Intervention de Isabelle de Silva

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 13 décembre 2021 à 15h30
Audition de Mme Isabelle de Silva conseillère d'état ancienne présidente de l'autorité de la concurrence

Isabelle de Silva, conseillère d'Etat, ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence :

Sur le dossier TF1/M6, il y a eu des échanges approfondis pour vérifier que l'autorité nationale était bien compétente. C'est tout à fait habituel pour des opérations de grande envergure qui, au regard des seuils de chiffres d'affaires, auraient dû relever de la Commission européenne s'il n'y avait pas eu l'application de la « règle des deux tiers ».

Sur un sujet aussi important, il y aura, bien sûr, des échanges réguliers avec les équipes de la Commission européenne, mais c'est bien l'autorité française qui traitera le dossier jusqu'au bout. La Commission n'aura pas à intervenir dans le processus.

Cependant, la décision de l'Autorité pourrait impacter l'appréciation des autres pays européens : elle pourrait servir de précédent, même en n'ayant pas de valeur juridique directe et alors que l'on sait que certains actionnaires présents dans l'opération française peuvent aussi l'être dans d'autres États européens. C'est là que le réseau européen de concurrence prend tout son sens, dans ces échanges très réguliers des responsables d'agence, des équipes dédiées à l'examen des concentrations, qui discutent quotidiennement de ces sujets pour parvenir à des visions communes.

Par exemple, un grand travail est en cours actuellement avec la Commission européenne pour mettre à jour tous les modes d'appréciation du marché pertinent. Comme je l'ai expliqué, cet exercice n'est pas simple, il est très subtil et repose sur toute une série de critères, mais nous sommes très attachés à apporter ces appréciations dans un cadre cohérent au niveau européen, parce qu'il ne serait pas justifié que l'on raisonne d'une façon et que l'autorité allemande, par exemple, raisonne de manière complètement différente. Nous recherchons toujours cette convergence avec la Commission européenne et nos homologues, car il serait fâcheux que, demain, nous ayons des visions différentes sur une opération très semblable. Cela fait donc partie des dossiers qui seront certainement abordés très régulièrement au niveau européen.

Pour ce qui concerne les moyens de l'autorité, les cinq années de mon mandat m'ont montré que les opérations de concentration sont extrêmement complexes. À cet égard, je crois vraiment que l'Autorité mériterait de voir ses moyens renforcés - ils l'ont été à la marge -, notamment pour traiter des enjeux numériques de façon générale, mais particulièrement en matière de concentrations. Lorsque je suis partie, une équipe de quatre rapporteurs travaillait sur ce sujet à plein temps, mais les dossiers de concentration sont tellement lourds, tellement complexes, que l'équipe est souvent un peu à la limite de ses capacités de travail. Si j'avais un conseil à donner à celui ou celle qui me remplacera, ce serait de plaider pour un renforcement des moyens. Il faut savoir donner à ces sujets les ressources humaines qu'ils méritent.

Pour ce qui concerne l'indépendance, je crois que le cadre législatif français est suffisant. Cependant, je me réjouis que la directive ECN+ de 2019, qui a renforcé les autorités de concurrence, comporte un volet très important sur leur indépendance, les conditions de nomination des présidents et des membres des collèges. C'était un point important, car les autorités de certains petits pays s'inquiétaient de l'intervention des gouvernements dans leur fonctionnement. Il y a donc eu un accord très large au niveau européen pour que ces garanties soient renforcées. Ce cadre européen de protection comporte des obligations très larges de déport des membres en cas de conflit d'intérêts et l'impossibilité, par exemple, de mettre fin au mandat d'un membre en dehors de cas strictement délimités.

Le statut de l'autorité française me semble, à cet égard, tout à fait suffisant. Nous n'avons pas à craindre de remise en cause de l'indépendance de son pouvoir de décision, lequel est toujours plus nécessaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion