C'est vraiment la question principale que l'Autorité aura à trancher : si elle finissait par estimer que les délimitations de marchés actuelles doivent être maintenues, donc que l'opération conduit à créer une position dominante de l'ordre de 70 %, pourrait-elle passer outre cette réserve au motif que la réussite de l'opération serait la seule solution pour que les groupes concernés se maintiennent dans le jeu économique ? Normalement, l'Autorité raisonne plutôt de la façon suivante : lorsqu'il est établi qu'une opération emporte une dégradation concurrentielle, l'examen s'arrête et l'opération doit être refusée, sauf à ce que l'on démontre qu'elle produit des résultats bénéfiques pour les consommateurs.
TF1 et M6 sont plutôt des entreprises en bonne santé, grâce notamment à la bonne reprise du marché publicitaire en dépit de la pandémie - chacun peut s'en féliciter pour les entreprises en question. Nous avons bien noté l'argumentaire qu'elles mettaient en avant ; et je reconnais que le débat est difficile. Mme Julia Cagé le disait devant vous : si l'objectif est d'être aussi gros que Netflix ou que Google, comment y parvenir ? Un acteur gigantesque rassemblant tous les médias français n'aurait toujours pas la taille voulue... C'est bien toute la difficulté : comment lutter efficacement ?
Je souhaitais redire devant vous, puisque vous réfléchissez pour l'avenir, combien l'action sur la règlementation me paraît importante. On mesure désormais bien l'effet délétère qu'ont eu sur les groupes français toutes les règles de diffusion audiovisuelle qui ont été prises pour protéger le cinéma, l'édition, la PQR (secteurs interdits, jours interdits ...). Or, une fois en place, il est souvent très difficile de faire évoluer ces protections. Au moment du débat sur la publicité télévisée, on a bien vu que les groupes de la PQR, très inquiets d'une éventuelle dégradation de leur chiffre d'affaires, se sont manifestés pour que les choses ne bougent pas.
Toutes ces règlementations de protection d'autres acteurs, cinéma, édition, ne souhaitant pas que la publicité se développe à la télévision, ont contribué à dégrader la position concurrentielle des chaînes télévisées, en leur barrant l'accès aux ressources publicitaires de la grande distribution, mais aussi - j'avais été très sensible à cet argument - en limitant leur capacité à disposer du contrôle des droits de diffusion des programmes qu'elles financent, des films par exemple, comme elles le souhaitent. D'un point de vue qualitatif, ces règles ont en outre pour effet de brider un peu les formats. Le débat sur le conventionnement par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ex-CSA, n'est pas non plus sans rapport avec ces questions, quoique la rigidité, en la matière, me paraisse vertueuse.
Il existe donc des marges de manoeuvre très importantes de ce côté-là. Nous avons beaucoup insisté - et été critiqués pour cette raison - sur la réforme de la production. Il nous semblait problématique que les chaînes de télévision françaises ne puissent pas pleinement tirer bénéfice de leurs droits lorsqu'elles produisent des séries à succès. Parmi beaucoup d'autres, l'exemple du Bureau des légendes est souvent utilisé par Maxime Saada. En France ont été fixées d'importantes obligations de diffusion de films d'expression originale française (EOF). Il faut s'en féliciter : il y va de l'identité culturelle française. Reste que ceux qui investissent ne peuvent pas ensuite tirer réellement profit des contenus qu'ils produisent ; cela les dissuade d'investir, par exemple, dans des séries qui pourraient avoir du succès y compris à l'étranger.