuelles caractérisées. Je ne multiplierai pas les exemples mais qu'il s'agisse d'un stylo enfoncé dans l'anus d'un garçon, d'un cintre dans un vagin, ou encore de coups de ceinture de judo utilisées comme fouet, on est bien au-delà du bizutage. Cette situation est à l'origine de plusieurs suicides.

Dans certaines disciplines, des entraineurs participent directement au bizutage, ou motivent les enfants pour qu'ils organisent un bizutage, par exemple par des séances « d'étranglement » jusqu'à l'évanouissement. Nous avons fait remonter cette situation, que nous jugeons catastrophique, lors d'une réunion au ministère des sports en fin d'année dernière, en présence de la ministre, des fédérations françaises de basketball et de rugby, du CNOSF, ainsi que de la région Centre-Val-de-Loire. Pour devancer les questions que vous m'avez adressées, et notamment celle sur les mesures nouvelles qui pourraient être prises pour améliorer les politiques de lutte contre les infractions sexuelles sur mineurs, je peux souligner deux projets que nous menons et qui mériteraient selon moi d'être étendus.

D'abord, nous travaillons sur la rédaction d'une proposition de loi visant à renforcer la sélection des bénévoles. Nous savons que 90 % de l'activité sportive en France repose sur le bénévolat. Le contrôle du bulletin n° 2 du casier judiciaire doit devenir obligatoire pour tous les bénévoles des clubs sportifs, ainsi que pour les familles qui accueillent des enfants lors des compétitions. Il existe déjà des systèmes comme la télé procédure d'accueil des mineurs : en théorie, chaque intervention devant des mineurs dans un établissement scolaire par des personnels extérieurs à l'établissement doit donner lieu à une inscription par la municipalité sur un registre, par le biais d'une télé procédure. Lors de la réunion dont je vous parlais, les fédérations françaises de basketball et de rugby ont convenu d'expérimenter, dès la rentrée 2019, le filtrage des bénévoles, et la région Centre-Val-de-Loire le filtrage de l'ensemble de son mouvement sportif, même s'il faut bien entendu évaluer le coût et le surcroit d'activité qui en résultera. Il faut mettre un terme aux agissements de ces prédateurs et le filtrage constituera un moyen supplémentaire, au moins pour éviter la récidive.

Nous avons un second projet consistant en une étude épidémiologique. Nous avons proposé au ministère d'effectuer, dès la rentrée 2019, le tour de l'ensemble des CREPS et des écoles concernés par l'expérimentation pour former 13 000 personnes en quatre mois. Au-delà de la sensibilisation et du recueil de témoignages, l'objectif est aussi de disposer, enfin, d'une étude sérieuse, dix ans après la dernière étude menée, en 2009, sous l'impulsion de Mme Roselyne Bachelot. Cette étude de 2009, dont on peut légitimement penser qu'elle avait donné des résultats sous-évalués, concluait tout de même, en agrégeant les résultats, que 17 % des sportifs de haut niveau avaient subi des violences sexuelles au cours de leur formation sportive. Avec la libération de la parole et les interventions que nous menons, nous pensons que les nouveaux chiffres seront bien plus importants. Les cinq visites que j'ai effectuées dans des CREPS m'ont ainsi permis de recueillir pas moins de quarante témoignages. Le fait que les médias abordent le sujet contribue aussi à la libération de la parole. Après la diffusion d'un reportage sur les pratiques au sein de la fédération française de roller, dans le cadre de l'émission « 66 minutes » sur M6, dix nouvelles victimes se sont fait connaitre auprès de nous. Un prédateur faisant rarement une seule victime, un premier témoignage entraine un effet « boule de neige ».

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