Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs

Réunion du 31 janvier 2019 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous poursuivons ce matin notre cycle d'auditions consacrées aux associations en recevant M. Sébastien Boueihl et Mme Claire Lailheugue, respectivement directeur et chargée de communication de l'association « Colosse aux pieds d'argile ». Cette association a pour missions la prévention et la sensibilisation aux risques de pédocriminalité et de bizutage en milieu sportif, la formation des professionnels encadrant les enfants, ainsi que l'accompagnement et l'aide aux victimes. Le secteur du sport fait partie du champ d'investigation de notre mission d'information puisque nous avons fait le choix de nous intéresser à toutes les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions.

Les auditions auxquelles nous avons procédé jusqu'à présent nous ont donné l'impression qu'il y avait encore une marge de progression dans ce domaine et nous aimerions vous demander quelles mesures complémentaires nous pourrions prendre pour mieux protéger les enfants et les adolescents contre les prédateurs sexuels dans le milieu sportif.

La question de l'accompagnement des victimes est également essentielle à nos yeux : comment peut-on les aider à surmonter le traumatisme lié à l'agression et à entrer dans un parcours de résilience ?

Nos rapporteures vous ont adressé un questionnaire qui pourra servir de fil conducteur à votre intervention liminaire, pour quinze minutes environ, avant un échange que nous aurons ensuite, lequel nous semble tout particulièrement important compte tenu du fait que l'omerta sur le sujet des violences sexuelles à l'égard des mineurs n'épargne pas le milieu sportif, pas plus que les autres secteurs sur lesquels nous nous sommes penchés.

Sébastien Boueihl

Je vous rejoins pleinement, madame la présidente : le milieu sportif n'est pas épargné par le fléau des violences sexuelles à l'égard des mineurs et je remercie votre mission de donner à notre association l'occasion d'apporter son éclairage sur la question.

Cette association est née de mon histoire personnelle. J'ai été violé de douze à seize ans, par mon entraineur, alors que je pratiquais le rugby. Je n'ai trouvé le courage d'en parler que dix-huit ans après les faits, grâce à un ami d'enfance qui a lui aussi été victime du même prédateur. Cet ami d'enfance jouait également au rugby, et nous étions membres d'un même groupe de musique. Il se trouve qu'il menait une vie sexuelle particulièrement dissolue dont il a cherché à comprendre l'origine en pratiquant une séance d'hypnose partielle, à partir de laquelle tous ses souvenirs sont remontés à la surface. Il s'est alors remémoré les viols subis tous les mercredis. Il m'en a parlé, ce qui a libéré ma parole. J'ai alors osé en parler à un autre ami d'enfance, nous étions très souvent ensemble tous les trois, lequel m'a révélé avoir subi les mêmes agissements, toujours de la part du même auteur.

On peut qualifier ce prédateur d'hébéphile, c'est-à-dire qu'il est attiré par la tranche d'âge de douze à seize ans, ce qui correspondait aux pré-adolescents que nous étions à l'époque.

À partir de là, j'ai décidé de porter plainte. La procédure a duré quatre ans avant que se tienne le procès d'assises au cours duquel j'ai cherché la manière dont je pourrais utiliser ce qui m'était arrivé pour protéger de nouvelles victimes potentielles. C'est là qu'a germé l'idée d'une association.

En tant qu'ancien joueur de l'équipe de France amateur de rugby, tout au long de ma carrière dans le milieu sportif, j'ai pu constater des comportements inappropriés. Il n'est pas rare, par exemple, que des éducateurs sportifs se douchent avec les enfants, à l'issue des activités, ce qui est parfois plus qu'ambigu. J'ai aussi vu des gestes déplacés lorsque j'allais voir mes cousines, qui pratiquent la gymnastique, en compétition. Ces comportements m'alertaient déjà, mais j'étais encore plongé dans le silence.

Mon agresseur a été condamné le 29 mai 2013. L'association est née le dimanche suivant et a aujourd'hui cinq ans. Sur cette période, nous avons sensibilisé 165 000 enfants grâce au petit « guide des colosses » et nous avons reçu 3 000 témoignages, dont un quart en milieu sportif. Sans surprise, la plupart des témoignages concernent des faits commis au sein de la cellule familiale, et dans une moindre mesure proviennent du cadre religieux et du milieu éducatif. Cela n'empêche pas un nombre important de victimes dans le milieu sportif. À la suite d'un reportage sur notre association diffusé dans le cadre de l'émission « Envoyé spécial » en juin 2018, nous avons reçu plus de trois cents témoignages, provenant du monde entier. Parmi ces trois cents témoignages figurent ceux de victimes de vingt disciplines sportives différentes. Ces chiffres ne correspondent qu'à l'activité de l'association, et pas à une enquête nationale, mais ils illustrent le fait que le milieu sportif n'est pas épargné par les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

Comme vous l'avez rappelé, l'association mène une politique de prévention et de sensibilisation aux risques de pédocriminalité et de bizutage en milieu sportif et cherche à aider les victimes. Je souhaite ajouter que notre action vise aussi à aider les éducateurs à se prémunir de tout comportement inapproprié en leur expliquant comment ne pas se mettre dans des situations qui pourraient être mal interprétées. Notre objectif est de protéger le mouvement sportif dans son ensemble, c'est-à-dire d'abord les victimes, mais aussi les encadrants qui seraient victimes de fausses allégations. Il ne faut pas remettre en cause la parole de l'enfant, mais il a pu arriver que certains d'entre eux, non retenus dans le cadre d'un centre de formation par exemple, profèrent des allégations simplement pour se venger de leur entraineur. Il existe des cas de suicide d'entraineurs sportifs, victimes de fausses accusations. Nous cherchons aussi à éviter cela, en diffusant les bonnes pratiques, celles qui lèvent toute ambiguïté.

J'ai créé l'association avec un conseil d'administration d'une vingtaine de personnes. En tant qu'ancien commercial dans le secteur industriel, je n'ai aucune formation dans la protection de l'enfance. Je ne suis pas non plus juriste. Mais mon passé fait que je sais malheureusement comment fonctionne un prédateur et comment fonctionne une victime mais il faut aussi des profils de professionnels pour que l'association fonctionne. Chaque commission de l'association comprend au moins un professionnel du secteur, dédié à la commission, qui agit bénévolement pour l'association. La commission juridique, par exemple, est chapeautée par Maître Frédéric Lonné, mon avocat, qui est par ailleurs bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Dax. La commission psychologique repose sur Marie-Claude Darrigade, psychologue, victimologue et criminologue avec qui nous avons créé un réseau national de psychologues-victimologues. En cinq ans d'activités de sensibilisation, des victimes se sont manifestées à l'issue de chacun de mes témoignages. Ces victimes sont systématiquement orientées vers notre réseau de psychologues-victimologues.

Nous pourrions couvrir l'ensemble du territoire en recourant au bénévolat mais nous estimons que le bénévolat a ses limites. Les antennes que nous montons reposent uniquement sur des professionnels que nous salarions. Il existe une antenne en Occitanie qui gère les dossiers de treize départements et une antenne dans la région Centre-val-de-Loire compétente sur six départements. Nous avons deux salariés que nous avons formés au recueil de la parole des victimes. C'est un choix de ne pas confier un rôle aussi important à des bénévoles, qui malgré leur bonne volonté, ne pourraient pas être, par définition, des professionnels de la protection de l'enfance. Il faut être solide et formé pour écouter une victime d'infractions sexuelles, mineure de surcroit. Sans formation, vous pouvez créer des dommages irréversibles en lui prodiguant des conseils inappropriés. Nous avons également ouvert une antenne en Argentine, Coloso Con Pies de Barro, et nous avons des contacts avec le Canada et la Tunisie. J'ai effectué quelques interventions en Argentine et en Espagne et je peux dire que, comparativement, l'accompagnement des victimes est meilleur en France, même s'il est loin d'être toujours satisfaisant.

Nos actions touchent tant le sport de haut niveau, via des sensibilisations dans les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) que le monde amateur à travers les organes déconcentrés des fédérations sportives qui se sont engagées avec nous. Nous intervenons dans le milieu scolaire, à tous les niveaux : écoles, collèges et lycées. Nous ne sommes pas agréés pour l'instant, ni reconnus d'utilité publique, mais nous sommes systématiquement accompagnés, lorsque nous intervenons dans un établissement, par un infirmier, un psychologue ou une assistante sociale. L'ADN de notre association, c'est le milieu sportif, mais les enfants peuvent pratiquer une activité sportive dans des cadres très variés. Par exemple, depuis, peu, notre association intervient aussi auprès des jeunes sapeurs-pompiers bénévoles, avec un constat identique : partout où nous intervenons, des victimes se dévoilent. Nous sommes également de plus en plus en contact avec des mairies, des conseils départementaux, des directions départementales, des conseils régionaux, des directions régionales qui font appel à nous pour des actions de formation de leurs professionnels ayant des contacts avec de jeunes publics.

À ce jour, six fédérations sportives se sont engagées à nos côtés : il s'agit des fédérations françaises de rugby, de basketball, de gymnastique, de pelote basque, de baseball et softball et l'union française des oeuvres laïques d'éducation physique (UFOLEP). Des échanges sont en cours de finalisation avec d'autres fédérations ou unions, comme la fédération française de roller, l'union nationale des sports scolaires (UNSS), l'union sportive de l'enseignement du premier degré (USEP) ou encore l'Unicef. Nous travaillons également sur une convention avec le comité national olympique et sportif français (CNOSF). Contrairement à Mme Laura Flessel, qui niait l'existence d'une omerta sur le sujet dans le sport, l'actuelle ministre des sports, Mme Roxana Maracineanu, s'attaque frontalement au sujet. Elle nous a reçus dernièrement et nous avons le sentiment qu'elle cherche à lutter contre cette omerta. Plusieurs communes s'engagent également sur le sujet : c'est le cas de Pau, Montpellier, Bordeaux ou Paris, pour ne citer que quelques exemples.

Le constat, particulièrement triste, que je fais est le même partout : la parole se libérant, j'ai la certitude que le nombre de victimes qui s'expriment va exploser. Le témoignage que je leur apporte a un pouvoir libérateur. Je pense que mon témoignage leur parle car j'ai été agressé sexuellement, mais aussi harcelé et harceleur. Les sévices sexuels que j'ai subis expliquent sans doute que j'ai cherché à extérioriser mon mal être en faisant subir du harcèlement, des coups de coude ou des coups de poings par exemple, à un autre jeune.

Les chiffres que nous constatons à l'issue de nos différentes opérations de témoignage sont particulièrement inquiétants, tant sur les infractions sexuelles que pour le bizutage. Lors de l'ouverture de notre antenne en Argentine en août 2018, nous sommes restés douze jours, et avons sensibilisé 1 300 personnes, avec l'aide de l'ambassade de France. Nous sommes impliqués là-bas sur l'écriture d'un texte de loi. Cette antenne fonctionne exactement sur le même modèle d'organisation qu'en France, c'est-à-dire avec un réseau de professionnels (psychologues, avocats, etc.) et un fonctionnement par commissions. Les constats dressés nous montrent que la situation est pire encore qu'en France. Le bizutage consiste là-bas en des comportements qui relèvent de la barbarie. Le constat en France n'est toutefois pas beaucoup plus reluisant. Depuis la reprise de la saison sportive en septembre, nous avons effectué des actions de sensibilisation dans cinq CREPS. Nous y avons constaté des actes qui ne relèvent pas du bizutage mais bien d'infractions sexuelles caractérisées. Je ne multiplierai pas les exemples mais qu'il s'agisse d'un stylo enfoncé dans l'anus d'un garçon, d'un cintre dans un vagin, ou encore de coups de ceinture de judo utilisées comme fouet, on est bien au-delà du bizutage. Cette situation est à l'origine de plusieurs suicides.

Dans certaines disciplines, des entraineurs participent directement au bizutage, ou motivent les enfants pour qu'ils organisent un bizutage, par exemple par des séances « d'étranglement » jusqu'à l'évanouissement. Nous avons fait remonter cette situation, que nous jugeons catastrophique, lors d'une réunion au ministère des sports en fin d'année dernière, en présence de la ministre, des fédérations françaises de basketball et de rugby, du CNOSF, ainsi que de la région Centre-Val-de-Loire. Pour devancer les questions que vous m'avez adressées, et notamment celle sur les mesures nouvelles qui pourraient être prises pour améliorer les politiques de lutte contre les infractions sexuelles sur mineurs, je peux souligner deux projets que nous menons et qui mériteraient selon moi d'être étendus.

D'abord, nous travaillons sur la rédaction d'une proposition de loi visant à renforcer la sélection des bénévoles. Nous savons que 90 % de l'activité sportive en France repose sur le bénévolat. Le contrôle du bulletin n° 2 du casier judiciaire doit devenir obligatoire pour tous les bénévoles des clubs sportifs, ainsi que pour les familles qui accueillent des enfants lors des compétitions. Il existe déjà des systèmes comme la télé procédure d'accueil des mineurs : en théorie, chaque intervention devant des mineurs dans un établissement scolaire par des personnels extérieurs à l'établissement doit donner lieu à une inscription par la municipalité sur un registre, par le biais d'une télé procédure. Lors de la réunion dont je vous parlais, les fédérations françaises de basketball et de rugby ont convenu d'expérimenter, dès la rentrée 2019, le filtrage des bénévoles, et la région Centre-Val-de-Loire le filtrage de l'ensemble de son mouvement sportif, même s'il faut bien entendu évaluer le coût et le surcroit d'activité qui en résultera. Il faut mettre un terme aux agissements de ces prédateurs et le filtrage constituera un moyen supplémentaire, au moins pour éviter la récidive.

Nous avons un second projet consistant en une étude épidémiologique. Nous avons proposé au ministère d'effectuer, dès la rentrée 2019, le tour de l'ensemble des CREPS et des écoles concernés par l'expérimentation pour former 13 000 personnes en quatre mois. Au-delà de la sensibilisation et du recueil de témoignages, l'objectif est aussi de disposer, enfin, d'une étude sérieuse, dix ans après la dernière étude menée, en 2009, sous l'impulsion de Mme Roselyne Bachelot. Cette étude de 2009, dont on peut légitimement penser qu'elle avait donné des résultats sous-évalués, concluait tout de même, en agrégeant les résultats, que 17 % des sportifs de haut niveau avaient subi des violences sexuelles au cours de leur formation sportive. Avec la libération de la parole et les interventions que nous menons, nous pensons que les nouveaux chiffres seront bien plus importants. Les cinq visites que j'ai effectuées dans des CREPS m'ont ainsi permis de recueillir pas moins de quarante témoignages. Le fait que les médias abordent le sujet contribue aussi à la libération de la parole. Après la diffusion d'un reportage sur les pratiques au sein de la fédération française de roller, dans le cadre de l'émission « 66 minutes » sur M6, dix nouvelles victimes se sont fait connaitre auprès de nous. Un prédateur faisant rarement une seule victime, un premier témoignage entraine un effet « boule de neige ».

Photo de Catherine Deroche

À quelle peine votre agresseur a-t-il été condamné ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueihl

Il a été condamné à dix ans de prison ferme. Mais avant même d'être incarcéré, il a pu bénéficier d'une remise de peine de 520 jours, que l'on calcule en multipliant le nombre d'années par un jour par semaine, c'est-à-dire qu'il devait effectuer un peu plus de huit ans ferme. Il a pu effectuer, comme la loi le prévoit, une demande de libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de sa peine, soit quatre ans. Il a été libéré en 2018, avec l'obligation de porter un bracelet électronique et l'interdiction de venir dans le département des Landes. Autant dire que je ne trouve pas cette sanction sévère. Il travaille aujourd'hui dans un camping, en Gironde, où il sera nécessairement en contact avec des enfants... Moi en revanche, j'ai pris une peine de dix-huit ans ferme, entre les actes et le moment où j'ai pu parler.

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueihl

Il a fait l'objet d'une injonction de soins mais j'ignore si elle a été suivie d'effets.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Existe-t-il d'autres associations comme la vôtre et quelles sont les relations que vous entretenez, le cas échéant ? Par ailleurs, comment expliquez-vous la violence du bizutage : est-ce lié à des phénomènes d'addiction à l'alcool ou aux drogues ? Enfin, je pense qu'il faut davantage s'appuyer sur le réseau de l'association des maires de France (AMF) pour que soient mieux connues par les élus les politiques de prévention qui existent et les possibilités de consultation de fichiers.

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueihl

C'est effectivement une aberration que des municipalités ne connaissent pas cette télé procédure d'accueil des mineurs alors qu'il s'agit d'une obligation. C'est aussi une aberration que tant de fonctionnaires concernés méconnaissent l'article 40 du code de procédure pénale, tout comme c'est une aberration que tant de citoyens ignorent l'article 434-1 du code pénal. S'agissant de l'article 40, l'information au procureur de la République doit se faire sans délais. Des fédérations ou des clubs cherchent parfois à ne pas ébruiter des faits pour ne pas égratigner leur image. Nous sensibilisons donc au risque juridique qu'encourt tout individu qui tait de tels faits. On cherche lorsque des faits nous sont révélés à savoir si les signalements ont été effectués. Au sein du club de football de Castres par exemple, trois plaintes pour atteinte sexuelle ont été déposées. Un entraineur a envoyé des photographies de son sexe sur Snapchat aux enfants qu'il entrainait. On en est aujourd'hui à vingt-deux plaintes, les faits ont été requalifiés et criminalisés. L'enquête se poursuit en région parisienne, dans les précédents clubs de l'intéressé. Ces clubs doivent savoir que s'ils ont eu connaissance de la situation sans la signaler, ils peuvent aussi faire l'objet d'une condamnation. Nous leur disons clairement : attention à ne pas déplacer le problème sans le signaler. Un club d'haltérophilie qui avait cherché à protéger son prédateur a été condamné.

À ma connaissance, dans le milieu sportif, avec une politique de prévention sur le terrain, je crois que notre association est la seule. Je dois vous indiquer que nous connaissons quelques tensions avec une responsable du Comité Éthique et Sport qui nous considère comme des concurrents.

S'agissant des causes du bizutage, je crois malheureusement que ce sont des traditions et que le recours à des substances illicites n'explique pas cette situation. Il faut communiquer beaucoup plus explicitement auprès des sportifs, pour leur expliquer que certains de leurs actes constituent des infractions sexuelles. Certains se retranchent derrière le fait qu'ils n'ont pas activement participé. « Je regardais simplement », nous disent-ils. Ils doivent savoir ce qu'est un viol commis en réunion, ce qu'est la non-assistance à une personne en danger. J'ai par exemple moi-même subi lorsque je pratiquais le rugby ce que l'on appelle le « couloir de la mort » : il s'agit de traverser un couloir dans le noir, entièrement dénudé, et de subir au fur et à mesure que vous avancez des violences physiques ou sexuelles, des fessées ou pire, jusqu'à ce que vous arriviez au bout. Ça c'était le dimanche. Ce qu'ils ignoraient, c'est que tous les vendredis je subissais des viols par mon entraineur, qui venait d'ailleurs prendre le café chez mes parents quelques minutes après, en toute confiance.

Cela n'est pas une exception : j'aide une famille dont le garçon de treize ans a mis fin à ses jours, alors qu'il endurait des viols de son cousin ainsi que du bizutage, sous la forme d'« olives », c'est-à-dire des doigts dans l'anus. On assiste à des pendaisons avec des ceintures noires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Merci pour votre témoignage. Je donne la parole aux rapporteures.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Ma question porte sur votre histoire personnelle : comment avez-vous mis fin à ces abus ? Qu'est-ce qui vous a aidé à vous en défaire ? De manière plus générale, que manque-t-il dans la protection des jeunes ? Vous avez évoqué une télé procédure, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

Je m'en suis sorti parce que passé l'âge de seize ans, je n'intéressais plus mon prédateur, et que je suis parti en apprentissage. Le rugby m'a aussi aidé, mais j'ai pratiqué toutes les formes d'autodestruction - l'argent, le sexe, la violence et l'alcool - à l'exception de la drogue et du dopage, sinon je ne serais pas devant vous aujourd'hui. Je suis la preuve que l'on peut s'en sortir.

J'ai sensibilisé la semaine dernière 430 collégiens en Lozère. Seulement 2 % d'entre eux avaient parlé de sexualité avec leurs parents avant l'âge de dix ans. Les parents doivent le faire, avec des mots adaptés, afin d'apprendre aux enfants que leur corps leur appartient, que personne n'a le droit d'y toucher. Ce dialogue avec les parents est fondamental ; si davantage de parents avaient cette conversation avec leurs enfants, il y aurait beaucoup plus d'enfants qui sauraient se protéger.

La télé procédure que j'évoquais permet aux mairies et à l'ensemble des structures qui emploient des personnes en contact avec des mineurs de vérifier auprès des services de l'État qu'ils sont bien aptes à le faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Lorsque vous avez mentionné que votre prédateur s'est vu délivrer une injonction de soins, vous aviez l'air dubitatif. Est-ce parce que c'est inefficace ou peu suivi ?

Vous dites être devenu vous-même un harceleur. Comment passe-t-on de l'état de victime à celui de harceleur ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

On estime que 30 % des pédophiles ont été eux-mêmes victimes. Il y a à cet égard un vrai problème dans la prise en charge des victimes. Nous avons embauché à cet effet une psychologue à mi-temps ; beaucoup de personnes ne se font pas accompagner faute de moyens. Il arrive toutefois que certaines victimes demeurent trop longtemps en thérapie et que le psychologue devienne un ami. Il ne faut pas hésiter à en changer - trois mois plus tard, elles vont mieux.

S'agissant des soins à destination des prédateurs : ils se révèlent des échecs dans 10 % des cas, sachant qu'ils peuvent refuser les soins qui leur sont ordonnés dans le cadre d'une injonction. Au Canada, il existe des groupes de parole réunissant prédateurs et victimes ; c'est quelque chose que l'on me demande de faire mais je refuse. Je ne suis pas prêt car je reçois tous les jours des témoignages de victimes - et ils savent le mal qu'ils font.

Je ne connais pas la solution à ce problème, je préfère m'intéresser aux victimes, qui connaissent souvent l'isolement après avoir révélé les faits, ainsi qu'à leur familles, victimes par ricochet..

Je trouve bizarre qu'il n'y ait pas davantage de meurtres perpétrés par les parents sur les agresseurs. Lorsque je lui ai appris les faits, mon père s'est écroulé et était prêt à abattre mon prédateur d'un coup de fusil mais je l'en ai dissuadé.

Il faut rappeler que 10 % environ des pédophiles sont des femmes. Dans un reportage récent sur un quartier pénitentiaire féminin, la moitié des détenues étaient incarcérées pour des agressions sexuelles sur des mineurs. Cela existe dans le monde du sport ; dans un club, des petites filles devaient faire des cunnilingus à leur entraîneuse pour être titulaire ou capitaine.

Au Canada comme en Allemagne, une personne faisant état d'une attirance pour les enfants est accompagnée et soignée pour prévenir le passage à l'acte. En France, j'ai eu connaissance d'un cas où un docteur a signalé un de ses patients qui lui confiait son attirance pour les enfants et qui demandait de l'aide ; ce dernier s'est retrouvé à la gendarmerie.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La fédération des CRIAVS nous avait en effet indiqué qu'il existait une plateforme d'appel, à l'instar du 119, à destination des personnes ayant des fantasmes pédophiles.

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

Vous m'aviez demandé comment j'ai basculé dans le harcèlement. Mes parents se sont séparés alors que j'étais violé. J'ai pris pour cible un enfant souriant, qui avait l'air heureux. Je le frappais dans le bus scolaire ou quand je le croisais pendant la récréation. Ce n'est que plus tard que je me suis rendu compte des dégâts que cela avait pu causer. Je l'ai retrouvé depuis pour lui présenter mes excuses. Il m'a avoué qu'il pleurait seul dans sa chambre le soir et qu'il avait songé à mettre fin à ses jours.

Le harcèlement est un vrai fléau. Parmi les collégiens de Lozère que j'évoquais, 25 % déclaraient avoir subi des faits de harcèlement, soit deux fois plus que la moyenne dans les enquêtes que mène le ministère de l'éducation nationale. Les réseaux sociaux constituent un espace de harcèlement : on estime que 20 % des enfants ont reçu des images de sexes de la part d'étrangers. On estime qu'en moyenne, deux élèves par classe sont victimes d'agressions sexuelles, c'est énorme !

Lorsque j'interviens devant des élèves, je commence par leur livrer mon témoignage. Puis je leur fais rédiger, de manière anonyme, une question sur un morceau de papier. Je recueille les questions et je les trie par thème : « Comment faire pour en parler ? », « Faut-il dénoncer son agresseur lorsqu'il est un membre de sa famille ? », « Comment en parler à ses parents ? ». Je propose ensuite des entretiens individuels avec ceux qui le souhaitent, accompagné d'une assistante sociale ou d'un psychologue. Systématiquement, cela aboutit à des signalements. C'est le cas de cette petite fille de douze ans dont le père viole sa soeur handicapée et qui a tenté de l'agresser à plusieurs reprises...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Une première remarque pour vous féliciter du nom de votre association, très bien choisi.

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

C'est mon avocat, qui est devenu depuis comme mon parrain, qui m'a qualifié ainsi dans une plaidoirie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Vous nous avez dit avoir pris pour dix-huit ans de silence, c'est en réalité à perpétuité que l'on est condamné au traumatisme.

Certaines enquêtes montrent que parmi les sportifs de haut niveau, 17 % font état d'abus sexuels. Dans une classe d'âge, on estime que 20 % seront victimes de tentative ou d'agression sexuelle, de gravité diverse. Cela est tout simplement énorme ! Outre toutes ces vies à reconstruire, cela représente du point de vue de la société un coût important en matière de traitement.

C'est pourquoi je salue le travail remarquable de votre association dans l'éducation et la prévention, qui sont essentielles pour réduire ce phénomène. Comment financez-vous ce travail d'utilité publique ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

Je vous remercie de vous en soucier. La reconnaissance d'utilité publique est en cours ; une fois accordée, nous pourrons nous porter partie civile dans toutes les affaires qui concernent le sport.

L'association compte à ce jour cinq salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Le budget de l'association s'élevait à 210 000 euros l'année dernière, il devrait atteindre 380 000 euros cette année. Nous recevons des subventions de divers acteurs : communes, conseils départementaux, centre national pour le développement du sport - pour des montants parfois modestes. C'est pourquoi toutes nos interventions sont tarifées. Nous avons conclu des conventions pluriannuelles avec des fédérations sportives afin de donner de la lisibilité et de la prévisibilité à nos actions de prévention.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Je souhaite vous remercier d'avoir témoigné sur le bizutage qui a cours dans le sport de haut niveau. Mon neveu, qui pratiquait le judo, en a souffert. Dans un milieu qui valorise la force et la performance, le bizutage est un moyen de se mettre en avant, d'écarter les faibles. Du bizutage à l'agression sexuelle, la porosité est énorme. La réalité est plus encore inquiétante qu'on l'imagine. Et le milieu sportif est propice à ces dérives comme aux conduites addictives.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

En tant que président du groupe d'études sur le sport, je souhaite vous féliciter pour votre engagement.

Vous incitez les familles à parler de sexualité avec leurs enfants. Je ne suis pas sûr que toutes soient prêtes à le faire. N'est-ce pas également de la responsabilité de l'Éducation nationale ? Y a-t-il de l'information et de la prévention dans les programmes ?

Vous dites vouloir contrôler les bénévoles dans les clubs sportifs pour s'assurer de leur capacité à encadrer des enfants. Les élus, les maires en particulier, ne doivent-ils pas être mieux informés sur les antécédents de leur personnel ? J'ai été maire d'une petite commune et je n'avais aucune information sur les antécédents des éducateurs sportifs qui interviennent pourtant dans les écoles, les centres de loisir, etc.

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

Les éducateurs sportifs doivent détenir une carte professionnelle et font l'objet d'un contrôle systématique de leurs antécédents judiciaires. Ce n'est pas le cas pour les bénévoles, pour lesquels il n'y a aucun filtre.

Je me souviens avoir rencontré dans le Nord le fondateur et le président d'un club de sport. Il avait admis un bénévole qui présentait toutes les qualités : gentil, arrangeant, serviable. Il a violé sept enfants. On avait fait entrer le loup dans la bergerie, alors que ce dernier avait des antécédents judiciaires mais qu'il était impossible de le savoir.

Oui, il existe une éducation à la sexualité, au moins au collège. Dans les collèges de Lozère, les infirmières scolaires sensibilisent les élèves de sixième en leur rappelant que leur corps leur appartient.

Souvent, les personnes qui parlent de sexualité à leurs enfants ont été des victimes, dans ce cas il existe le risque de surprotéger ses enfants.

Notre association a rédigé une charte à destination des encadrants, qui contient onze principes à respecter pour prévenir toute atteinte et éviter toute situation qui serait mal interprétée : pas de bise pour saluer les enfants, mise à distance dès le début de l'année sportive, pas d'adulte isolé avec un enfant, etc.

Il faut renforcer la formation des encadrants et des éducateurs, les former davantage à la prévention, aux bons comportements ainsi qu'à la manière de réaliser un signalement et de recueillir la parole de l'enfant. On a encore beaucoup de choses à faire. Cette formation devrait être intégrée aux brevets professionnels et diplômes d'État de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Cette formation devrait également concerner tous les brevets d'État dans le domaine de la jeunesse et des sports, brevets fédéraux ainsi que les bénévoles et les dirigeants de clubs et d'associations. Y a-t-il des moyens de reconnaître les comportements prédateurs ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

C'est ce que l'on propose dans toutes nos formations à destination des clubs. Je propose de définir les qualités attendues d'un bon entraîneur ; celles-ci correspondent souvent au comportement du prédateur, qui avance masqué. Mes parents avaient toute confiance dans mon prédateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Le fait de ne pas avoir brisé le silence de ce que vous enduriez tient-il à cette confiance ou à une forme de sidération ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

Sur le moment, j'étais sidéré. Et puis j'ai laissé passer l'occasion, je n'ai pas parlé assez tôt et ce fut l'engrenage. Personne n'aurait compris que je l'accuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

N'y a-t-il pas également dans le sport la figure de l'entraîneur, qui est un maître que l'on admire et dont on cherche la reconnaissance ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

La pédophilie est toujours un abus de confiance et une manipulation. C'est bien souvent la performance par procuration : je vais t'emmener aux Jeux olympiques, mais pour cela il faut que... Dans la perspective des Jeux olympiques de 2024, nous sommes assez inquiets. Parfois, ce sont les parents qui refusent de porter plainte contre celui qui a permis à leur enfant de décrocher une médaille. J'ai des témoignages à ce propos dans l'équitation, l'athlétisme ou la natation. Toutes les disciplines sont concernées. Je suis récemment intervenu à l'INSEP, reçu par la commission des athlètes de haut niveau des disciplines olympiques. Sur toutes les disciplines concernées, il n'y a que pour le tir sportif - mais non le tir à l'arc - et le skateboard que je n'ai pas recueilli de témoignage. La mention de l'équitation semble vous surprendre, mais il y a des problèmes, comme dans la pétanque, le bowling, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Je pense que vous avez interpellé les instances « jeunesse et sport » sur la délivrance des diplômes et les formations nécessaires.

En ce qui concerne la formation, il me semble que le milieu sportif admet une forme de proximité entre l'entraineur et l'entrainé. On parle toujours du « coach », lequel joue un rôle prédominant auprès de l'athlète, ce qui empêche ce dernier de s'autonomiser et le rend en quelque sorte dépendant dès le plus jeune âge. Cette particularité est-elle suffisamment prise en compte dans les formations jeunesse et sport ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Boueilh

La mainmise des entraineurs sur les jeunes est un problème bien identifié. Cela peut être particulièrement dangereux en cas de déplacements, au cours desquels il peut y avoir des attouchements. Je pense à cet égard à deux jeunes filles qui ont été victimes d'abus dans le milieu de l'athlétisme. L'entraîneur les a agressées au cours d'un déplacement en voiture. Les témoignages sont malheureusement très nombreux à ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous allons clore cette audition. Il nous reste à vous adresser tous nos remerciements pour votre intervention, pour la qualité du travail que vous réalisez ainsi que pour la franchise de vos propos. Tous ces éléments sont très utiles à notre mission.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Pour cette deuxième audition, nous avons le plaisir de recevoir M. André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique Apprentis d'Auteuil, accompagné de Mme Émilie Casin-Larretche, responsable des relations extérieures.

La fondation Apprentis d'Auteuil réalise un travail dont la qualité est reconnue dans le domaine de la protection de l'enfance, de l'éducation, de la formation et de l'insertion professionnelle des jeunes, ainsi que dans l'accompagnement à la parentalité.

Vous m'avez écrit il y a quelques semaines pour demander à être entendus par notre mission d'information, ce que j'ai bien sûr accepté, après en avoir parlé à nos trois rapporteures, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien.

Nous aimerions savoir quelles actions la fondation mène en lien avec la question des infractions sexuelles sur mineurs et si vous avez des recommandations à nous faire afin d'améliorer la protection des enfants et des adolescents, ainsi que l'accompagnement des victimes.

Les rapporteures vont ont adressé un questionnaire afin de vous aider à préparer cette audition. Je vais vous céder la parole pour une intervention liminaire, qui pourrait durer une quinzaine de minutes, et qui va vous permettre de commencer à répondre à ces questions. Puis nous aurons un temps d'échanges avec l'ensemble des sénateurs présents. Je vous cède la parole.

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Je vous remercie de nous donner l'opportunité de ce temps d'échange et de dialogue. Nous avons en effet souhaité partager avec vous l'expérience qui est celle des Apprentis d'Auteuil dans le domaine de la prévention et de la répression des infractions sexuelles.

Je précise que nous ne sommes ni juristes, ni chercheurs, ni psychiatres. Nous sommes des professionnels de l'éducation avec une expérience d'acteur de terrain depuis un peu plus de 150 ans. Notre champ d'activité, vous l'avez souligné, est très divers, puisque nous agissons dans le champ scolaire, de la protection de l'enfance, de la formation professionnelle et du soutien à la parentalité.

J'aborderai trois questions dans mon intervention : comment notre institution, s'appuyant sur son expérience, a été conduite à mettre en place une procédure de traitement des transmissions d'informations préoccupantes, qui lui permet également de développer des actions de prévention des infractions sexuelles. Puis quel accompagnement nous mettons en place auprès de nos équipes, auprès des jeunes, des enfants et des familles. Enfin, nous partagerons avec vous quelques sujets de préoccupation et quelques suggestions.

Je précise que nous accompagnons actuellement en France environ 27 000 jeunes et 5 800 familles. À l'international, nous travaillons dans une logique de coopération, dans une quarantaine de pays, avec une centaine de partenaires sur des sujets liés à l'éducation, la formation et l'insertion des jeunes.

Notre activité couvre l'ensemble du territoire national, qu'il s'agisse de la métropole ou des outre-mer.

L'élément déclencheur de notre action en matière de prévention des infractions sexuelles fut une affaire de pédophilie ayant éclaté en mai 2001. Cette affaire impliquait l'abbé Daheron, un ancien salarié de la fondation, incarcéré le 25 avril 2001 pour agression sexuelle sur mineur par personne ayant autorité. Cet ancien collaborateur oeuvrait en tant que bénévole au sein d'une de nos structures. La plainte avait été déposée auprès des services de police de Rouen par les parents d'un jeune garçon qui affirmait avoir eu des relations sexuelles avec cet abbé entre 1999 et 2000. Par la suite, deux autres personnes - majeures - se sont également déclarées victimes.

La fondation a choisi de rendre publique l'incarcération de l'abbé Daheron au cours d'une conférence de presse. En 2003, celui-ci a été condamné à six ans de prison pour viol et agression sexuelle sur trois mineurs par les assises de Paris.

Cet événement fut le déclencheur dans la prise en compte de cette problématique au sein de la fondation, avec la volonté d'y apporter une réponse institutionnelle, à travers la mise en place d'une procédure globale pour prévenir et traiter de tels incidents lorsqu'ils surviennent dans une de nos structures.

Nous avons donc mis en place un dispositif de gestion des incidents, accidents et infractions graves permettant un accompagnement gradué des établissements, selon la gravité des faits à traiter. Dans ce cadre, nous avons créé un observatoire des incidents, accidents et infractions. Il s'agit d'un outil de gestion pour les établissements ; il permet à l'institution de recenser, de suivre et de tracer les suites de tous les incidents.

Cette action répond à un engagement officiel de la direction générale, soutenue par notre conseil d'administration, qui était d'assurer une parfaite lisibilité de tous les faits survenus et de développer une politique de prévention.

Notre dispositif permet de recenser les faits qui se produisent entre jeunes, ou entre jeunes et adultes, sur un mode déclaratif, depuis 2001. Pour ce faire, nous avons développé une application informatique, qui répond à l'obligation de signalement, comme la loi nous y contraint.

Par le biais de cette application, nous suivons les déclarations portant sur tout fait grave survenu dans un de nos établissements, qui remontent toute la chaîne managériale jusqu'à la direction générale.

Cela permet ensuite à notre observatoire national, constitué d'une équipe de cinq personnes, de conseiller les personnels dans les établissements et au niveau régional.

Cette cellule nationale reçoit et analyse les « fiches incidents », le but étant d'assister les équipes concernées par l'événement. Elle établit aussi un rapport annuel transmis à la direction générale et au comité exécutif qui réunit, outre la direction générale, les directions opérationnelles à l'échelon régional. Enfin, ce rapport annuel est communiqué à notre conseil d'administration. L'équipe de la cellule nationale peut se rendre sur place, à la demande des établissements, pour favoriser une relecture distanciée des incidents et pour rappeler les procédures aux personnels.

Quand les faits sont particulièrement graves, l'observatoire national saisit ce que nous appelons une cellule d'alerte, de prévention et de gestion de crise, caractérisée par la complémentarité des regards. En effet, elle est composée d'experts dans les domaines juridique, éducatif, psychologique et de la communication. Je dirige cette cellule de crise depuis une dizaine d'années. Je peux dire que nous disposons d'un capital d'expérience qui nous permet d'intervenir de manière adéquate auprès des équipes.

En résumé, lorsqu'un événement survient au niveau d'un établissement, il est transmis à l'observatoire national des incidents et infractions. Si nécessaire, la cellule d'alerte nationale est saisie et se réunit dans les deux heures ; une cellule de crise régionale se met alors en place, en articulation avec la cellule nationale. Cela nous permet de gérer en direct ces situations et crises.

Je rappelle à ce stade les principes fondamentaux édictés par la fondation, portés à la connaissance de tous les salariés et dont le respect est confié à la responsabilité des directeurs d'établissement : la protection de l'enfant et la tolérance zéro - nos salariés savent que nous ne tolérons aucune infraction au devoir de protection des jeunes qui sont confiés à la responsabilité des Apprentis d'Auteuil -, le respect de la loi et la transparence.

Par ailleurs, il peut nous arriver d'être saisis via les réseaux sociaux. Dans ce cas, nous procédons immédiatement aux vérifications nécessaires et nous enclenchons la procédure que je viens de vous décrire. Nous avons mis en place au niveau national une capacité de veille sur les réseaux sociaux.

En ce qui concerne le recrutement des professionnels et des bénévoles de la fondation, nous avons édité une fiche « processus de recrutement » communiquée à l'ensemble de la ligne managériale diffusée par les équipes RH au niveau national, régional et dans nos établissements.

Compte tenu des activités spécifiques de notre fondation, et en vertu de la loi, nous exigeons, pour tous les salariés en contact avec des mineurs, dans le cadre des établissements habilités ou autorisés à accueillir du public relevant du champ de la protection des mineurs, la production du bulletin n° 2 du casier judiciaire. A défaut, nous ne prenons pas le risque d'embaucher la personne.

Pour l'ensemble des autres activités, nous demandons aux candidats qui souhaitent intégrer la fondation, qu'ils soient salariés ou bénévoles, de produire le bulletin n° 3.

Nous procédons par ailleurs à des vérifications grâce au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Ce contrôle est réalisé pour les salariés recrutés dans le cadre des établissements soumis à autorisation ou à habilitation. Mais les délais de réponse posent parfois des difficultés pour le recrutement.

En ce qui concerne les bénévoles, tout établissement qui fait appel à un bénévole régulier au contact de mineurs fait une demande de consultation du casier judiciaire (B2) et du FIJAIVS.

Cette politique de recrutement des bénévoles, détaillée dans un document spécifique, est communiquée à l'ensemble de nos établissements.

Enfin, dans certains établissements - ce n'est pas imposé -, le recrutement des bénévoles passe aussi par un entretien avec le psychologue de la structure.

S'agissant de la formation, qui est aussi l'un des premiers moyens de prévention, nous avons développé au sein de la fondation plusieurs modules. L'un d'eux s'intitule « éducateur à la vie - mention jeune en difficulté ». Il s'agit d'une formation co-construite avec deux partenaires, d'une durée de dix-huit mois. Elle allie des apports théoriques et des éléments pratiques, car elle concerne les éducateurs amenés à être au contact des enfants, dont une forte minorité d'entre eux ont malheureusement déjà subi des atteintes ou des agressions sexuelles. Leur rapport à la sexualité, et plus généralement à l'altérité, est donc plus compliqué à gérer.

Nous dispensons également une formation sur « le regard et le positionnement des professionnels face à la vie affective, relationnelle et sexuelle des jeunes », d'une durée de quatre jours, que nous proposons à nos équipes intervenant auprès des jeunes. Enfin, nous organisons une formation sur une journée relative à l'accompagnement des jeunes à l'utilisation du numérique, qui aborde aussi cette question.

Nous avons constitué un réseau d'éducateurs à la vie affective, relationnelle et sexuelle, en veillant à ce qu'ils puissent être présents dans chacune de nos régions - nous sommes organisés en cinq régions métropolitaines et deux régions outre-mer. Nous réunissons ce réseau deux à trois fois par an pour un échange de pratiques, l'objectif étant une montée collective en compétence et en expertise sur ces questions.

Nous avons diffusé, mais vous en avez eu connaissance, un petit livret édité par Bayard Presse sur les violences sexuelles, destiné aux enfants. Nous avons aussi construit une mallette pédagogique intitulée « Au fil de la vie », qui s'adresse à des enfants de cinq à douze ans, adaptée aux étapes de leur évolution psychique. Elle prend en compte trois dimensions : leur prise de conscience en tant qu'être vivant et sexué ; le travail sur le sentiment d'existence et la singularité de chacun ; et le travail sur la construction de la relation. Un outil similaire existe à destination des adolescents.

Nous travaillons avec d'autres associations, comme SOS Village d'Enfants, ainsi qu'avec certains conseils départementaux. Par exemple, le département des Ardennes dispense des formations sur la sexualité et les violences sexuelles qui ont été suivies par nos équipes en poste dans ce département.

En ce qui concerne la prise en charge, par la fondation, des jeunes victimes de violences sexuelles et de leur suivi spécifique, ma collègue vous lira dans un instant l'extrait du témoignage d'un directeur d'établissement dans un département où nous sommes confrontés à la problématiques de jeunes victimes de violences sexuelles et gravement traumatisés, dont un nombre non négligeable est devenu auteur. Dans le secteur rural, ces jeunes ont peu de possibilités de bénéficier d'une prise en charge interdisciplinaire. Le témoignage qui va suivre illustre à mon sens de façon pertinente ce qu'est la réalité au quotidien des équipes éducatives qui prennent en compte ces enfants.

Debut de section - Permalien
Emilie Casin-Larretche, responsable des relations extérieures

Dans cette maison d'enfants à caractère social (MECS), qui compte cinq unités de vie (foyer ou maison), 30 % des enfants sont auteurs et/ou victimes de violences sexuelles. Dans l'unité de vie pour les petits de six à onze ans, cinq jeunes ayant été victimes sont eux-mêmes devenus auteurs de violences sexuelles.

Des plans d'actions ont été construits et mis en oeuvre dans l'ensemble des unités de vie. La MECS a développé depuis quelques années un partenariat avec des psychiatres spécialisés, des professionnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) spécialisés dans les violences sexuelles et des médecins spécialistes. Je fais observer que ces jeunes sont tous pris en charge à plus de soixante kilomètres de la maison d'enfants. La difficulté aujourd'hui pour les équipes est d'avoir à accompagner des auteurs et des victimes sur la même unité de vie. Les risques de reproduction des faits sont évidemment très présents.

Le directeur de l'établissement nous a donné cet exemple : depuis plusieurs années, il suit un jeune en situation de handicap qui bénéficie de l'accompagnement personnel d'un éducateur, à hauteur de 35 heures par semaine. Ce jeune de quatorze ans vit sur l'unité de vie, en dehors des temps scolaires. Il ne doit jamais rester seul car il a violé ses soeurs sur l'incitation de son père qui était mentalement déficient. Par ailleurs, il a tenté de violer deux autres jeunes filles accueillies à la MECS, avant de bénéficier d'un accompagnement. Il a été enfermé plus d'un mois, à treize ans, dans une unité de pédopsychiatrie, dans laquelle il a agressé une petite fille. Faute de place, l'unité de pédopsychiatrie n'a pas été en mesure de le garder et nous avons dû le reprendre sur une unité de vie de la MECS. Il n'y a pas d'accueil plus spécialisé pour lui, et plus généralement, en France, pour des jeunes ayant des pulsions difficilement contrôlables.

Nous avons donc dû construire avec nos partenaires des actions et des formes d'accompagnement spécifiques. Afin que l'accompagnement soit le plus efficient possible, l'intervention de l'ensemble des partenaires est indispensable. En effet, le maillage territorial et la complémentarité des différents corps de métiers (médecin, psychiatre, infirmière, psychologue, juge des enfants, conseil départemental, éducateur et professeurs) permettent à ce jeune de s'exprimer, de se soigner, d'être cadré, d'échanger et d'évoluer.

L'ensemble de l'équipe a été formée ; elle s'appuie sur les contenus diffusés en particulier par la FFCRIAVS, mais l'établissement est toujours à la recherche d'une institution qui pourrait accueillir ce jeune.

D'un point de vue RH, dans le cadre de ces prises en charge très spécifiques, il faut sans cesse rassurer l'équipe, mais aussi rappeler les principes de base. Nous avons ainsi constaté une amélioration notable à la suite de la formation dispensée par le conseil départemental sur les auteurs et les victimes de violences sexuelles. Le regard des éducateurs et des accompagnants a changé. Mais il faut avoir conscience que l'énergie et le temps que les professionnels consacrent à la problématique des violences sexuelles empiètent forcément sur le temps qu'ils consacrent aux autres jeunes. Pour ces raisons, il nous semble qu'une unité de vie plus spécialisée avec une équipe encadrante plus importante, qui accueillerait six jeunes au maximum, serait vraiment profitable à tous les jeunes ayant été confrontés à des violences sexuelles.

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Cet exemple illustre bien les conséquences concrètes des violences sexuelles dans nos structures. J'ai constaté une évolution dans le type de problèmes que posent les jeunes accueillis dans les MECS.

Nous n'avons pas de statistiques, mais je crois pouvoir dire que, en moyenne, dans nos MECS, au moins 30 % des jeunes ont été victimes de violences sexuelles. En outre, dans certaines de nos structures, particulièrement celles qui accueillent des jeunes filles mineures non accompagnées (MNA), cette proportion atteint quasiment 100 %.

À cet égard, je voudrais souligner que nous sommes confrontés à une difficulté particulière avec les mineurs non accompagnés, dont une majorité ont subi des atteintes ou des agressions sexuelles, que ce soit dans leur pays d'origine, pendant leur voyage, ou pendant la période qui a séparé leur arrivée en France du moment où ils sont pris en charge dans une MECS. Certains passent plusieurs mois à la rue avant d'être pris en charge. Ces jeunes-là sont évidemment victimes de prédateurs. Apprentis d'Auteuil accompagne plus de 1 600 MNA, ce qui en fait l'un des premiers opérateurs en ce domaine.

Or les moyens dont nous disposons pour prendre en charge ces jeunes sont extrêmement réduits. Dans les appels à projets lancés par les départements, le financement s'élève en moyenne à 70 euros par jeune et par jour. Pour un jeune Français, le prix de journée moyen est de 180 euros. Dans certains départements, le financement ne dépasse pas 30 euros par jour. À ce tarif, vous pouvez faire une mise à l'abri, mais il est impossible d'assurer un accompagnement dans le domaine éducatif, et encore moins une prise en charge psychologique ou sanitaire.

Nous considérons que ces enfants sont de véritables « bombes à retardement » car ils souffrent de traumatismes profonds, qui s'exprimeront d'une manière ou d'une autre. C'est donc aussi un problème de société.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie. Avant de passer la parole aux rapporteures, pourriez-vous nous indiquer quel est le profil des cinq personnes qui composent votre cellule d'observation ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Il s'agit de praticiens, c'est-à-dire des éducateurs, des juristes, des psychologues, des enseignants et ils sont tous formés à l'accompagnement des équipes et au traitement de ces situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Lorsqu'un incident remonte à la cellule, comment et par qui l'information est-elle transmise ? Parmi les incidents qui vous sont signalés, quelle est la part des violences sexuelles ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Les incidents sont transmis par les chefs de service, qui ont l'obligation de les saisir dans l'application. Ce signalement doit recueillir le visa du directeur d'établissement. Notre application permet de suivre l'ensemble du processus de signalement : tant que le processus n'est pas achevé, jusqu'au traitement de l'incident avec notamment l'information aux autorités, le dossier ne peut pas être clos. En outre, l'application est conçue de telle façon que le chef de service ou le directeur ne peut rien omettre car une grille de questions lui est soumise lorsqu'il saisit un incident. Tous les collaborateurs peuvent saisir un incident dans l'application, et nous les informons à ce sujet, à condition d'en faire part à leur ligne managériale.

Quant aux jeunes, nous affichons le numéro « 119 » dans nos établissements, comme le prévoit la loi. À cet égard, il est indispensable de créer un climat de sécurité suffisant pour que la parole soit libre. Il y a un lien entre les violences verbales, physiques et celles à caractère sexuel. La banalisation des violences verbales peut créer un climat favorable aux prédateurs et à l'apparition de violences physiques.

Parmi les incidents signalés, ceux à caractère sexuel, commis entre jeunes dans l'immense majorité des cas, ont représenté 10 % des faits signalés, soit 51 cas en 2016. En 2017, 84 faits ont été déclarés, soit une proportion de 12 %. Parmi ces faits à caractère sexuel figurent des propos obscènes, des propositions d'actes sexuels mais aussi des faits d'attouchements ou d'atteinte sexuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je vous remercie pour votre présentation. Il me semble que vos procédures gagneraient à être modélisées pour être appliquées dans d'autres organisations ou associations. Avez-vous diffusé et partagé cette organisation avec d'autres associations ?

Je vous rejoins sur l'idée d'un continuum des violences. Il faut donner un cadre et sécuriser l'environnement dans lequel vivent les jeunes.

Vous avez abordé la question de la consultation des fichiers et des délais parfois trop longs pour accéder à l'information. Cela signifie-t-il que, dans l'urgence, il vous est arrivé de passer outre l'obtention du bulletin n° 2 pour recruter un employé ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Je ne suis pas capable de vous indiquer que cela ne s'est jamais produit car je ne l'ai pas vérifié. Je serais, hélas, surpris que cela ne se soit jamais passé. Je suis toutefois sûr que si une personne était recrutée sans consultation de son casier judiciaire, elle ne serait pas affectée à des activités la plaçant seule avec des enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Quel est le délai moyen pour obtenir ces informations ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Il est variable selon les départements, certains sont réactifs, d'autres le sont moins. Certains peuvent être réactifs à une période et l'être moins ensuite.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Avez-vous vérifié les antécédents judiciaires des salariés qui travaillaient déjà dans vos services avant la mise en oeuvre de ces procédures en 2001 et avez-vous constaté que certains d'entre eux étaient inscrits au FIJAISV ? Recevez-vous parfois des alertes des procureurs sur des enquêtes concernant l'un de vos salariés ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Nous avons effectué progressivement, à partir de 2001, cette vérification pour nos employés qui travaillaient déjà dans nos établissements. Par ailleurs nous demandons à nos équipes chargées des ressources humaines de procéder à cette vérification tous les trois ans. Nous avons déjà été alertés par le procureur de la République pour certains salariés et dans ce cas, nous avons pris les mesures conservatoires qui s'imposaient. Nous avons notamment été alertés qu'une enquête était en cours sur un salarié pour des faits qui ne s'étaient pas produits au sein d'un de nos établissements. Cette information nous a conduits à être particulièrement vigilants et nous avons, par la suite, pris une mesure conservatoire concernant ce salarié.

Lorsque nous prenons une mesure conservatoire, nous prenons parfois le risque d'être en conflit avec le droit du travail. Nous assumons ce risque, car nous faisons toujours primer la protection de l'enfant. Nous avons par exemple pris des mesures de mise à pied conservatoire voire de licenciement avant qu'un jugement ne soit rendu sur les faits mettant un salarié en cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Je souhaiterais revenir sur l'affaire du père Daheron, survenue en 2001, qui a dû être un cataclysme dans la vie des Apprentis d'Auteuil.

Avant cette date, aviez-vous suspecté que de tels faits puissent survenir dans vos établissements ? Je salue les procédures que vous avez mises en place en 2001 et votre engagement pour la protection de l'enfant. Depuis 2001, avez-vous observé une diminution des faits de violences sexuelles sur les mineurs ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

L'affaire a effectivement créé un cataclysme. Nos personnels, la communauté éducative, ont été meurtris que de tels faits aient pu se produire. Ils l'ont vécu comme une trahison et ont pu éprouver un sentiment de honte. Il nous a donc fallu accompagner ces personnels.

La fondation a pris la décision de faire la lumière sur cette affaire en 2001 avec la tenue d'une conférence de presse et l'information de toutes nos parties prenantes. Nous avons communiqué avec l'ensemble de nos donateurs. Cette démarche a pu susciter certaines réserves, des incompréhensions ainsi que des craintes sur une potentielle fragilisation de l'institution. Le conseil d'administration et la direction générale de l'époque ont néanmoins fait le choix de la transparence. Il a fallu communiquer, faire oeuvre de pédagogie vis-à-vis des interlocuteurs externes et accompagner nos équipes. À ce moment-là, nous n'avons pas toujours été compris.

Au cours des dix dernières années, nous avons recensé six situations d'atteintes ou d'agressions de salariés sur mineurs. Certaines personnes ont des profils psychologiques particuliers. Par exemple, un éducateur spécialisé a abusé de plusieurs jeunes filles et a été expertisé comme étant un pervers narcissique. Il était passé entre les mailles du filet. C'est à chaque fois un traumatisme pour les victimes et leurs familles. Notre énergie va d'abord vers ces victimes et ces familles, y compris quand ces dernières ont eu des comportements déviants.

- Présidence de Mme Françoise Laborde, vice-présidente -

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je connais bien votre fondation pour avoir travaillé avec vous sur des questions qui concernent l'éducation. Sur ces sujets, nous n'avons pas toujours été d'accord, en particulier concernant les écoles de la deuxième chance. Je tiens cependant à saluer votre travail, en particulier sur l'accompagnement et la protection des mineurs.

Concernant votre observatoire, que vous avez mis en place depuis longtemps, nous ne pouvons que regretter que d'autres institutions ne s'en soient pas inspirées, notamment les clubs sportifs. Je voulais vous féliciter pour ce dispositif, qui est un modèle très important pour nous. Même si l'institution est touchée, vous dites que votre devoir est d'abord la protection de l'enfant et qu'il ne faut pas « mettre le couvercle » sur ces faits. Je vous remercie pour cette démarche.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Dans le cadre de votre système de déclaration des incidents, avez-vous mis en place un outil permettant aux jeunes de déclarer eux-mêmes des faits ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Les jeunes sont incités à appeler la plateforme « 119 ». Ils peuvent le faire et ce numéro leur est connu. Nous mettons aussi en place des espaces de paroles et les jeunes que nous accueillons rencontrent les psychologues aussi souvent qu'ils le souhaitent. Dans certains établissements, nous avons mis en place des lieux où les jeunes peuvent confier leurs difficultés à quelqu'un d'autre que leur référent, qui n'est pas toujours le mieux placé pour recueillir leur parole.

Enfin, nous avons depuis environ cinq ans lancé une dynamique appelée « penser et agir ensemble » avec les jeunes et les familles. Il s'agit, en quelque sorte, d'une évolution culturelle profonde dans notre façon de travailler, qui s'inspire du croisement des savoirs développée chez ATD Quart Monde. Nous avons également travaillé avec l'association L'Arche, fondée par Jean Vanier, qui développe la prise en compte de la parole. Nous nous sommes aussi inspirés de pratiques en vigueur à l'étranger dans le cadre de notre réseau. Notre démarche consiste, avec les jeunes et leurs familles, à développer une méthode de travail pour une co-construction de nos activités. Nous constatons que cette démarche est bénéfique car elle change le regard des uns par rapport aux autres, elle incite davantage à dire quand quelque chose va ou ne va pas. Cela réduit l'appréhension que l'on peut avoir vis-à-vis de la hiérarchie.

Dans ce cadre, nous avons entamé un travail autour de l'expression du projet éducatif des Apprentis d'Auteuil. Plus de deux mille collaborateurs de la fondation, des jeunes et des familles ont contribué à ce projet. L'année 2019 est consacrée à ce travail collaboratif et nous organiserons en 2020 un colloque qui permettra de partager la manière dont les jeunes, les familles et nos collaborateurs appréhendent le projet éducatif de notre institution.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je vous remercie. Je souhaiterais vous demander, pour terminer notre audition, si l'arsenal législatif est selon vous suffisamment adapté ou s'il faut le faire évoluer ?

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Je formulerais quelques recommandations, même si certaines vous ont sans doute déjà été faites par d'autres organisations. Il faut tout d'abord sensibiliser le grand public et les professionnels, en particulier les enseignants, sur ces sujets des violences sexuelles. Il convient aussi de renforcer le soutien à la parentalité. Il faudrait en outre mieux informer les familles et les accompagner dans leur capacité à être des interlocuteurs privilégiés pour leurs enfants.

La formation initiale et continue des professionnels pourrait être renforcée, en particulier dans l'Éducation nationale et dans le secteur de l'éducation populaire. À notre connaissance, les services de police et les travailleurs sociaux qui travaillent aux frontières maritimes, terrestres ou aéroportuaires de notre pays ne sont pas formés sur les sujets de la traite des êtres humains, qui touche en particulier les personnes migrantes. C'est un point à améliorer.

La médecine infantile et pédopsychiatrique connait également des difficultés et certains services dédiés ferment dans les hôpitaux.

Les procédures de contrôle lors du recrutement de personnes au contact des mineurs devraient aussi être renforcées.

L'éducation à la sexualité des jeunes est très importante et elle ne doit pas être mécanique et hygiéniste. Elle doit éveiller à la conscience de la dignité.

Enfin, la question de l'exemplarité des adultes et des influenceurs est primordiale, alors que les mineurs peuvent accéder librement à des sites pornographiques ou des sites de rencontres sur internet.

Debut de section - Permalien
Emilie Casin-Larretche

Nous constatons aussi la montée de phénomènes pré-prostitutionnels, voire le développement de réseaux de prostitution au sein des structures d'accueil pour mineurs.

Debut de section - Permalien
André Altmeyer, directeur général-adjoint de la fondation catholique « Apprentis d'Auteuil »

Dans l'un de nos établissements, nous avons été alertés sur le fait que de jeunes mineurs devenaient les entremetteurs d'autres jeunes, afin de les mettre en relation avec des adultes. Ces jeunes fuguaient de l'établissement pour aller se prostituer.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je vous remercie pour cette audition constructive.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 10.