Commission d'enquête Concentration dans les médias

Réunion du 13 décembre 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Laurent Lafon

Nous poursuivons nos travaux en accueillant Mme Isabelle de Silva, conseillère d'État et ancienne présidente jusqu'au 13 octobre dernier de l'Autorité de la concurrence.

Madame de Silva, vous connaissez bien le Sénat où vous vous êtes rendue à de nombreuses reprises dans le cadre de vos précédentes fonctions. Je me souviens en particulier de votre audition devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 7 avril dernier, durant laquelle vous nous aviez présenté un large panorama du droit de la concurrence appliqué au secteur des médias. Je crois pouvoir dire, au nom de tous mes collègues, que nous avons toujours grandement apprécié la clarté et la franchise de vos propos auprès de la représentation nationale et, de façon plus générale, la manière dont vous avez présidé l'Autorité de la concurrence.

À cet égard, je citerai, aux côtés du rapporteur David Assouline, la décision prise sous votre présidence d'infliger une amende de 500 millions d'euros à Google pour non-respect de ses obligations en matière de droits voisins. Ce sujet, qui n'est pas sans lien avec celui de la concentration, a d'ailleurs été évoqué la semaine dernière lors de l'audition de Jean-Baptiste Gourdin, et je peux, à ce propos, apporter une précision que nous avons eue depuis lors : Google a bien réglé l'amende à la mi-novembre...

Vous avez également eu à traiter, au moins dans ses prémices, le sujet épineux et au coeur de nos travaux de la fusion TF1/M6. La commission de la culture a d'ailleurs auditionné il y a une dizaine de jours le président-directeur général du groupe Bouygues, Olivier Roussat.

Madame de Silva, la commission est donc impatiente de vous entendre évoquer, avec, je l'espère, votre franchise habituelle et peut-être une parole plus libre que précédemment, votre expérience à la tête de l'Autorité de la concurrence dans le secteur des médias.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite, madame de Silva, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle de Silva prête serment.

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Je suis ravie d'échanger de nouveau avec vous sur le sujet des médias qui nous a occupés au cours de mon mandat. Comme vous l'avez indiqué, je m'exprimerai en tant qu'ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence, et non pas au titre de mes fonctions au Conseil d'État, et sans engager l'Autorité dans sa formation actuelle.

Permettez-moi au préalable de revenir sur la façon dont l'Autorité de la concurrence a eu à connaître au cours des cinq années écoulées, du sujet de la concentration dans le secteur des médias.

L'Autorité a pour mission essentielle de protéger le bon fonctionnement concurrentiel des marchés, dans tous les secteurs de l'économie, tout en tenant compte des spécificités de chaque secteur. Pour exercer son contrôle, elle se fonde sur les produits et services spécifiques offerts par le secteur ainsi que les réglementations applicables qui s'y attachent. L'impact des réglementations est très fort dans le secteur audiovisuel.

L'Autorité dispose des prérogatives qui lui sont conférées par le législateur et elle a consacré des efforts importants au secteur des médias au cours des années écoulées, notamment parce qu'il a été affecté de manière très sensible par la révolution numérique. Dans ses analyses, elle a constaté l'émergence de grandes plateformes - Google et Facebook dans le secteur de la publicité en ligne, mais aussi ainsi que de grandes plateformes OTT - Over-the-top - comme Netflix, ou encore Apple ou Amazon, également présents dans d'autres segments du marché -, et différents types de production de contenus.

Cette révolution s'est appuyée sur une révolution technologique bien sûr, avec la présence de réseaux très performants, les débits, le téléphone portable.

Comment l'Autorité a-t-elle appréhendé ces problématiques, au travers de ses trois grandes missions que sont le contrôle des concentrations, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et le pouvoir d'avis et de recommandation ?

Sa première prérogative, particulièrement importante dans le secteur des médias, touche au contrôle des concentrations : celui-ci s'exerce quand les seuils des chiffres d'affaires sont remplis, et dans une étroite articulation avec la Commission européenne : certaines opérations, les plus importantes, peuvent être examinées par l'une ou l'autre de ces deux institutions. Un débat a ainsi été engagé pour savoir quelle autorité serait saisie pour examiner l'opération de fusion TF1/M6.

Lorsque l'autorité est saisie d'une opération de concentration, elle cherche à savoir si celle-ci est de nature à dégrader la situation concurrentielle. Il s'agit de prévenir les effets indésirables sur le fonctionnement du marché. Parfois, elle exerce ce pouvoir avec d'autres autorités sectorielles, en matière bancaire ou d'assurance, par exemple, et particulièrement dans le domaine de l'audiovisuel, avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). L'Autorité peut également être conduite à porter des appréciations plus qualitatives, en lien avec le pluralisme. En effet, elle doit s'attacher à savoir si, du fait de la concentration, l'offre est réduite pour le consommateur. Elle examine ainsi l'impact d'une opération sur le consommateur, le lecteur de journaux, l'auditeur de chaînes audiovisuelles, le spectateur, mais aussi sur plusieurs acteurs de l'écosystème, tels que les producteurs audiovisuels ou de films, ou les éditeurs de chaînes télévisées.

Je prendrai quelques exemples pour illustrer mon propos.

Au cours des dernières années, de nombreuses opérations de rachat ont eu lieu dans la presse quotidienne régionale (PQR), mais aussi dans la presse magazine. Alors que certaines opérations conduisaient à former des formes de monopoles locaux, l'Autorité a conditionné certaines opérations au maintien de rédactions séparées pour éviter que le lecteur n'ait plus accès qu'à un seul quotidien régional. Dans la presse magazine, elle a conditionné son autorisation favorable à l'opération consistant à racheter les titres de la presse automobile au fait que l'un des deux titres soit revendu pour éviter l'apparition d'un monopole. Nous faisons donc un examen très fin de la situation.

Dans le domaine audiovisuel, dans le cadre de la fusion Canal+/TPS, l'Autorité a soumis cette opération à toute une série de conditions, par exemple en matière de distribution, afin de protéger les chaînes qui figuraient dans les bouquets. Elle avait notamment pris en compte le rôle de Canal+ dans le financement du cinéma français comme facteur de diversité culturelle.

Cette grande révolution numérique dont je parlais au début de mon propos et l'évolution de la concentration des droits concernant le cinéma américain nous ont notamment conduits à alléger les contraintes qui pesaient sur certains opérateurs. En 2019, nous avons ainsi levé une partie des contraintes qui pesaient sur Canal+. Le contrôle des concentrations peut donc évoluer lorsque la contrainte concurrentielle, elle-même, évolue.

Pour prendre un autre exemple, nous avons autorisé le rapprochement entre TF1, M6 et France Télévisions pour créer la plateforme de vidéo à la demande par abonnement - Subscription Video On Demand (SVoD) - Salto parce qu'il était de nature, non pas à dégrader la concurrence, mais à faire apparaître un nouvel acteur dans ce secteur.

Lors de ces différentes opérations, nous avons examiné chacun des marchés affectés, et ce après avoir identifié les différents marchés pertinents et interrogé les acteurs pour apprécier la situation. Concernant la fusion TF1/M6, nous analysons le marché de la publicité gratuite, celui de l'acquisition des droits du cinéma et des programmes audiovisuels, tout particulièrement, ainsi que le marché de la distribution des chaînes. Il s'agit également de savoir si les entreprises qui achètent des espaces publicitaires à la télévision seront affectées en termes de prix et de conditions et d'apprécier le risque de dégradation de la situation concurrentielle. Bien souvent, pour des opérations aussi larges et complexes, les conséquences doivent être appréciées de manière horizontale - entre les deux chaînes de télévision qui se regroupent et les autres chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) -, de manière verticale - sur les producteurs audiovisuels ou de cinéma - et en aval - sur les entreprises qui achètent de la publicité et sur les spectateurs.

Vous avez parlé des droits voisins. L'Autorité est très vigilante sur les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur audiovisuel. Au cours de ces dernières années, nous avons été destinataires d'un certain nombre de saisines portant sur l'accès aux droits des films ou des oeuvres d'expression originale française (EOF) ou encore sur les sujets de la publicité - TF1 était puissant sur ce marché. L'émergence des Gafa - Google, Apple, Facebook et Amazon - nous a conduits à intervenir dans de nombreuses situations pour prendre en compte cette nouvelle forme de puissance et définir la façon dont le droit de la concurrence doit s'appliquer à ces plateformes. Ces affaires me semblent avoir un lien assez direct avec le sujet des médias. Nous avons condamné Google pour non-respect des règles en matière de publicité. Demain, une telle appréciation pourrait concerner les sujets d'accès à des magasins d'applications.

Concernant les droits voisins, il s'agissait d'apprécier la façon dont cette loi, qui avait pour objectif de rééquilibrer le partage dans la chaîne de valeur, avait été ou non correctement appliquée par Google. S'en est suivie la mesure conservatoire que vous connaissez, qui n'a pas été respectée et nous a conduits à condamner cette entreprise à une amende de 500 millions d'euros.

Enfin, je mentionnerai la décision Google-News Corp Inc. Trois groupes de presse - Le Figaro, News Corp Inc et le groupe Rossel La Voix - nous avaient saisis pour abus de position dominante concernant la vente des espaces publicitaires en ligne. Nous avons sanctionné fortement Google, qui a pris un certain nombre d'engagements en la matière. Ce type de décision peut permettre aux acteurs de la presse de faire valoir leurs droits, y compris sur le plan indemnitaire.

Pour conclure, j'évoquerai les recommandations de l'Autorité de façon plus générale, en citant deux avis, l'un sur la publicité en ligne et l'autre sur le secteur audiovisuel.

Le premier avis, sur la publicité en ligne, que nous avons rendu en 2018 illustrait le nouveau contexte que nous connaissions avec la puissance des plateformes et ce nouvel univers qui concurrence fortement les médias traditionnels. S'agissant du second avis, sur l'audiovisuel (rendu à la demande de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale) nous avons eu la satisfaction de constater que certaines de nos recommandations avaient été reprises par le Gouvernement, puis par le Parlement ; je pense, par exemple, à la grande réforme de la publicité, des secteurs interdits et des jours interdits, ainsi qu'à une amorce de rééquilibrage de la régulation. Ce rééquilibrage, s'il est amorcé, n'est pas achevé. Le panorama que nous avions alors décrit dans notre avis - un secteur des médias traditionnels extraordinairement réglementé et sujet à une réglementation souvent très datée - souffre de la comparaison avec le monde des plateformes, non régulé, sur un certain nombre de points, notamment en matière de règles sur la publicité ciblée ou des obligations de production, partiellement corrigées par la directive Services de médias audiovisuels (SMA), pour ne prendre que ces deux exemples.

Nous avions indiqué que l'un des chantiers urgents était celui de la réglementation de l'audiovisuel. Le régime du contrôle des concentrations mérite une profonde remise à jour, car il nous semblait très daté. Ce sujet est encore d'actualité, et c'est tout l'objet de votre commission d'enquête.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je veux tout d'abord souligner que, en tant que présidente de l'Autorité de la concurrence, ont été saluées quasiment à l'unanimité votre très grande rigueur, ainsi que vos relations avec la Commission européenne reposant sur l'écoute et le respect. Vous avez travaillé, avec beaucoup de courage, à réguler un secteur où des géants très influents, souvent plus puissants que des États, agissent et cherchent à influer. Au travers de la décision prise à l'encontre de Google, alors que certains considèrent que seule la puissance financière peut dicter la marche à suivre, vous avez montré que les États sont là pour dicter les règles ; et je vous en remercie.

J'aimerais vous interroger sur un article du Monde, qui a annoncé que votre mandat ne serait pas renouvelé, deux semaines avant l'échéance, soulignant sa grande surprise au regard de vos qualités. Le Monde écrit : « Celle qui avait succédé à Bruno Lasserre en 2016 était candidate à un nouveau mandat. Selon nos informations, elle a appris qu'elle n'était pas renouvelée il y a une quinzaine de jours, et ce sans explication. » Depuis lors, avez-vous eu une explication ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

On a pu lire dans la presse que les autorités n'ont pas renouvelé mon mandat, car elles veulent avoir un nouveau profil, plus économique. Je respecte totalement le libre choix et l'appréciation des autorités en la matière. Nul n'est maître de son mandat. Je respecte entièrement cette décision et je souhaite beaucoup de succès à celui ou celle qui me succèdera dans les prochains jours.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Permettez-moi de citer de nouveau l'article du Monde : « Le ministère de l'économie salue d'ailleurs l'excellent travail de Mme de Silva, mais indique se plier à cette décision, qui résulte d'une volonté de changement. » Voilà qui conforte votre propos. Il ajoute : « Le secteur s'interroge sur les raisons de cette éviction. Isabelle de Silva travaille actuellement sur le projet de fusion porté par TF1 et M6, une opération politiquement explosive, à six mois de l'élection présidentielle. À tel point que certains font le lien entre son départ et ses prises de position sur le dossier. En public comme en privé, elle a averti qu'il s'agissait d'un projet juridiquement très difficile à valider. » Que pensez-vous de cette interrogation ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Je ne m'en suis pas cachée, je souhaitais voir mon mandat renouvelé. Compte rendu des enjeux et des opérations en cours, je pensais que cette solution aurait été la plus simple. Pour autant, je ne crois pas que cette opération soit à l'origine de mon éviction, si c'est la question très précise que vous me posez. Je crois fermement en la permanence des institutions. Quel que soit le président qui me succédera, le droit applicable restera le même et les appréciations de l'Autorité seront identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J'entends bien vos propos. Peut-être que ce choix ne tient pas seulement à cette question...

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Il m'est difficile de commenter les raisons du choix qui a été fait. J'ai indiqué que je respectais ce choix pleinement et entièrement. La raison qui m'a été donnée est clairement le choix d'un nouveau profil.

Par ailleurs, lorsque l'on exerce des fonctions comme les miennes, il importe d'être transparent sur les dossiers en cours. C'est pourquoi j'ai toujours été très claire sur les enjeux de cette fusion.

Au printemps dernier, j'avais indiqué lors de mon audition devant le Sénat la façon dont nous examinerions cette opération. On peut savoir quelle sera la grille d'analyse, mais on ne saurait avoir des a priori sur les résultats de cet examen. C'est le marché qui donnera les éléments de réponse. Je l'avais souligné, une telle opération nécessite des entretiens très poussés avec plusieurs acteurs ; et c'est ce qui est en train de se dérouler avec les tests de marché menés par l'Autorité. Aujourd'hui, personne ne peut préjuger de l'issue de cet examen. Ce sont ces éléments de réponse qui permettront de dire si l'opération peut être autorisée, et à quelles conditions.

J'ai bien noté que la presse avait émis diverses théories ou explicitations de la décision de non-renouvellement de mon mandat. Pour ma part, je me tourne résolument vers l'avenir et, je le répète, j'exprime ma plus grande confiance en mon successeur par intérim Emmanuel Combe, qui poursuit de façon très sérieuse l'examen de ce dossier, et il en sera de même avec le futur président de l'Autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Notre échange permet d'éclairer l'article du Monde. J'observe que votre successeur par intérim a reçu, quelques jours après sa nomination, la décoration de l'ordre national du Mérite par le Président de la République.

À votre connaissance, un autre président ou une autre présidente a-t-il déjà vu son mandat non renouvelé ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Les présidents de l'Autorité et du Conseil de la concurrence ont été peu nombreux. Seul Bruno Lasserre, que je salue, a exercé trois mandats. Précédemment, les autres titulaires n'avaient pas souhaité voir leur mandat renouvelé.

J'ai choisi la carrière de fonctionnaire pour servir l'État. Je le redis, on n'est jamais possesseur de son mandat ; on l'exerce du mieux possible, et les autorités compétentes exercent pleinement leur pouvoir de nomination. Je suis confiante dans la façon dont Emmanuel Combe exerce ses fonctions depuis mon départ, et il ne faut pas voir malice dans le fait qu'il ait été reconnu par la République au travers de l'ordre national du Mérite.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vos réserves sur la fusion entre TF1 et M6 concernaient en premier lieu les incidences d'une telle opération sur le marché publicitaire. Vous souhaitiez « regarder comment ces marchés fonctionnent » et interroger à cet effet les annonceurs, les agences d'achat d'espace et les agences de publicité.

Je relève qu'une telle inquiétude ne s'était pas exprimée lors de l'examen par l'Autorité de la concurrence, en avril 2021, des conditions du rachat par Vivendi du groupe Prisma Media, alors même que celui-ci crée les conditions d'offres publicitaires groupées entre Prisma et Canal+ et que de surcroît le rôle que pourrait jouer Havas, également filiale de Vivendi, pose question.

Comment expliquez-vous une telle différence de traitement entre les cas TF1/M6 et Vivendi/Prisma Media ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

J'ai moins exprimé une réserve qu'indiqué qu'il y avait là, sans doute, le sujet le plus difficile de ce dossier. En l'état des délimitations de marchés, les autorités de concurrence française et européenne reconnaissent l'existence d'un marché de la publicité sur la télévision gratuite. La part de marché de l'entité qui résulterait d'un rapprochement entre TF1 et M6 serait très considérable, de l'ordre de 70 % ; une telle opération serait donc d'une ampleur sans précédent dans l'audiovisuel français depuis l'adoption de la loi de 1986.

La décision Prisma Media, quant à elle, conduisait à des parts de marché beaucoup plus réduites, sur des marchés différents qui plus est, Canal+ n'étant pas un acteur majeur du marché publicitaire sur les chaînes de télévision gratuite - il est essentiellement présent sur les chaînes payantes, ce qui est un marché distinct.

Pour autant, nous avons bel et bien analysé ce que nous appelons un « effet congloméral », lorsqu'une entreprise est présente sur plusieurs marchés différents mais connexes. On peut en effet imaginer des offres couplées entre un espace publicitaire « presse » et un espace publicitaire « télévision », même s'il faut reconnaître qu'un tel cas de figure n'est pas très fréquent. Havas étant une agence médias extrêmement puissante, nous avons pris en compte également les effets éventuels d'une telle intégration verticale.

Compte tenu de la structure des parts de marché résultant d'une telle opération - c'est le premier indice qui permet de savoir si se pose concrètement une difficulté -, nous avons pu lever très facilement ces doutes, à l'issue d'une analyse malgré tout très approfondie. Comme ce fut le cas pour d'autres opérations - j'ai cité des rachats nombreux dans la PQR au cours des mois écoulés -, lorsque les parts de marché restent limitées sur le marché pertinent, les opérations peuvent être autorisées assez facilement. Cela dit, l'opération Prisma Media a suscité un examen assez poussé de la part de l'Autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Résumons ce projet de fusion pour les citoyens, qui trouvent probablement la situation assez opaque - c'est précisément pour nourrir le débat public que nous avons demandé cette commission d'enquête : 70 % du marché publicitaire de la télévision gratuite serait capté par un seul acteur si l'opération de fusion allait à son terme, ce qui, à l'évidence, dérogerait aux règles que vous étiez en devoir de faire appliquer lorsque vous présidiez l'Autorité de la concurrence.

Si une interrogation reste pendante dans un dossier qui devrait très vite se clore, elle a trait à l'idée, qui est en train d'être explorée, d'un élargissement - au numérique, en particulier - du marché pris en compte ; ainsi 70 % deviendraient 30 %.

Pensez-vous qu'on puisse sans débat public confier à une autorité le soin de trancher une question aussi importante d'une manière qui contreviendrait à toute la jurisprudence sur laquelle elle a travaillé depuis sa création ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

À supposer que l'opération soulève de grandes difficultés, elle ne saurait très vite se clore : pour refuser une opération de concentration, il faut ouvrir une phase 2, c'est-à-dire une période d'examen approfondi, soumise à une procédure particulière, une audition devant le collège étant notamment prévue.

Les parties sont venues présenter l'opération devant l'Autorité de la concurrence ; mesurant bien cette difficulté, elles ont soutenu que le marché devait être élargi. Cette question mérite d'être examinée, vu la substitution voire la convergence possibles entre télévision, d'une part, et plateformes et univers numérique, d'autre part.

Dans l'affaire Fnac-Darty, souvent citée, nous avions estimé que l'on pouvait « fusionner » les marchés de la vente en magasin et de la vente en ligne, mais au terme d'un examen très approfondi prenant en compte un grand nombre d'éléments, le prix de vente, le service après-vente, les usages des consommateurs. Un tel examen est précisément en train d'être réalisé par l'Autorité.

Faudrait-il, parce qu'il s'agit de la télévision et des médias, une autre procédure que celle qui est actuellement appliquée ? Ce n'est pas ce que dit la loi. Lorsqu'une décision concerne une opération très sensible comme celle-là, elle est souvent contestée devant le Conseil d'État. C'est par exemple ce qui s'est passé avec Salto : certains opérateurs comme Free contestaient notre appréciation, pensant que nous avions fait preuve de trop de souplesse en autorisant cette plateforme. Le Conseil d'État, examinant les moyens invoqués, a confirmé récemment la décision de l'Autorité.

Un recours est donc disponible : le recours contentieux, y compris par voie de référé, si l'on estime que les conditions d'urgence sont remplies. En l'état, la procédure ne prévoit pas d'ouverture à un « débat public », et ce notamment parce que de telles opérations sont soumises à des délais : le droit français, comme la plupart des droits nationaux, considère qu'il faut aller relativement vite - dix-huit mois, en l'espèce. Mais l'Autorité consulte largement et peut recevoir toute contribution.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J'ai bien compris que l'Autorité de la concurrence appréciait les marchés globaux, mais aussi les marchés spécifiques. Personne ne peut nier que le marché publicitaire s'élargit sur le net ; cela dit, la prise en compte du numérique, en faisant passer de 70 % à 30 % la part de marché du groupe fusionné sur le marché global, ne changerait pas le rapport de puissance entre cette nouvelle entité et les autres acteurs, publics ou privés, de l'audiovisuel.

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Vous avez raison : les pourcentages ne conduisent jamais à une solution de façon nécessaire et absolue. Dans certains cas, même avec 30 % de part de marché, l'Autorité a pu considérer qu'une entreprise était dominante, si par exemple tous les autres acteurs étaient à moins de 2 %.

Si une évolution s'avérait nécessaire, quel autre marché remplacerait le marché publicitaire de la télévision gratuite ? Plusieurs options assez différentes sont sur la table. À supposer qu'un tel mouvement soit justifié, encore faut-il savoir comment définir très précisément ce marché alternatif qui servirait de nouvelle référence, ce qui rend l'examen complexe.

En droit français des concentrations, une fois sa décision rendue par l'Autorité, celle-ci peut être contestée devant le juge. Mais il existe aussi une possibilité pour le ministre de l'économie de modifier une décision d'autorisation pour des motifs qui n'ont pas trait à la concurrence. Le ministre s'était saisi de cette faculté, voilà quelques années, dans l'affaire Cofigeo, en prenant en compte la situation du secteur alimentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Avez-vous subi des pressions « amicales » de la part de dirigeants de grands groupes de médias ou de leurs amis politiques ?

Les décisions rendues par l'Autorité sont-elles vraiment pérennes, ou certains groupes ne préfèrent-ils pas payer une amende pour être tranquilles et libres de leurs mouvements pendant un certain temps ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

S'agissant de sujets aussi sensibles pour les actionnaires et les entreprises, nous sommes habitués à de fortes sollicitations, mais celles-ci restent dans l'ordre normal des choses. Les chefs d'entreprise souhaitent ardemment faire aboutir leur opération ; je ne qualifierais pas cela de pression anormale ou indue.

Lorsqu'on exerce les fonctions que j'ai exercées, on est apte à faire la part des choses. Je me suis toujours attachée, au cours de mon mandat, à dialoguer avec les entreprises avant d'exercer les prérogatives qui m'appartenaient, soit seule, pour les opérations de phase 1, soit, pour ce qui est des décisions de concentration de phase 2, avec le collège de l'Autorité.

Les sanctions sont-elles par ailleurs suffisantes pour empêcher les infractions au droit de la concurrence, ou certaines entreprises ne préfèrent-elles pas se contenter de payer des amendes pour continuer d'agir à leur guise ? La question est légitime. C'est un reproche que l'on fait parfois au droit de la concurrence : il suffirait de payer les amendes pour continuer à « vivre sa vie ».

Malgré tout, les amendes ont un rôle important : une fois qu'un comportement a été sanctionné, l'entreprise ne peut plus le rééditer. Non seulement elle peut recevoir une amende pour réitération, mais l'Autorité peut lui enjoindre de modifier son comportement. Elle peut même désormais, grâce à la directive visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en oeuvre plus efficacement les règles de concurrence, dite ECN+, enjoindre à une entreprise de revendre une partie de son activité, pouvoir extrêmement puissant qui, me semble-t-il, fait réfléchir les entreprises...

Voilà quelques années, certaines entreprises adoptaient peut-être, à l'égard du droit de la concurrence, un comportement de franc-tireur. Aujourd'hui, avec d'autres autorités, comme la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, nous contribuons à faire respecter le droit - je pense aux plateformes, notamment. Il faut s'en réjouir. Nous sommes dans une phase de transition ; des décisions comme celle que nous avons prise en matière de droits voisins sont importantes pour que ces entreprises comprennent qu'elles ne sont pas en dehors du droit et des règles édictées par les législateurs nationaux et européen. À cet égard, le dossier des droits voisins est emblématique ; plusieurs plateformes avaient fortement lutté contre le projet de directive.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Vous avez dit combien l'indice de vétusté des lois de 1986 était important. Ce constat fait consensus parmi les personnes que nous avons auditionnées, si j'en excepte le président du CSA, qui trouve pas mal de vertus à ces belles endormies...

Olivier Roussat, le directeur général du groupe Bouygues, nous a expliqué très clairement que selon lui la fusion envisagée entre TF1 et M6 était une stratégie à caractère défensif, étant entendu que le statu quo n'est pas une option.

Vous avez clairement indiqué, quant à vous, que le périmètre de votre ancienne action, en tant que présidente de l'Autorité, consistait à « protéger le bon fonctionnement des marchés en tenant compte des spécificités du secteur » et à « prévenir les effets indésirables ».

Sur la base de ce que nous a dit M. Roussat, pensez-vous que l'effet indésirable que représenterait une concentration trop importante du marché publicitaire puisse être de nature à prendre le dessus sur la réalité du marché, laquelle, à défaut de fusion, menacerait à moyen terme, selon M. Roussat - quatre ans, nous a-t-il dit -, l'avenir même de TF1 ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

C'est vraiment la question principale que l'Autorité aura à trancher : si elle finissait par estimer que les délimitations de marchés actuelles doivent être maintenues, donc que l'opération conduit à créer une position dominante de l'ordre de 70 %, pourrait-elle passer outre cette réserve au motif que la réussite de l'opération serait la seule solution pour que les groupes concernés se maintiennent dans le jeu économique ? Normalement, l'Autorité raisonne plutôt de la façon suivante : lorsqu'il est établi qu'une opération emporte une dégradation concurrentielle, l'examen s'arrête et l'opération doit être refusée, sauf à ce que l'on démontre qu'elle produit des résultats bénéfiques pour les consommateurs.

TF1 et M6 sont plutôt des entreprises en bonne santé, grâce notamment à la bonne reprise du marché publicitaire en dépit de la pandémie - chacun peut s'en féliciter pour les entreprises en question. Nous avons bien noté l'argumentaire qu'elles mettaient en avant ; et je reconnais que le débat est difficile. Mme Julia Cagé le disait devant vous : si l'objectif est d'être aussi gros que Netflix ou que Google, comment y parvenir ? Un acteur gigantesque rassemblant tous les médias français n'aurait toujours pas la taille voulue... C'est bien toute la difficulté : comment lutter efficacement ?

Je souhaitais redire devant vous, puisque vous réfléchissez pour l'avenir, combien l'action sur la règlementation me paraît importante. On mesure désormais bien l'effet délétère qu'ont eu sur les groupes français toutes les règles de diffusion audiovisuelle qui ont été prises pour protéger le cinéma, l'édition, la PQR (secteurs interdits, jours interdits ...). Or, une fois en place, il est souvent très difficile de faire évoluer ces protections. Au moment du débat sur la publicité télévisée, on a bien vu que les groupes de la PQR, très inquiets d'une éventuelle dégradation de leur chiffre d'affaires, se sont manifestés pour que les choses ne bougent pas.

Toutes ces règlementations de protection d'autres acteurs, cinéma, édition, ne souhaitant pas que la publicité se développe à la télévision, ont contribué à dégrader la position concurrentielle des chaînes télévisées, en leur barrant l'accès aux ressources publicitaires de la grande distribution, mais aussi - j'avais été très sensible à cet argument - en limitant leur capacité à disposer du contrôle des droits de diffusion des programmes qu'elles financent, des films par exemple, comme elles le souhaitent. D'un point de vue qualitatif, ces règles ont en outre pour effet de brider un peu les formats. Le débat sur le conventionnement par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ex-CSA, n'est pas non plus sans rapport avec ces questions, quoique la rigidité, en la matière, me paraisse vertueuse.

Il existe donc des marges de manoeuvre très importantes de ce côté-là. Nous avons beaucoup insisté - et été critiqués pour cette raison - sur la réforme de la production. Il nous semblait problématique que les chaînes de télévision françaises ne puissent pas pleinement tirer bénéfice de leurs droits lorsqu'elles produisent des séries à succès. Parmi beaucoup d'autres, l'exemple du Bureau des légendes est souvent utilisé par Maxime Saada. En France ont été fixées d'importantes obligations de diffusion de films d'expression originale française (EOF). Il faut s'en féliciter : il y va de l'identité culturelle française. Reste que ceux qui investissent ne peuvent pas ensuite tirer réellement profit des contenus qu'ils produisent ; cela les dissuade d'investir, par exemple, dans des séries qui pourraient avoir du succès y compris à l'étranger.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Vous aviez souligné, lorsque vous présidiez l'Autorité de la concurrence, que la fusion pouvait être conforme au droit de la concurrence à condition que le marché de la publicité soit redéfini, c'est-à-dire que la publicité audiovisuelle et la publicité en ligne soient considérées comme un seul marché.

Du point de vue du droit, quels sont les arguments pour ou contre cette « manoeuvre » ? Et cette question des marchés publicitaires entre-t-elle seule en ligne de compte ? Quid des marchés des contenus, c'est-à-dire des programmes proposés ?

Vous aviez indiqué également qu'une telle manoeuvre pourrait avoir des effets pervers en réduisant artificiellement le poids des Gafam dans les marchés publicitaires. Pourriez-vous expliquer ce point ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

La méthode du marché pertinent, que l'Autorité applique, découle largement du « droit souple » et de la jurisprudence : elle ne figure pas dans la lettre du code de commerce, mais dans les lignes directrices de l'Autorité, document d'environ 200 pages, et dans la jurisprudence des juridictions de contrôle, Conseil d'État ou juridictions européennes, ainsi que dans notre « pratique décisionnelle ».

Le critère essentiel pour qu'un marché soit considéré comme pertinent est l'homogénéité des conditions de concurrence, et notamment la substituabilité des produits entre eux. C'est ce qui conduit l'Autorité à faire des appréciations très concrètes et très différentes selon les marchés en cause.

Dans l'affaire Siemens-Alstom, qui avait défrayé la chronique pour d'autres raisons, la Commission européenne avait délimité les frontières de toute une série de marchés. Il existe ainsi des rapports de concurrence relativement distants entre des marchés qui n'en demeurent pas moins distincts - voitures et trottinettes, pour prendre un exemple caricatural, ne sont pas sur le même marché aux yeux de l'Autorité de la concurrence. Le consommateur navigue entre la chaîne YouTube, la télévision, Netflix ; pour autant, pour conclure qu'il s'agit là, à chaque fois, d'un seul et même marché, il faut beaucoup plus d'éléments : il faut regarder, entre autres, le prix et les habitudes de consommation. Et, pour savoir s'il existe un marché unique entre publicité télévisée et publicité en ligne, il faudra se demander si les prix sont similaires, si l'on peut accéder de part et d'autre à la même surface de marché - combien de consommateurs touche-t-on ? -, si les usages diffèrent, s'il existe des segments irremplaçables - la jurisprudence a ainsi retenu des seuils permettant de qualifier de « puissants » certains écrans publicitaires.

J'ai évoqué un effet de la décision sur l'appréhension de la puissance des Gafam. La jurisprudence actuelle, élaborée par la Commission européenne et par l'Autorité de la concurrence, établit par exemple que Google est en position dominante sur un certain nombre de marchés, celui, par exemple, de la publicité sur la recherche en ligne, via Google Search. Sur ce fondement, ont été prises des sanctions à l'encontre de Google. Si nous devions demain définir un grand marché englobant publicité en ligne et publicité télévisée comme nouveau marché pertinent, Google ne serait peut-être plus dominant : son comportement ne serait plus apprécié à la même aune. Des comportements qui sont jugés aujourd'hui illégaux au regard du droit de la concurrence ne pourraient plus, demain, être sanctionnés.

Je partage tout à fait votre sentiment : la publicité n'est pas seule en jeu. Cette opération créerait en particulier d'importantes difficultés sur les marchés amont de l'acquisition des droits de diffusion de films et de programmes audiovisuels, mais aussi sur les marchés de la distribution de chaînes. Il se peut par exemple qu'une fusion pose des problèmes de concurrence sur le marché de la diffusion des chaînes de télévision gratuites. Beaucoup de conflits ont ainsi dû être instruits soit par l'Autorité de la concurrence soit par le CSA quant aux tarifs demandés par TF1 et par M6 pour leur reprise sur les box des fournisseurs d'accès à internet (FAI). Si demain ces deux chaînes appartiennent au même groupe, quel sera l'impact sur ces box ou sur d'autres plateformes telles que Molotov ?

Les services de l'Autorité auront à défricher d'autres dossiers, comme celui des liens entre télévision et radio, puisque le groupe M6 comprend des stations de radio, mais l'examen des marchés que je viens d'évoquer promet d'être particulièrement délicat.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Ne touche-t-on pas ici aux limites de l'exercice consistant à approcher cette matière extrêmement sensible, à la fois économique, culturelle et démocratique, par le prisme unique du respect ou non du droit de la concurrence ?

Les appréciations que vous portez en témoignent : une approche qualitative est nécessaire sur cette question. On voit d'ailleurs des acteurs plaider un jour pour la concurrence pure et dure et demander ensuite l'assouplissement des règles afférentes. C'est qu'il y va, dans ce dont nous parlons, du respect des principes de liberté, sachant que le périmètre de la concurrence, avec l'essor des plateformes, a considérablement évolué.

Comment pourrait-on enrichir les critères d'appréciation en vigueur en sorte de ne pas s'enfermer dans une logique trop restrictive pour la matière concernée ? Je pense à un exemple que j'ai eu à connaître de près : le débat qui a eu lieu pendant longtemps sur la nécessité ou non qu'existent, au nom de la concurrence, deux opérateurs de distribution de la presse, a fini par déboucher sur un désastre généralisé. Résultat : la distribution est devenue inaccessible, d'un point de vue économique, pour tout un tas de titres de presse, ce qui dégrade très profondément l'application du principe ancien de libre accès des titres de presse à la distribution.

En d'autres termes, les principes du droit de la concurrence sont peut-être un peu courts pour affronter les défis actuels. Comment élargir notre regard ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

On peut attendre beaucoup du droit de la concurrence, mais il ne peut pas répondre à tous les problèmes ou à tous les objectifs. Sa grande force est d'être transversal et de concerner tous les secteurs de l'économie, ce qui garantit une cohérence. Il faut en attendre qu'il fasse respecter l'objectif de bon fonctionnement des marchés.

Pour autant, je l'ai dit, on ne se limite pas à des approches strictement économiques, c'est-à-dire que l'on prend en compte toutes les dimensions du bien-être du consommateur, donc aussi la qualité, la quantité et la diversité.

Les exemples que j'ai cités dans le secteur de la presse, où nous avons imposé des rédactions séparées lorsque la fusion de titres de la PQR aurait conduit à un monopole, montrent qu'il peut exister des solutions innovantes pour éviter une dégradation.

Par ailleurs, c'est le législateur qui définit les grands équilibres en matière de médias. Si, en France, nous avons un double contrôle, celui de l'Autorité et celui du CSA, qui intervient au titre des rachats de chaînes de télévision, c'est bien que le législateur a défini un contrôle spécifique en matière de médias audiovisuels. Plus généralement, et je crois que c'est tout à fait dans l'objet de votre commission, le législateur peut aussi, à ce niveau, définir des garde-fous ou des limites s'il l'estime pertinent.

Enfin, il me semble important de rappeler, y compris en ne considérant que le droit de la concurrence, la soupape que constitue le droit d'évocation du ministre, qui peut mettre en avant une série d'intérêts légitimes - ces objectifs sont limitativement énumérés par la loi -, par exemple en matière de souveraineté ou d'investissement.

L'Autorité de la concurrence ne prétend pas pouvoir répondre à toutes les interrogations lorsqu'elle est saisie d'opérations de concentration dans les médias, mais, à travers l'examen fin et minutieux que j'ai tenté de présenter, elle peut quand même voir beaucoup de choses. En tout cas, son contrôle peut aller assez loin et protéger une série d'éléments intéressants.

Comme vous l'avez signalé, nous voyons beaucoup d'entreprises qui rachètent des titres ou des médias, mais aussi beaucoup qui contestent des opérations, ce qui permet de connaître la perception que l'on en a. Par exemple, dans l'affaire Salto, nous avions rendu une décision positive, avec un certain nombre d'engagements assez exigeants. Après un examen très minutieux par le Conseil d'État, cette décision a été confirmée.

En tout état de cause, lorsque nous rendons une décision sur des sujets aussi complexes - à cet égard, je crois que l'affaire TF1/M6 sera encore beaucoup plus compliquée que l'affaire Salto -, nous essayons vraiment de prendre en compte tout l'éventail des objectifs de la concurrence, mais nous ne pouvons aller au-delà du mandat que nous a confié le législateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

C'est l'Autorité de la concurrence qui traitera le dossier de la fusion de TF1 et de M6. Aura-t-elle des contacts, sur ce dossier, avec les autorités européennes ? Ces dernières pourraient-elles formuler des demandes de nature à impacter la décision de l'Autorité ?

On voit bien que les autorités de régulation nationale ont de plus en plus d'importance et sont confrontées à des dossiers de plus en plus complexes et lourds.

Estimez-vous que l'Autorité de la concurrence dispose de suffisamment de moyens ? Peut-elle réaliser son travail en toute indépendance ou faudrait-il lui garantir encore plus d'autonomie ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Sur le dossier TF1/M6, il y a eu des échanges approfondis pour vérifier que l'autorité nationale était bien compétente. C'est tout à fait habituel pour des opérations de grande envergure qui, au regard des seuils de chiffres d'affaires, auraient dû relever de la Commission européenne s'il n'y avait pas eu l'application de la « règle des deux tiers ».

Sur un sujet aussi important, il y aura, bien sûr, des échanges réguliers avec les équipes de la Commission européenne, mais c'est bien l'autorité française qui traitera le dossier jusqu'au bout. La Commission n'aura pas à intervenir dans le processus.

Cependant, la décision de l'Autorité pourrait impacter l'appréciation des autres pays européens : elle pourrait servir de précédent, même en n'ayant pas de valeur juridique directe et alors que l'on sait que certains actionnaires présents dans l'opération française peuvent aussi l'être dans d'autres États européens. C'est là que le réseau européen de concurrence prend tout son sens, dans ces échanges très réguliers des responsables d'agence, des équipes dédiées à l'examen des concentrations, qui discutent quotidiennement de ces sujets pour parvenir à des visions communes.

Par exemple, un grand travail est en cours actuellement avec la Commission européenne pour mettre à jour tous les modes d'appréciation du marché pertinent. Comme je l'ai expliqué, cet exercice n'est pas simple, il est très subtil et repose sur toute une série de critères, mais nous sommes très attachés à apporter ces appréciations dans un cadre cohérent au niveau européen, parce qu'il ne serait pas justifié que l'on raisonne d'une façon et que l'autorité allemande, par exemple, raisonne de manière complètement différente. Nous recherchons toujours cette convergence avec la Commission européenne et nos homologues, car il serait fâcheux que, demain, nous ayons des visions différentes sur une opération très semblable. Cela fait donc partie des dossiers qui seront certainement abordés très régulièrement au niveau européen.

Pour ce qui concerne les moyens de l'autorité, les cinq années de mon mandat m'ont montré que les opérations de concentration sont extrêmement complexes. À cet égard, je crois vraiment que l'Autorité mériterait de voir ses moyens renforcés - ils l'ont été à la marge -, notamment pour traiter des enjeux numériques de façon générale, mais particulièrement en matière de concentrations. Lorsque je suis partie, une équipe de quatre rapporteurs travaillait sur ce sujet à plein temps, mais les dossiers de concentration sont tellement lourds, tellement complexes, que l'équipe est souvent un peu à la limite de ses capacités de travail. Si j'avais un conseil à donner à celui ou celle qui me remplacera, ce serait de plaider pour un renforcement des moyens. Il faut savoir donner à ces sujets les ressources humaines qu'ils méritent.

Pour ce qui concerne l'indépendance, je crois que le cadre législatif français est suffisant. Cependant, je me réjouis que la directive ECN+ de 2019, qui a renforcé les autorités de concurrence, comporte un volet très important sur leur indépendance, les conditions de nomination des présidents et des membres des collèges. C'était un point important, car les autorités de certains petits pays s'inquiétaient de l'intervention des gouvernements dans leur fonctionnement. Il y a donc eu un accord très large au niveau européen pour que ces garanties soient renforcées. Ce cadre européen de protection comporte des obligations très larges de déport des membres en cas de conflit d'intérêts et l'impossibilité, par exemple, de mettre fin au mandat d'un membre en dehors de cas strictement délimités.

Le statut de l'autorité française me semble, à cet égard, tout à fait suffisant. Nous n'avons pas à craindre de remise en cause de l'indépendance de son pouvoir de décision, lequel est toujours plus nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez déclaré que, si le critère de 70 % du marché était retenu, la seule façon d'autoriser la fusion de TF1 et M6 serait de considérer que leur survie économique est en jeu, ce que vous contestez a priori. Il faudrait même relativiser la pertinence de l'échelle à l'issue de la fusion, puisque la puissance financière ainsi obtenue ne serait pas de nature à inquiéter les grandes plateformes américaines.

La question de Pierre Laurent concerne aussi l'Autorité de la concurrence, puisque, comme vous l'avez dit dans votre propos introductif, vous vous attachez non seulement à l'effectivité du caractère concurrentiel du marché sur le plan économique, mais aussi, quand il s'agit de médias, à la diversité, si bien que vous avez pu imposer des rédactions différentes en cas de fusion, etc. Compte tenu de votre connaissance du dossier, considérez-vous que cette fusion est susceptible d'être mise en cause au nom du maintien de la diversité de l'offre, qui était l'objet fondateur de la TNT ? Il est important que vous puissiez répondre à cette question, que nous aurons du mal à poser à ceux qui sont en fonction aujourd'hui - ils refuseront d'évoquer un dossier en cours d'instruction.

Il n'y a pas de raison a priori de considérer que l'institution ne va pas travailler de façon impartiale. Vous qui avez démontré votre liberté dans toutes vos actions, pouvez-vous nous dire si vous trouvez normal que l'on en change la présidente, qui reçoit louanges et approbation de la part de tous les acteurs, au bout de cinq ans seulement, alors qu'elle est disposée à continuer à occuper le poste et alors même que l'on cherche encore celui qui pourrait la remplacer ? On voulait, initialement, trouver une autre femme ; j'ai l'impression que l'on se résigne déjà à nommer un homme...

Debut de section - Permalien
Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence

Monsieur le rapporteur, je suis très sensible à l'appréciation que vous avez exprimée. Je suis restée en poste durant cinq ans, soit la durée habituelle d'un mandat. Cela a été une expérience extraordinaire et une grande fierté pour moi de pouvoir affronter ces défis. J'en tire une très grande satisfaction. Je crois que nous avons accompli de belles choses. De fait, une reconnaissance internationale a pu m'être témoignée pendant mon mandat et à l'issue de celui-ci. J'aurais bien aimé continuer, mais la page est maintenant tournée. J'espère que j'aurai d'autres occasions de servir l'État.

On reproche parfois aux autorités indépendantes d'être trop autonomes. Leur statut donne aux autorités gouvernementales ou présidentielles la capacité de désigner régulièrement leur président ; c'est une prérogative importante. Quoi qu'il en soit, ce furent cinq années très denses, et je ne regrette pas d'avoir exercé cette belle mission.

Je répète ce que j'ai indiqué à M. Hugonet : lorsqu'une opération conduit un opérateur à occuper 70 % d'un marché, l'Autorité de la concurrence doit normalement la refuser. C'est la conséquence normale ou, en tout cas, la plus courante. En tout état de cause, considérer qu'il s'agit de la seule façon pour un groupe d'acquérir une envergure mondiale ne correspond pas aux modes de raisonnement habituels de l'autorité française ou des autorités européennes.

C'est l'une des raisons qui a conduit l'opération Siemens-Alstom à achopper. Pour les promoteurs de cette opération, il s'agissait de la seule façon de créer un champion européen ou mondial. Peu de temps après, une autre opération, Bombardier-Alstom, a pu être autorisée, qui, sans dégrader la concurrence sur les marchés européens, a conduit à la constitution d'un très grand opérateur, là encore d'envergure mondiale, mais sans constitution de monopole ou de position dominante en Europe.

Dans l'opération TF1/M6, l'Autorité aura-t-elle les moyens de maintenir la diversité de l'offre sur la TNT ? Le législateur a voulu un double contrôle, celui de l'Autorité et celui du CSA. Il me semble que le CSA aura aussi des prérogatives à faire jouer sur l'examen des autorisations d'utilisation des chaînes de la TNT, et je crois qu'il sera aussi dans son office d'examiner l'effet de l'opération sur la diversité de l'offre sur la TNT, mais, là encore, je crois que cette une question diffère quelque peu de celle sur la publicité. Effectivement, la publicité a un impact majeur sur les acteurs économiques, notamment les annonceurs, qui sont dépendants de la publicité télévisée pour diffuser un certain nombre d'annonces.

L'Autorité aura certainement à connaître du sujet plus large de la diversité dans les médias télévisés, mais cette appréciation sera, d'une certaine façon, partagée avec le CSA, dans le cadre de ses prérogatives.

Le législateur a été bien inspiré de prévoir cet avis obligatoire du CSA. L'autorité sera certainement très instruite par l'avis que celui-ci doit lui remettre, qui porte sur toutes les questions dont nous avons débattu cet après-midi.

Nous portons la plus grande attention à ces avis du CSA. Par exemple, dans la décision de 2019 relative à la revue des engagements Canal Plus/TPS, l'avis très riche du CSA a beaucoup éclairé les délibérations du collège quand il s'est agi de définir jusqu'où les obligations qui pesaient sur Canal Plus pouvaient ou non être levées au vu du nouveau contexte des plateformes OTT. Je pense que, là encore, l'avis du CSA sera extrêmement précieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Merci, madame la conseillère d'État, des réponses très précises que vous nous avez apportées.

Nous allons évidemment prendre en compte un certain nombre de vos remarques dans la poursuite de nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde rassemblant des représentants de la presse écrite.

Nous accueillons M. Alain Augé, président du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et, jusqu'à une date récente, directeur général de Bayard Presse ; M. Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS), directeur général délégué de la Société générale de presse ; et Mme Cécile Dubois, coprésidente du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) et rédactrice en chef de 94 Citoyens, quotidien en ligne d'information sur le Val-de-Marne et le Grand Paris, qui parle droit au coeur du sénateur du Val-de-Marne que je suis...

Madame, messieurs, notre commission d'enquête, dont le rapporteur est David Assouline, s'intéresse aux mouvements de concentration des médias - de tous les médias. Si l'attention est souvent focalisée sur la télévision, avec le rapprochement TF1/M6, nous n'oublions pas, loin s'en faut, la presse écrite, sur papier ou en ligne, dont la diversité et la proximité avec nos concitoyens participent pleinement de la démocratie.

C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre, afin de bénéficier de vos regards à travers les différents types de presse que vous représentez. Nous avons déjà eu l'occasion de débattre avec vous il y a peu de temps sur le sujet des droits voisins, qui n'est pas sans lien, d'ailleurs, avec la question des concentrations.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite, monsieur Augé, madame Dubois, monsieur Bérard-Quélin, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Augé, Mme Cécile Dubois et M. Laurent Bérard-Quélin prêtent successivement serment.

Debut de section - Permalien
Alain Augé, président du Syndicat des éditeurs de la presse magazine

Votre commission d'enquête sur ce sujet important passionne évidemment tous les professionnels ou anciens professionnels que nous sommes.

Je n'ai pas de conflit d'intérêts à vous signaler. J'ai toujours été assez libre dans ma tête, et je suis désormais retraité. J'étais dirigeant de Bayard Presse. Ma seule attache est donc d'être président du SEPM, présidence que j'essaie d'assurer avec coeur et conviction.

Je vais évoquer trois points.

S'agissant, tout d'abord, du périmètre immédiat du SEPM, paradoxalement, celui-ci est provisoirement dans une double phase de non-concentration et de « refrancisation ».

Prisma Presse, le premier groupe de presse magazine, qui n'a pas de quotidien, mais qui a des magazines d'information politique et générale (IPG), dont Capital, a été racheté par le groupe Bolloré. L'ancienne filiale de Mondadori a été rachetée par un groupe d'investisseurs qui est dans le digital et la presse, le groupe Reworld, qui s'appelle désormais Reworld Media. Enfin, le groupe Lagardère a été coupé en deux, avec une partie qui a été achetée par le groupe CMI et une autre qui, pour l'instant, est restée dans le giron du groupe. Au reste, de petits indépendants continuent d'émerger aujourd'hui - notre métier est étonnant, en ce qu'il y a toujours des candidats pour se lancer sur des idées, sur des niches. Nous n'assistons donc pas pour l'instant à un phénomène de concentration ou d'alignement, mais plutôt à une certaine biodiversité de la presse magazine, qui nous paraît évidemment très heureuse et avec laquelle nous sommes très à l'aise.

Nous sommes, au SEPM, assez contents de l'équilibre actuel. Entre la surprotection et la sous-protection, compte tenu des travaux qui ont été réalisés - je veux citer ceux auxquels avait participé l'ancien président de Bayard, Bruno Frappat, notamment sur l'émergence des chartes éditoriales -, nous considérons que nous sommes aujourd'hui à une bonne distance. S'il ne faut pas affaiblir la protection des journalistes, la renforcer trop, par des systèmes surprotecteurs et verrouillants, nuirait très fortement au dynamisme et à la liberté d'entreprendre.

Comme sur la loi de 1881 sur la liberté de la presse, nous sommes aujourd'hui parvenus à un équilibre qui me semble satisfaisant. Celui-ci se traduit par le maintien d'une biodiversité et d'une indépendance réelle les rédactions - en trente-cinq ans de carrière chez Bayard, je n'ai pas connu d'oukases et je ne pense pas que l'on puisse aujourd'hui demander à un journaliste d'écrire un papier sur commande, y compris en presse magazine, même si l'on trouve forcément des contre-exemples.

Il y a évidemment des débats d'idées : en tant que dirigeant de Bayard Presse, il m'est arrivé de me disputer fortement avec Guillaume Goubert, le patron de La Croix, parce que je ne suis pas sur la même ligne politique, mais c'étaient des débats comme il y en a tant, et ce n'est pas parce que j'étais membre du directoire de Bayard que mon avis comptait plus qu'un autre. La tradition de l'indépendance des rédactions est très forte et chevillée au corps dans la presse.

Un autre élément joue en ce sens : si, en presse télévision ou radio, l'importance des Anchormen - ces vedettes qui tiennent le micro - est très forte et peut conduire à des biais, un journal, c'est des dizaines d'articles. Il est donc compliqué de faire régner du caporalisme sur des contributions très variables et très variées. Cette richesse, cette diversité sont, du reste, l'un des grands avantages de la presse magazine. On n'aligne pas un magazine et encore moins un journal comme on aligne un régiment blindé.

Deuxièmement, renforcer la concentration ne nous effraierait pas : cela permettrait à différents groupes - magazines, quotidiens, radios et télévisions - de se rejoindre. Ce qui est important pour nous, c'est que le marché ne soit pas saturé par un monopole ou un oligopole.

Il nous semble tout à fait raisonnable de pouvoir associer des radios, des télévisions qui ne soient pas dominantes à des groupes de presse de magazines ou de quotidiens. Les dispositions législatives me semblent aujourd'hui un peu sévères.

Troisièmement, il faut se poser la question du marché pertinent. Le digital nous y contraint. Les frontières de spécialisation entre les médias sont en train de s'effondrer. Tout devient éminemment fongible. En réalité, le seul grand marché pertinent est celui de l'audience, de l'impact sur le public.

Autant il faut pouvoir élargir et desserrer la contrainte de la concentration horizontale, autant il faut être attentif à ce qu'un groupe de médias n'accapare pas une part de marché trop importante. Le seuil de 30 % est sans doute un peu élevé. Il faut s'intéresser au marché global, radios, télévisions, sites internet, et trouver le plafond idoine qui empêcherait des concentrations verticales trop importantes. Aujourd'hui, on en est loin, à deux exceptions redoutables près : Google et Facebook, qui sont les deux acteurs dominants du marché de l'audience, capturent la recette publicitaire. Le vrai danger aujourd'hui ne se trouve pas dans la surconcentration des médias traditionnels, mais dans leur étouffement par ces deux acteurs.

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Trois principes ont guidé notre réflexion : encourager la constitution d'entreprises suffisamment robustes pour se développer et innover ; éviter l'émergence d'une position dominante ; favoriser le pluralisme de l'information, indispensable à la démocratie.

Nous partageons tous le même constat : la loi de 1986, même largement actualisée, a été conçue à une époque où internet n'existait pas et n'a donc pas anticipé l'évolution numérique. De ce point de vue, elle est quelque peu obsolète.

Il ne nous semble pas superflu de repenser le sujet, mais à condition de ne pas légiférer de manière précipitée, et surtout pas à l'aune du contexte immédiat - fusion entre TF1 et M6, appétits de Vincent Bolloré... Il faut prendre le temps de mener une réflexion de fond.

Autre constat partagé, celui du rapport de force complètement asymétrique avec les plateformes. Aujourd'hui, la diffusion de l'information passe majoritairement par internet. Or ce canal n'a pas échappé à l'intermédiation des grandes plateformes, à commencer par Google, moteur de recherche totalement hégémonique, mais aussi par les réseaux sociaux, qui diffusent largement l'information.

Pour faire face à ces plateformes qui font la pluie et le beau temps, il nous paraît absolument nécessaire de disposer de groupes de médias suffisamment puissants. Or nous ne disposons pas de tels groupes aujourd'hui. Nous ne pensons pas du tout que la limite ait été dépassée. Au contraire, la France souffre d'un manque de grands groupes de médias indépendants. Nous n'avons pas d'équivalent de Bertelsmann, par exemple, qui a capitalisé à 18 milliards d'euros. À cet égard, on ne peut pas dire que notre secteur souffre d'un excès de concentration horizontale.

Notre paysage médiatique plutôt éclaté reflète assez bien cette diversité avec beaucoup de petits médias et de petites entreprises assez fragiles. Il faut absolument prendre garde de ne pas aggraver cette situation. En revanche, il faut être vigilant en ce qui concerne les concentrations verticales, susceptibles parfois de biaiser la concurrence. Je pense, par exemple, aux groupes qui disposeraient à la fois d'agences de communication et de médias, à savoir des tuyaux et le contenu pour aller dans ses tuyaux. Sur ce point, nous invitons plutôt à un durcissement de la doctrine de l'Autorité de la concurrence, sans que cela ne passe forcément par une évolution législative.

Un autre point nous alerte, celui de l'acquisition des principaux médias par des groupes dont la presse ne constitue pas le coeur de métier. C'est le cas de quasiment tous les grands quotidiens nationaux, d'une bonne partie de la presse quotidienne régionale et de la majorité des télévisions privées. Cette situation est assez spécifique à la France, même si on la rencontre aussi en partie en Italie.

Cela pose un certain nombre de problèmes. Tout d'abord en termes de développement. En effet, les actionnaires de ces groupes gèrent les médias comme des outils d'influence, sans optique de développement : ils renflouent quand c'est nécessaire et investissent assez peu. Il ne s'agit pas pour eux d'en faire un vrai business, car ce n'est pas leur business. Sur le long terme, cette situation pose problème.

En outre, cette tentation d'influence peut conduire à exercer des pressions sur une rédaction. C'est assez rare, mais il suffit que cela arrive de temps en temps pour être absolument inacceptable. Nous sommes favorables à l'ouverture d'une réflexion pour empêcher que la ligne éditoriale soit impactée par les intérêts non médiatiques des groupes. Nous n'avons pas de proposition toute faite sur la question. Nous ne sommes pas forcément favorables, par exemple, à l'indépendance d'une rédaction, car cela pourrait poser d'autres problèmes. Nous sommes ouverts à la définition de garde-fous pour éviter les pressions qui existent, même si elles sont rares.

Dernier constat : l'accès au financement est particulièrement difficile pour les médias. L'innovation tient aujourd'hui une grande place dans le paysage médiatique. Environ une cinquantaine de nouveaux médias nous rejoignent chaque année : très innovants, ils choisissent des angles complètement nouveaux, des formats éditoriaux originaux. Le problème est qu'ils ont beaucoup de mal à se développer dans la durée, parce qu'il leur est extrêmement difficile de trouver des financements. Les investisseurs privés et publics sont assez méfiants par rapport à ce secteur qui n'est pas tellement rentable. En définitive, beaucoup d'entreprises vivotent, sont structurellement dépendantes des aides à la presse et finissent par tomber dans le giron d'un grand groupe quand elles arrivent à atteindre une taille critique.

Cette question du financement des entreprises de médias indépendantes pourrait, par exemple, prendre la forme d'un taux d'intérêt préférentiel. De même, BPIfrance pourrait s'ouvrir davantage à des prises de participation dans les entreprises de presse de médias indépendants. Peut-être encore faudrait-il fixer le taux de subvention des aides à la presse, notamment celui du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), en fonction du critère d'indépendance de l'entreprise. Sur ce dernier point, les groupes industriels ou de services que j'évoquais, dont la presse n'est pas l'activité principale, et qui s'offrent des médias, aspirent une grosse partie des aides à la presse. Roselyne Bachelot a récemment souligné, à l'Assemblée nationale, que 50 % des aides à la presse revenaient à des entités incluses dans des groupes plus vastes, c'est-à-dire dans des groupes dont ce n'est pas l'activité principale. Il nous semblerait assez sain de limiter cette aide à l'influence.

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

La FNPS regroupe 527 services de presse en ligne, 1 206 publications, 426 éditeurs et 4 400 journalistes. Ces chiffres montrent combien nous représentons la diversité. Or il n'y a pas de pluralisme sans diversité. Le pluralisme ne concerne pas que l'information politique et générale. Il est fort probable que les problématiques sanitaires ou que la réforme de la politique agricole commune (PAC) jouent un rôle au moins aussi important que d'autres problématiques plus générales sur la détermination du vote d'un agriculteur, par exemple. Ne focalisez pas toute votre attention sur la presse d'information politique et générale, beaucoup de citoyens s'informent sur d'autres supports.

La meilleure garantie de l'indépendance et de la non-concentration, c'est la rentabilité. Or nos éditeurs sont fragiles, très majoritairement sous-capitalisés et beaucoup ont des marges très réduites. Il est souvent très difficile de trouver un acheteur en cas de cession. Pourtant, comme dans tous les autres secteurs, la presse a besoin d'entrepreneurs pour innover.

La rentabilité se construit autour d'une ligne éditoriale, qui se discute avec une rédaction : aucun éditeur ne peut faire un titre sans rédaction et aucune rédaction ne peut faire un titre rentable sans éditeur.

Dès lors, nous nous inquiétons de la création d'un statut d'indépendance des rédactions. Le rôle de l'éditeur est indissociable de la définition et de l'élaboration de la ligne éditoriale : son rôle est de rappeler que l'on ne fait pas un titre pour soi, mais pour ses lecteurs. Il s'agit de la rencontre d'une offre et d'une attente. Il faut laisser cette possibilité aux entrepreneurs qui sont en capacité d'investir dans les médias. La loi ne doit pas les amener à se confronter à un pôle rédactionnel avec lequel la discussion serait difficile.

Mme Dubois vient de souligner que trois cas reviennent systématiquement. Il s'agit de cas isolés. Je vous en prie, ne faites pas une loi de circonstance, qui bouleverserait inutilement l'ensemble d'une filière déjà fragile.

Je rappelle enfin que le statut de salarié est obligatoire pour les journalistes, lequel suppose un lien de subordination - c'est la nature même du salariat.

Par ailleurs, et je vais peut-être en faire bondir certains, nous croyons nécessaire de renforcer la clause de conscience et de faire évoluer la clause de cession. En effet, la façon dont cette dernière est mise en oeuvre est extrêmement destructrice de valeur ; pis, dans de nombreux cas, elle n'est pas - ou plus - légitime, son exercice n'étant pas limité dans le temps.

Je pense, par exemple, à L'Infirmière magazine, qui s'est retrouvé devant le tribunal de commerce après l'activation de plusieurs clauses de cession. Après le rachat de M. Niel, avez-vous constaté un changement de ligne éditoriale du Monde susceptible de heurter la conscience d'un journaliste ? De même du Midi Libre après son rachat par La Dépêche ? La réponse est non.

Dans notre secteur, la clause de cession constitue très souvent une double peine : on finance le départ des journalistes, qui vont ensuite monter un titre concurrent. Ce dispositif non seulement entame largement l'attractivité du secteur de la presse pour les investisseurs, mais aussi entraîne un risque et une incertitude qui obèrent la capacité d'investissement de celui qui rachète. En outre, la clause de cession engloutit directement ou indirectement une part des aides à la presse en créant un besoin de financement.

Notre proposition est simple : maintenir en l'état la clause de conscience, actionnable à tout moment, et qui suppose que le journaliste démontre qu'il n'y a plus adéquation entre la ligne éditoriale et sa conscience professionnelle. En cas de cession, nous proposons une clause de conscience inversée : il reviendrait alors à l'éditeur de faire la preuve que son changement de ligne éditoriale, s'il existe, n'est pas de nature à heurter la conscience professionnelle, l'honneur et la considération du journaliste. Dans un cas, la charge de la preuve incombe au journaliste, et c'est difficile ; dans l'autre cas, la charge en incombe à l'éditeur, et c'est tout aussi difficile.

Je voudrais encore dire un mot des aides à la presse. Si la TVA bénéficie à l'ensemble des éditeurs, nous constatons une hyper concentration des aides. Nous avions obtenu, voilà une dizaine d'années, en collaboration avec le SPIIL, une réelle transparence. Le décalage de parution de quelques mois des tableaux qui vous sont communiqués ne change rien.

Nous sommes très satisfaits du taux de subvention du FSDP, bonifié pour les entreprises indépendantes de moins de vingt-cinq salariés. Il s'agit d'un très bon axe de réflexion.

De même, l'aide à l'émergence, mise en place à la demande du SPIIL, est une très bonne chose.

Toutefois, je tiens à mettre en garde sur l'enchaînement des aides - à l'émergence puis à l'investissement -, qui représentent 50 % du chiffre d'affaires cumulé de certaines entreprises au bout de quatre, cinq ou six ans. À un moment donné, l'éditeur doit pouvoir vivre par lui-même. À défaut, on entre dans un cycle de subventions perpétuel qui crée des distorsions de concurrence.

En ce qui concerne le marché publicitaire, plusieurs de vos interlocuteurs ont évoqué le fait d'orienter les investissements. Nous ne sommes pas du tout opposés à cette mesure, mais il faut prendre garde de ne pas focaliser les annonceurs uniquement sur des titres d'IPG. Il faut tenir compte de la diversité des éditeurs, notamment les titres spécialisés et professionnels.

Dans cet esprit, je voudrais évoquer rapidement la communication publique au travers d'un exemple : Bpifrance a communiqué abondamment pendant la crise sanitaire sur les prêts garantis par l'État (PGE), mais aucun titre de la presse professionnelle, pourtant à destination des chefs d'entreprise, c'est-à-dire les premiers intéressés par ce dispositif, n'a été destinataire de cette campagne de publicité...

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Madame Dubois, si j'ai bien compris votre propos, la concentration horizontale ne constitue pas un risque. Il en va autrement de la concentration verticale ou du rachat d'entreprises de presse par des groupes étrangers aux médias. Pourriez-vous préciser votre pensée ? Ne trouvez-vous pas étonnant que Bouygues soit plus susceptible d'absorber Bertelsmann que l'inverse ? La question se pose également pour la presse quotidienne régionale : ne pensez-vous pas que la constitution de grands groupes possédant une multitude de titres dans des territoires importants puisse poser problème, alors même que la presse est bien leur coeur de métier ?

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Je ne dis pas qu'il ne faut pas réguler les concentrations entre médias. Toutefois, on ne trouve pas aujourd'hui, en France, de mastodontes ayant une démarche monopolistique qui empêcherait toute concurrence.

Nous ne disons pas qu'il faille alléger ou assouplir le cadre de régulation actuel. Nous pensons plutôt qu'il est nécessaire d'encourager la constitution de grands groupes. Avoir quelques groupes comme Ouest-France, qui se sont construits autour des médias, est positif. Même s'ils possèdent plusieurs titres, ils ne sont pas dans une démarche monopolistique.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La presse d'opinion est une tradition de la presse écrite. Il n'existe aucune réglementation particulière à cet égard, sinon la liberté. Il n'en va pas de même de l'audiovisuel : des concessions sont accordées à partir de critères de respect du pluralisme. Le pluralisme est-il resté vivace dans la presse écrite, au sens large ?

Que pensez-vous de la loi de 1986 ? Vous avez tous souligné son obsolescence. Le président du CSA, que nous avons auditionné, a d'ailleurs rappelé que les principes de la loi de 1986 restaient fondamentaux, mais que leur application au monde d'aujourd'hui supposait bien évidemment certaines modifications. Que changeriez-vous ?

Enfin, monsieur Bérard-Quélin, pouvez-vous préciser ce que vous reprochez au statut juridique des rédactions ? En quoi est-ce un danger ?

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Je modifierais sans doute la référence au marché pertinent de la loi de 1986. Le digital a apporté une fongibilité telle que le seul critère à retenir est celui de l'audience et du chiffre d'affaires publicitaire. En ce qui concerne la concentration verticale, le seuil de 30 % est sans doute un peu élevé : personne ne l'atteint aujourd'hui si l'on met côte à côte télévisions, radios et organes de presse.

Retenir l'audience globale et le chiffre d'affaires global permettrait de mesurer l'hégémonie des plateformes et la façon dont elles abusent de leur position. Cela nous inciterait à prendre de la hauteur par rapport aux fusions entre différents médias, qui sont aujourd'hui très compliquées à réaliser. Je ne serais pas choqué, par exemple, de voir La Croix rejoindre un groupe possédant une télévision. On gagnerait à voir se former des groupes cultivant les différents métiers des médias.

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Je partage en partie les propos de M. Augé : il faut redéfinir le marché pertinent de l'audience à l'aune du paysage actuel.

Je ne me prononcerai pas sur la publicité.

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

Il faut effectivement pouvoir appréhender le marché à 360 degrés, c'est ce que demandent et les annonceurs et les lecteurs.

Il s'agit de capter l'attention sur le numérique, de concrétiser l'abonnement papier avec un rythme de lecture différent et de prolonger l'ensemble avec de l'événementiel. Il faut permettre aux entreprises d'être présentes sur l'ensemble de ces dispositifs auxquels peuvent s'adjoindre de la radio et de la télévision. Cette approche à 360 degrés, c'est la vraie vie des médias.

Nous manquons de chiffres sur ce sujet. En préparant cette audition, un chiffre m'a sidéré : un site comme Brut, par exemple, c'est 20 milliards de vidéos vues chaque année dont 20 % en France, et 250 millions d'utilisateurs réguliers. Or Brut s'adresse à 70 % aux jeunes de moins de trente-cinq ans. Il faut intégrer ces éléments dans la pertinence du marché. Les citoyens de demain, ce sont les jeunes.

Il faut évidemment modifier la loi de 1986 ; cela a été abondamment souligné.

Sur le terme de « concentration », j'attire votre attention sur le marché des annonces légales, normalement destiné à financer la diversité. Depuis l'ouverture aux services de presse en ligne et au numérique, on assiste à une ultra-concentration qui n'est pas en phase avec les objectifs du législateur et de la réglementation.

La concentration n'est pas uniquement le fait des rachats de medias, elle est de plus en plus horizontale avec une intégration des outils : plateformes de collecte de publicité et d'annonces, système d'enchères, outils de distribution, de mesures et de facturation.

M. le rapporteur a évoqué l'indépendance des rédactions. Je représente beaucoup d'éditeurs indépendants. J'en suis moi-même un ; nous sommes une société familiale. L'intérêt pour des entrepreneurs qui s'intéressent à la presse, voire, comme M. Ganz chez Prima, qui touchent le papier ou caressent l'écran et ont « les mains dans le cambouis », est de pouvoir piloter la ligne éditoriale en dialogue avec la rédaction. En mettant des barrières trop importantes, vous allez casser cette dynamique d'entrepreneuriat. L'envie de piloter est partagée dans la presse en ligne.

Cela ne signifie nullement l'absence de collectif. D'ailleurs, il ne peut pas y avoir de presse sans collectif. Le collectif, c'est entre l'éditeur et la rédaction. Ce qui fédère, c'est une ligne éditoriale. Celui qui décide, c'est le lecteur, qui achète ou non. Il ne faut pas casser cette dynamique. Gardons les dispositifs qui existent, comme la clause de conscience, qu'il faut peut-être même renforcer. Et incitons les deux pôles à travailler ensemble, et non pas les uns contre les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je comprends vos arguments, mais j'ai tout de même l'exemple du journal Le Monde en tête. La propriété peut parfois être pilotée en partie par la rédaction.

Lorsque j'ai évoqué la crise d'iTélé en parlant de quatre-vingts journalistes « débarqués », le directeur de la rédaction de CNews m'a repris en indiquant : « Ils n'ont pas adhéré au nouveau projet qui leur était proposé ; ils sont donc partis. » Le métier de journaliste a besoin d'être protégé : avec de l'argent, on peut faire partir certains professionnels. D'où mon interrogation sur la clause de conscience.

Au sein de cette commission d'enquête, nous réfléchissons beaucoup sur la protection des rédactions. Il est difficile de revenir sur les concentrations capitalistiques existantes quand la loi n'est pas rétroactive. Nous nous intéressons au modèle économique du journal Le Monde, avec une volonté de sanctuariser l'indépendance des rédactions, si essentielle pour nous et pour la démocratie.

La diversité de l'offre sur la presse spécialisée et les magazines vous paraît-elle satisfaisante ? Si les aides à la presse sont peu adéquates, injustes et mal ciblées, que proposez-vous pour les réformer ?

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Au SEPM, nous cultivons les dialectiques. Certains de nos adhérents bénéficient du statut d'IPG, tandis que d'autres non. Ce statut est le résultat d'une évolution jurisprudentielle. La reconnaissance de l'impact sociétal d'un magazine comme Elle, qui a au moins autant d'importance sur la formation des esprits qu'un journal traditionnel, est un élément intéressant.

À mon sens, il vaudrait mieux différencier deux sujets. D'une part, le travail sur la résilience du modèle papier est soit un accompagnement vers une fin, au moins pour les quotidiens, soit une stabilisation à un niveau significativement plus bas qu'aujourd'hui. D'autre part, il faut encourager la presse et sa traduction digitale. Il faudrait peut-être mieux séparer les dispositifs. Mettons tout le monde sur la même ligne de départ.

Dans la presse papier, ce qui relève ou non de l'IPG est assez évident. Sur le digital, la métonymie gutenberienne du contenant et du contenu étant cassée, il est beaucoup plus difficile de faire une césure nette.

La granularité, c'est l'article. Je ne dis pas qu'il faut commencer à faire « coter » chaque article. Mais, compte tenu de l'enjeu de la francophonie et des liens avec l'Afrique, le développement stratégique de la presse gagnerait à une meilleure séparation entre la variable résilience papier et la variable émergence du digital. Pour le digital, la notion d'IPG doit être vue de manière beaucoup plus extensive.

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Nous déplorons également de longue date la notion d'IPG, qui n'a pas la même réalité dans la presse en ligne et qui crée des distorsions de concurrence. Un média généraliste IPG peut avoir des déclinaisons très thématiques qui bénéficieront du label. En ligne, c'est beaucoup plus segmenté : des sites très spécialisés sont directement en concurrence avec les pages spécialisées de sites liés à des magazines imprimés IPG.

Sur les aides à la presse, la distorsion entre presse en ligne et presse imprimée est édifiante. Certes, il y a eu des améliorations, avec de nouveaux types d'aides, comme le FSDP ou la bourse d'émergence, ainsi que l'ouverture, pour la première fois cette année, de l'aide au pluralisme. Mais des pans majoritaires des aides à la presse, notamment s'agissant de la diffusion, sont encore entièrement dévolus à la presse imprimée. Or la diffusion est un élément capital et stratégique pour la presse en ligne, et nous sommes extrêmement faibles, car totalement intermédiés par les plateformes. Il faut encourager la diffusion numérique en France ; pour l'instant, seule la diffusion de presse imprimée l'est. Nous sommes très favorables à une réforme des aides à la presse. Nous avons formulé des propositions. L'essentiel pour nous est d'avoir des aides sur des projets, plutôt que des rentes. Le FSDP nous semble une des aides les mieux adaptées aujourd'hui.

Nous ne partageons pas la même vision sur les annonces judiciaires et légales (AJL). Ce marché réglementé de 200 millions d'euros a longtemps été réservé en France à la presse imprimée, ce qui constituait une forte distorsion de concurrence pour la presse en ligne. Nous considérons cela comme un impôt déguisé pour les entreprises et comme une aide déguisée à la presse. Nous ne défendons pas forcément cette manne, qui ne nous paraît pas favoriser la diversité. Mais tant qu'elle existe, elle doit concerner tous les médias, qu'ils soient imprimés ou en ligne.

Le problème de la concentration autour des annonces légales, ce sont les intermédiaires, qui font la pluie et le beau temps, car ils ont le client final. Les plateformes font des formalités en ligne, créent des entreprises en ligne et achètent énormément de publicités. Au final, c'est Google, parce que le groupe est en première position, puis ces dernières qui tirent les marrons du feu, en négociant des marges délirantes, de 75 % ou 80 %. Un tel effet pervers n'est pas lié à l'ouverture à la presse en ligne, qui était juste et légitime.

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Je connais la situation difficile des finances publiques et le principe de non-affectation des recettes à des dépenses, mais il ne me semblerait pas absurde d'affecter par exemple 10 % de l'amende que Google vient de verser à l'État au développement du digital ou de la presse...

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Très bonne idée !

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

Notre proposition est parfaitement opérante dans le cas d'iTélé ; en l'occurrence, il est facile de démontrer que le changement de ligne éditoriale justifie l'exercice de la clause de cession.

Nous visons les cas, nombreux, où la clause de cession s'applique sans que cela se justifie. Par exemple, pour le Journal des infirmiers, il n'y a pas de changement de ligne éditoriale ; c'est juste un effet d'aubaine, qui pèse sur les finances de l'éditeur et les finances publiques.

Concernant Elle, la FNPS s'est effectivement opposée à la reconnaissance IPG pour ce titre. Nous considérons que Elle n'est pas un news magazine ; il suffit de le feuilleter assez régulièrement pour voir quels sujets sont abordés. L'application du statut IPG nous a toujours posé problème. Nous proposons de le circonscrire aux quotidiens, qui ont des impératifs de production et de distribution justifiant une aide spécifique de l'État, contrairement aux autres périodicités.

La seule aide directe à laquelle nous avons accès en n'étant pas IPG est le FSDP. Nous avons accès à la TVA et à l'aide postale, mais deux fois moins que les titres IPG. Le FSDP pose quelques problèmes. On aide de manière récurrente des grands groupes et des start-up qui n'arrivent pas à trouver leur modèle économique. À un moment, il faudra peut-être s'interroger.

La question de la vision à 360 degrés est un peu technique. La presse a toujours été un média de services. Nous avons des difficultés à convaincre le ministère de la culture qu'il faut également aider les éditeurs à investir sur les services entourant la mise à disposition de contenus éditoriaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Il faut remettre le phénomène de concentration, qui peut avoir des effets positifs ou négatifs, dans son contexte.

La presse écrite est dans une situation difficile, avec 60 % de recettes en moins depuis le début des années 2000, la mutation vers la diffusion en ligne, la disparition de points de vente, la réforme du portage. Je vous renvoie à la lecture de mon avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2022.

Vous devez vous positionner dans cet univers concurrentiel et vous adapter face à la disparition de 1 000 points de vente chaque année et à la perte des recettes publicitaires.

Le véritable problème est-il la concentration ou la concurrence des plateformes internationales ? Où en êtes-vous par rapport à Google et aux droits voisins ? Concentration et pluralisme dans un groupe font-ils bon ménage aujourd'hui ? Où en êtes-vous de vos négociations face aux grandes plateformes ? Ne vaut-il pas mieux raisonner en termes de recettes nouvelles à trouver plutôt que d'aides à la presse à redistribuer ou augmenter ? Les recettes nouvelles pourraient venir des accords que vous aurez avec Google, puis avec d'autres. N'est-ce pas cela l'avenir ?

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Vos questions sont au coeur du sujet. Il est certain que la concentration est le moyen, via le partage des frais généraux communs, de maintenir la biodiversité éditoriale. Je préfère que la rédaction d'un groupe indépendant rejoigne un grand groupe et continue d'exprimer son talent et sa ligne éditoriale spécifique plutôt qu'elle ne disparaisse. À cet égard, je ne diabolise pas du tout la concentration. Le desserrement de la contrainte entre les différents acteurs des médias pour permettre plus de concentration horizontale aurait même plutôt ma faveur.

Nous sommes très sensibles au souci de notre confrère Laurent Bérard-Quélin que les actifs de presse ne soient pas bradés et restent suffisamment attractifs pour que les entrepreneurs ayant investi, parfois sur plusieurs générations, dans l'outil de travail ne soient pas spoliés par une vente à l'encan.

Avec le droit voisin, c'est une bagarre sociétale contre Google qui est devant nous. Nous sommes très à la pointe sur ce dossier. Nous sommes les mauvais coucheurs. C'est nous qui avons relancé le contentieux auprès de l'Autorité de la concurrence. Nous investissons beaucoup dans cette affaire, qui nous tient tout à fait à coeur, pour de multiples raisons.

D'un point de vue froidement économique, nous avons perdu 2,5 milliards d'euros de recettes publicitaires pour quelque 25 000 journalistes, soit un manque à gagner de 100 000 euros par journaliste en dix ans. C'est beaucoup. Or ni l'argent ni l'audience de la presse n'ont disparu. Il n'y a jamais eu autant de lecteurs de presse, engagée ou non, régulière ou non, en France. Le phénomène concerne même les jeunes générations, sur les médias traditionnels ou les nouveaux médias. Le paysage n'est pas noir. Nous observons un progrès sociétal et culturel. Simplement, aujourd'hui, des rédactions ne sont plus payées, et plus payables par le modèle existant. Des distributeurs font un excellent travail, mais avec le seul petit défaut de prendre 100 % de commission !

Le premier accord qu'avait passé la presse, avec notre ami Marc Feuillée, le patron du groupe Figaro, était à 20 millions d'euros par an. Compte tenu des audiences et de la publicité, cela donne une somme actualisée de 200 millions d'euros. Le SEPM en réclame 70 millions d'euros à Google. Nous en toucherons une petite partie, qui ne sera sans doute pas indigne, contrairement aux propositions initiales de Google. Mais ce sera tout de même une portion misérablement congrue.

Nous serons donc à un carrefour stratégique, et nous devrons nous rapprocher de la puissance publique pour savoir ce qu'il conviendra de faire. Le choix risque d'être un peu cornélien.

Pour Google, les droits voisins, c'est un peu comme l'eau bénite pour le diable ou le travail pour Gaston Lagaffe : un vrai répulsif !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pourtant, Google les a tout de même reconnus, pour la première fois. Les représentants du groupe nous l'ont d'ailleurs confirmé.

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Certes. Ils sont très polis et dans les clous juridiquement. Mais, à l'éternelle question de Bernard Blier : « Combien tu m'aimes ? », ils répondent en centimes là où il faudrait répondre en milliers d'euros. Le compte n'y est pas. Alors que le manque à gagner est de 100 000 euros par journaliste, eux raisonnent en centaines d'euros par journaliste. Il va falloir combler ce gap. C'est structurel et crucial.

La fongibilité du digital remet tout le monde sur la même ligne de départ. Si l'on peut craindre le mouvement de concentration, le digital permet de relancer des machines, grâce à de nouveaux acteurs ou à la revivification d'acteurs traditionnels.

L'enjeu réside dans notre capacité future à faire admettre aux Gafam qu'ils ne doivent pas accaparer 100 % de la valeur.

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Un travail collectif est en cours sur le partage de la valeur. La création de l'organisme de gestion collective (OGC) est une démarche importante.

Le problème des plateformes, c'est vraiment l'intermédiation. Il devient de plus en plus compliqué d'atteindre son lectorat quand les plateformes ont leurs propres algorithmes, plus centrés sur des informations de faible qualité, mais sur lesquelles on a envie de cliquer, que sur des informations sérieuses, donc plus rébarbatives.

Heureusement, il y a une prise de conscience à l'échelon européen, avec une régulation. On commence à taper sur les abus de position dominante. Tant mieux. Mais c'est aussi, me semble-t-il, aux éditeurs d'essayer de ne pas se laisser complètement intermédier par des plateformes.

Des initiatives collectives intéressantes sont lancées en France, par exemple d'agrégation de news pour faire soi-même sa propre plateforme. Il faut à la fois se prendre en main et taper sur les abus de position dominante. C'est nécessaire, et cela commence à être fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Outre les droits voisins, vous avez aussi à récupérer une partie de la publicité qui part sur ces grandes plateformes : ce sont des recettes qui vous échappent petit à petit.

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

Le droit voisin est une forme de compensation. Mais le plus important est l'intégration verticale du marché publicitaire en ligne, qui dépend en très grande partie des outils mis à disposition par Google.

Je souhaite évoquer la logique de têtes de gondole. Sur un écran, la tête de gondole est très étroite. Il y a trois ou quatre items visibles sur un téléphone portable, et on regarde en général les dix premiers - ce même pas la totalité de la première page - sur un ordinateur.

Ce qui a été mis sur la table par Google, c'est la marchandisation de ces têtes de gondole. Il faut absolument que la puissance publique s'y intéresse si elle veut maintenir la diversité et l'indépendance des éditeurs, faute de quoi seuls les gros seront visibles. C'est une des problématiques évoquées par le Digital Markets Act-Digital Services Act (DMA-DSA). Il faut absolument que vous vous en saisissiez.

À titre personnel, je pense que l'on n'échappera pas à une réflexion sur un démantèlement. Il est impossible de faire autrement. La personne qui nous a précédés ici a peut-être esquissé quelques réflexions sur le sujet. On ne pourra pas se limiter à la lutte contre des abus de position dominante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Je vous remercie infiniment de la clarté de vos propos. J'entends parler d'approche à 360 degrés, d'audience. C'est aussi un problème de libéralisme et de régulation.

Comme tout le monde, hormis le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), vous jugez la loi de 1986 obsolète. Pour reprendre les mots de mon maître Bernard Blier, qui a été cité, cette loi est une « vieille seringue ».

Alors que nous sommes à l'arrêt depuis onze ans, y a-t-il un exécutif qui soit encore capable de réformer les médias en France ?

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Je crois à la primauté du politique. Je vous réponds donc : oui.

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

La dernière réforme, engagée sous Nicolas Sarkozy - Les Etats généraux de la presse, a tout de même conduit à un certain nombre d'avancées, dont la reconnaissance de la presse en ligne par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).

Aujourd'hui, une réforme n'aurait d'intérêt qu'à la condition de prendre en considération l'intermédiation et la plateformatisation de l'accès à l'information. Il faudra donc mettre un G, un A et un F autour de la table.

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Il faut des États généraux de la presse et des Gafam !

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Choisir, c'est renoncer. Présenter et sélectionner, c'est un travail d'éditeur. Les Gafam sont éditeurs, même s'ils ne veulent pas le reconnaître.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Monsieur Bérard-Quélin, ne faudrait-il pas distinguer le propriétaire que vous avez évoqué avec sensibilité, c'est-à-dire celui qui touche le papier et impose la ligne éditoriale, du propriétaire investisseur, qui est plus sur une logique économique ?

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

D'une part, la distinction est compliquée ; il faudrait trouver des critères objectifs. D'autre part, l'investisseur qui vient faire de l'argent dans les médias, c'est plutôt l'exception : le problème aujourd'hui, c'est surtout que des titres sont sur le marché et ne trouvent pas d'acquéreur.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez contesté qu'il y ait concentration au nombre de titres dans la presse écrite. Auriez-vous des chiffres ou des éléments à nous communiquer à cet égard ? Combien y a-t-il aujourd'hui de titres dans vos domaines respectifs ? Y en a-t-il plus dans la presse magazine aujourd'hui qu'en 2010 ?

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

Le nombre d'éditeurs et le nombre de titres sont en légère diminution. Dans notre secteur, le passage au numérique tend au regroupement de plusieurs titres qui existaient en presse papier sur un seul, pour avoir plus de visibilité et de force de frappe.

Parfois, des titres papier disparaissent. Cela va s'accentuer cette année. Comme vous le savez, l'augmentation de 50 % des prix du papier conduit beaucoup d'éditeurs à envisager une migration sur le numérique, d'autant que les dispositions environnementales poussent également en ce sens.

Debut de section - Permalien
Alain Augé

Quand la question porte sur les dix dernières années, la réponse est souvent inspirée par la tendance sur les six derniers mois ou sur la dernière année. Je vais donc examiner sérieusement le sujet avant de vous répondre.

En tout état de cause, ce n'est pas une hécatombe : la hausse ou la baisse est forcément légère. Nous n'avons pas assisté à la disparition de moitié des titres en dix ans. La presse a fait un travail de résilience absolument étonnant.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Il y a eu des avancées. Je pense à la reconnaissance de la presse en ligne et au combat, que j'ai mené un peu seul, pour que cette dernière bénéficie des mêmes avantages fiscaux que la presse imprimée. Mais n'y a-t-il pas eu croissance exponentielle de la presse en ligne ?

Debut de section - Permalien
Cécile Dubois, coprésidente du syndicat de la presse indépendante en ligne

Comme le SPIIL existe depuis dix ans, les chiffres sont mécaniquement plus importants aujourd'hui. Nous avons 230 éditeurs et 300 médias, contre une dizaine de titres lors de notre création.

Nous sommes en croissance, ce qui est assez logique : les médias qui se créent aujourd'hui se créent en ligne. Nous sommes le syndicat des petits médias qui se créent et qui ont besoin d'accompagnement, même s'il y a aussi quelques gros médias chez nous.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Mais auriez-vous des éléments chiffrés sur la presse en ligne en général ?

Debut de section - Permalien
Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée

La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture a relancé son étude. Vous devriez donc disposer des chiffres à plus ou moins brève échéance.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Madame, messieurs, nous vous remercions de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.