Intervention de Nicolas Bauduceau

Mission commune d'information Inondations dans le Var — Réunion du 11 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Stéphanie Bidault déléguée générale et de M. Nicolas Bauduceau directeur scientifique et technique du centre européen de prévention des risques d'inondation cepri

Nicolas Bauduceau :

J'essaierai d'être concis même si la construction adaptée au risque inondation est un sujet éminemment technique, économique et social. Après un travail de plusieurs années, nous aboutissons à des conclusions que des experts reconnus en la matière partagent aussi avec nous.

Nous nous sommes posé trois questions majeures :

Est-il techniquement possible de concevoir des logements « zéro dommage » ? ;

De tels ouvrages sont-ils pertinent sur le plan économique ? ;

Enfin, sur le plan social, seront-ils bien acceptés par les populations ?

Sur le plan technique, il n'existait pas, avant nos travaux, de consensus sur la manière d'adapter des logements au risque d'inondation. Nous avions constaté trois manières d'opérer :

La première consiste à éviter l'eau, en construisant au-dessus de l'eau. Cette solution est indéniablement la plus efficace, mais elle n'est possible que pour de l'habitat neuf.

La seconde est d'empêcher l'eau d'entrer à l'intérieur de l'habitation grâce à l'installation de systèmes temporaires d'étanchéité, tels que les batardeaux. Ces systèmes sont très efficaces s'ils sont convenablement posés. Par conséquent, ils supposent de disposer du temps nécessaire pour les installer avant l'arrivée de l'eau et ils ne sont opérationnels que si la hauteur de l'eau est inférieure à 1 mètre.

Enfin, lorsque les autres solutions ne sont pas applicables, la troisième option consiste à céder à l'entrée de l'eau en s'assurant que les matériaux de la maison sont le moins altérables possibles. Par exemple, les systèmes électriques et les chaudières doivent être surélevés pour éviter leur immersion, les fenêtres et les portes sont en bois sont remplacées par du PVC. Néanmoins, cette stratégie ne permet pas de se prémunir contre des dommages importants. Pour vous donner un ordre d'idée des dégâts matériels, les dommages causés à l'immobilier dans une maison inondée par 1,5 mètre d'eau pendant 8 jours s'évaluent de 30 000 à 40 000 euros. Néanmoins, des mesures de réduction de la vulnérabilité peuvent permettre de faire baisser le montant de ces dommages de 15 à 20 %.

Sur le plan économique, la France s'est lancée via les prescriptions sur l'existant du PPR dans une vaste politique de la réduction de la vulnérabilité des logements, sans mesurer la rentabilité de l'adaptation des habitations. Pour mesurer cette rentabilité, il faut considérer la fréquence des crues auxquelles sont exposés les logements. Plus, les crues sont fréquentes, plus le gain est important. La rentabilité n'est donc pas la même partout en France : par exemple, la vallée du Rhône est très protégée, notamment par des digues préservant des crues millénales, tandis que d'autres zones ne sont protégées que des crues décennales, trentennales comme le Val-de-Marne ou centennales pour Paris. Une politique rigoureusement homogène n'a pas de sens du point de vue économique. À l'inverse, la rentabilité économique est néanmoins forte pour les constructions neuves surélevées. Les Pays-Bas ont adopté des mesures de réduction de la vulnérabilité des logements parce qu'ils ont des crues relativement fréquentes. Ces mesures sont réellement rentables en deçà des périodes de retour de 25 ans. Cependant, ce calcul économique est à nuancer parce qu'il n'intègre que les aspects matériels, et non les coûts en vie humaine.

La question sociale, quant à elle, n'est pas neutre parce qu'elle remet en cause le critère de la rentabilité qui s'applique à l'échelle macroscopique d'une société, mais qui s'avère ne pas être aussi pertinent pour le particulier. En effet, ce dernier doit assumer un coût financier pour se prémunir d'un sinistre alors même qu'il n'est pas sûr de le rencontrer, parce qu'il occupe sa maison en moyenne de 7 à 10 ans. De plus, tandis que le sinistre est incertain, le gain est, pour sa part, garanti pour le particulier qui souscrit une assurance, et ce, qu'il ait au préalable réalisé un investissement pour adapter sa maison au risque ou non.

À ces considérations d'ordre financier, viennent s'ajouter des freins purement psychologiques. Pour les illustrer, prenons le cas d'une étude britannique qui a été réalisée sur un échantillon de 1 000 personnes victimes d'inondation, dont des entrepreneurs. Il leur a été demandé pourquoi ils ne mettaient pas en place des mesures de protection de la vulnérabilité ; ils ont répondu de la manière suivante :

- la majorité a évoqué la question des coûts élevés à l'échelle individuelle et a exprimé une attente en termes de mesures de prévention collectives ;

- Néanmoins, 25 % d'entre eux déclarent que de telles mesures, signalant objectivement la zone inondable, pénaliserait la vente de leur maison. Cette réponse témoigne de l'absence pure et simple d'un marché pour l'adaptation du bâti : une maison adaptée n'a pas plus de valeur marchande qu'une maison non protégée, alors même qu'une maison à faible consommation énergétique, par exemple, se vendrait plus cher ;

- En outre, 17 % des répondants ajoutent que de telles mesures leur paraissent anxiogènes, puisqu'elles leur rappelleraient au quotidien qu'ils vivent en zone inondable.

Nous constatons donc que les freins sont nombreux et de nature différente. Néanmoins, ces freins ne signifient pas qu'il faille écarter les mesures d'adaptation des logements existants parce que certaines zones sont soumises à des crues fréquentes et que les dangers pour la population sont bel et bien réels.

En conclusion, il faut retenir que les constructions mal réalisées sont quasi irréversibles et créent des dettes pour l'avenir. L'idéal est donc de construire manière adéquate.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion