Intervention de Jean-Michel Baylet

Mission commune d'information Inondations dans le Var — Réunion du 10 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Bayle président de la 4ème chambre de la cour des comptes et de Mm. Cyrille Schott et jean-michel sansoucy

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

La Cour des comptes rend public un rapport sur les enseignements des inondations de 2010 sur le littoral atlantique (Xynthia) et dans le Var, au terme d'une enquête conduite avec les trois chambres régionales concernées. Ce rapport examine ce qui s'est passé avant, pendant et après les catastrophes ; il en fait un bilan financier pratiquement exhaustif ; il analyse concrètement plusieurs dossiers sensibles, qui illustrent les insuffisances de la prévention ou des décisions d'urbanisme critiquables ; enfin, il examine la réalité des leçons qui ont été tirées.

La chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur a adressé des rapports d'observations détaillés à toutes les collectivités et entités concernées (la région, le département du Var, le Syndicat intercommunal d'aménagement de la Nartuby (SIAN), la communauté d'agglomération dracénoise, le SDIS du Var et les communes de Draguignan, Fréjus et Trans-en-Provence). Ils seront rendus publics dans le courant et à la fin de l'été, au rythme des réunions de leurs instances délibératives.

Les inondations intervenues le 15 juin 2010 dans le Var à la suite de précipitations exceptionnelles ont particulièrement affecté le secteur de Draguignan et les vallées de la Nartuby et de l'Argens. Elles ont causé 23 décès et de nombreux dégâts. Le coût financier pour les collectivités publiques s'est élevé à 201 millions d'euros, dont 39,6 millions d'euros pour les seules collectivités territoriales de la région PACA et près de 25 millions d'euros pour le seul département du Var (coût net, subventions déduites). Les indemnités versées par les assurances ont atteint 615 millions d'euros, dont la moitié environ a été prise en charge par le système de garantie publique « catastrophe naturelle ».

La catastrophe a touché des territoires rendus vulnérables par une urbanisation croissante liée à la pression démographique qui touche la zone littorale. Il existe sur ces territoires aux capacités limitées une « soif de construire » entretenue par les propriétaires et les promoteurs et relayée par les élus locaux.

Des catastrophes avaient précédé celle de 2010, mais ont été oubliées, la plaque posée sur la façade de la pharmacie en face de l'hôtel de ville à Trans-en-Provence rappelle la hauteur d'eau atteinte en 1827.

Les pluies ont dévasté une zone peu étendue, de 40 à 50 km² autour de Draguignan, ce que les outils opérationnels de prévision de Météo-France ne permettaient pas de prévoir de façon suffisamment précise. Par ailleurs, la surveillance des rivières à risque (la Nartuby et l'Argens) par le service de prévision des crues a été très insuffisante. La portée des messages d'alerte a été atténuée par le non passage en alerte rouge et les difficultés de transmission pendant la crise. L'alerte à la population a été insuffisante. En 2011 au contraire, l'envoi de messages aux élus concernés a permis d'activer les plans de sauvegarde en temps opportun. Le nouveau système d'alerte et d'information des populations (SAIP) prévoit la mise en réseau des vecteurs d'alerte existants.

L'état des plans de secours montre d'importantes carences des services de l'Etat et des collectivités locales avant la crise ; elles ont été partiellement corrigées depuis. Le plan ORSEC était en cours de refonte ; le nouveau plan vient d'être signé par le préfet du Var. Le SDACR du Var (schémas d'analyse et de couverture des risques, qui date de 2007) envisageait le risque inondation ; en revanche, la localisation de certains centres avait manifestement été mal évaluée. En effet, plusieurs casernes de pompiers ont été inondées, le centre de secours des Arcs, la direction départementale des SDIS, le centre de secours et le magasin départemental à Draguignan. Le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS) a été mis hors service et 87 véhicules ont été perdus sur un total de 160 sinistrés. La catastrophe a coûté 2,82 millions d'euros au SDIS. Les études pour déplacer les centres et les installations n'ont pas encore abouti. Très peu de communes avaient satisfait à l'obligation de réaliser un plan communal de sauvegarde, et ces plans étaient peu opérationnels. Un effort reste donc à accomplir, 27 des 47 communes concernées dans le Var avaient réalisé ce plan fin 2011. La Cour recommande aux communes de mettre au point et actualiser régulièrement leur plan communal de sauvegarde. En revanche, la communauté d'agglomération dracénoise a décidé en 2011 d'élaborer un plan intercommunal de sauvegarde portant sur tous les risques majeurs auxquels est exposé son territoire. L'efficacité et le dévouement des secours doivent être signalés ; dans le Var, la coordination des hélicoptères a été facilitée par la présence d'écoles militaires.

L'Etat a souvent fait preuve de faiblesse face aux projets de construction dans les zones inondables. C'est le cas du projet immobilier de Valescure à Fréjus. De façon générale, les préfets n'ont pas été assez soutenus face aux pressions locales sur les dossiers d'urbanisme en zone dangereuse. Il est nécessaire que la volonté du gouvernement s'exprime clairement et se maintienne dans la durée. Les inondations ont fait apparaître des situations d'extrême danger sans possibilité de réduire la vulnérabilité des documents ; cela a obligé au rachat par l'Etat de ces biens, et révèle le coût élevé des constructions en zone inondable. Dans le Var, le rachat de quatre maisons a coûté 870 000 euros.

Le code de l'environnement affirme le droit à l'information des citoyens sur les risques majeurs. Le préfet établit ainsi le dossier départemental sur les risques majeurs ; dans les trois départements concernés, ces dossiers avaient un contenu trop général et n'ont pas été actualisés dans les délais règlementaires (maximum 5 ans, 13 ans dans le Var). Le préfet du Var a demandé sa mise à jour en 2011. Le maire élabore le document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM). Très peu de communes en étaient dotées avant les catastrophes, et les documents existants n'étaient pas opérationnels (12 communes dans le Var possédaient un document d'information communal ou un plan communal de sauvegarde, mais 9 des 13 communes les plus sinistrées en avaient un). Depuis les crises, les préfectures ont mis en place une aide aux communes pour réaliser ces documents, mais se heurtent au manque de moyens en personnel. Dans le Var, deux ans après les inondations, seuls 32 DICRIM ont été transmis à la préfecture alors que la quasi-totalité des 153 communes est concernée. L'atlas des zones inondables, élaboré par les services de l'État, établit la cartographie des risques et peut permettre d'empêcher des constructions dans des zones dangereuses. Dans le Var, il n'a pas été transmis par le préfet aux maires avant la catastrophe. L'information des acquéreurs et des locataires sur les risques, applicable depuis 2006, présente de sérieuses insuffisances ; elle a été actualisée en 2011 dans le Var.

Le plan de prévention des risques inondation (PPRI) est adopté par le préfet après enquête publique et avis des conseils municipaux concernés ; il a une valeur contraignante et permet de maîtriser l'urbanisation. Ces plans n'ont pas été prescrits dans toutes les zones à risque ; là où ils l'ont été, la procédure a parfois été interrompue, comme dans le Var. En général, les maires se sont opposés à l'adoption de ces plans ou l'ont retardée, y voyant des obstacles à leur volonté d'urbaniser leur commune. Les préfets n'ont pas toujours su résister aux pressions des élus et ont accepté un allongement excessif des procédures et une minoration des contraintes. Dans le Var, avant la crise, parmi les 13 communes les plus concernées par les inondations, 3 seulement, dont Draguignan, étaient couvertes par un PPRI. Les procédures ont été anormalement longues. Le plan de Draguignan, de manière très surprenante, classe le secteur du Salamandrier dans la zone de Saint-Hermentaire, en zone non inondable mais en amont et en aval de deux zones inondables ; c'est précisément dans ce secteur qu'ont été implantés le centre de secours de Draguignan et l'atelier départemental, qui ont été inondés. La question se pose donc de savoir comment l'aléa et la cartographie ont été établis. Depuis les inondations de 2010 et 2011, le préfet du Var a mis en oeuvre par anticipation 12 des 13 PPRI des communes les plus touchées par les inondations.

Depuis 2010, une reprise en main s'opère donc, avec le souci d'améliorer la couverture des zones à risque ; une directive européenne va par ailleurs introduire de substantielles modifications dans le dispositif français de prévention ; mais les oppositions locales n'ont pas disparu.

Les territoires touchés par les inondations étaient souvent couverts par des documents d'urbanisme obsolètes et peu contraignants, dans le Var, 12 des 13 communes sinistrées disposaient d'un plan d'occupation des sols (POS) antérieur à 1995 et pour 7 d'entre elles, antérieur à 1990. Depuis les catastrophes, les communes n'ont pas pris d'initiative pour les remplacer par des documents de nouvelle génération. L'État n'a pas engagé d'action pour obliger les collectivités territoriales à activer l'élaboration des schémas de cohérence territoriale et à réaliser des plans locaux d'urbanisme. Le contrôle de légalité sur les actes d'urbanisme était faible ; il a été renforcé depuis la catastrophe, mais son efficacité se heurte au manque de moyens en personnel.

La protection des zones déjà urbanisées et de leurs populations est un enjeu majeur dans les zones à risque élevé. Elle est mise en oeuvre par des digues sur le littoral, et pour les rivières par l'entretien, voire l'aménagement des cours d'eau.

A Draguignan, une clinique, la maison d'arrêt, le centre de secours et les ateliers municipaux ont été fortement endommagés. De nombreux terrains de camping ont été affectés par les inondations, neuf ont dû être fermés dans le Var durant l'été 2010. La nécessité de faire appliquer strictement la réglementation commence à s'imposer, mais lentement.

Dans les zones où le risque est particulièrement élevé, il peut être préférable de renoncer à une protection, et de procéder au rachat. L'État a mis en oeuvre deux méthodes différentes sur le littoral atlantique et dans le Var. Après Xynthia, l'État a délimité des zones de solidarité puis d'expropriation. Le coût élevé des rachats de maisons situées hors zone d'expropriation (84 millions d'euros, sur un coût total de rachat de 316 millions d'euros) illustre le caractère précipité des décisions. Dans le Var, la méthode a été radicalement différente, et à l'inverse trop lente, des zones de rachat amiable n'ont pas été définies immédiatement. Dans une première phase, 20 maisons ont fait l'objet d'arrêtés de péril ; puis une étude est prévue dans les périmètres les plus exposés, l'acquisition devant être limitée à ces seuls périmètres, en concertation avec les élus. Un premier diagnostic identifie 18 nouveaux cas, pour lesquels l'étude est en cours. Cette procédure évite les acquisitions inutiles, mais nécessite un long délai pour statuer sur le cas de constructions dangereuses.

Les quatre cours d'eau à l'origine des inondations dans le Var sont tous non domaniaux, leur lit appartient aux propriétaires des deux rives, qui sont tenus à un entretien régulier. Or les rivières n'ont pas été entretenues et l'intervention des collectivités a été très défaillante. Un contrat de rivière existait pour la Nartuby, mais le SIAN, chargé de sa mise en oeuvre, n'a réalisé que peu des actions envisagées pour la protection contre les crues. Une volonté nouvelle s'exprime autour de la réalisation d'un Programme d'actions de prévention des inondations (PAPI), auquel le président du conseil général s'est engagé.

Le coût moyen du sinistre dans le Var est inférieur à celui de Xynthia (16 788 euros contre 20 909 euros) ; en revanche le coût des indemnisations pour les entreprises et les collectivités est supérieur (266,3 millions d'euros contre 208,9 millions d'euros). 5,65 millions de dons de dons ont été reçus.

Le coût des mesures fiscales de remises gracieuses aux particuliers est 4,5 fois plus élevé dans le Var (4,09 millions d'euros) qu'en Vendée (1,73 million d'euros), alors que le coût des indemnisations au titre du régime des catastrophes naturelles pour les habitations n'y est que légèrement supérieur. Il est surprenant que le nombre de demandes ait été aussi élevé et que toutes aient été satisfaites. Il s'agit principalement de dégrèvement sur les cartes grises ou les impôts locaux.

Le code de l'environnement autorise le rachat à l'amiable par l'État à condition que le prix s'avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations. Cette comparaison a été faite dans le Var (à l'inverse de Xynthia). Cependant deux biens non assurés ont été rachetés (dont un assuré après la catastrophe), précédent dangereux et source d'iniquité par rapport aux propriétaires de biens dont le rachat a été refusé pour cause de défaut d'assurance. Le contrôle des indemnités versées par les assurances a été insuffisant.

Face aux carences des dispositifs de vigilance, d'alerte et de secours, les progrès enregistrés depuis la crise restent à compléter, en particulier pour créer un réseau performant de la population. Les centres de secours situés en zone inondable doivent être rapidement déplacés.

Le Cour recommande aux communes situées dans des zones à risque de mettre au point et actualiser leur plan communal de sauvegarde et de compléter leur système d'alerte.

Le moyen le plus sage et le moins coûteux pour la protection des vies humaines, est d'empêcher les constructions dans les zones à risque fort non urbanisées. L'État doit faire preuve d'une plus grande fermeté à cet égard, et renforcer son contrôle de légalité sur les actes d'urbanisme des collectivités territoriales. La Cour recommande de faire aboutir dans le délai prévu les plans prioritaires de prévention des risques. Les communes doivent se doter de documents d'urbanisme actualisés et adopter les documents d'information sur les risques majeurs (DICRIM).

Dans le Var, la défaillance de la gouvernance est criante pour l'entretien des rivières non domaniales, les riverains comme la structure intercommunale existante sont dans l'incapacité matérielle et financière de les entretenir. La mise en place d'une stratégie globale à travers un Programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) n'empêche pas de prendre des mesures plus urgentes.

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